Cet article est paru dans Allaiter aujourd'hui n° 73, LLL France, 2007. Il est extrait de l'ouvrage Pour une naissance à visage humain (nouvelle édition revue et corrigée, septembre 2007).
Toutes les études s'accordent sur l'importance des premiers contacts, des premiers corps à corps, des premiers peau à peau, des premiers échanges de regards, de la tétée précoce... (voir plus bas un petit choix de ces études).
Mais chez nous, encore trop souvent, tout semble fait pour les empêcher. On s'empresse de couper le cordon ombilical et d'emporter le bébé pour le soumettre à une batterie de tests, d'examens, de mesures, qui pourraient fort bien attendre. Pour mesurer sa taille, on l'étire brusquement alors qu'il resterait bien encore un moment en position fœtale. Pour le peser, on le pose tout nu sur une surface froide et rigide. On instille dans ses yeux un collyre qui risque de gêner le contact visuel mère/enfant. On l'aspire. On lui prend sa température rectale.
L'isolette
Et du coup, bien sûr, il se refroidit (un nouveau-né perd 1/10 de degré par minute dans une pièce à 20°). Au lieu de le laisser tranquillement sur le corps de sa mère sous une couverture, on l'habille et... on le met deux heures dans une isolette « pour qu'il se réchauffe ». Pendant ce temps, la mère se morfond sur la table d'accouchement, en attendant qu'on recouse son épisiotomie, et elle aussi, très souvent, a froid !
Quand on sait que le réflexe de succion d'un bébé né à terme et en bonne santé atteint habituellement un point culminant 20 à 30 minutes après l'accouchement, et que si on laisse passer ce moment propice, il peut être diminué pour les 36 heures suivantes, on mesure les conséquences de cette mise en isolette sur le démarrage de l'allaitement...
La 4e condition de l'Initiative Hôpital Ami des Bébés (IHAB) dit maintenant : « Le bébé sera placé, après la naissance, en contact peau à peau avec sa mère, pendant une heure ou plus. La maman sera encouragée à reconnaître les signes montrant que son bébé a besoin de téter. Si besoin, le professionnel de la naissance lui proposera de l'aide. »
Sa formulation antérieure (« Aider les mères à commencer d'allaiter leur enfant dans la demi-heure suivant la naissance ») pouvait engendrer un forcing pour que le bébé tète dans un certain délai, forcing peu en harmonie avec le respect des rythmes du bébé.
Le bain
Même si le bain « à la Leboyer » (voir Pour une naissance sans violence) a incontestablement représenté dans les années 70 une recherche de naissance plus humaine, il ne faudrait pas en faire une obligation. Quand le bébé a trouvé le sein de sa mère, on n'a pas nécessairement envie de l'en arracher pour le mettre à l'eau...
En tout cas, nul besoin de l' « astiquer » à l'eau et au savon, que ce soit juste après la naissance ou dans les jours qui suivent. Le bain quotidien n'est pas une nécessité d'hygiène pour un nouveau-né. Et l'idéal serait sans doute de ne pas enlever du tout le vernix, cet enduit blanchâtre qui recouvre le corps de l'enfant à la naissance et que la peau absorbera en quelques jours. Contenant des matières grasses, des albuminoïdes, des sels minéraux et des vitamines, il protège la peau du bébé des germes infectieux, la nourrit, et est aussi une protection contre le froid.
Un autre intérêt à ne pas laver tout de suite le nouveau-né, c'est de lui laisser ses repères olfactifs : l'aréole sécrétant une odeur proche de celle du liquide amniotique, si le bébé conserve cette odeur sur les doigts et les poings qu'il porte alors à sa bouche, il trouvera d'autant plus facilement le chemin du sein.
L'aspiration
Il faut s'arrêter sur l'aspiration (aspiration des voies aériennes et aspiration gastrique), un geste encore quasiment systématique dans les maternités françaises et dont bien peu de parents sont au courant.
Pour la désobstruction des voies aériennes, il s'agit de débarrasser le nouveau-né des mucosités dont il se débarrasserait très bien tout seul, sauf problème particulier.
Pour l'aspiration gastrique, il s'agit d'introduire une sonde dans l'œsophage, et très souvent jusqu'à l'estomac, ce qui est une façon plutôt violente d'accueillir le nouveau-né : la première chose qu'on fait passer dans ses voies digestives, ce n'est pas le lait de sa mère, mais un tuyau en caoutchouc ! Belle façon de l'introduire au monde de l'oralité...
L'aspiration gastrique provoque indiscutablement un stress chez le nouveau-né, comme le démontrent ses expressions faciales et l'augmentation de sa pression sanguine. Elle peut induire des lésions œsophagiennes.
De plus, elle perturbe les réflexes qui amèneront le bébé à prendre le sein. C'est pourquoi toutes les recommandations récentes en matière d'allaitement déconseillent l'aspiration systématique (1) ou la retardent après la première tétée.
L'établissement du lien
Quelle que soit leur approche, qu'il s'agisse de l'approche éthologique de ceux qui observent le comportement des animaux (voir les travaux de Lorenz sur l' « empreinte » chez les oiseaux), ou de l'étude des effets des différentes hormones sur le comportement (rôle probable des endorphines, de l'ocytocine, de la prolactine et des catécholamines), tous les scientifiques attachent une grande importance à la notion de période critique, de période sensible, de courte période qui ne se reproduira jamais. Cette période sensible, cruciale pour le processus d'attachement entre mère et bébé, est habituellement toute proche de la naissance. Pendant environ deux heures, on observe une phase d' « hyper-éveil » où le bébé est au mieux de sa forme pour chercher le sein (le fameux « réflexe de fouissement »), le trouver, trouver sa mère et la séduire.
On pense maintenant qu'à la naissance, il y a « une programmation absolument spécifique mère/enfant » (Pr Lebovici) : programme actif de recherche de la mère de la part du bébé ; programme de réponse seulement chez la mère. D'où l'importance de favoriser et de respecter les premiers contacts mère/enfant, pour que la demande puisse susciter la réponse...
Bien sûr, il ne faut pas croire que si pour une raison ou une autre, la mère et l'enfant ont été séparés pendant cette période sensible, l'attachement ne se fera pas : nous autres humains avons d'autres ressources à notre disposition que les réactions hormonales ; nous avons la capacité, par un acte d'apprentissage volontaire, de récupérer un mauvais début. Mais pourquoi perturber ces processus physiologiques quand il n'y a pas de risque vital en jeu ?
D'autant qu'il y a encore d'autres intérêts à ce contact précoce mère/bébé. On sait en effet qu'à la naissance, le nouveau-né n'est pas porteur de microbes, mais que quelques heures après, il a déjà des milliards de germes par millimètre cube de fèces. Or lorsqu'une muqueuse ou n'importe quelle surface est stérile, il se produit une espèce de course entre les différentes souches de microbes (les bactériologistes parlent de « race for the surface »), et ceux qui gagnent la course ont une plus grande chance de devenir les maîtres du territoire. Or pendant la grossesse, les Igg (anticorps de faible poids moléculaire) atteignent le fœtus par l'intermédiaire du placenta, ce qui fait qu'à la naissance, le nouveau-né est adapté aux microbes satellites de la mère et non pas aux microbes apportés par des étrangers dans des endroits non familiers. Il est donc important, surtout dans un hôpital, qu'il soit « contaminé » le plus vite possible par les microbes transmis par la mère, et soit donc en contact avec elle.
Le corps à corps précoce entre la mère et le bébé, plus l'absorption sans restriction du colostrum (le premier lait), sont nécessaires pour que la flore intestinale soit dominée par les « bons » microbes, les bifidobacteria.
Les premiers jours
Dans les jours qui suivent, les occasions de perturber l'établissement des relations mère/enfant vont se multiplier. Tout sera fait pour séparer le corps du bébé de celui de sa mère : mise en berceau, proposition, souvent insistante, de garder le bébé la nuit en nursery (2), culpabilisation de la mère si on la trouve en train de se promener dans les couloirs avec le bébé dans les bras (et si elle allait le laisser tomber !) ou pire, dans sa chambre avec le bébé dans son lit (de toute façon, les lits d'hôpital, hauts et étroits, n'y incitent guère...).
Or, toutes les études le montrent, c'est le contact étroit entre la mère et son enfant qui va leur permettre d'apprendre à se connaître, de « s'ajuster » en quelque sorte, qui va faire en sorte que la mère devienne compétente pour s'occuper de son bébé. Cette « connaissance » peut atteindre des degrés étonnants. On a par exemple observé que des mères qui, 24 heures après la naissance, avaient passé plus d'une heure avec leur bébé et à qui on bandait les yeux et supprimait le recours à l'ouïe et à l'odorat, arrivaient à différencier leur enfant de deux autres enfants en touchant le dos de la main des bébés (3) !
Un bon démarrage de l'allaitement suppose lui aussi qu'on interfère le moins possible entre la mère et son bébé, et qu'on les laisse ensemble (cohabitation - rooming-in - au lieu de la mise du bébé en pouponnière, notamment la nuit). Et là aussi, les futurs parents ont tout intérêt à se renseigner avant la naissance sur ce qui se pratique en la matière dans la maternité. Une bonne façon de le faire est de voir dans quelle mesure celle-ci respecte les « dix conditions pour le succès de l'allaitement maternel » édictées par l'OMS et l'UNICEF en 1989, conditions pour obtenir le label « hôpital ami des bébés » (rappelons qu'à ce jour, seules cinq maternités françaises (4) ont obtenu ce label).
Conclusion
Certains ont pu décrire l'interaction d'une mère avec son bébé comme une « danse » savamment chorégraphiée. Pour que cette danse advienne, encore faut-il qu'on n'ait pas tout écrasé avec les gros sabots des interventions médicales.
Dans certains cas bien précis, celles-ci sont nécessaires et utiles. Mais dans beaucoup d'autres, elles font plus de mal que de bien.
Aux futurs parents de bien s'informer avant l'accouchement sur les différents protocoles en vigueur dans le lieu où le bébé va naître, et la possibilité ou non de les discuter, afin d'obtenir les conditions d'accueil qu'ils souhaitent pour leur bébé. C'est possible (5) !
Claude-Suzanne Didierjean-Jouveau
1. Le document de l'HAS, Favoriser l'allaitement maternel. Processus. Evaluation (juin 2006) dit par exemple qu' « en l'absence de détresse vitale, [il faut] éviter l'utilisation de sonde d'aspiration des voies aériennes ».
2. Et si l'on vous dit que c'est « parce que vous avez besoin de vous reposer », sachez que plusieurs études ont montré que les mères dont le bébé est à la nursery la nuit ne dorment ni mieux ni plus longtemps que celles qui l'ont à leur côté (voir par exemple : Keefe MR, The impact of infant rooming-in on maternal sleep at night, J Obstet Gynecol Neonatal Nurs 1988 ; 17(2) : 122-6).
3. Kaitz M, Lapidot P, Branner R et Eidelman A, Parturient women can recognize their infants by touch, Developmental Psychology 1992 ; 28 : 35-39.
4. 26 établissements ont le label au 31/12/2015.
4. Comme le montre les témoignages, et aussi les protocoles de réseaux de périnatalité cités dans le dossier SMAM de la CoFAM. Tel celui du réseau PACA Est-Haute Corse-Monaco, qui préconise de : « favoriser le peau à peau précoce et prolongé entre la mère et son enfant ; faire les gestes médicaux nécessaires au moment où ils perturbent le moins la relation mère-enfant ; renoncer aux gestes médicaux inutiles ».
Comment se tissent les premiers liens
Depuis des décennies, les spécialistes s'empoignent sur le fait de savoir si oui ou non, l'instinct maternel existe. Ne nous engageons pas dans ce débat, décrivons simplement ce qui se passe à la naissance entre une mère et son bébé.
Il s'agit en fait d'un rendez-vous amoureux (qui n'est pas toujours un coup de foudre, et la mère peut alors être déçue de ne pas éprouver tout de suite d'élan pour son bébé), qui sollicite tous les sens et nécessite un minimum d'intimité.
Le toucher : les mères débutent souvent les premiers contacts avec leur enfant par une exploration du bout des doigts, des bras et jambes, puis elles passent à un massage léger, avec les paumes de la main, de la tête et du corps entier.
La vue : les parents cherchent à capter le regard de leur enfant, qui lui-même est attiré par le visage et les yeux de ses parents.
L'audition : les nouveaux-nés se tournent vers la source du bruit, avec une préférence pour les voix humaines, surtout celle de leur mère.
L'odorat : l'odeur (et la chaleur) du mamelon guide le nouveau-né vers le sein ; quant à la mère, elle est capable de reconnaître son bébé à l'odeur dès le premier jour après la naissance.
On voit par là l'importance de ne pas s'immiscer inutilement entre la mère et son enfant pendant cette « période critique ». Pas toujours évident en milieu hospitalier !
Des études à connaître
- Une étude de 2006 a montré que retarder de deux petites minutes le moment de clamper le cordon augmente significativement les réserves du bébé en fer à 6 mois ; l'augmentation peut aller de 27 à 47 mg, ce qui représente les besoins d'un enfant pendant un ou deux mois !
Chaparro CM et al, Effect of timing of umbilical cord clamping on iron status in Mexican infants : a randomised controlled trial, Lancet 2006 ; 367(9527) : 1997-2004. - Une étude suédoise a montré qu'avoir subi une aspiration gastrique à la naissance multipliait par trois le risque de souffrir de troubles digestifs fonctionnels à l'âge adulte.
Anand KJS et al, Gastric suction at birth associated with long-term risk for functional intestinal disorders in later life, J Pediatr 2004 ; 144 : 449-54. - Lorsque les lèvres du bébé touchent le sein dans la première heure, la mère décidera de garder son bébé avec elle dans sa chambre 100 minutes de plus par jour durant son séjour à l'hôpital, comparativement à une mère qui a eu un contact tardif.
Kennell JH et Klaus MH, Bonding : Recent Observations that Alter Perinatal Care, Pediatr Rev 1998 ; 19(1) : 4-12. - Une équipe suédoise, qui a filmé dix mères et bébés de la naissance à la première tétée, a montré que les nouveau-nés utilisent leurs mains pour explorer et stimuler les seins de leur mère dans le laps de temps qui précède la première tétée. Chacun de ces « massages » est suivi d'une augmentation du taux d'ocytocine chez la mère.
Matthiesen A et al, Postpartum maternal oxytocin release by newborns : effects of infant hand massage and sucking, Birth 2001 ; 29 : 13-19. - Une étude de 2007 comparant des bébés qui avaient été en peau à peau avec leur mère durant les deux premières heures post-partum et d’autres qui étaient restés pendant ce temps emmaillotés dans des couvertures, a montré que les premiers avaient plus rapidement une meilleure succion et des tétées efficaces que les seconds.
Moore ER et Anderson GC, Randomized controlled trial of very early mother-infant skin-to-skin contact and breastfeeding status, Journal of Midwifery and Women’s Health 2007 ; 52 : 116-125. - Une autre des multiples études sur l’intérêt du peau à peau a suivi 1 250 enfants polonais de la naissance à 3 ans. Ceux qui étaient restés en contact avec leur mère pendant au moins 20 minutes avaient été allaités exclusivement plus longtemps et avaient été sevrés plus tard que les autres.
Mikiel-Kostyra K et al, Effect of early skin-to-skin contact after delivery on duration of breatfeeding : a prospective cohort study, Acta Paediatr 2002; 91: 1301-06.
A lire, à voir
- Jack Newman et Teresa Pitman, L’allaitement. Comprendre et réussir avec Dr Jack Newman, p. 71 et suivantes (éditions Jack Newman Communications, 2006).
- Les travaux de Suzanne Colson sur ce qu’elle appelle biological nurturing, ce qui devrait normalement se passer entre le bébé et sa mère les tout premiers jours après la naissance. Voir son site : www.biologicalnurturing.com (en anglais).
- L’article de Gisèle Gremmo-Feger paru dans les DA n° 51 (2002), Accueil du nouveau-né en salle de naissance.
- Le dossier thématique publié par la CoFAM à l’occasion de la Semaine Mondiale de l’Allaitement Maternel 2007 dont le thème est le démarrage de l’allaitement et qui met donc l’accent sur l’accueil du nouveau-né, les interactions mère-enfant, la tétée précoce, la mise en route de la lactation.
- L’ouvrage de Marshall H. Klaus et Phyllis H. Klaus, La magie du nouveau-né (Albin Michel, 2000), qui comporte notamment une séquence inoubliable de quatorze photos de la première tétée d’un nouveau-né.
- Les travaux de Benoist Schaal et son équipe au Centre européen des sciences du goût (Dijon) sur l’odorat des nouveau-nés, leur réaction à l’odeur du lait de femme et aux odeurs mammaires en général. Voir : www.cairn.info/publications-de-Benoist-Schaal--43744.htm#
- La vidéo de Lennart Righard et Margaret Alade, Delivery Self Attachment, qui montre que, posé sur le ventre de sa mère juste après la naissance, un nouveau-né peut, sans aide, monter jusqu’au sein, le prendre et commencer à téter (à commander sur : www.geddesproduction.com/breast-feeding-delivery-selfattachment.php).
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