Cet article est paru dans Allaiter aujourd'hui n° 16, LLLFrance, 1993
Dès la petite enfance
Je n'oserai jamais allaiter en public !
Je ne veux pas de seins qui pendent !
Je veux rester libre
Il est encore au sein ?
Les problèmes techniques sont aussi d'origine culturelle
Interrogées par sondage, 70 à 75 % des femmes déclarent souhaiter allaiter. Pourtant, elles sont à peine plus de 40 % à allaiter leur bébé à huit jours, et sans doute à peu près 20 % quelques semaines plus tard (Ndlr. depuis que cet article a été écrit, les chiffres ont bien augmenté, voir ici).
Que s'est-il passé ? Pourquoi tant de femmes qui, d'après leurs propres dires, souhaitaient allaiter, abandonnent-elles plus ou moins rapidement ?
Nous avons déjà abordé dans des numéros précédents d'Allaiter aujourd'hui certaines circonstances qui, en compliquant les débuts de l'allaitement, peuvent expliquer certains échecs : césarienne, prématurité, naissances multiples, bébé "difficile", bébé hospitalisé.
Comme on le sait, toutes ces circonstances "particulières", pour peu qu'on soit bien informée et soutenue, ne sont pas des obstacles à l'allaitement.
Alors que dire d'un échec quand il s'agit d'un bébé né à terme en bonne santé, après un accouchement sans problème particulier ?
Il semble qu'on aborde ici un problème plus fondamental, qui tient essentiellement à l'ignorance de tous (mères, pères, entourage familial, professionnels de santé) de ce qu'est réellement la relation d'allaitement.
C'est pourquoi nous avons voulu aborder dans ce numéro la question de fond : comment la "culture du biberon" sabote les allaitements, mais aussi comment chacun et chacune d'entre nous peut, à son niveau, agir pour remettre à l'honneur la "culture de l'allaitement maternel".
Dès la petite enfance
On sait que beaucoup de problèmes viennent du peu de contacts avec bébés allaités qu'ont eus les femmes avant d'avoir leur premier bébé.
C'est vrai pour des bébés "en chair et en os". Posez la question autour de vous : "Avez-vous déjà vu des bébés en train de téter ?" Vous serez étonnés du faible nombre de "oui".
C'est vrai également des représentations graphiques : films, publicités, photos dans les magazines, dessins, etc. Pour un bébé allaité, on verra cinquante bébés au biberon. Un seul exemple, parmi des milliers : le programme du récent Salon de Caen "J'attends et j'élève mon enfant", était en forme de... biberon. Pensez également à tous les albums pour enfants où le biberon est omniprésent, ainsi qu'aux poupons qui ont pratiquement tous pour accessoires un biberon et/ou une sucette.
L'allaitement étant, comme beaucoup d'activités humaines, un art d'imitation, comment s'étonner que tant échouent quand, depuis leur petite enfance, elles n'ont eu rien ni personne à imiter ?
Que faire ?
Même s'ils sont peu nombreux, il existe quand même certains livres pour enfants montrant des bébés en train de téter. Voir ici.
Côté publicité, il semble qu'un "vent nouveau" se lève actuellement, avec les pubs Chambourcy, Président et Lesieur, présentant un bébé (pas tout petit, qui plus est) en train de téter, le tout accompagné d'un commentaire sur le plaisir... Rien n'empêche d'écrire pour féliciter les concepteurs et les diffuseurs de tels messages.
A contrario, on peut écrire aux différents médias pour regretter l'omniprésence du biberon, en donnant à chaque fois un exemple précis.
Je n'oserai jamais allaiter en public !
Un autre obstacle culturel vient d'un croisement entre la pudeur de beaucoup de femmes et l'érotisation actuelle des seins.
Le sein étant devenu en quelque sorte le "produit d'appel" du minitel rose, beaucoup de femmes imaginent mal de le "sortir" en public pour nourrir leur enfant.
Les femmes n'imaginant pas pouvoir allaiter en-dehors de chez elles, elles se voient "cloîtrées" avec leur bébé tant que dure l'allaitement, ce qui les incite à y mettre fin rapidement.
Que faire ?
L'idéal serait évidemment que le geste d'allaiter son enfant redevienne aussi naturel que de prendre un verre à la terrasse d'un café.
En attendant ce jour, il est urgent de montrer aux futures mères qu'on peut parfaitement allaiter en public dans une totale discrétion, pour peu qu'on soit habillée de façon adéquate : un bas (jupe ou pantalon) et un haut (pull, tunique, Tshirt, sweat-shirt) qu'on soulève légérement. Dans certains pays (notamment en Angleterre et aux États-Unis), on peut trouver facilement des vêtements spécialement conçus pour la mère qui allaite. En France, cela commence timidement avec des chemises de nuit munies de fentes. Cela n'est pas très utile pour allaiter en public (sauf peut-être à la maternité), mais il faut bien un début à tout ! Encourageons les bonnes volontés...
Je ne veux pas de seins qui pendent !
L'érotisation du sein et l'accent mis sur la beauté du corps provoquent un autre obstacle à l'allaitement : la crainte de voir ses seins abîmés.
D'autant que les rares scènes d'allaitement diffusées par les médias sont très souvent celles de mères africaines aux seins flasques et pendants, vivant dans des zones où sévit la famine. Ce qui, par la même occasion, associe l'allaitement uniquement à l'exotisme et/ou la misère...
Or tous les spécialistes sont d'accord pour reconnaître que ce qui abîme les seins, ce sont les changements brusques de volume, donc essentiellement l'accroissement en début de grossesse, un engorgement les premiers jours ou un sevrage brutal.
Que faire ?
Pour éviter cela, une bonne conduite de l'allaitement avec mise au sein précoce, tétées nombreuses les premiers jours, sevrage en douceur, est primordiale. Et, surtout dans le cas de seins lourds et volumineux, un bon soutien-gorge d'allaitement, qui soutienne sans comprimer.
Je veux rester libre
On aborde là, je crois, le problème de fond. Inutile de le nier : l'allaitement au sein suppose de la part de la mère plus de disponibilité à son bébé que le biberon. Comme on dit : "Un biberon, n'importe qui peut le donner".
Qui, dans notre société, imagine ce que signifie, au jour le jour, s'occuper d'un bébé 24 h sur 24 ? Pratiquement personne. Aussi, lorsque le bébé est là, l'immense majorité des jeunes parents sont complètement effarés, voire paniqués, par le temps et l'énergie que demande le bébé.
C'est vrai pour beaucoup de choses (changes, bain, promenades, bercement, etc.), mais ça l'est particulièrement pour l'allaitement. Même s'il est bien conduit (bonne position du bébé, succion efficace...), il arrive souvent que dans les premières semaines, on ait l'impression de "l'avoir toujours au sein".
Les réveils nocturnes, le sentiment d'être cloués à la maison, l'impression (en partie vraie, en partie fausse) que l'allaitement gêne la reprise d'une activité sexuelle, tout cela peut pousser à un sevrage précoce.
Comment savoir que cela n'a rien d'anormal, que cela va passer, comment l'accepter quand on est seule avec son bébé, entre les quatre murs de son appartement, sans personne avec qui parler de ses angoisses, de ses doutes ?
Que faire ?
C'est vraiment là que l'existence d'associations telles que La Leche League prend tout son sens. Notamment les réunions de groupe, qui sont un lieu vivant de parole, d'échange, sur l'allaitement et le maternage. Des lieux comme cela, il devrait y en avoir beaucoup. Pour que les futures mères voient des bébés avec leurs mères, que les nouvelles mères se rencontrent, trouvent information et soutien auprès de mères un peu plus "anciennes" et expérimentées.
Il est encore au sein ?
Il arrive qu'une nouvelle mère se laisse convaincre par son nouveau-né de répondre à ses besoins, mais que son entourage n'évolue pas aussi vite et ne comprenne pas qu'elle se fasse ainsi "bouffer".
L'entourage, c'est en premier lieu le père qui de toute façon, doit gérer pour lui-même ce passage du couple à la famille. Qui supporte parfois mal à la fois cette impression de n'avoir "rien à faire" avec son bébé, et cet investissement total de sa femme.
L'entourage, ce sont aussi les grands-parents, souvent habitués à un maternage plus rigide et moins respectueux des besoins du bébé.
Ce sont les voisines, les amies, les collègues de travail... qui toutes ont leur avis sur la question, avis qui va presque toujours dans le même sens : "Tu es en train de te faire bouffer !"
C'est enfin le corps médical qui peu au fait de la conduite normale d'un allaitement normal, veut lui aussi imposer des normes, des horaires, des mesures, des calendriers.
Comme le dit Ann V. Millard, dans la plupart des manuels de pédiatrie, c'est l'horloge qui est le principal cadre de référence et crée un enrégimentement digne du travail en usine. Négligeant les interactions physiques et émotionnelles au sein du couple mère/enfant, ils découpent l'allaitement en une série d'étapes, insistant uniquement sur les rythmes et les durées : nombre de tétées par jour, durée des tétées, quantités absorbées (pesées régulières).
Une mère, "normalement angoissée" comme toute nouvelle mère, va s"épuiser à respecter ces nombres et ces mesures arbitraires. Pour peu que son bébé refuse de s'y plier, elle risque fort de penser, non pas qu'il faut jeter les mesures aux orties, mais soit que son bébé est particulièrement difficile et capricieux, soit que son lait est mauvais et/ou insuffisant...
Que faire ?
Si l'on en a la force, il faudrait mettre au fond d'un placard ou d'un tiroir tout ce qui ressemble à une montre, un réveil, une horloge..., au moins les premiers temps. En ce qui concerne la balance, l'utiliser à dose "homéopathique" (voir Allaiter aujourd'hui n° 15).
Et on en revient toujours là, pouvoir cotoyer régulièrement d'autres mères qui allaitent sans problème.
Les problèmes techniques sont aussi d'origine culturelle
Je ne voudrais pas alourdir cet article déjà touffu en parlant de tous les obstacles "techniques" responsables de beaucoup de sevrages précoces : douleurs de mamelons, crevasses, engorgements, faible prise de poids...
Je dirai simplement qu'on sait maintenant (je vous renvoie à toutes les publications LLL sur le sujet) que tous ces problèmes trouvent leur source dans une mauvaise conduite de l'allaitement, elle-même en grande partie causée par la "culture du biberon" : mauvaise position du bébé au sein, tenu comme pour lui donner un biberon ; croyance qu'il faut "vider" les seins, puis attendre qu'ils se "remplissent" (au besoin en sautant une tétée), alors que les seins ne sont pas des récipients comme les biberons, mais des usines qui travaillent "en continu" ; limitation du nombre et de la durée des tétées pour les faire coller au nombre de biberons et au temps que met un bébé à les vider ; etc., etc.
On peut donc dire sans se tromper que ces problèmes "techniques" sont en quelque sorte des sous-produits de l'obstacle culturel majeur : la croyance - malgré tous les beaux discours - en la supériorité du biberon, et le manque de confiance persistant en la capacité des femmes à nourrir exclusivement et durablement leurs bébés de leur lait. D'où ce "double langage", si répandu dans les médias : allaiter, c'est mieux, mais le biberon, c'est aussi bien !
En conclusion
Et n'y aurait-il pas, face au couple d'allaitement, une jalousie fondamentale de tout l'entourage, qu'il soit médical ou familial ? Comme le dit la psychanalyste Anne Bouchart-Godard : "Il faut savoir qu'une mère qui allaite son enfant représente l'une des situations qui suscite les réactions les plus violentes : de l'ordre de l'admiration, du désir d'être à la place de l'enfant, du désir de détruire et de séparer" (Enfants-Magazine, juin 1990). Ce désir de séparer n'est-il pas à l'origine de bien des choses responsables d'échecs de l'allaitement : biberons de complément, bouts de sein en silicone et autres gadgets, pressions pour le sevrage...
Pour qu'un jour, l'allaitement maternel redevienne éventuellement la norme culturelle, il faut qu'il y ait de plus en plus de femmes heureuses d'allaiter, bien dans leur peau, qui le montrent sans ostentation, qui se soutiennent les unes les autres.
Soyons-en persuadé(e)s : chaque mère qui allaite son bébé avec bonheur est une actrice du changement social !
Claude Didierjean-Jouveau
Peut être reproduit, imprimé ou diffusé à condition de mentionner la provenance de cet article.
Bonjour madame /monsieur,
J’ai besoin vos aides vraiment!
Je continue de allaiter mon bébé il y a 2 ans et 4 mois, je suis très fière! MAIS, les gens à côté, ils m’ont demandé de arrêter depuis ma fille qui a eu quelques mois, et même si les mots sont très abaissant. Oui, j’ai réussi mais pour moi c’était très difficile!
Est-ce que vous pouvez m’envoyer tout les documents pour dire que j’ai le droit de allaiter, et en public, et pour allaiter pendant 2 ans, c’est pas trop, parce que votre association courage les mère allaiter plus longue possible!
En plus je voudrais participer l’association, comment je peux faire?
Merci votre soutien et très bonne journée!
Respectueusement
YangSHI
J’allaite ma fille de 6 mois, tout est tellement plus facile maintenant et je ne veux surtout pas arrêter! Merci à mon conjoint de m’avoir « forcer » à continuer malgré mon découragement des premières semaines. Pas toujours facile quand bébé est en pousser de croissance, qu’il ne veux pas de suce et n’arrive pas à s’endormir autrement. Mais je vois rassure, c’est temporaire et tout fini par rentre dans l’ordre. Maintenant j’en retire que du positif pour mon enfant et moi même.
Pour poser une question, n'utilisez pas l'espace "Commentaires" ci-dessous, envoyez un mail à la boîte contact. Merci