Cet article a été publié dans Allaiter aujourd'hui n° 33, LLL France, 1997.
De vraies contre-indications à l'allaitement maternel ? Il y aurait tellement plus à dire sur les fausses ! Nous en avons déjà longuement parlé dans Allaiter aujourd'hui, par exemple dans les numéros 18 (L'ictère et le bébé allaité), 21 (Allaitement et grossesse), 29 (Mais si, vous pouvez allaiter... !) et 32 (Allaiter dans un monde pollué). Nous y reviendrons dans un prochain dossier sur tabac, alcool et médicaments.
Mais avant de donner la liste de ces vraies contre-indications (liste courte, comme on le verra), il est nécessaire de bien les définir.
Nous ne parlerons pas ici des impossiblités (qu'elles soient totales, partielles, définitives ou temporaires) où le bébé ne peut pas téter le sein mais peut boire du lait maternel (par exemple certaines fentes palatines). Ni des cas, rarissimes, où la production de lait est impossible (atrophie de la glande mammaire).
Il y a contre-indication uniquement dans les cas où l'allaitement peut mettre en danger la santé du bébé ou de la mère, où ses inconvénients l'emportent sur ses avantages, où le lait maternel en tant que produit risque de faire plus de mal que de bien, en un mot les cas où le bébé pourrait être allaité mais ne doit pas l'être.
Les maladies du bébé
La seule contre-indication totale et définitive est la galactosémie congénitale. Il s'agit d'une maladie très rare où le bébé manque d'une enzyme nécessaire au métabolisme du galactose, un composé du lactose. Si le lactose n'est pas supprimé de son alimentation, il peut en résulter une cataracte, une cirrhose du foie et une arriération mentale. Des préparations spéciales à base de lait sans lactose, ou à base de soja, sont donc indispensables. Quelques enfants ont pu être nourris avec succès avec du lait humain dont le lactose avait été hydrolysé (1).
Deux autres troubles du métabolisme, également rares, empêchent au moins partiellement l'allaitement.
La phénylcétonurie (dépistée par le test de Guthrie) se caractérise par un défaut du métabolisme d'un acide aminé, la phénylalanine, pouvant entraîner des dommages cérébraux vers deux ans. Le traitement consiste à surveiller de très près les apports alimentaires en phénylalanine, de façon à fournir à l'enfant la quantité de cet acide aminé qui est indispensable à sa croissance, mais pas davantage.
Le lait de mère contient peu de phénylalanine, beaucoup moins que le lait de vache. Mais en vertu de l'argument selon lequel on ne peut apprécier la quantité de lait absorbée par l'enfant allaité, on déconseille généralement l'allaitement. Pourtant les études récentes montrent que le lait maternel est un bon aliment pour les enfants souffrant de PCU, si leur taux sanguin de phénylalanine est surveillé. L'allaitement maternel est complété ou remplacé par une préparation spéciale pauvre en phénylalanine si ce taux atteint un niveau dangereux. En fait, l'expérience montre que les enfants ajustent leur absorption de lait maternel à partir du volume de lait spécial reçu, afin de maintenir des apports nécessaires à une croissance normale (2).
Voir Allaitement et phénylcétonurie.
La leucinose (ou maladie des urines à odeur de sirop d'érable) est due à un défaut du métabolisme d'une chaîne d'acides aminés qu'on trouvent dans toutes les protéines naturelles, et donc dans le lait humain. Là aussi il existe des préparations de synthèse spéciales contenant une quantité faible de ces acides aminés, et comme dans le cas précédent, le lait maternel peut être associé à ces préparations et un allaitement au sein partiel est donc possible.
Enfin un herpès avec lésions buccales chez le bébé impose un sevrage temporaire du sein, afin d'éviter une contamination de la mère. Mais le lait peut être tiré et donné au bébé, et l'allaitement reprendre après guérison des lésions.
Les maladies de la mère
Voir DA 69 : Lait humain et infections.
Les traitements de la mère
Nous n'allons pas ici traiter en détail de la question "médicaments et allaitement". Mais il faut savoir que l'immense majorité des médicaments ne sont pas une contre-indication à l'allaitement, et que pour ceux qui le sont, plusieurs données doivent être prises en considération : la toxicité réelle pour l'enfant, qui est fonction de son âge, de son poids, de son état de santé, du nombre de tétées ; le bénéfice attendu pour la mère (est-il possible, sans risque pour sa santé, de repousser le traitement ou de le remplacer par un autre moins toxique ?) ; enfin les risques d'un sevrage brutal et du recours à l'alimentation artificielle, risques le plus souvent sous-estimés voire niés chez nous.
Dans le cas des anti-dépresseurs, le "marché" offert à la mère est presque toujours : "Vous arrêtez d'allaiter, sinon je ne peux pas vous en prescrire." Il y a pourtant des anti-dépresseurs pour lesquels aucun effet secondaire n'a été rapporté et/ou dont le passage dans le lait est négligeable, et qui peuvent donc être donnés à une mère allaitante (4).
Les seules substances réellement contre-indiquées sont : les drogues comme les amphétamines, la cocaïne..., certains médicaments psychotropes, certains anti-épileptiques, certains sulfamides, certains anti-thyroïdiens de synthèse (mais pas le propylthiouracile), certains anti-coagulants, les produits radioactifs (qui demandent une suspension temporaire de l'allaitement, variable suivant le produit) et malheureusement, tous les médicaments anti-cancéreux (chimiothérapie) (4).
C'est là le vrai crève-coeur des mères atteintes d'un cancer : savoir qu'on pourrait allaiter (8), car le lait est bon, mais que le traitement le rend toxique... Il faut quand même dire que pour les enfants ultérieurs, l'allaitement peut être possible, même après opération, chimiothéparie et radiothérapie (25 % de réussite d'après une étude récente).
Pour plus de détails, voir le dossier Médicaments et soins de la mère allaitante.
Conclusion
Dans les cas où le sevrage peut n'être que temporaire, on a souvent besoin d'aide et d'information pour qu'il ne se transforme pas en sevrage définitif. D'autant que la plupart des professionnels de santé que va rencontrer la mère, ne verront ni l'utilité ni la possibilité de reprendre l'allaitement après une interruption (9).
Quand l'allaitement n'est définitivement pas possible, l'aide et le soutien sont encore plus nécessaires, car tout le monde autour d'elle va essayer de nier la douleur éprouvée par la mère ("votre bébé va bien, c'est l'essentiel, il y a d'excellents laits actuellement"...). À qui pourra-t-elle parler de la souffrance de sa "maternité blessée", selon les termes d'une mère, sinon à d'autres mères qui connaissent ou ont connu les joies de l'allaitement et pourront comprendre ce qu'il en coûte d'en être privée ?
(1) Dans certains cas de "galactosémie limite" (où l'un des deux gènes en cause est normal), l'allaitement peut être partiellement conservé, comme dans la phénylcétonurie et la leucinose. Voir Rama Ganesan, Borderline galactosemia, New Beginnings, July-August 1997.
(2) Breastfeeding in the management of the newborn with phenylketonuria : a practical approach to dietary therapy, LC Greve, MD Wheeler, DK Green-Burgeson, EM Zorn, J Am Diet Assoc 1994 ; 94 : 305-9.
(3) Il existe également quelques rares cas de syndrome du canal carpien induits par les hormones de la lactation. Ce n'est pas une contre-indication absolue car des aménagements sont possibles permettant de supporter le syndrome (qui régresse au moment du sevrage) le temps de l'allaitement.
(4) Pour plus de précisions, contactez une animatrice LLL.
(5) Les maladies virales banales ne compromettent pas l'allaitement : rubéole, rougeole, oreillons, varicelle (sauf si elle apparaît dans les cinq jours précédant l'accouchement, auquel cas certains conseillent de séparer l'enfant de sa mère jusqu'à ce qu'elle ne soit plus contagieuse).
(6) Dans les pays pauvres, le risque du non-allaitement étant beaucoup plus grand que celui de la transmission du virus, l'OMS recommande l'allaitement.
(7) Pour plus de détails voir L'allaitement maternel à l'heure des virus, G. Firtion, Les Dossiers de l'allaitement, 1995, 2.
(8) Le cancer du sein est un cas à part. En effet, il semble que l'allaitement, par l'intermédiaire de la prolactine, pourrait accélérer la croissance de la tumeur. Le sevrage est donc recommandé, quel que soit le traitement mis en oeuvre.
(9) Les principales choses à faire sont : si possible tirer son lait (qu'il puisse ou non être donné au bébé) pour entretenir la lactation ; essayer que le bébé ne s'habitue pas au biberon (en l'alimentant par un autre moyen : gobelet, cuiller, etc.) ; et rester en contact avec une animatrice LLL.
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Bonjour,
Je fais partie des "quelques rares cas de psychose ou de dépression sévère du post-partum, où la vie du bébé pouvait être en danger s'il était confié à une mère très perturbée et où la nécessaire séparation rendait difficile voire impossible l'allaitement". En effet suite à l'accouchement de mon premier enfant il y a un an (le 17 mars 2015), j'ai déclenché une crise maniaque et j'ai du être hospitalisée en hôpital psychiatrique alors que mon bébé avait 7 jours, heureusement le séjour a été court, seulement 4 jours, mais l'éloignement de mon bébé et l'obligation de prendre des médicaments psychotropes m'ont contraint à interrompre l'allaitement qui avait plutôt bien démarré. J'ai tiré mon lait un temps, en espérant pouvoir reprendre l'allaitement lorsque je n'aurai plus besoin des médicaments mais c'est très difficile de jeter son lait sans savoir combien de temps ça allait durer, j'ai finalement du me résoudre à abandonner l'idée d'allaiter mon fils. Actuellement je trouve qu'il y a une grande pression sur les mères qui ne veulent ou ne peuvent pas allaiter et pourtant ce n'est pas toujours possible.... D'autres amies, malgré l'accompagnement, la préparation et le désir d'allaiter doivent arrêter à cause de crevasses, de mastites, on n'en parlent pas beaucoup, ce n'est pas si simple pour tout le monde...
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