Cet article est paru dans Allaiter aujourd'hui n° 64, LLL France, 2005. Voir aussi : AA 96 - Allaitement et tabac, alcool, drogues, etc.
L’équipe du Pr. Mennella a publié tout récemment une étude sur l’impact de l’alcool sur l’allaitement. Un commentaire français sur cet article (sur le site Destination Santé) parlait de « montée de lait très ralentie par rapport aux femmes qui n’avaient pas bu d’alcool. Et surtout d’une qualité de lait bien inférieure. » Que faut-il en penser ?
Cette étude (1) n’a en fait pas du tout évalué la qualité du lait après la prise d’alcool, mais uniquement l’impact de l’alcool sur les hormones de l’allaitement. En voici un résumé.
L'étude a porté sur 17 femmes, qui allaitaient un enfant âgé de 2 à 4 mois. Chaque femme a absorbé soit une quantité donnée de jus d'orange pur, soit la même quantité de jus d'orange auquel on avait ajouté 0,4 g/kg d'alcool pur (soit par exemple 24 g d’alcool pur pour une femme de 60 kg, l’équivalent de l’alcool contenu dans 20 cl de vin à 12°).
Pendant les quelques heures qui suivaient l'absorption d'alcool, le taux d'ocytocine (l’hormone qui déclenche le réflexe d’éjection, et donc la sortie du lait hors du sein) baissait d'en moyenne 78 %, tandis que le taux de prolactine (l’hormone responsable de la fabrication du lait) augmentait d'en moyenne 336 %. La baisse du taux d'ocytocine avait pour corollaire une efficacité moindre du réflexe d'éjection : il était retardé, et le volume de lait tiré par la femme était moins important. L'augmentation du taux de prolactine était corrélé à une sensation d'euphorie, et était susceptible d'augmenter transitoirement la production lactée (sensation de seins « plus pleins » rapportée par les mères).
La prise d'alcool avait donc un impact transitoire significatif et opposé sur les deux principales hormones de l'allaitement. Le principal résultat était une plus grande difficulté à déclencher le réflexe d'éjection, et une moindre quantité de lait obtenue lorsque la femme tirait son lait dans les quelques heures qui suivaient la prise d'alcool, en dépit du fait que la femme se sentait plus détendue et euphorique.
Ce qui passe dans le lait
L'alcool passe dans le lait, où il se trouve à un taux similaire à celui présent dans le sang (soit très faible habituellement), mais ne modifie pas la composition du lait. Ni en bien, ni en mal. Divers facteurs influencent ce passage : degré alcoolique du liquide ingéré, rapidité avec laquelle il est ingéré, quantité d'alcool absorbée, le fait que l'estomac soit vide ou non, le poids de la mère et sa masse grasse. La réponse à l'ingestion d'alcool est différente chez les femmes allaitantes et chez les femmes non allaitantes.
Une étude a montré que la biodisponibilité de l'alcool était moindre chez les femmes allaitantes ; le pic sanguin serait moins élevé, et l'élimination serait plus rapide. La présence d'aliments dans l'estomac ralentit l'absorption de l'alcool, surtout si ces aliments sont riches en graisses. L'alcool est métabolisé par le foie à une vitesse fixe ; le temps nécessaire à éliminer l'alcool suivra donc une courbe linéaire en fonction de la quantité d'alcool absorbée. Le pic lacté est observé au bout de 30 à 60 minutes si l'alcool a été consommé à jeun, et au bout de 60 à 90 minutes s'il y a eu prise d'aliments. La baisse du taux lacté est parallèle à celle du taux sérique : quand le taux sanguin d’alcool baisse, l’alcool présent dans le lait repart dans le sang. Tirer le lait n’aura strictement aucun impact sur la rapidité d’élimination de l’alcool.
Lorsqu’il est pris en quantité faible ou modérée, l’alcool est métabolisé en quelques heures (il est essentiellement transformé en eau et en gaz carbonique). A doses élevées (supérieures à 150 g sur une courte période), son taux sanguin sera suffisant pour induire des dégâts cellulaires (foie, pancréas), et nécessiter la mise en place de moyens « anormaux » d’élimination par l’organisme.
L’impact sur le réflexe d’éjection
L'impact négatif de l’alcool sur le réflexe d'éjection est connu depuis longtemps. Une étude de Cobo (2) avait constaté qu’une dose d'alcool comprise entre 1 et 1,5 g/kg absorbée sur une courte durée bloquait le réflexe d'éjection chez environ 50 % des femmes, et l'inhibait partiellement chez les autres. Des doses comprises entre 1,5 et 2 g/kg bloquaient le réflexe d'éjection chez 80 % des femmes, et ce blocage était total chez 100 % des femmes avec des doses d'alcool supérieures à 2 g/kg.
L’équipe de Mennella avait elle-même déjà constaté que la prise d’alcool abaissait modestement mais significativement la quantité de lait que la mère pouvait tirer deux heures après cette prise (3). Ces chercheurs ont également constaté que l'enfant absorbait moins de lait au sein pendant les quatre heures qui suivaient la prise d'alcool par la mère, mais en absorbait davantage entre 8 et 16 heures après cette prise (4). A noter que ces variations n’étaient détectables que par des tests de pesée ; les mères n’avaient remarqué aucune différence de comportement chez leurs enfants. La même équipe de chercheurs avait également cherché à savoir si la quantité de lait plus faible de lait prise au sein par le bébé dans les heures qui suivaient la consommation d'alcool était liée au fait que le bébé n'en aimait pas le goût. Pour ce faire, on a proposé alternativement au bébé du lait tiré par sa mère donné au biberon, soit tel quel, soit en y ajoutant une très faible quantité d'alcool (pour obtenir dans le lait un taux d'alcool similaire par exemple à celui constaté quand la mère a bu un verre de vin), et on a mesuré par des capteurs la succion de l’enfant. Les bébés tétaient avec plus de vigueur le lait alcoolisé que le lait sans alcool, et en absorbaient davantage pendant un temps donné. Les auteurs concluaient que la moindre consommation d’alcool au sein lorsque la mère avait consommé une boisson alcoolisée n’était pas due au fait que l’enfant n’en aimait pas le goût (5).
En cas de prise d'alcool importante, le principal problème auquel risque d'être confronté la mère allaitante est donc un superbe engorgement pouvant persister pendant des heures, car les seins se remplissent et le lait ne peut pas en sortir.
Les effets sur l’enfant
À court terme, l'absorption par la mère d'une dose d'alcool inférieure à 1 g/kg d'alcool pur ne posera généralement aucun problème au bébé allaité. Un cas d’« ébriété » a été rapporté chez un bébé de 8 jours dont la mère avait absorbé 750 ml d'apéritif en l'espace de 24 heures. Cette quantité d'alcool peut effectivement représenter une dose importante pour un petit nourrisson, dont les capacités métaboliques sont moindres que celles d'un bébé plus âgé.
On manque d’études sur les effets à long terme d’une prise régulière d’alcool par la mère allaitante sur le développement neurologique de l’enfant. Les quelques études qui existent se contredisent, certaines faisant état d’un moins bon développement, d’autres ne notant rien de tel (6). Néanmoins, le principe de précaution et ce qu’on sait aujourd’hui de l’effet de faibles doses d’alcool chez l’adulte inciteraient plutôt à l’abstinence.
Pour les prises occasionnelles, les spécialistes conseillent généralement de prévoir d’allaiter le bébé juste avant de commencer à consommer de l’alcool, et d’attendre un certain temps (deux heures donc pour l’AAP) avant de le remettre au sein. On peut éventuellement tester son lait pour connaître le taux d’alcool grâce à l’alcootest pour lait maternel (MilkScreen), ou se baser sur un tableau canadien qui donne, selon le nombre de verres absorbés et le poids de la mère, le temps nécessaire pour l’élimination de l’alcool du lait maternel (visible par exemple ici : http://www.meilleurdepart.org/resources/alcool/pdf/desk_reference_fre.pdf).
La mère pourra prévoir de tirer son lait auparavant, pour le donner ou le faire donner à son bébé dans l’intervalle si nécessaire (et prévoir qu’une autre personne s’occupe du bébé en cas de « cuite »). Plus le bébé est petit, plus il faudra être prudent.
Bref, si on ne peut indiscutablement pas recommander la prise régulière d'alcool pendant l'allaitement, il n'existe pas non plus d’arguments réellement fondés permettant de déconseiller formellement la consommation d'une quantité modeste et/ou occasionnelle de boissons alcoolisées.
Françoise Railhet
Responsable du Programme des Référents Médicaux de LLL France
(1) Acute alcohol consumption disrupts the hormonal milieu of lactating women. JA Mennella, MY Pepino, KL Teff. J Clin Endocrinol Metab 2005 ; 90(4) :1979-85.
(2) Am J Obstet Gynecol 1973 ; 115 : 817-21.
(3) Alcohol Clin Exp Res 1998 ; 22 : 1389-92.
(4) Alcohol Clin Exp Res 2001 ; 25 : 590-93.
(5) Alcohol Clin Exp Res 1997 ; 21 : 581-85.
(6) À noter que si une étude relativement ancienne avait fait état d'un moins bon développement neurologique à 1 an chez des enfants dont la mère avait consommé quotidiennement de l'alcool pendant les 3 premiers mois d'allaitement (Little RE et al ; NEJM 1989 ; 321 : 425-30), une étude anglaise de 2002 (Little RE et al ; Pediatrics 2002 ; 109(5) : e72) a constaté, à la grande stupéfaction des auteurs (qui s'attendaient à un résultat similaire à la première), de meilleurs scores dans certains domaines du développement neurologique chez des enfants de 18 mois (et des scores similaires dans les autres domaines) lorsqu’ils étaient allaités par une mère consommant de l'alcool à une fréquence allant de une à deux fois par semaine à tous les jours que chez les enfants allaités par une mère ne consommant pas d’alcool.
Peut être reproduit, imprimé ou diffusé à condition de mentionner la provenance de cet article.
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"Il n'y a pas d'argument réellement fondés permettant de déconseiller formellement la consommation d'alcool"... à part le fait que l'alcool est cancérigène et que les organisations de lutte contre le cancer recommandent de ne pas en boire (congrès mondiale sur le cancer en octobre 2016).
https://www.wcrf-uk.org/uk/preventing-cancer/ways-reduce-cancer-risk
Certes, par rapport à l'allaitement il n'y a pas de raison de déconseiller l'alcool, mais par rapports à la santé de la maman il y a une très bonne raison de déconseiller l'alcool.
En fait, le tableau canadien indique une durée selon le nombre de "verres" d'alcool consommés.
Et un "verre", c'est la quantité servie dans un bar, quelle que soit la boisson : "Si on considère les verres habituellement servis dans les bars, on estime que pour toutes les boissons courantes, chaque verre contient environ la même quantité d'alcool pur, soit de 10 a 13 grammes. On parle de verre standard, ou d'unité d'alcool (ua)." Voir par exemple ici : http://www.stop-alcool.ch/une-substance-psychoactive/combien-y-a-t-il-d-alcool-dans-un-verre
Sinon, comme il est dit dans l'article, l'Académie américaine de pédiatrie conseille d'attendre deux heures après la dernière prise d'alcool.
Si vous buvez toute la soirée, vous pourrez à coup sûr redonner le sein à votre bébé au petit matin.
Bonjour, merci pour toutes vos explications. Jai allaité ma fille pendant presque 4 ans et cela fait presque deux semaines que nous avons arrêté l allaitement sans en avoir vraiment envie. Du coup cette semaine je me suis autorisée de boire 3 bières, mais pensant peut-être reprendre l allaitement car ma fille ne veut pas vraiment arrêter, j avais peur que cette prise d alcool pose problème et je me demandais comment l alcool pouvait il s éliminer du lait. Pour moi maintenant cest beaucoup plus clair, merci beaucoup!
Bonsoir,
Merci pour cet article, j'allaite encore ma fille de 10mois et ce soir j'étais en train de culpabiliser d'avoir bu un verre de rosé pamplemousse!!
D'après l'éditrice des Dossiers de l'allaitement : "La seule étude que j'ai sur les relations entre allaitement et alcoolisme chez la personne allaitée est une étude concluant que les personnes sevrées rapidement ont un risque d'alcoolisme plus élevé. Mais je n'ai strictement rien sur l'impact d'une consommation occasionnelle sur le risque futur d'alcoolisme chez l'enfant allaité."
Merci pour ces précisions. Pourriez vous nous dire si les enfants allaités avec une prise d'alcool même occasionnelle, peut générer un futur penchant pour la prise d'alcool? En effet, des études évoqueraient que la mémoire du goût est active et que du coup elle peut amener de "bons souvenirs" lors de la prise d'alcool. (Que ce soit enfant, adolescent ou adulte.)
Je vous remercie de votre avis sur le sujet.
Cordialement,
Cécile
P.S. : En cette période de fête il est rassurant de voir que l'on peut trinquer au déjeuner avec la famille sans que ces deux petites coupes de champagne aient de graves répercussions neurologiques sur notre petite merveille.
Merci LLL
Bjr,
Je suis vraiment contente d'avoir découvert ce site. J'apprends des choses très intéressantes à chacune de mes visites et je suis pourtant à l'allaitement de mon deuxième enfant. J'imagine que la propagation des smartphones dans toutes les mains contribue à avoir à portée de main davantage de moyen d'information.
Ce que je préfère sur ce site à tous les autres qui renseignent sur l'allaitement, c'est qu'il est agrémenté de références sérieuses, des etudes et de témoignages de professionnels qui ne cherchent pas à culpabiliser la mère.
L'allaitement est le premier plus beau cadeau que l'on fera à notre enfant. Il est important que l'on se sente à l'aise et en confiance
Alors je remercie très chaleureusement LLL d'exister.
Merci, continuer de vous mettre à jour et de nous informer.
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