Article paru dans Allaiter aujourd’hui, LLL France, 2003
En 1997, c’est un peu par hasard que nous nous sommes installés au Gabon avec nos trois enfants de 2 à 8 ans. Nous ignorions tout de ce pays et de ses coutumes. Quatre ans plus tard, la famille agrandie d’une paire de jumeaux, nous avons fait nos malles, pas certains d’en savoir davantage mais avec des souvenirs plein la tête. Je n’ai connu que le Gabon et tout ce que je dis ne peut se rapporter qu’à ce pays, et encore, ce ne sont que des observations personnelles et certainement pas une étude ethnologique. Après quatre ans passés au Gabon, nous avons seulement compris qu’il y avait bien des choses que nous ne pouvions comprendre. Alors, retenons-nous de juger et respirons simplement un parfum d’Afrique...
Enfantement, allaitement et maternage
Il n’est pas rare de voir des jeunes filles d’à peine 13 ans devenir mères. J’ai d’abord éprouvé peine et compassion pour ces petites, à peine sorties de l’enfance et déjà confrontées à une vie de femme, sans mari d’ailleurs. Toutefois, elles disaient elles-mêmes combien elles étaient fières et heureuses de la venue de cet enfant. En Afrique en général, ne pas devenir mère est considéré comme un châtiment terrible.
Elles continuent à vivre chez leurs parents et, la plupart du temps, c’est la grand-mère ou la tante qui s’occupe de l’enfant pendant que la jeune maman poursuit sa scolarité comme elle peut. L’enfant restera dans la famille de la mère quand celle-ci se mariera et suivra son époux.
L’allaitement est répandu au Gabon, comme ailleurs dans le monde, et heureusement ! Mais les plus riches n’allaitent pas ou peu. Elles donnent le « meilleur lait » à leur enfant, celui des Blancs, le lait en poudre qui fera de leur enfant un être évolué. Ainsi va le monde… De nombreux tabous sur l’allaitement perdurant (le sperme empoisonnant le lait a la vie dure), les mères sèvrent tôt leur enfant parce qu’elles croient bien faire. Comme c’est long de combattre les idées reçues... Toutefois, cette situation est différente au village où les mamas allaitent sans problème pendant des années.
La plupart des mères, même les riches, dorment avec leur enfant. Souvent tout simplement parce qu’il n’y a qu’une chambre pour toute la famille. Les Gabonais sont très patients avec les jeunes enfants. Ils ne s’énervent jamais et leur passent tout. Sans transition pourtant, assez vite, l’enfant est censé être adapté au monde des adultes et « ne pas embêter ». De cela, il découle que les enfants sont frappés très durement (à la chicotte, au fil de fer, etc.). En Europe, nous dirions qu’ils sont « battus ».
Le développement psychomoteur des enfants est bien meilleur que celui de leurs compagnons européens. Je ne sais pas si c’est le fait de les porter tout le temps ou simplement la génétique. J’ai tendance à opter plutôt pour cette deuxième hypothèse, car je connais des petits Gabonais jamais portés et des petits Blancs toujours portés, et la différence de développement demeure.
Je me rappelle tout particulièrement une jeune femme dans un aéroport. Elle pose son bébé assis sur un banc, et se dirige vers le bar pour boire un verre. Mes jumeaux de deux mois dans mon porte-bébé, je regarde avec angoisse ce tout-petit, me demandant comment il peut tenir assis si droit à cet âge.
Lorsque la mère revient, cela doit faire 10 minutes que le bébé n’a pas bougé. Je lui demande l’âge de son enfant. « 4 mois », me répond-elle. Je me demande si elle sait compter. « À 4 mois, me dis-je, un enfant ne tient pas assis sans effort aussi longtemps. » Et je n’oublie pas que chez les Gabonais, la grossesse peut durer dix-huit mois ou plus... Toutefois, j’ai su par la suite qu’untel avait marché à 7 mois, que tel autre s’était mis debout à 5 mois, etc.
Le portage
L’homologue du sling, le pagne noué et passé sur une épaule, se pratique au Gabon comme ailleurs, mais ce n’est pas le mode de portage le plus courant. Généralement, les femmes portent surtout leur enfant sur le dos, toute la journée et plusieurs années. C’est simple, l’enfant fait partie du quotidien de sa mère, parce qu’elle n’a pas d’autre choix que de l’emmener partout avec elle. Les femmes travaillent sans cesse avec leur enfant ou celui de la voisine dans le dos, et elles ont vraiment les deux mains libres. Les vendeuses du marché, assises par terre, jouent, allaitent et changent leur petit, les deux jambes étendues devant elles. Elles n’ont besoin ni de landau, ni de gadget compliqué, ni d’un endroit où changer bébé...
Ces mamas se sont souvent moquées de nous, les Blanches, disant que nous ne pouvions pas porter « au dos » car nous n’avions pas de fesses. Il faut dire que certaines mamas sont imposantes et très cambrées : le bambin est souvent bel et bien assis sur les fesses de sa mère.
J’ai appris à porter mes bébés dans le pagne grâce à la coopération de mes amies africaines et surtout grâce aux mamas du marché qui me voyaient toujours avec Géraldine dans le porte-câLLLin. Géraldine avait 2 ans et je la portais parce qu’il n’y avait ni trottoir, ni vraie route. De plus, la saison des pluies courant d’octobre à mai, nous vivions vraiment « les pieds dans l’eau ». Pour un jeune enfant, être porté en ville comme en brousse est une nécessité.
Je me souviens d’un vieux Gabonais travaillant dans un magasin qui, me voyant avec Alix sur la hanche dans le portecâLLLin, me rattrape, me prend la main et me dit, les larmes dans les yeux : « Madame Laurence, tu viens de me rappeler un vieux souvenir : c’est ainsi que me portait ma mère dans le temps au village... » Doux souvenirs pour ce vieil homme.
J’ai vraiment appris à porter les enfants « au dos » avec Quentin et Alix qui ont été habitués à ce mode de portage tout petits. Géraldine n’aimait pas être sur le dos et préférait un accès au sein plus permanent. L’avantage de commencer à porter un enfant tout petit est qu’il est moins lourd, ce qui nous permet de compenser nos maladresses du début. Les petites filles apprennent à porter dès leur plus jeune âge, en s’entraînant d’abord avec leurs poupées, puis avec leurs jeunes frères et soeurs, cousins, neveux... Devenant mères, leur technique est déjà parfaitement au point.
Une amie gabonaise porte son enfant très simplement, en serrant son pagne comme nous une serviette de bain. Son bébé ne risque rien, il est en sécurité. Cette jeune maman n’est pas originaire du même village que celui que nous habitions. À Port-Gentil, les Myénés ont une technique différente. Les femmes vivent toutes avec un pagne supplémentaire autour de la taille – ce qui leur fait une sorte de deuxième jupe, même si elles n’ont pas d’enfants : on ne sait jamais, il peut toujours s’en trouver un à porter. Et le pagne sert de toute façon, à porter la récolte sur la tête par exemple (elles font facilement un petit baluchon avec un bout de tissu).
Comment s’y prendre ?
Il faut choisir un tissu solide, mais pas trop épais pour que le noeud soit facile à faire. Les Gabonaises recommandent de ne surtout pas utiliser de serviette de bain, le tissu glisse et le bébé peut tomber. Les pagnes dont je me sers sont en tissu très bon marché – j’ai acheté deux yards pour moins de 2 euros. Je ne pense pas que la taille du tissu ait beaucoup d’importance, l’essentiel est qu’il fasse le tour de taille de la mère et bébé plus un petit peu pour le nœud. Les miens mesurent 2 yards parce que c’est la taille des coupons que l’on achète au bord de la route. La largeur est de 90 cm environ – c’est-à-dire un yard.
Et maintenant, voyons au ralenti comment procéder.
- On commence par mettre le pagne autour de sa taille comme si c’était une jupe.
- On attrape le bébé et, penchée en avant, on le pose sur son dos.
- On lui coince le bras gauche sous son aisselle gauche, ainsi il ne tombe pas.
- Il faut maintenant enrouler le pagne autour du bébé et faire les nœuds. Le pagne se présente rectangulaire, il ne faut pas le plier. Il faut envelopper le bébé vraiment bien, ses jambes dépassent par dessous et il doit être bien maintenu sous les fesses.
- On serre fort le tissu et, toujours penchée en avant, on fait un premier nœud avec les deux parties supérieures juste sur la poitrine ou un peu au dessus – plus de confort et moins de mastites – et un deuxième nœud en dessous.
- Doucement, on peut se redresser. Le bébé tient tout seul. L’ensemble de l’opération ne prend pas plus d’une minute.
Si bébé glisse, surtout ne pas se décourager et refaire les nœuds. J’ai remarqué qu’un tissu un peu humide tient mieux les nœuds. Au Gabon, tout est toujours un peu humide, c’était très bien pour cela. On apprend à tout âge, et avec de l’entraînement, même les Blanches sans fesses arrivent à un résultat convenable !
Je ne sais pas si c’était bien vu pour une Blanche de porter son enfant ainsi. En Afrique, on ne faisait pas trop de commentaires désagréables. En revanche, lorsque je suis arrivée au Guatemala et que je portais Alix et Quentin, on me regardait de travers !
Les Gabonais ont le même comportement envers la culture occidentale que les Africains que l’on peut côtoyer en Europe. Même s’ils sont fiers d’être Gabonais, ils veulent être comme les Blancs. C’est valable pour l’alimentation au lait de substitution comme pour l’usage d’une poussette ou d’un porte-bébé.
Une Gabonaise m’a demandé de lui rapporter un porte-bébé kangourou pour la naissance de sa fille. L’usage de ce type de porte-bébé est mieux perçu, car il fait moderne. Une fille ne peut pas se dire « dans le vent » avec un bébé blotti dans un pagne.
Très naïvement, je me croyais leur « complice » en maternant façon LLL. En réalité, mon maternage devait certainement les dérouter, je ne correspondais pas au schéma classique de la Blanche avec cinq enfants. Je ne pense pas avoir été comprise. Au mieux, on souriait avec indulgence face à mes excentricités de Blanche. Ne pas engager de nounou, allaiter, élever, emmener partout son ou ses bébés signifiait pour eux que mon mari ne gagnait pas assez d’argent pour me libérer de ces tâches ingrates et primitives.
On peut rêver d’une société idéale où les femmes sont toutes de bonnes mères, mais la vie n’est pas si simple. Allaiter, porter son enfant fait « plouc », pauvre, rétrograde. Une femme instruite, une femme riche, une femme moderne, ne souhaite généralement pas élever son bébé comme sa mère l’a fait autrefois avec elle au village. Aujourd’hui, on n’accouche plus « à la case », sauf au village. Seules les femmes pauvres et quelques rares femmes de couches sociales plus favorisées allaitent, les premières parce qu’elles n’ont pas le choix, les deuxièmes parce que déjà elles savent que leur lait est ce qu’il y a de meilleur pour leur enfant. Il reste cependant beaucoup à faire pour leur redonner confiance dans leur culture.
Laurence Descourtieux
Guatemala, octobre 2002
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