Cet article est paru dans Allaiter aujourd'hui n° 15, LLL France, 1993
Combien de bébés ont été sevrés parce qu'on estimait qu'ils ne prenaient pas assez de poids (d'autres, plus rares, l'étaient parce qu'ils en prenaient trop !) ?
Les problèmes de poids concentrent tout ce qui fait la difficulté d'allaiter, à savoir le manque de confiance de tout le monde dans la possibilité des femmes à faire grandir normalement leurs bébés avec le lait que produisent leurs seins.
Ce doute est partout. Il est chez les mères elles-mêmes. Il est dans leur entourage, familial et médical. Il est dans les médias.
Ce doute est chez nous. C'est lui qui explique l'offre systématique de biberons de complément, l'une des causes essentielles de l'échec précoce de l'allaitement. Il se répand rapidement dans le Tiers-Monde, renforcé dans certains cas par des croyances ancestrales.
Ce doute est de nos jours. Mais il existait déjà dans l'ancien temps. Comment expliquer autrement qu'au Moyen-Age, on donnait aux nouveaux-nés des bouillies pour les rendre plus "solides" ?
Pour annihiler ce doute, il suffirait pourtant souvent d'une chose toute simple : regarder l'enfant au lieu de regarder la balance...
C.D.J.
Poids et mesures, ou : le glaive et la balance
Sylvie a eu une première petite fille qu'elle a allaitée et qui a toujours été menue. C'est la faute à l'allaitement qu'il faudrait compléter, dirent des âmes charitables...
Plus tard, elle a eu une deuxième petite fille toute ronde, toute dodue. C'est la faute à l'allaitement qu'il faudrait limiter, dirent les braves gens...
Les deux petites filles ont grandi. Elles sont différentes, ni maigres ni obèses.
Chaque bébé est unique, et la courbe de poids de l'un ne peut se calquer sur celle de son voisin. Trop de facteurs entrent en ligne de compte : hérédité, poids de naissance, appétit, alimentation, maladies...L'essentiel est que dans l'ensemble, la courbe de croissance soit régulière.
Quels repères avoir ?
Avant de se précipiter sur la balance, on peut, pour savoir si un bébé boit suffisamment, compter les couches : tant qu'il est entièrement allaité, cinq à six couches bien mouillées et au moins deux selles par jour (après six semaines, les selles peuvent beaucoup se raréfier) rassurent déjà beaucoup. Le bébé s'éveille, son état général est bon et les tétées se passent bien.
Pour ce qui est du poids proprement dit, la plupart des bébés en perdent les premiers jours (1). Ils perdent beaucoup d'eau, notamment à cause de la sécheresse de l'air dans les maternités. Il ne faut pas hésiter à apporter un saturateur (ou à poser une serviette mouillée sur le radiateur), et bien sûr à allaiter souvent, nuit et jour. Sans donner de biberons d'eau qui diminuent la fréquence et l'intensité de l'allaitement, entraînent un risque de confusion sein/tétine, diluent les effets protecteurs et la valeur nutritionnelle du lait maternel, et sont associés à un nombre plus élevé d'ictères néo-nataux.
Cette chute de poids peut atteindre 10 % du poids de naissance, et la reprise peut prendre jusqu'à trois semaines. Si le poids stagne au départ, la conduite de l'allaitement doit être bien observée : position du bébé au sein, efficacité de la succion, rythme des tétées, etc. Si cela ne suffit pas, l'enfant doit subir un examen médical minutieux qui pourra dépister autre chose.
Certains bébés démarrent en flèche, prennent plus que les 25 g habituels, doublent leur poids de naisance bien avant cinq mois et crèvent les courbes de poids. Pas de panique, pas besoin de les mettre au régime ! Avec le lait de sa maman, l'enfant reçoit le meilleur aliment possible. Cela lui profite, tant mieux. Mais peut-être qu'entre 12 et 24 mois, il ne prendra que quelques grammes, et là aussi il ne faudra pas s'inquiéter.
La majorité des bébés allaités suivent les courbes de croissance des carnets de santé les trois premiers mois, puis leur gain de poids semble ralentir, contrairement aux bébés nourris au lait de substitution. Il ne faut pas en conclure que les bébés allaités sont alors en manque. En fait, les courbes de poids actuelles ont été établies il y a plusieurs décennies avec des enfants nourris avec des laits de substitution, qui induisent une croissance différente (2). Le but de l'alimentation n'étant pas de faire des gros bébés mais des enfants en bonne santé, soyez rassurée : il ne peut y avoir meilleur ni mieux adapté que votre lait.
Si le bébé grossit vraiment peu, c'est-à-dire prend moins de 450 g par mois les premiers mois, un médecin doit l'examiner pour éliminer une éventuelle pathologie (par exemple une infection urinaire). L'allaitement peut évidemment continuer, à la demande, mais à la demande de la maman de façon à ce que le bébé ait dix à douze tétées par 24 h, avec des tétées la nuit, et en changeant éventuellement plusieurs fois de sein à chaque tétée si le bébé semble ne déglutir que rarement. Dans ce cas, toutes les suggestions que peut apporter une animatrice de La Leche League seront les bienvenues, car il ne suffit pas de téter, encore faut-il le faire efficacement. Ce qui supprime alors bien souvent les problèmes de poids : le bébé se (re)met à grossir, et les tétées reprennent un rythme moins soutenu (3).
Certains bébés dorment beaucoup, réclament peu, et parfois, à la visite du premier mois, c'est la douche froide, car la croissance est trop lente. Peser un nouveau-né une à deux fois par semaine les premiers mois, surtout lorsque c'est un premier enfant et que la mère n'a pas de point de comparaison, semble raisonnable pour dépister ces bébés qui ne vivraient bien que d'amour ! Et puis, compter les couches...
Quand un bébé est bien gros, s'il tombe malade et perd l'appétit, on s'inquiète moins, car il a des réserves. Celui qui est plutôt un poids plume, on peut alors l'avoir dans les bras des heures durant...
Comme quoi, costaud ou menu, l'essentiel est d'être en bonne santé !
Marie Courdent
(1) Michel Odent a observé dans des naissances à domicile des courbes de poids d'un "type nouveau", sans perte de poids les premiers jours. Voir son intervention au colloque organisé à l'Unesco par LLL France, le 14 novembre 1986 (compte-rendu dans Médecine et enfance, vol. 7, n° 5, mai 1987, p. 216-17).
(2) Voir la récente étude de Dewey, K.G. et al., "Growth of Breastfed and Formula-Fed Infants from 0 to 18 months : the DARLING STUDY 1992", Pediatrics 89 (6): 1035-41.
(3) Dans ce dossier, nous avons volontairement choisi de ne pas insister sur les vrais problèmes de poids. En effet, d'après notre expérience, dans l'immense majorité des cas, les "problèmes" de poids n'en sont pas. Soit qu'il s'agisse d'un enfant avec une prise de poids lente mais harmonieuse. Soit que le problème disparaisse très facilement en corrigeant la conduite de l'allaitement. Mais il est des cas plus graves et plus difficiles à résoudre. Je vous renvoie sur ce point à l'article très détaillé de Laure Marchand-Lucas, "Prise de poids faible et stagnation staturo-pondérale" (LLLettre des associés médicaux, LLL France, n° 4, juin-juillet-août 1990, p. 3-8, également dans les Cahiers de l'allaitement n° 2), et pour les anglophones, à "Inadequate weight gain in breastfeeding infants : assessments and resolutions", de Linda Desmarais et Susan Browne (Lactation Consultant Series, n° 8, LLLI). Vous y trouverez un panorama exhaustif de toutes les raisons, venant de la mère et/ou de l'enfant, qui peuvent expliquer une mauvaise prise de poids, et des solutions pour y remédier.
Bibliographie
- L'art de l'allaitement maternel, LLLI, p. 91-92, 101-102, 127, 260-63.
- Breastfeeding Answer Book, LLLI, p. 214-34.
- La Voix lactée, juillet-août 1992.
- L'alimentation infantile : bases physiologiques, supplément au vol. 67 du Bulletin de l'OMS, 1989.
- Marie Thirion, Les compétences du nouveau-né, Ramsay, 1986, p. 231-38.
- Voir les nouvelles courbes OMS.
Peut être reproduit, imprimé ou diffusé à condition de mentionner la provenance de cet article.
Merci pour vos articles qui apportent pleins de réponses la ou les professionnels de santé sont souvent très peu informés (mais pourquoi d'ailleurs ?!) :-)
Après avoir allaité ma première petite fille 8 mois, je recommence bien sur pour la 2ème qui a (déjà) 3 mois ! Et quelle surprise de constater par moi même à quel point 2 allaitements peuvent être différents... Cette fois ci, j'ai du apprendre à gérer un reflexe d'ejection fort, j'ai eu des fuites de lait impressionnantes que je n'avais jamais connu lors de mon premier allaitement et ma petite fille a explosé sa courbe de poids contrairement à sa grande sœur qui était toute menue (on partait pourtant du même poids de naissance !). Mais j'ai aussi eu des nuits complètes bcp plus rapides (alors que pour la première j'ai svt entendu que le biberon "sauverait mes nuits"... Mais que nenni !)
Bon après j'ai la mauvaise manie de tjrs vouloir comparer et je ne peux pas m'empêcher de stresser sur la prise de poids fulgurante de ma petite fille qui avait doublé son poids de naissances avant ses 3 mois ! Malgré tout, je sais bien que ce n'est pas comparable !!!
Enfin bref tout ça pour dire a celles qui ont le regret d'un premier allaitement difficile que le deuxième peut vraiment n'avoir rien à voir :-)
Merci pour cet écrit.. .ça soulage et ça remonte le moral de voir qu' il y a des personnes qui enfin comprennent les mamans et qui soutiennent l allaitement maternel. La maman espère toujours être a la hauteur et donner le meilleur a ses petits. Chapeau a toutes les mamans.
Un article rassurant.. les médecins "anti-allaitement" sont encore nombreux, trop nombreux, mettant en doute la mère allaitante, la qualité de son lait... Pourtant allaiter ma fille est la plus belle preuve d'amour que je pouvais lui offrir. Je vais suivre vos conseils et commencer par regarder ses couches.. merci !
Merci, pour ce super écris , il réconforte mes idées au sujets de l'allaitement, pour les quelles je me bas tous les jours !! au prés des médecins et de mon entourages ! Laissons faire les belles choses de la nature !! :)
Merci pour cet excellent article ! Mère de 3 enfants allaités, je n'ai rencontré aucune difficulté à allaiter mes 2 premiers - respectivement 1 et 2 ans . Mais pour bb3 tout était différent : naissance par césarienne , bb avait une légère jaunisse et même avec les nombreuses supercheries utilisées il n'avait pas faim et était peu vorace au sein. Faible prise de poids, pratique de l'allaitement à la demande donc souvent mais peu dans son cas, mais sans le laisser dans son coin, il a eu une faible prise de poids et à 4 mois bébé stagnait, était en dessous des courbes. Certains médecins n'hésitent pas à faire culpabiliser la mère allaitante - "c'est votre lait il n'y en a pas assez, pas assez riche, la psy vous rendra visite, vous devriez le mettre au biberon, oh vous savez les laits artificiels aujourd'hui sont aussi bons que le lait maternel". On m'a reproché le fait de laisser bébé mourir de faim et des tas de choses vexantes, bébé a été sondé pour reprendre du poids par forcing, je suis restée auprès de lui tout le temps, à tirer mon lait. Il n'a jamais accepté leur biberon même quand il était affamé,... Ils ont avoué n'avoir jamais rencontré de cas comme mon bb. Un mois plus tard il s'est bien remplumé, et je continue à l'allaiter, il a commencé la diversification mais il toujours mon lait et j'arrive en plus à tirer du lait que je lui donne en bouillie, la sonde s'écarte de lui un peu plus chaque jour. Ce n'est pas un grand mangeur mais petit à petit il progresse et je suis fière de lui !
j'adore cet article. il est tres bien écrit. mon regret est de ne pas l'avoir lu avant l'accouchement, car c'est vrai qu'à la maternité il y a une certaine pression par rapport au poids, et on se sent un peu obligé de donner du complément, on perd confiance. Là encore, je reviens de chez le doc et j'ai paniqué au vu du poids de mon petit bout. cet article m'a rassuré. merci
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