Editorial des Dossiers de l'Allaitement numéro 70 (Janvier – Février – Mars 2007)
D’après : The problem with breastfeeding. A personal reflection. J Akre. 2006.
Nous arrivons tous dans le monde plus ou moins de la même façon et dans le même état : nus, mouillés et affamés. La façon dont nous serons ensuite traités dépendra des règles culturelles en vigueur dans la société à laquelle nous appartenons. Lorsqu’on se penche sur l’alimentation infantile, on constate que de nombreuses personnes ne comprennent pas les implications de ce qui est la norme biologique en matière d’alimentation pour le petit de notre espèce, ni les dangers à ne pas la respecter.
L’allaitement reste bien souvent incompris, que ce soit par le grand public ou par les professionnels de santé et les hommes politiques. J’ai constaté que partout où l’allaitement restait peu valorisé et peu pratiqué, la principale barrière que devaient affronter les mères était l’ignorance des caractéristiques uniques du lait humain, et des implications majeures de l’allaitement pour la santé de la population. L’allaitement n’est pas "juste" un choix maternel, c’est un choix de toute la société. En d’autres mots, les cultures et les sociétés sont responsables du système de valeurs qui amène les femmes à allaiter ou à ne pas allaiter. À de rares exceptions près, TOUTES les mères aiment leur enfant et veulent ce qui est le mieux pour lui ; mais ce qui est défini comme "le mieux" est une valeur culturelle.
L’allaitement semble se trouver au carrefour d’un dilemme : droit de l’enfant et droit ou devoir de la mère ? Comment respecter les droits de l’un sans nier les droits de l’autre ? Mais cette façon de voir les choses a pour résultat une situation où il y a un gagnant et un perdant. N’est-il pas possible de présenter les choses sous le jour d’une combinaison où la mère et l’enfant sont tous les deux gagnants, ainsi que la société ?
Si on regarde les 50 dernières années, nous pouvons voir que nous avons fait de gros progrès dans la révolution de l’allaitement. Chaque jour, nous disposons de davantage d’études scientifiques démontrant les bénéfices de l’allaitement. Nous connaissons de mieux en mieux les raisons qui amènent des populations à choisir ou non d’allaiter. Il nous reste à transformer ces connaissances en actions qui favoriseront de nouveaux comportements. Les principaux obstacles à une prévalence et à une durée plus élevées d’allaitement sont avant tout politiques, socioculturels, économiques et organisationnels. Le temps d’actions plus énergiques est venu.
Les fabricants d’aliments pour nourrissons sont indiscutablement activement impliqués dans des stratégies favorables à l’alimentation avec un lait industriel. Mais se battre contre eux n’est pas forcément la solution. Tant que la demande pour ces laits ne baissera pas, combattre leurs fabricants sera inefficace par rapport au temps et à l’énergie dépensés. Nous devrions plutôt nous focaliser sur un objectif commun : augmenter la prévalence et la durée de l’allaitement, en tant que norme biologique pour le petit de notre espèce. Le moyen le plus efficace de réduire les ventes de lait industriel est de réduire la demande pour ces laits. Mais cela ne sera pas facile. Les fabricants de lait industriel s’arrangent pour diffuser une idée simple : "C’est votre droit de ne pas allaiter ; et en fait, allaiter n’est pas important à partir du moment où vous avez une bonne marque de lait industriel, de l’eau propre, que vous vous lavez les mains, et que vous suivez les instructions pour la préparation du lait."
L’expérience montre que plus le public est informé sur l’importance du lait maternel et de l’allaitement, plus il sera facile de faire baisser les ventes de laits industriels. Il sera difficile de mettre en place des actions de promotion et de soutien de l’allaitement tant que les leaders de notre société ne seront pas convaincus du fait que nourrir nos enfants avec un substitut du lait maternel représente une déviation par rapport à la norme biologique pour notre espèce, déviation susceptible d’avoir des conséquences pouvant perdurer toute la vie. Certes, les fabricants de lait industriel font le maximum pour inciter les mères à utiliser leurs produits. Mais après tout, qui ignore que l’objectif d’une entreprise est de faire des bénéfices ? De son côté, le public est responsable d’avoir créé, accepté et maintenu un contexte qui permet aux fabricants de lait industriel de vendre leurs produits. Il faut être deux pour danser le tango.
Dans l’ensemble, deux groupes vivent dans le déni. Tout d’abord, les gouvernements, qui continuent à ignorer les implications de l’alimentation de nos enfants avec un produit industriel, sur le plan de l’augmentation de la morbidité et de la mortalité. Et ensuite les organisations qui se focalisent uniquement sur la lutte contre les fabricants de lait industriel, sans prêter attention à tous les autres facteurs qui constituent des barrières à l’allaitement dans nos sociétés. La guerre contre les laits industriels doit-elle se poursuivre ? En fait, certains estiment que c’est une bataille juste, mais une mauvaise guerre.
La chose la plus importante que nous pouvons faire est de jeter les laits industriels à bas de leur piédestal, et de modifier la façon dont ils sont perçus, par le public et les professionnels de santé, comme étant la meilleure alternative au lait maternel, ou tout au moins la moins mauvaise alternative. Les laits industriels doivent redevenir ce qu’ils étaient à l’origine : une solution de dépannage d’urgence pour empêcher qu’un enfant meure de faim. Nous passons énormément de temps à chanter les louanges de l’allaitement. Il est maintenant temps de se focaliser sur l’impact négatif, tant pour les individus que pour la société, des produits médiocres que sont les laits industriels. Ces derniers peuvent faire vivre un enfant. Mais sur le plan nutritionnel et développemental, ils sont considérablement inférieurs au lait maternel. La façon idéalisée dont les fabricants de lait industriel présentent leurs produits, et que, regrettablement, tant les consommateurs que les professionnels de santé et les hommes politiques acceptent, ne devrait pas nous empêcher de voir la triste réalité. Il est temps que nous cessions de voir les laits industriels comme un second choix parfaitement légitime, au lieu de les voir comme ce qu’ils sont en réalité : un ersatz largement inférieur au produit qu’il sont censés remplacer, à utiliser uniquement en cas de nécessité absolue.
Certaines affirmations sur le lait humain ne favorisent pas l’allaitement. En particulier celle qui dit que le lait humain est gratuit, ce qui implique qu’il n’a pas de valeur. Le lait humain n’est pas "gratuit". Il est "sans prix", de même que l’allaitement. L’allaitement prend le temps de la mère et son énergie (jusqu’à 500 kcal par jour). Mais il faut également prendre en compte l’impact positif sur les enfants, les mères et la société entière. Qui profite de l’allaitement ? Certainement pas les fabricants de lait industriel, ni les compagnies pharmaceutiques (qui fabriquent souvent des laits industriels), et pour peu qu’on soit cynique, on peut également dire que c’est également le cas de certains médecins et hôpitaux pour enfants. Réfléchissons un moment : quelle somme de travail, et de quelle sorte, serait perdue si TOUS les enfants du monde étaient allaités comme recommandé par l’OMS ? Malheureusement, le coût cumulatif réel de l’alimentation au lait industriel, et les économies qui seraient réalisées grâce à l’allaitement, restent largement inconnus de la plupart des gens, qui pensent donc que l’alimentation au lait industriel n’a pas de conséquences économiques significatives. Demandons-nous quelles sont les implications de l’allaitement pour les 136 millions d’enfants qui naissent tous les ans.
Il ne peut pas y avoir d’approche universelle quant à l’alimentation, qui a une dimension culturelle et sociale importante. Pour faire avancer les choses en matière d’allaitement, nous pouvons nous demander : à quoi souhaitons-nous que ressemble la situation sur notre planète en 2016, en 2026 ou en 2056, année où LLL célébrera son 100ème anniversaire ? C’est à nous tous, en tant que collectivité, de décider de nos objectifs et des moyens de les remplir. Comme le faisait observer Saul Alinsky*, il existe deux sortes de pouvoir : le pouvoir de l’argent, et le pouvoir du nombre. Nous pourrions utiliser Internet beaucoup plus efficacement et largement, afin de donner aux informations sur l’allaitement, qui est une des spécificités de notre espèce, la large diffusion qu’elles méritent. Il est également temps de diffuser activement des données objectives sur les risques associés à l’alimentation avec un lait industriel sur la santé des enfants, des mères, et de la société.
Les associations de soutien aux mères ne doivent pas être juste "invitées" à participer, on doit leur demander de nous aider. Après tout, elles ont travaillé dur, pendant longtemps, et souvent seules, et elles ont joué un rôle déterminant pour faire réaugmenter la prévalence de l’allaitement. Aux gouvernements, on pourrait dire qu’ils sont responsables du bien-être de leurs citoyens, et qu’il leur appartient de mettre l’énergie et les ressources nécessaires afin d’utiliser pleinement les outils qui existent déjà. Les fabricants de lait industriel ont également leur rôle à jouer, similaire à celui des fabricants de masques à oxygène ou de canots de sauvetage ; il serait naïf de penser que ces fabricants accepteront d’eux-mêmes la place que nous voulons leur donner, mais cela évoluera graduellement. Aux professionnels de santé, on pourrait dire qu’il n’existe aucune excuse valide pour ne pas soutenir activement l’allaitement. Les principaux messages à diffuser sont clairs : pendant les premières années, la mère joue un rôle central dans la santé physique, intellectuelle et émotionnelle de son enfant ; les bébés sont nés pour être allaités ; le lait maternel ne peut pas être remplacé de façon réellement satisfaisante, nous ne pouvons au mieux qu’espérer minimiser les risques induits par le lait industriel.
La problématique autour de allaitement et santé publique
James Akré, l'auteur de l'article ci-dessus, a souhaité répondre à Yasmine :
"Je remercie Yasmine d’avoir pris le temps de lire et commenter un texte basé sur un livre que j’ai publié d’abord en anglais en 2006, suivi de la version française en 2009 (Le problème avec l’allaitement : réflexion personnelle, Hêtre Myriadis).
Je suis néanmoins navré qu’elle soit choquée, voire scandalisée, lorsqu’elle lit – « trébuche sur » serait une formule plus juste – l’affirmation que « pour peu qu’on soit cynique … certains médecins et hôpitaux pour enfants » donnent l’impression de ne pas soutenir pleinement l’allaitement maternel.
Deux remarques. D’abord, au sens ordinaire du terme, ici « certains » veut dire plusieurs, quelques personnes isolées à l’intérieur d’un groupe.
Ensuite, bien que ce cas de figure soit, à la fois, anonyme et théorique, mes 50 années d’expérience de soutien à l’unique première œuvre nutritionnelle de Dame Nature destinée aux petits de notre espèce, fournissent malheureusement une pléthore d’exemples de non soutien.
Comme j’ai écrit en 2006/2009 : « à quelques très rares exceptions près, toutes les mères aiment leurs enfants et veulent ce qu’il y a de meilleur pour eux. En ce qui concerne les comportements alimentaires, le « meilleur » est invariablement une valeur définie culturellement ». Il ne serait pas trop loin de la réalité d’attribuer cette description à « certains médecins et hôpitaux pour enfants » aussi.
James Akré
Genève"
En tant que maman allaitante convaincue MAIS également médecin, je suis très choquée de lire cette phrase : " et pour peu qu’on soit cynique, on peut également dire que c’est également le cas de certains médecins et hôpitaux pour enfants."
Je suis scandalisée et déçue. Comme les militants de la LLL, les médecins ont à cœur de promouvoir le meilleur pour leurs patients. Cela se fait évidemment dans la limites des connaissances et au contact des firmes pharmaceutiques que nous côtoyons. C'est un fait, sans doute "un mal nécessaire". Est-il indispensable de former bien davantage à l'allaitement l'ensemble des professionnels de santé qui accompagnent parents et enfants ? Oui. C'est indéniable. Mon médecin généraliste a prescrit un pansement gastrique à mon nouveau-né alors que j'avais un REF et c'est ma sage-femme qui a heureusement redressé le diagnostic. En revanche laisser entendre que les médecins conseillent sciemment les préparations pour nourrissons dans le but que les enfants soient malades et que nos hôpitaux tournent est faux et profondément insultant. Encore une fois je suis outrée et blessée. Nous sommes médecins mais aussi souvent parents, nous sommes humains, nous ne voulons pas de mal à nos patients. Et nous avons assez de travail sans nous en créer, ne vous inquiétez pas de ça.
Cet article traite très bien le problème.
Je rajouterais que si l'entourage était bienveillant, quelque soit le choix de la mère, cela aiderait beaucoup.
Depuis la naissance de mon bébé, j'ai entendu plusieurs fois "Tu vas pas l'allaiter trop longtemps quand même ?"
Heureusement pour moi j'ai assez de conviction pour ne pas écouter ce genre de remarque, mais quid des femmes en difficulté dans leur allaitement, qui ont besoin de soutien mais qui entendent ce genre d'âneries à la place ?
L'allaitement exclusif est-il un problème pour les mères ?
Salu
Bonjour, je cherche un sujet sur l'allaitement maternel à la recherche des problèmes attendus pour ne pas allaiter son enfant au cours des derniers moisBonjour, j
Ou abondonce de l'allaitement maternal duront promie 03 mois
Pour poser une question, n'utilisez pas l'espace "Commentaires" ci-dessous, envoyez un mail à la boîte contact. Merci