Le récent séisme au Japon, suivi du tsunami et des accidents nucléaires qui se sont enchaînés, peuvent poser la question de l'allaitement dans de telles situations.
L'allaitement en situation de crise a fait l'objet d'un numéro d'Allaiter aujourd'hui en 2010 et était le thème de la Semaine Mondiale de l'Allaitement Maternel en 2009.
Qu'en est-il en cas d'accident nucléaire ?
En cas d'accident nucléaire, au-delà de l'urgence, il y a trois modes d'exposition :
- Les irradiations externes
- Les retombées qui vont contaminer toutes les surfaces avec lesquelles elles seront en contact dont la peau, les cheveux, les vêtements
- Les rejets atmosphériques qui peuvent être inhalés, absorbés (eau et aliments contaminés) et qui vont se fixer sur certains organes, en particulier la thyroïde.
Les irradiations touchent principalement les personnes au sein des installations nucléaires. Dans la vie quotidienne, les sources d'irradiation sont principalement les examens radiologiques, mais aussi les vols transcontinentaux, les téléviseurs...
Il est intéressant de noter que les radiographies aux rayons X en elles-mêmes n'ont strictement aucun impact sur la composition du lait maternel, et ne nécessitent aucune suspension de l’allaitement. (Dossiers de l'allaitement, n°59, Avril – Mai – Juin 2004, Produits de diagnostic et produits radioactifs).
La contamination par voie externe (vêtement, cheveux, peau) nécessite une décontamination dans une installation dédiée (douches, vêtements à changer). En dehors de la présence de blessures ouvrant la voie à une contamination interne, la contamination par voie externe, n'a pas d'impact sur l'allaitement maternel.
Les rejets atmosphériques qui peuvent contaminer par voie interne comportent de nombreux radioéléments : l'iode (différentes formes de radioéléments et notamment l'iode 131, qui a une période de 8 jours), le césium 137, des gaz rares (krypton 85, xénon 133), le strontium 90...
Iode 131
L'iode est utilisé dans certains diagnostics. Voir l'extrait des Dossiers de l'allaitement n° 85 (Octobre – Novembre – Décembre 2010) sur les pathologies thyroïdiennes en fin d'article.
Pour prévenir la fixation de l'iode radioactif sur la thyroïde, des mesures de prophylaxie comprendront, sur indication des autorités de santé, la prise d'iode stable qui viendra saturer la glande et empêchera la capture de l’iode radioactif par la glande thyroïde.
Une étude a constaté un taux lacté 10 fois plus bas d’iode 131 chez des mères à qui on avait administré des composés iodés stables (comprimés d’iodure de potassium). Les auteurs concluaient que l’administration de doses importantes d’un isotope stable d’iode (couramment pratiquée pour bloquer l’entrée de l’iode dans la thyroïde) était un moyen efficace de bloquer le passage lacté du radio-isotope. Protéger la thyroïde de la mère de cette façon permettait aussi de protéger l’enfant allaité (Dossiers de l'allaitement, n°59, Avril – Mai – Juin 2004, Produits de diagnostic et produits radioactifs ; résumé de l'étude en fin d'article).
Cette mesure de prophylaxie concerne toute la population en cas d'accident nucléaire avec des rejets radioactifs, uniquement sur avis des autorités sanitaires locales. Prendre de l'iode préventivement :
- Ne sera d'aucune utilité si cela se fait trop tôt, l'action préventive étant limitée dans le temps
- Expose à un risque d'allergie possible
- Expose à un risque de surdosage
- Est contre-indiqué en cas d'allergie à l'iode, d'hyperthyroïdie, de dermatites herpétiformes, de vascularites avec hypocomplémentémie, de prise de médicaments ou d'aliments contenant de l'iode (risque de surdosage), un avis médical est alors nécessaire pour la conduite à tenir
Les doses préconisées sont les suivantes (extrait du document Prise d’iode stable en cas de rejet accidentel d’iode radioactif dans l'atmosphère, de l'Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire) :
Circulaire du Ministère de l’Intérieur et du Ministère de la Santé du 18 Août 1992 relative à l’administration d’iode stable en cas d’accident nucléaire.
Comprimés quadrisécables conditionnés sous blister (par boîte de 10 ou de 100) comprenant 130 mg d’iodure de potassium, soit 100 mg d’iode stable.
- Adulte, enfants > 12 ans : 1 cp
- Enfant (3 à 12 ans) : ½ cp
- Femme allaitant : 1 cp
- Femme enceinte : 1 cp
- Nourrisson : ¼ cp
À qui doit-on administrer de l’iode ? Il est prioritaire d’assurer la meilleure couverture possible des groupes les plus radiosensibles : enfants, femmes enceintes et femmes qui allaitent leur enfant.
À noter, la prise d'iode stable ne protège la thyroïde que de l'iode radioactif et en aucun cas des autres radioéléments (césium, strontium…).
Et si l'allaitement n'est pas envisageable ?
En cas d'un niveau de contamination tel que la suspension de l'allaitement est nécessaire, il est important d'informer la mère :
- Des conséquences d'un sevrage brutal (engorgement, mastites…)
- Des alternatives à l'allaitement (risque de donner un lait industriel reconstitué ou non avec une eau éventuellement polluée)
- Du rôle de l'expression du lait (accélération de la diminution de la présence de contaminants)
- Du fait que la radioactivité de son lait décroît en fonction de la période de demi-vie des éléments contaminants
- Que la mère peut le conserver pour le donner ultérieurement lorsque la radioactivité sera retombée à un niveau acceptable
- Que la mère peut faire analyser son lait pour en connaître le niveau de radioactivité
Extrait des Dossiers de l'allaitement n° 75 (Octobre – Novembre – Décembre 2010), Les pathologies thyroïdiennes,
L’iode
L’iode est un micronutriment indispensable, sa carence ayant un impact négatif majeur sur le développement de l’enfant. C’est la raison pour laquelle il est excrété dans le lait par un mécanisme actif. Son taux lacté est fonction des apports maternels (Azizi). Tous les produits apportant de l’iode sous une forme assimilable induiront une augmentation importante du taux lacté d’iode, ce qui est susceptible d’avoir un impact sur la fonction thyroïdienne du bébé allaité.
L’iode radioactif 123 (I123) est le traceur biologique de référence ; il permet d’obtenir un reflet fidèle de l’hormono-génèse. L’examen est réalisé 2 à 3 heures après l’injection. Sa demi-vie lactée est de 5,8 heures. Il est nettement plus irradiant que le technétium. Une suspension de l’allaitement n’est pas nécessaire si la dose administrée est < 20 MBq (0,5 mCi), mais une suspension d’au moins 24 à 30 heures est nécessaire pour des doses supérieures (Howe). Exprimer un maximum de lait juste avant l’examen accélèrera l’élimination. Comme pour le technétium, le lait tiré pendant la période de suspension de l’allaitement peut être conservé pour être utilisé ; un délai d’environ 1 semaine permettra d’être sûr que la radioactivité est totalement éliminée. Il n’est pas nécessaire de suspendre le contact entre la mère et son enfant si la mère a reçu < 400 MBq.
L’iode131, du fait de sa demi-vie beaucoup plus longue (environ 8 jours), de son caractère fortement irradiant, et de son passage très important dans le lait, doit être réservé au bilan préthérapeutique des cancers thyroïdiens différenciés, et au traitement de ces cancers ; en effet, la suspension de l’allaitement recommandée est d’au moins 40 jours, ce qui implique presque toujours le sevrage définitif de l’enfant. 25 à 46 % de l’iode radioactif administré à la mère seront excrétés dans le lait (Mountford). La mère devra éviter le contact proche avec son bébé pendant un temps variable en fonction de la dose administrée (de quelques jours à plusieurs semaines – Anon). Certaines mères souhaiteront tirer leur lait pendant la durée nécessaire à l’élimination de l’iode131 et tenter ensuite de remettre leur enfant au sein. Voir les cas de suspension de l’allaitement chez des mères traitées pour cancer thyroïdien décrits dans les Doss All n° 27 p.7, n° 47 p.5-6, n° 68 p.5.
Transfert lacté de l’iode 131
Transfer of 131I into human breast milk and transfer coefficients for radiological dose assesments. SL Simon, N Luckyanov, A Bouville et al. Health Phys 2002 ; 82(6) : 795-806.
Il existe peu de données sur l’excrétion des isotopes iodés dans le lait humain. Les auteurs ont passé en revue 16 articles sur le sujet pour estimer le coefficient de transfert de ces produits. Les données sur le taux lacté des isotopes iodés ont été analysées de 2 façons : par intégration numérique directe, et par intégration à partir d’un modèle exponentiel ajusté. Dans l’ensemble, la seconde analyse donnait de meilleurs résultats, et décrivait mieux le transfert du lait, d’autant que peu d’échantillons de lait avaient été testés. Ces analyses permettaient de constater l’existence de 2 groupes.
Le premier groupe était celui des mères qui avaient un niveau très bas d’excrétion lactée ; il incluait des mères chez qui l’absorption thyroïdienne et mammaire du radio-isotope était abaissée par l’administration de composés iodés stables. Dans le second groupe, on constatait une excrétion beaucoup plus importante. Ce groupe a été défini comme le groupe « excrétion normale » ; le taux lacté d’iode radioactif y était plus de 10 fois plus élevé que dans le groupe « excrétion basse ».
On a estimé la demi-vie lactée du dérivé iodé dans les 2 groupes séparément. Cette demi-vie était plus longue dans le groupe excrétion normale (12 ± 1,7 h) que dans le groupe excrétion basse (8,5 ± 2,6 heures), bien que la différence ne soit pas significative en raison du petit nombre de mères étudiées. Le temps écoulé entre l’administration du radio-isotope et le pic lacté était similaire dans les 2 groupes (respectivement environ 9,4 et 9 heures). Les données permettaient de constater que l’administration de doses importantes d’un isotope stable d’iode (couramment pratiquée pour bloquer l’entrée de l’iode dans la thyroïde) était un moyen efficace de bloquer le passage lacté du radio-isotope. Protéger la thyroïde de la mère de cette façon permettait aussi de protéger l’enfant allaité.
En dépit du peu de données disponibles sur le passage de l’iode 131 dans le lait humain chez des femmes en bonne santé, les données compilées et calculées par les auteurs représentent une bonne base de calcul. Elles sont particulièrement adaptées aux mères allaitantes qui ont une alimentation normale, et à qui on pourra administrer un produit iodé stable.
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