Cet article a paru dans Allaiter Aujourd'hui n° 27, LLLFrance, 1996
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Historiquement, le discours médical sur l'allaitement maternel est passé par plusieurs phases.
Jusqu'au début du XX° siècle, le nombre d'enfants non allaités était très faible. Lorsque la mère ne pouvait pas (notamment en cas de décès) ou ne voulait pas (essentiellement les femmes des classes supérieures) allaiter, l'enfant était généralement confié à une nourrice. Les médecins ne pouvaient que constater qu'en dépit de la légende de Romulus et Remus (1), les rares essais de nourrir les bébés autrement qu'avec du lait de femme (on essaya le lait de nombreux mammifères, ainsi que des bouillies variées) se soldaient pratiquement toujours par un échec, c'est-à-dire par la mort de l'enfant.
Aussi leur discours se cantonnait-il à vanter la supériorité de l'allaitement maternel, déconseiller l'introduction trop précoce des solides (2), et donner des instructions - en général très détaillées - sur le choix d'une "bonne nourrice". En effet, dans la mesure où l'on croyait que la nourrice pouvait transmettre ses qualités comme ses défauts par l'intermédiaire de son lait, il importait de s'assurer de sa bonne santé physique et psychique, et de sa moralité...
Au XIX° siècle, la révolution industrielle en Europe entraîne de profonds bouleversements socio-économiques (exode rural, appauvrissement, rupture des liens familiaux traditionnels, conditions de vie déplorables des ouvrières d'usine) qui se traduisent notamment par une augmentation dramatique des abandons d'enfants. Les orphelinats sont toujours pleins, et la mortalité y est effrayante (3). La fin du siècle voit donc une forte offensive médicale en faveur de l'allaitement maternel, doublée d'une culpabilisation appuyée de la "mauvaise mère" qui n'allaite pas.
XX° siècle : changement radical de décor. La pasteurisation du lait et les progrès indéniables accomplis dans la mise au point de substituts du lait maternel, entraînent un revirement du discours médical. Désormais, dans une époque obsédée par les chiffres et les mesures, le biberon a toutes les vertus, car il permet de doser exactement les quantités absorbées par l'enfant et bénéficie d'une "qualité constante" puisque - sauf erreurs lors de la fabrication ou de la manipulation -, la composition du lait en poudre est toujours la même ; alors que le lait maternel ne cesse de varier en volume et en composition, et est donc considéré comme peu fiable (4). Donner le biberon, c'est bien plus simple et bien plus sûr, et nombreux sont alors les médecins pour déconseiller carrément l'allaitement maternel.
Cette tendance a vu son apogée dans les années 50, avant de s'inverser à nouveau depuis une vingtaine d'années. Depuis les années 70 en effet, la recherche médicale a fait de très grands progrès. On a vu se multiplier études bio-chimiques sur la composition du lait maternel (5) et sur les effets (in vivo et in vitro) de tel ou tel de ses composants, études épidémiologiques (rétrospectives et de suivi), études cliniques, etc. La recherche en matière d'allaitement a également bénéficié des recherches et découvertes en matière d'immunologie, hormonologie, étude des maladies infectieuses, étude des mécanismes de l'allergie, etc.
Au total, on se trouve actuellement à la tête d'une masse impressionnante de connaissances sur les bienfaits de l'allaitement maternel, dont nous allons essayer ici de faire le point, tout en sachant que ce bilan est sûrement incomplet et sera bien vite dépassé, car chaque jour ou presque apporte une nouvelle découverte.
Il y a étude et étude
Mais avant de commencer le catalogue des bienfaits de l'allaitement, il convient de faire quelques remarques à propos des études qui vont être citées.
Sur certains sujets (par exemple la prévention des maladies diarrhéïques), les études sont nombreuses et concordantes. Sur d'autres (par exemple le nombre moins grand d'appendicites en cas d'allaitement), l'étude est très récente et pour le moment unique. D'autres études seront nécessaires pour confirmer ses résultats. Il y a enfin des sujets (je pense notamment à la prévention des allergies) où l'on trouve à la fois des études disant que oui, l'allaitement a un rôle prophylactique, et des études disant que l'allaitement ne fait aucune différence.
C'est là que l'examen critique de l'étude a une importance cruciale, en particulièrement le fait de savoir quelle définition de l'allaitement a été choisie. En effet, les résultats peuvent être bien différents selon qu'on considère comme "allaités" tous les bébés ayant reçu du lait maternel, quelle qu'en soit la quantité, ou seulement ceux ayant bénéficié d'un allaitement exclusif. De même, il s'avère que pour certaines maladies, l'allaitement ne semble avoir un rôle préventif que s'il a duré un certain temps. Cela explique que certaines études puissent conclure au non-intérêt de l'allaitement après avoir comparé une population de bébés allaités un mois avec une population de bébés nourris au biberon (6).
Les avantages à court terme
Les maladies diarrhéïques
Les affections respiratoires basses aiguës
La sphère ORL
Le reflux gastro-oesophagien (RGO)
Les infections urinaires
La mort subite du nourrisson
Le VIH
Ce sont sûrement les mieux connus du corps médical et du grand public ("le lait maternel, c'est bon à cause des anticorps") et les mieux documentés. Les études les concernant sont très nombreuses, et aboutissent toutes à la même conclusion : la mortalité et la morbidité sont bien moindres chez les bébés allaités. Ces derniers risquent 10 fois moins d'être hospitalisés pour une quelconque infection bactérienne sévère, et 4 fois moins de présenter une bactériémie ou une méningite (7). La différence est particulièrement dramatique dans les pays pauvres où les maladies infectieuses sont responsables de l'immense majorité des morts infantiles.
Les maladies diarrhéïques
Toutes les études montrent que les enfants nourris exclusivement au sein ont beaucoup moins de risque d'avoir des maladies diarrhéïques que les autres. L'une d'elles (8) montre que dans les pays développés, les enfants allaités ont un taux de maladie diarrhéïque trois fois moins élevé, et un taux de gastro-entérite sévère à rotavirus cinq fois moins élevé. Même dans nos pays, l'allaitement maternel reste le meilleur moyen de prévention envers l'entérocolite ulcéronécrosante des prématurés. Cette maladie est 20 fois moins fréquente chez les bébés allaités (9).
Cette protection s'explique par l'effet combiné de deux facteurs : exposition moindre aux agents infectieux et propriétés protectrices du lait maternel.
Ces facteurs de protection sont multiples (lactoferrine, facteur bifidus, enzymes, immunoglobulines...). Nous ne parlerons ici que des IgA, qui recouvrent la muqueuse intestinale "comme du badigeon" et la rendent imperméable aux germes pathogènes. On estime qu'un enfant entièrement nourri au sein reçoit en moyenne 0,5 g/kg de poids corporel d'IgA secrétoires par jour, soit environ 50 fois la dose de globuline administrée à un malade hypoglobulinémique ! (10).
De plus, il est désormais évident qu'il existe un cycle broncho-mammaire et entéro-mammaire qui permet la production d'anticorps spécifiques chaque fois qu'un germe pathogène pénètre dans l'organisme maternel, anticorps qui se retrouvent dans le lait que le nourrisson reçoit (11). Ceci est bien sûr valable pour toute sorte de bactéries et de virus, et pas seulement pour ceux responsables des maladies diarrhéïques. Et il est donc particulièrement mal venu de dire à une mère atteinte de grippe ou de gastro-entérite qu'il faut qu'elle sèvre son bébé, car c'est justement en continuant à l'allaiter qu'elle peut le mieux le protéger. Il est d'ailleurs fréquent de constater que dans une famille dont tous les membres souffrent les uns après les autres de gastro-entérite, seul le bébé allaité y échappe.
Les affections respiratoires basses aiguës
Les infections respiratoires sont elles aussi beaucoup moins fréquentes chez les enfants allaités. La protection apportée par le lait maternel est particulièrement évidente vis-à-vis des maladies pulmonaires sévères. Le virus respiratoire syncytial est la pathologie sévère la plus souvent rencontrée (il est cause de bronchiolites), et il est démontré que l'allaitement apporte une protection efficace envers ce virus (12).
Une étude portant sur une très large population d'enfants américains a montré qu'en ce qui concerne les enfants âgés de 1 à 2 ans, l'allaitement protège contre la pneumonie et que l'introduction précoce des aliments solides augmente la probabilité de contracter une pneumonie (13).
La sphère ORL
Tous les parents savent à quel point les rhinites, pharyngites, laryngites et otites peuvent être nombreuses, répétitives, douloureuses et handicapantes chez les tout-petits.
Les études ont été particulièrement nombreuses sur la protection apportée par l'allaitement vis-à-vis de l'otite moyenne. C'est ainsi que plus de 1000 enfants de Tucson (Arizona) ont été régulièrement suivis pendant leur première année (14). A tous les âges, la fréquence des otites diminuait significativement et parallèlement à l'augmentation de l'incidence et à la durée de l'allaitement. Les enfants exclusivement allaités à 4 mois avaient un taux deux fois plus bas d'otites que les enfants non allaités, et de 40% plus bas que les enfants qui avaient commencé à recevoir des compléments avant 4 mois.
D'autres études ont trouvé que les otites seraient trois fois moins fréquentes chez les enfants allaités (15).
Il existe diverses explications possibles à cet effet protecteur. Ici aussi, les anticorps du lait maternel jouent certainement un rôle, ainsi que sa composition optimale en micronutriments. Mais on se pose aussi des questions sur un éventuel rôle des prostaglandines présentes dans le lait maternel, ainsi que de la position différente de l'enfant au sein et au biberon : le mamelon arrive jusqu'au palais mou, ce qui aide la trompe d'Eustache, qui relie l'oreille moyenne à l'arrière du nez, à bien s'ouvrir. Cela ne se produit pas avec la tétine du biberon, qui ne dépasse pas la cavité buccale.
Le reflux gastro-oesophagien (RGO)
Dans une étude de 1992 (16), les enfants allaités avaient moins d'épisodes de reflux, et étaient moins nombreux à présenter au moins un épisode de RGO. De plus la durée moyenne des épisodes de RGO était plus basse chez les enfants allaités. Les explications seraient d'une part que les bébés allaités passent moins de temps à dormir d'un sommeil léger et paradoxal, et davantage de temps en sommeil profond et calme, période où le RGO est rare ; d'autre part que le pH du reflux, plus bas chez les enfants allaités, suggère une vidange gastrique plus rapide.
Les infections urinaires
Une étude (17) a montré que l'allaitement pourrait avoir un rôle préventif des infections urinaires chez le bébé et chez sa mère, en raison du mécanisme suivant : le lait humain - contrairement au lait de vache - est très riche en oligosaccharides, qui se retrouvent en grande quantité dans les urines du bébé allaité et de sa mère. Or les oligosaccharides ont la propriété d'inhiber l'adhésion bactérienne aux cellules épithéliales, adhésion qui est un prérequis important pour le développement d'une infection.
La mort subite du nourrisson
Bien qu'on ne connaisse pas encore exactement les causes du syndrome de mort subite, les études épidémiologiques, notamment celle faite en Nouvelle-Zélande (18), ont repéré, à la base de 79 % des MSN, trois facteurs de risque : la position de couchage ventrale, le tabagisme maternel et le non-allaitement.
(note de 2019 : le terme employé aujourd'hui est MIN, mort inattendue du nourrisson)
Le VIH
Il est vraiment dommage qu'il existe un risque - pas très bien mesuré - de transmettre le virus du sida par l'allaitement, et qu'on ne sache pas à la naissance si l'enfant est ou non séropositif. En effet, des études ont montré que l'allaitement pourrait retarder l'apparition d'un sida déclaré (19). Il a été démontré in vitro que le lait humain contient divers glycolipides, oligosaccharides et composants protidiques susceptibles de gêner la liaison du HIV aux récepteurs de la cellule hôte (20)
Les avantages à long terme
Nous abordons là un domaine plus complexe et plus controversé. En effet, autant le corps médical est prêt à reconnaître le rôle anti-infectieux du lait maternel, autant il a du mal à admettre que l'allaitement puisse faire une vraie différence pour la santé de l'enfant et de l'adulte.
Et pourtant, comment ne pas voir que les avantages à court terme ne peuvent pas ne pas engendrer des avantages à long terme ? Prenons un seul exemple. Tout le monde sait que des otites à répétition peuvent finir par endommager l'audition de l'enfant. Si l'on admet que l'allaitement réduit considérablement l'occurence des otites, il devient évident qu'une population d'enfants allaités doit avoir une meilleure audition qu'une population d'enfants nourris au biberon.
De fait, ces dernières années, les études sur les conséquences à long terme d'avoir été ou non allaité, se sont multipliées. La liste que nous allons en donner, déjà fort longue, s'allongera encore dans les années qui viennent, à mesure qu'on s'intéressera à d'autres affections.
Mais il est vrai que ces études sont difficiles à faire, tant les biais à éliminer sont nombreux. Sur plusieurs des points qui vont suivre, on ne dispose actuellement que d'une seule étude, qui demande donc à être corroborée par d'autres. Avis aux chercheurs !
Les allergies
L'aliment du cerveau
La prévention de l'obésité
L'appendicite
La sclérose en plaques
Le diabète
Les cancers
La maturation sexuelle
Le développement des mâchoires
Quelques autres pistes
Les allergies
Le rôle de l'allaitement dans la prévention des allergies est et reste controversé. Néanmoins, la plus récente étude sur le sujet montre un effet protecteur à long terme contre toutes les manifestations allergiques (21).
Plus de 200 enfants d'Helsinki (Finlande) ont été suivis pendant leur première année, puis revus à 1, 3, 5, 10 et 17 ans. Ils étaient divisés en trois groupes : allaitement prolongé (plus de 6 mois) = groupe I, allaitement moyen (1 à 6 mois) = groupe II, allaitement court (moins d'1 mois) ou pas d'allaitement du tout = groupe III. On a comparé les taux d'eczéma, d'allergie respiratoire et alimentaire des trois groupes. Résultats : un allaitement de plus d'1 mois sans compléments offre une protection significative contre l'allergie alimentaire à 3 ans, ainsi que contre l'allergie respiratoire à 17 ans. Un allaitement d'au moins 6 mois est nécessaire pour prévenir l'apparition de l'eczéma pendant les trois premières années. A 17 ans, on trouve 8% d'atopie "substantielle" (c'est-à-dire concernant plus d'un organe) chez les jeunes du groupe I, 23% dans le groupe II et 54% dans le groupe III !
L'étude conclut que l'alimentation infantile semble aussi importante que l'hérédité sur le développement des allergies et joue même un rôle plus net à 17 ans.
Une autre étude, britannique celle-ci, portant sur vingt ans de suivi, était arrivé à des conclusions semblables (22).
L'intérêt de ces études est qu'il s'agit d'études de suivi, où il y a moins de risques d'erreur (sur la durée de l'allaitement, sa fréquence, les compléments donnés, etc.) que dans des études rétrospectives où l'on doit se fier aux souvenirs des sujets ou de leurs parents. D'autre part, elles prennent en compte la durée de l'allaitement exclusif, contrairement aux études qui avaient conclu à son non-intérêt en comparant des enfants au biberon et des enfants très peu allaités et souvent complémentés.
Les explications à cette protection sont variées :
- le lait humain pourrait induire et améliorer la maturation naturelle de la barrière de la muqueuse intestinale, ainsi que le système immunitaire secrétoire
- le lait humain pourrait réduire passivement l'exposition aux antigènes alimentaires en inhibant leur absorption, la protection locale des muqueuses immatures étant assurée par les IgA secrétoires et les autres immunoglobulines
- on a trouvé des facteurs anti-IgE dans le colostrum.
L'aliment du cerveau
Le petit humain se caractérise par un développement particulièrement rapide et important du cerveau, et le lait humain est adapté à cette particularité de notre espèce, grâce à son taux élevé en lactose et en acides gras polyinsaturés à longue chaîne. Des études ont montré que les enfants nourris au lait humain avaient de meilleurs scores au test de Bayley à 1 et 2 ans (23). Le même résultat a été retrouvé chez des enfants de 5 ans avec le test McCarthy. La différence est particulièrement significative chez les enfants nés prématurément, que ce soit à 18 mois ou à 7/8 ans (24).
Une étude australienne (25) faite par le Dr Maria Makrides et ses collègues du Centre médical Flinders, à Adélaïde, a conclu que le DHA (acide docosahexaénoïque) jouait un rôle certain dans la maturation cérébrale (estimée par les potentiels évoqués visuels).
Une équipe de pédiatres hollandais (26) a suivi 135 enfants allaités et 391 enfants nourris au lait de substitution. Ces nourrissons appartenaient à trois groupes, établis en fonction de critères neurologiques : 247 étaient normaux, 213 présentaient de légers déficits et 66 des troubles sévères. Tous ont été réexaminés neuf ans plus tard. 401 d'entre eux étaient normaux, 125 montraient des problèmes neurologiques, dont 21 graves. Il apparaissait alors que la fréquence des anomalies était nettement supérieure chez les enfants non allaités. En particulier, le lait maternel semblait avoir exercé un effet bénéfique net chez les petits victimes d'un déficit neurologique mineur à la naissance (troubles du tonus, de la coordination, etc.).
Terminons par une récente étude écossaise, faite sur 500 enfants, qui a mis en évidence une corrélation entre l'allaitement et un meilleur développement moteur et intellectuel à 18 mois (27).
La prévention de l'obésité
D'après M.-F. Rolland-Cachéra, chargée de recherche à l'Inserm, l'augmentation de l'obésité chez l'enfant ces dernières années, serait due à un déséquilibre entre protéines et lipides dans l'alimentation infantile. Paradoxe apparent : les protéines feraient grossir et les lipides maigrir. Explication : à la différence des lipides, les protéines augmentent les facteurs de croissance qui participent à la multiplication cellulaire. Ces facteurs de croissance stimulent la multiplication de toutes les cellules, y compris les précurseurs des adipocytes (cellules graisseuses). En revanche, les lipides mettent au repos cette multiplication cellulaire pendant les premières années de la vie. Or le lait maternel est très gras : il renferme environ 55% de lipides contre seulement 7% de protéines. Sa composition est donc parfaitement adaptée aux besoins des premiers mois (28).
Autre phénomène lié à la prise de poids : les bébés allaités régulent eux-mêmes la quantité de calories qu'ils absorbent. Quand la nourriture solide est introduite, leur réduction de consommation de lait semble être liée à l'appétit. Au contraire les bébés nourris au biberon perdent apparemment cette capacité à réguler leur consommation.
L'appendicite
Une équipe napolitaine a réalisé une étude (29) établissant que l'allaitement prolongé aurait un effet protecteur par rapport à l'appendicite. L'hypothèse la plus vraisemblable est que figureraient dans le lait maternel des antigènes auxquels s'accoutumerait l'enfant. Les enfants pas ou peu allaités souffriraient d'un défaut d'exposition de l'immunité qui serait à l'origine de la réaction inflammatoire aiguë de l'appendicite ultérieurement.
La sclérose en plaques
La même équipe (30) a également mis en évidence une corrélation entre un allaitement prolongé et un moindre risque de sclérose en plaques, en comparant les régimes alimentaires dans la petite enfance de 300 malades atteints de SEP, et d'autant de cas contrôles. Elle avance deux hypothèses. La première est que la composition en acides gras étant différente dans le lait de vache et dans le lait de femme, la structure membranaire des cellules nerveuses s'en ressentirait. La seconde concerne la stimulation de l'immunité de l'enfant par le lait de sa mère.
Le diabète
Deux études indépendantes (31) ont rapporté l'effet favorable de l'allaitement sur le risque de diabète insulino- et non insulinodépendant.
Pour le premier, l'effet passe par le rôle des protéines du lait de vache dans le déclenchement des processus auto-immuns. L'introduction de lait de vache avant l'âge de 3 à 4 mois augmente significativement le risque de diabète de 1,63. Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer cet impact : rôle de la sérumalbumine bovine, de la bêta-lacto-globuline ou de fragments de caséine.
Pour le diabète de type II (non insulinodépendant), la relation passe par la proportion de surpoids à l'âge adulte. L'étude, faite chez les Indiens Pima, a montré que la moindre prévalence de ce diabète chez les adultes qui avaient été allaités, s'explique par le fait qu'il y a significativement moins d'obèses dans ce groupe.
Les cancers
Depuis l'étude de M. Davis parue dans le Lancet en 1988 (32) et qui avait fait l'effet d'une bombe, les études se sont multipliées sur le lien entre allaitement et risque moindre de développer un cancer pendant l'enfance ou à l'âge adulte. Citons par exemple une étude (33) très récente qui montre que l'allaitement diminue le risque de développer un lymphome avant l'âge de 15 ans, et ce d'autant plus si l'allaitement a duré plus de 6 mois. Une des explications serait que les propriétés anti-infectieuses du lait maternel entraîneraient moins d'infections, qui ont été données comme cause possible de certains cas de lymphomes. D'autres études ont montré un risque réduit pour la maladie de Hodgkins et pour la leucémie.
Egalement, le risque de cancer du sein serait moindre chez les femmes ayant été allaitées (34).
Là comme dans l'allergie, le rôle préventif de l'allaitement n'a pu être reconnu qu'à partir du moment (avec l'étude de M. Davis) où l'on s'est intéressé aux allaitements de plus de 6 mois. Auparavant, avec des allaitements courts et/ou complémentés, on concluait à un intérêt nul...
Signalons que des chercheurs suédois (35) ont récemment découvert que le lait maternel peut tuer les cellules cancéreuses. C'est en étudiant la façon dont le lait maternel peut modifier la manière dont les bactéries adhèrent aux cellules cancéreuses, dans les cancers du poumon, qu'ils ont découvert que le lait maternel tuait les cellules dangereuses sans affecter les cellules saines. Analysant alors le lait maternel, ils ont découvert une protéine capable de détecter les cellules défectueuses, telles que celles responsables de tumeurs. On ne comprend pas encore comment la protéine arrive à distinguer les différentes cellules...
La maturation sexuelle
Des chercheurs israéliens ont récemment montré (36) qu'une neuro-hormone, la gonadotropin-releasing hormone (Gnrh), est synthétisée par le sein allaitant. Cette hormone aurait une influence sur le développement des organes sexuels du nourrisson, voire sur la mise en place du système cérébral commandant le comportement sexuel.
Le développement des mâchoires
La succion du sein entraîne un meilleur développement des muscles faciaux, des mâchoires, des dents et de l'élocution que la prise du biberon. Il est notoire que les enfants allaités ont moins besoin de traitements orthodontiques (37). On dit qu'un dentiste particulièrement compétent peut reconnaître à sa dentition si un adulte a été ou non allaité...
Quelques autres pistes
L'allaitement est connu pour ralentir l'évolution de la maladie coeliaque, une affection du système digestif (38). Il protègerait de la maladie de Crohn (39) et des colites ulcéreuses (40) à l'âge adulte, réduirait le risque de hernie inguinale (explication : les hormones du lait maternel, en particulier la gonadotropin-releasing hormone, faciliterait la fermeture du canal inguinal) (41), améliorerait la minéralisation osseuse (42) et la réponse aux vaccinations (43).
En guise de conclusion
Arrivés au terme de notre synthèse, on pourrait se poser la question : si tout cela est vrai, comment se fait-il que les bébés élevés au biberon arrivent à vivre et à grandir ?
N'oublions pas tout d'abord que dans beaucoup de pays, les bébés au biberon n'arrivent justement pas à survivre, emportés qu'il sont par la première diarrhée. Dans les pays riches, les conditions d'hygiène et le pouvoir d'achat leur évitent ce triste sort. Il n'en reste pas moins qu'une augmentation des taux d'allaitement se traduirait chez nous aussi par une baisse de la morbidité.
Le but à viser n'est plus seulement la survie, mais une vie meilleure, dans un état de santé meilleur, et ce dès la naissance. La qualité de vie n'est-elle pas diminuée si à 2 ans, on a déjà eu six rhino-pharyngites et quatre otites ? Ne vaudrait-il pas mieux les avoir évitées ?
Claude Didierjean-Jouveau
(1) Légende qui avait d'ailleurs été mal interprétée. En effet, ils n'auraient pas, après avoir été abandonnés, été allaités par une louve, mais plus simplement par une prostituée (le mot latin est le même : lupa, d'où vient le mot lupanar).
(2) "Li enfant n'ont mie fort digestive le premier an que ils puissent cure viandes ne le papa (...) lequel on leur fait maingier a force" (= l'enfant de moins d'un an n'a pas la capacité de digérer les nourritures et bouillies - papa ou papin - dont on le gave), in L'Enfant à l'ombre des cathédrales, de Danièle Alexandre-Bidon et Monique Closson, Ed. du CNRS.
(3) Au point que Villermé, médecin connu pour ses enquêtes sur la misère des classes laborieuses, proposa de faire graver sur la porte des hospices : "Ici, on fait mourir les enfants aux frais publics".
(4) C'est l'époque où, à tout propos, les médecins demandent aux femmes qui allaitent de "faire analyser" leur lait, pour leur asséner ensuite qu'il n'est "pas bon", que ce n'est "que de l'eau". Quand on sait que le "premier lait", en début de tétée, est précisément très aqueux, et que par définition, c'est ce "premier lait" qu'on analysait...
(5) Ces études sont très souvent financées par les fabricants de lait artificiel, dans le but de découvrir un nouveau composant du lait maternel qu'ils pourraient ajouter à leur produit pour "griller" la concurrence. Cela ne veut pas dire que leurs découvertes ne sont pas valables.
(6) Ce qui ne veut pas dire qu'allaiter un mois ne sert à rien ! En effet, pour certaines affections, même trois jours d'allaitement peuvent faire une différence.
(7) Voir : Fallot ME, Boyd JL, Oski FA, "Breastfeeding reduces incidence of hospital admissions for infections in infants", Pediatrics 65 : 1121-24, 1980. Et : Leventhal JM, Shapiro ED, Aten CB et al, "Does breastfeeding protect against infection in infants less than three months of age ?", Pediatrics 78 : 896-903, 1986.
(8) Duffy LC, Riepenhoff-Talty M, Ogra P et al, "Modulation of rotavirus enteritis during breasfeeding", Am J Dis Child 140 : 1164-68, 1986.
(9) Lucas A, Cole TJ, "Breasmilk and neonatal necrotising enterocolitis", Lancet 336 (8730) : 1519-23, 1990.
(10) Voir "L'Alimentation infantile. Bases physiologiques", supplément au Bulletin de l'OMS, 1989.
(11) Pour une description de ce cycle entéro-mammaire (et une très bonne synthèse sur les facteurs de protection contenus dans le lait maternel), voir l'article de Jack Newman, "L'allaitement maternel protège le nourrisson", Pour la science n°220, février 1996, pp. 46-51.
(12) Howie PW, Forsyth JS, Ogston SA et al, "Protective effect of breastfeeding against infection", Br Med J 300 (6716) : 11-16, 1990. Wright Al, Holberg CJ, Martinez FD et al, "Breastfeeding and lower respiratory tract illness in the first year of life", Br Med J 299 (6705) : 946-49, 1989. Pullan CR, Toms GL, Martin AJ et al, "Breastfeeding and respiratory syncytial virus infection", Br Med J 281 (6247) : 1034-36, 1980.
(13) Ford K, Labbok M, "Breastfeeding and child health in the United States", Journal of Biosocial Science, 25 : 187-194, 1993.
(14) Duncan B, Ey J, Holberg CJ, Wright Al, Martinez FD and Taussig LM, "Exclusive breastfeeding for at least 4 months protects against otitis media", Pediatrics 1993 ; 91 : 867-72.
(15) Saarinen UM, "Prolonged breastfeeding as prophylaxis for recurrent otitis media", Acta Paediatr Scand 71 : 567-71, 1982. Facione N, "Otitis media : an overview of acute and chronic disease", Nurse Practit 15 : 11-22, 1990.
(16) Heacock HJ et al, "Influence of breast versus formula milk on physiological gastroesophageal reflux in healthy newborn infants", J Pediatr Gastroenterol Nutr 1992 ; 14 : 41-46.
(17) Giovanni V, Coppa et al, "Preliminary study of breastfeeding and bacterial adhesion to uroepithelial cells", Lancet 1990 ; 335 : 569-71.
(18) Mitchell EA, Scragg R, Stewart AW et al, "Results from the first year of the New Zealand cot death study", N Z Med J 1991 ; 104 : 71-76.
(19) "Human immunodeficiency virus type 1 infection and breast milk. The Italian Register for HIV infection", Children Acta Paediatr 1994 ; suppl 400 : 51-8.
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(22) H Blair, "Natural history of childhood asthma", Arch Dis Child 1977; 52 : 613-19.
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(26) Caren Lanting et coll, Lancet, 1994.
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(28) Quotidien du Médecin, 6 nov. 1995.
(29) A Pisacane et coll, "Breastfeeding and acute appendicitis", Br Med J 1995 ; 310 : 836-37.
(30) A Pisacane et coll, Br Med J 1993 ; 308 : 1411-12.
(31) Communications de Akerblom (Finlande) et de Pettitt (Etats-Unis), 55th Annual Meeting and Scientific Sessions ADA, Atlanta, 1995.
(32) Davis M K, Savitz D A, Graubard B I, "Infant feeding and childhood cancer", Lancet, 13 août 1988.
(33) Shu X O, Clemens J, Zheng W et al, "Infant breastfeeding and the risk of childhood lymphoma and leukaemia", Int J Epidemiol 1995 ; 24 : 27-32.
(34) Freudenheim JL et al, "Exposure to breastmilk in infancy and the risk of breast cancer", Epidemiology 1994 ; 5 : 324-31.
(35) Hakansson A et al, "Apoptosis induced by a human milk protein", Proceedings of the National Academy of Sciences USA, Aug 1995, 92, 8064-8068.
(36) Impact Médecin, 31 mai 1994.
(37) Labbok MH and Hendershot GE, "Does breastfeeding protect against malocclusion ? An analysis of the 1981 Child Health Supplement to the National Health Interview Survey", Am J Prev Med 1987 ; 3 : 4.
(38) Greco L et al, "Case-controlled study on nutritional risk factors in celiac disease", J Pediatr Gastroenterol Nutr 1988 ; 7 : 395-99.
(39) Koletzko S et al, "Role of infant feeding practices in development of Crohn's disease in childhood", Br Med J 1989 ; 298 : 1617-18.
(40) Whorwell PJ et al, "Bottlefeeding, early gastroenteritis and inflammatory bowel disease", Br Med J 1979 ; 1 : 382.
(41) Pisacane A, deLuca U, Vaccaro F et al, "Breastfeeding and inguinal hernia", J Pediatr 1995 ; 127 : 109-11.
(42) Hirota, Am J Clin Nutr 1992; 55 : 1168-73.
(43) Hahn-Zoric M et al, "Antibody responses to parenteral and oral vaccines are impaired by conventional and low protein formulas as compared to breastfeeding", Acta Paediatr Scand 1990 ; 79 : 1137-1142.
Pabst HE, Spady DW, "Effect of breastfeeding on antibody response to conjugate vaccine", Lancet, Aug 4, 1990, p. 269-70.
Peut être reproduit, imprimé ou diffusé à condition de mentionner la provenance de cet article.
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Je tiens juste à partager mon expérience. Maman allaitante exclusive jusqu'au 9 mois de ma petite fille et 10 mois et demi en mixte. Elle est enrhumée depuis ces 4 mois et a déjà subi la pose d'aerateurs suite à une otite chronique (qui dure depuis 5 mois)
Elle ne mange que du fait maison à la vapeur depuis la diversification à 6 mois.
Et elle a souffert de rgo jusqu'à 9 mois.
L'allaitement protège mais n'est parfois pas miraculeux sur le système immunitaire de bébé.
Bonjour,
Cet article et surtout cette conclusion me gênent profondément !!!
J’allaite toujours mon bébé de 4 mois et demi avec en complément 1 biberon par jour depuis ses 2 mois, pour que je puisse me reposer, car les tétées sont très fréquentes y compris la nuit.
Le parcours de l allaitement a été douloureux, j ai voulu arrêté des dizaines de fois, mais je m accrochais à l idée que je donnais le meilleur à mon bébé. Et en lisant cet article, je comprends que ce que j ai fait n est toujours pas assez bien (car moins de 6 mois) et que finalement ça ne sert pas à grand chose car j alterne avec du lait maternisé !
Je reste perplexe ! Je trouve que cet article est très moralisateur et fait énormément culpabiliser sur le fait de donner du lait infantile à son bébé ! On parle de morts nombreuses ....
Et pourtant je constate que dans mon entourage, je fais partie des rares mamans à avoir allaité ...
De plus, j ai été moi même allaitée exclusivement jusqu à l âge de 9 mois et je peux vous dire que j ai eu des otites à répétion, encore aujourd hui à 33 ans et j ai souffert d exéma dès mon plus jeune âge !
Autant il est bon de vous lire pour y trouver la force de continuer à allaiter, autant il est décevant de ressentir de la culpabilité et de la peur que son bébé attrape toute sorte de maladie ou retard parce qu il n a pas été allaité assez longtemps !
C'est exact ! Allez voir ici :
http://www.lllfrance.org/vous-informer/votre-allaitement/benefices-de-l-allaitement/1766-notice-d-utilisation-du-lait-maternel
Bonjour,
merci pour cet article fort interessant!
J'ai entendu dire que l'on pouvait mettre du lait maternel dans les yeux pour des conjnctivites, dans le nez pour les rhumes et dans les oreilles pour les otites!!!
Qu'en pensez vous?
MERCI
GRAND merci DR!!!!!!!!!!!!!!.
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