Ce dossier a été publié dans Allaiter aujourd'hui n° 43, LLL France, 2000
On sait combien il est parfois difficile de considérer le bébé comme une personne, d'être à l'écoute de ses besoins, de respecter ses rythmes. Tout, dans la société autour de nous, dans notre entourage proche, dans notre propre éducation..., nous pousse au contraire à le dresser, à considérer l'expression de ses besoins comme des caprices visant à nous manipuler, à exiger qu'il fasse tout (ne plus se réveiller la nuit, marcher, être propre, etc.) le plus tôt possible.
Cela ne fait bien sûr que croître et embellir à mesure que le bébé grandit, devient bambin, petit enfant, enfant, adolescent... Partout on n'entend parler que de règles, de limites, de "bonnes fessées" qui lui remettraient "les idées en place", de "claques qui se perdent", etc.
Dans ce domaine, la France ne fait pas figure d'exception. C'est ainsi que d'après un sondage récent, 88 % des Britanniques revendiquent le droit de donner des raclées à leurs enfants (1).
Inutilité et nocivité des coups
Pourtant, les études ne manquent pas qui montrent l'inutilité des châtiments corporels. Par exemple, une méta-analyse qui a recensé 166 articles médicaux conclut que les analyses prospectives ou rétrospectives ne trouvent aucun résultat positif à leur utilisation (2).
D'autres études ont montré la relation entre la fréquence des punitions corporelles et les comportements antisociaux des jeunes, le nombre d'accidents subis dans l'enfance et l'adolescence (3), l'agressivité, les troubles du comportement, les capacités intellectuelles diminuées, etc. (4)
Bien sûr, des coups brutaux auront des séquelles plus graves, mais même les violences que l'on dit "légères" (claques, fessées...), si elles sont répétées et érigées en outil "éducatif", peuvent engendrer ce genre de conséquences.
L'enfant dont les erreurs sont sanctionnées par des coups vit dans la peur d'être frappé et n'ose entreprendre quoi que ce soit de difficile de crainte de déclencher la punition.
Il apprend que la violence est la "solution" en cas de désaccord, et n'hésitera pas à l'utiliser à son tour quand il sera en position de force.
Sur le plan physiologique, les punitions corporelles répétées "cassent les mécanismes naturels d'adaptation aux situations dangereuses que sont la fuite ou la protection de soi, puisque devant les coups parentaux on ne peut ni fuir ni se protéger. S'il a brutalement à faire face à une situation dangereuse, l'enfant risque de se trouver en état d'inhibition, de sidération, qui le rendra incapable de se protéger efficacement" (4), d'où le plus grand nombre d'accidents chez les enfants battus.
La violence, ce n'est pas que les coups
La violence, c'est aussi la maltraitance psychologique : violence verbale, humiliations, dévalorisation, etc.
C'est aussi la "camisole chimique". Une récente étude, publiée dans le Journal of the American Medical Association, révèle qu'aux États-Unis, des enfants de 2 à 3 ans, normalement agités pour cet âge, sont diagnostiqués comme étant atteints d'ADHD (Attention Deficit and Hyperactivity Disorder) et traités en conséquence : le nombre d'enfants de 2 à 4 ans traités à la Ritaline a triplé entre 1991 et 1995, le nombre de ceux qui reçoivent des anti-dépresseurs a doublé.
Faut-il punir ?
Pour certains, ce ne sont pas seulement les punitions corporelles qui sont à proscrire, mais toute punition qui renvoie à l'arbitraire (de chaque famille) et non à la loi (de la société), et qui systématiquement s'attaque au plaisir de vivre (privation de dessert, de télé, de sorties, etc.).
Ne pas faire usage de la punition ne signifie pas qu'on ne demande pas réparation en cas de bêtise, ni qu'on ne met aucune limite. Mais l'on peut, en cas de transgression, rappeler la limite (quitte à la renégocier) sans nécessairement passer à la punition (5).
De toute façon, ces fameuses "limites" ne sont bien souvent que les propres limites de tolérance des parents. Et pour amener l'enfant à les respecter, toutes sortes de négociations peuvent être engagées avec lui, en fonction de son âge.
Comment faire autrement ?
La première chose est sûrement de bien s'informer sur le développement psycho-moteur de l'enfant et donc sur ses possibilités réelles à tel ou tel âge. Par exemple, si l'on sait qu'un enfant n'est pas capable de maîtriser ses sphincters avant 2 ans en moyenne, on sera moins tenté d'exiger de lui qu'il soit propre à 18 mois et de le punir s'il fait pipi par terre ou dans sa culotte.
De même, si l'on sait qu'un petit enfant est incapable de comprendre que son exploration du magnétoscope risque de le casser, au lieu de lui taper sur la main chaque fois qu'il s'en approche (ce qui relève du dressage d'un animal), on l'installera hors de sa portée.
On peut aussi s'efforcer d'être soi-même un bon modèle de communication, apprendre à identifier et gérer les conflits, apprendre à négocier, comme ce devrait être la règle dans une société démocratique.
Et surtout, ne pas oublier la tendresse. Comme le dit la brochure d'Eduquer sans frapper : "La tendresse est la dimension émotionnelle qui permet de compenser les duretés de la vie. Elle n'est pas antinomique d'organisation, de repères, de fermeté : être tendre, c'est être ni dur ni mou !"
Laissons le mot de la fin à Alexander Lowen : "Chaque fois qu'un enfant s'estime frustré d'un plaisir, il se bat pour le conquérir. Ceci peut donner lieu très facilement à un conflit avec les parents. L'enjeu se tranforme vite, et l'on en arrive à une lutte pour le pouvoir. Les parents, estimant que leur droit à contrôler la situation est mis au défi, n'hésitent pas à se servir de leur puissance supérieure pour imposer de force leur volonté. Pour amener l'enfant à se soumettre, ils peuvent avoir recours à la punition ou bien utiliser la menace de retirer leur amour. Cet événement est le coup d'envoi d'une lutte pour le pouvoir entre parents et enfants. Elle peut se prolonger de façon intermittente pendant des années. Dans cette lutte, les enfants sont toujours perdants puisqu'ils dépendent de leurs parents. Mais en fin de compte les parents aussi sont perdants. Ils perdent l'affection profonde et l'amour qui ne peuvent s'épanouir que dans les joies et les plaisirs partagés" (Le Plaisir, Ed. Sand, collection Le corps à vivre).
Claude Didierjean-Jouveau
(1) Après modification d'une loi datant de 1860, ces raclées devront désormais être données "dans un cadre aimant et affectueux" (sic) et sans utilisation d'un instrument pouvant blesser à la tête, aux oreilles ou aux yeux ! Cela laisse pas mal de parties du corps à massacrer...
(2) Pediatrics, vol. 98, octobre 1996.
(3) Jacqueline Cornet, Faut-il battre les enfants ?, Hommes et perspectives, 1997.
(4) On trouvera de nombreuses références dans la brochure de l'association Eduquer sans frapper.
(5) Sur ce sujet, voir la conférence de Bernard Lempert, La punition.
Bébés : ne pas secouer
En 2000, une remarquable émission de télévision (Il n'y a pas de bonne fessée, France 2, 4 mars 2000) a alerté sur un danger encore trop peu connu en France : celui qu'il y a à secouer les bébés.
Tableau typique : le parent exaspéré par les cris du bébé le secoue à bout de bras pour tenter de le faire taire.
Le neuro-chirurgien de l'hôpital Necker qui était interviewé a très bien expliqué que ce geste fait balloter la tête du bébé, cisaille les vaisseaux du cerveau, créant des hémorragies cérébrales plus ou moins importantes, avec des conséquences pouvant être gravissimes (5 % de morts, des hémiplégies, des épilepsies et autres dommages cérébraux irréversibles).
Éduquer sans frapper
Créée sous la présidence d'honneur d'Alice Miller et regroupant des travailleurs sociaux, des psychologues, des avocats et des médecins, l'association "Eduquer sans frapper" s'est fixé comme objectif "d'agir en vue de l'interdiction légale de toute forme de châtiment corporel envers les enfants, y compris du fait des parents".
Certains mettent en doute le bien-fondé et l'utilité d'une telle loi. En fait, le but serait de faire évoluer les mentalités en l'accompagnant d'une large information de la population.
C'est ce qui s'est produit dans tous les pays (Suède, Danemark, Autriche...) où existent des lois semblables. En Suède par exemple, quand la loi interdisant les châtiments corporels des enfants a été promulguée en 1977, 70 % des citoyens y étaient opposés. En 1997, ils n'étaient plus que 10 %. En vingt ans, les mentalités s'étaient transformées.
L'association a publié une brochure très complète sur le sujet, avec un historique, les arguments des pour et des contre, des références scientifiques.
L'association est depuis devenue Ni claques ni fessées.
Depuis l'écriture de cet article, une loi a enfin été votée en 2019 (loi n° 2019-721 du 10 juillet 2019 relative à l'interdiction des violences éducatives ordinaires).
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