Le Docteur Pascal, 1893
Elle se décida à lui redonner le sein. Déjà l'enfant sentait, se soulevait, tâtonnait des lèvres. Quand elle lui eut posé la bouche, il eut un petit grondement de satisfaction, il se rua tout en elle, avec le bel appétit vorace d'un monsieur qui voulait vivre. Il tétait à pleines gencives, avidement. D'abord, de sa petite main libre, il avait saisi le sein à poignée, comme pour le marquer de sa possession, le défendre et le garder. Puis, dans la joie du ruissellement tiède dont il avait plein la gorge, il s'était mis à lever son petit bras en l'air, tout droit, ainsi qu'un drapeau. Et Clotilde gardait son inconscient sourire, à le voir, si vigoureux, se nourrir d'elle. Les premières semaines, elle avait beaucoup souffert d'une crevasse ; maintenant encore, le sein restait sensible ; mais elle souriait quand même, de cet air paisible des mères, heureuses de donner leur lait, comme elles donneraient leur sang (…) Sa pensée flottait, allait à une douceur divine, tandis qu'elle sentait le meilleur d'elle-même, ce lait pur, couler à petit bruit, faire de plus en plus sien le cher être sorti de son flanc (…) Elle la mère, pendant qu'il buvait sa vie, rêvait déjà d'avenir. Que serait-il, quand elle l'aurait fait grand et fort, en se donnant toute ? (…) Mais l'enfant avait épuisé le sein droit ; et comme il se fâchait, elle le retourna, lui donna le sein gauche. Puis elle se remit à sourire, sous la caresse des petites gencives gloutonnes. Quand même, elle était l'espérance. Une mère qui allaite, n'est-ce pas l'image du monde continué et sauvé ? Elle s'était penchée, elle avait rencontré ses yeux limpides, qui s'ouvraient ravis, désireux de la lumière. Que disait-il, le petit être, pour qu'elle sentit battre son cœur, sous le sein qu'il épuisait ? Quelle bonne parole annonçait-il, avec la légère succion de sa bouche ? À quelle cause donnerait-il son sang, lorsqu'il serait un homme, fort de tout ce lait bu ? (…) Et dans le silence tiède, dans la paix solitaire de la salle de travail, Clotilde souriait à l'enfant qui tétait toujours, son petit bras en l'air, tout droit, dressé comme un drapeau d'appel à la vie;
Fécondité, 1899
D'un geste simple et tranquille, Marianne dégrafa largement son corsage ; elle sortait le sein blanc, d'une douceur de soie, dont le lait gonflait la pointe rose ; telle que le bouton d'où naîtrait la fleur de vie. Et elle fit cela sous le soleil qui la baignait d'or, en face de la vaste campagne qui la voyait, sans la honte, ni même l'inquiétude d'être nue ; car la terre était nue, les plantes et les arbres étaient nus, ruisselants de sève. La mère sentait autour d'elle cette source qui jaillissait. Ce n'était pas seulement elle qui nourrissait, les sucs printaniers gonflaient les sillons, faisaient pousser les arbres et l'herbe où elle était assise. Elle sentait également cette sève montant en elle, qui lui donnait le lait qui s'écoulait de sa poitrine. C'était un véritable flux de lait, le flux vital qui fait pousser de nouvelles semences.
Publié dans Anthologie de l'allaitement maternel, Claude Didierjean-Jouveau

Émile Zola (1840-1902)
Extraits de "Le Docteur Pascal", 1893, et "Fécondité", 1899
De la culture à la Culture de notre condition humaine à notre nature. Elle est nue comme les arbres et les fleurs. Merci EMILE.
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