Ce médecin écrivait notamment : "Le premier conseil très discutable est celui du "cododo". Le deuxième est celui de la fréquence d'allaitements sans limite ni espacement minimum, totalement déterminée par les exigences de bébé, sans aucune frustration possible... Et moi, je ramasse à la pelle des mamans trop gentilles, épuisées, qui ne dorment plus, qui n'ont plus aucun espace de vie personnel ou de couple en dehors des 100 % de leur temps consacrés à leur cher bambin, car elles se culpabilisent au moindre pleur de bébé en voulant suivre vos recommandations, jusqu'au burnout par manque de sommeil. Dans certains cas, elles se découvrent des envies de rejet qui les culpabilisent énormément jusqu'au risque de bébé secoué. Il est donc fondamental d'inclure dans votre site quelques éléments qui permettent aux parents de vivre aussi en dehors de bébé."
Le Dr Carlos González, qui est membre de notre Comité scientifique, a tenu à lui répondre longuement. C'est sa réponse que nous publions ci-dessous.
Cher collègue
Tout d'abord, merci beaucoup pour votre soutien aux mères qui allaitent et votre intérêt à faciliter leur repos et à réduire le risque d'abus envers les enfants.
Vous devez comprendre que La Leche League est une association créée par et pour les mères. Elles n'essaient pas de suivre les conseils de médecins, de psychologues ou d'éducateurs, mais parlent de leur expérience personnelle. Aux débuts de l’association, en fait, leurs idées se sont heurtées à de nombreuses pratiques médicales communément acceptées... mais dans l’ensemble, la science médicale a fini par être d'accord avec elles.
Ce serait génial, bien sûr, que les enfants ne pleurent pas. Mais ils pleurent. Le but de tous les parents est qu’ils pleurent le moins possible. La plupart des parents souhaitent que leurs enfants ne pleurent pas, parce qu'ils les aiment et qu'ils veulent leur épargner toute souffrance. Même les quelques parents qui rejettent, ignorent ou méprisent leurs enfants préfèrent que ceux-ci ne pleurent pas. Les pleurs d'un enfant sont un son très désagréable, spécialement conçu pour provoquer une réaction chez les adultes (ou, si vous préférez, les adultes sont spécialement programmés pour répondre aux pleurs des enfants).
La plupart des parents découvrent rapidement que les méthodes les plus efficaces pour calmer les pleurs d'un bébé sont souvent de le prendre dans les bras, le bercer, le caresser ou l’allaiter. Malheureusement, il y a quelques décennies, tout cela était "interdit". On conseillait aux mères d'allaiter exactement 10 minutes de chaque côté, toutes les trois heures, et de ne pas prendre le bébé dans les bras, car il deviendrait un pleurnichard pourri gâté.
En tant que père, j’ai vécu cette époque et j’ai reçu ces conseils. J'ai vécu la tyrannie de devoir prêter plus d'attention à l'horloge qu'à mon propre fils, de devoir écouter ses cris sans pouvoir rien y faire. Ce fut donc une grande libération personnelle de connaître La Leche League, de lire ses livres et de savoir que nous étions "autorisés" à faire ce que nous pensions bon pour calmer les pleurs de notre fils et nous reposer, enfin, dans le calme.
La plupart des parents sont d’accord pour dire que le fait de tenir, d'allaiter, de bercer ou de marcher avec les bébés est très efficace pour les calmer, sachant aussi que l'allaitement apaisant est associé à une plus longue durée d'allaitement :
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/17661591
Au Canada, Barr et Elias, dans une étude observationnelle qui a comparé des mères de La Leche League à d'autres mères de la population générale, ont constaté que les bébés de La Leche League pleuraient, à 2 et 4 mois, moitié moins que les autres :
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/3353185
Hunziker et Barr avaient déjà montré que conseiller de porter un bébé dans ses bras pendant au moins trois heures par jour dès la naissance diminuait les coliques du nourrisson :
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/3517799
Taubman, dans une étude randomisée contrôlée, a montré que les coliques infantiles peuvent être traitées en répondant systématiquement aux besoins du bébé en pleurs :
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/6390331
La méta-analyse approfondie de Douglas et Hill a montré que diverses interventions comportementales visant à "enseigner" le sommeil aux bébés n'amélioraient pas les résultats, ni pour la mère ni pour le bébé :
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24042081
En dépit d'investissements substantiels au cours des dernières années dans la mise en œuvre et l'évaluation d'interventions comportementales pour le sommeil des nourrissons au cours des six premiers mois, il n'a pas été démontré que ces stratégies diminuent les pleurs des nourrissons, préviennent les troubles du sommeil et du comportement chez les enfants plus âgés ou protègent contre la dépression postnatale. De plus, les interventions comportementales pour le sommeil des nourrissons, appliquées comme stratégie de prévention en population dès les premières semaines et les premiers mois, risquent d'entraîner des résultats imprévus, y compris une augmentation du nombre de pleurs, l'arrêt prématuré de l'allaitement, une aggravation de l'anxiété maternelle et, si l'enfant doit dormir le jour ou la nuit dans une pièce séparée du parent, un risque accru de MSN (Ndlr : le terme employé aujourd'hui est MIN, mort inattendue du nourrisson).
James-Roberts et ses collègues ont comparé trois groupes de parents : la population générale de Londres, un groupe qui pratiquait le "parentage de proximité", maintenait le contact avec le bébé 15 ou 16 heures par jour et dormait habituellement avec lui, et la population générale de Copenhague, ayant des pratiques intermédiaires. Les résultats confirment les préoccupations de certains experts selon lesquelles de nombreux parents anglais adoptent des méthodes de soins qui entraînent une augmentation des pleurs chez leurs nourrissons :
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/16740816
Aux États-Unis, Kendall-Tackett a constaté que "les femmes qui allaitaient déclaraient dormir beaucoup plus longtemps, avoir une meilleure santé physique, plus d'énergie et un taux de dépression plus faible que les mères qui donnaient des PPN ou faisaient un allaitement mixte" :
http://www.uppitysciencechick.com/kendall-tackett_CL_2-2.pdf
Quant à l'allaitement à la demande, c'est la recommandation de toutes les autorités académiques depuis des décennies. C'est un point fondamental de l'Initiative Hôpitaux amis des bébés (IHAB) de l'UNICEF :
https://www.who.int/nutrition/topics/bfhi/en/
Une étude prospective randomisée a montré que l'IHAB augmente non seulement la durée de l'allaitement, mais améliore aussi le développement cognitif :
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/11242425
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/18458209
Iacovou et Sevilla, en Angleterre, ont constaté que "les mères qui nourrissaient selon un horaire strict obtenaient de meilleurs résultats pour toutes les mesures de bien-être sauf pour la dépression. Cependant, les bébés nourris selon un horaire strict obtenaient de moins bons résultats que ceux qui avaient été nourris à la demande. Après avoir pris en compte un large éventail de facteurs de confusion, ils ont obtenu environ 17 % d'un écart-type inférieur à celui des bébés nourris à la demande dans les tests normalisés à tous les âges, et 4 points de moins dans les tests de QI à l'âge de 8 ans".
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/22420982
D'autre part, les enfants qui sont allaités à la demande tendent à téter environ 10 à 12 fois par 24 heures. Bien que, dans les débuts, ils peuvent prendre 15 à 20 minutes pour téter, à 3 mois, ils téteront en moins de 10 minutes, et souvent en moins de 5. Les tétées sont indolores et le bébé prend le sein tout seul.
Si le bébé tète très fréquemment et très longtemps, parfois même en continu, sans lâcher spontanément le sein, c’est souvent parce qu'il ne tète pas bien. Généralement à cause d'une mauvaise position, d'un frein de langue ou d'une combinaison des deux problèmes. Dans ce cas, on observe aussi généralement des douleurs aux mamelons de la mère et un faible gain de poids du bébé (bien qu’il arrive que la prise de poids soit normale, voire excessive, si le bébé, incapable d'obtenir le lait riche en graisses, ne se sent pas rassasié et finit par consommer plus de calories que nécessaire).
Certains pensent que "allaiter à la demande" signifie "tout est normal". Ce n'est pas le cas. Toutes les fonctions corporelles sont "à la demande" : chaque personne a spontanément sa fréquence cardiaque et respiratoire, sa tension artérielle, son volume de diurèse. Personne ne demande à un médecin, ou ne cherche dans un livre, pour savoir combien de fois par minute il doit respirer. Mais tout n'est pas nécessairement normal pour autant : bradycardie et tachycardie, tachypnée, hypotension... Ce qu'un médecin ne peut pas faire, c'est dire au patient : "Votre cœur bat à 150 par minute, c'est trop rapide, vous devez le réduire à 70." Parce qu'une personne ne peut pas contrôler son rythme cardiaque à volonté. Le médecin doit diagnostiquer la cause du problème et recommander le traitement approprié, afin que la fréquence cardiaque se normalise. De même, lorsqu'un bébé est accroché au sein toute la journée et que la mère est épuisée et a mal aux mamelons, il ne sert à rien de lui dire : "Donnez-lui au maximum 12 minutes toutes les deux heures et demie ou trois heures." Ce qu’il faut, c’est diagnostiquer le problème et le résoudre (généralement en améliorant la position du bébé au sein et en coupant le frein de la langue s'il y en a un).
C'est vrai, le bébé aura des frustrations. Nous les aurons tous. La vie est dure. Je pense que ma mission en tant que parent est d'essayer de réduire les frustrations de mes enfants, pas de les provoquer. En supposant que la frustration soit nécessaire au bonheur d'un enfant (ce dont je doute), je pense que, malgré tous mes efforts, mes enfants ont eu trop de frustrations. Je ne vois pas la nécessité de les augmenter.
Les parents ont-ils le droit de dormir ? C'est une idée surprenante. En tant que médecin, j'ai passé de nombreuses nuits blanches (et aucune intimité avec ma femme) à être de garde dans un hôpital. Il ne m'est jamais venu à l'esprit que je pouvais arrêter de voir un patient parce que j'avais le "droit de dormir". Si je n'ai jamais refusé de voir un étranger qui réclamait mon attention au milieu de la nuit, comment pourrais-je le refuser à mes propres enfants ?
J'ai bien peur que vous ne vous retrouviez avec une contradiction. Vous demandez d'arrêter d'idéaliser le bébé, alors que, peu de temps avant, vous disiez que le bébé est "très intelligent". N'êtes-vous pas en train de l'idéaliser ? Très intelligent, quand vous ne pouvez ni parler, ni vous asseoir, ni même imaginer où est votre mère quand vous ne la voyez pas ? Je vois plutôt le bébé comme un être fragile et confus qui a besoin de la supervision continue de ses parents. Et bien sûr, je fixe des limites : je ne le laisse pas pleurer.
Quant à "l'intimité" (que j'imagine comme un euphémisme pour "sexe"), c'est parfaitement possible avec un ou même deux enfants dans le lit. L'existence de ma troisième fille en est la meilleure preuve ! Comme disent les Anglais, "when there is a will, there is a way" (quand il y a une volonté, il y a un moyen). La journée a de nombreuses heures, la maison a de nombreuses pièces, et les bébés, quand ils finissent par s’endormir, ont tendance à dormir très profondément (pour une courte période). À ce moment-là, on peut les sortir du lit, et les garder près de soi et les surveiller permet de céder plus facilement à l'"intimité". Par contre, si un enfant de deux ou trois ans dort dans une autre pièce, on ne peut pas savoir s'il dort profondément ou non, et on s'expose à ce qu’il ouvre la porte et entre à tout moment. En tout état de cause, il est clair que l'"intimité" de parents qui ont de jeunes enfants doit nécessairement être "très intime". Une sorte d'intimité renforcée.
Je suis maintenant grand-père. Mes enfants, loin d'être des "tyrans", ont tous quitté la maison. Certains sont très loin d'ici. Mon plus grand plaisir est qu’ils m’appellent. Je suis content de ne pas leur avoir appris qu'ils ne devaient pas m'appeler.
Cordialement,
Carlos González
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Serre-moi fort, comment élever vos enfants avec amour

auteur : Dr Carloz González Après nous avoir convaincu de lâcher prise sur ce que mangent nos enfants dans son splendide ouvrage " Mon Enfant ne mange pas" (La ligue La Leche), ce sont les préjugés et les attentes irréalistes concernant l’éducation .
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Bravo...tout simplement. Je suis très émue par cette réponse que je trouve magnifique, à un médecin qui a pourtant l'air d'être dans le haut du panier par rapport à ce que j'ai pu voir... encore merci de faire évoluer notre société ! J'espère que dans quelques temps toutes ces inepties ne feront même plus débat!
Bonjour,
Merci pour cette belle réponse et pour cette mise au point.
Je n'ai pas vu en détail les propos de ce médecin mais de ce que j'en ressens c'est qu'il vous, et nous par extension, culpabilise de "trop" écouter notre bébé ? Non mais c'est quoi ces conneries !
Je pense justement que si tant de chose vont de travers avec les enfants aujourd'hui c'est parce qu'on ne les écoute pas assez, on cherche notre satisfaction, notre confort à nous mais pas à répondre à leurs besoins.
Merci d'oeuvrer pour informer des bienfaits de l'allaitement auprès des professionnels. Il y a tant de "conseils ou questions" qui peuvent nous déstabiliser en tant que parents. Et cela peut nous empêcher d'écouter nos intuitions qui sont souvent pourtant les réponses appropriées au bien être de nous même et nos enfants.
Merci pour toute cette magnifique réponse. :)
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