Publié dans le numéro Hors série des Dossiers de l'Allaitement consacré à la JIA 2005
Kerstin Hedberg Nyqvist.
6ème Journée Internationale de l’Allaitement. Paris, 18 mars 2005.
Tout d’abord, je souhaite me présenter. Je suis infirmière pédiatrique, et je travaille dans le domaine de la néonatalogie depuis 20 ans. J’ai un diplôme de pédiatrie, et je suis aussi consultante en lactation IBCLC. Je travaille en tant que professeur assistant en soins pédiatriques au Département de la Santé des Femmes et des Enfants à l’Université d’Uppsala (Suède).
Je consacre aussi environ un tiers de mon temps à un travail clinique au sein de l’unité de néonatalogie de l’hôpital pédiatrique de l’Université d’Uppsala, et je m’intéresse tout particulièrement aux soins qui favorisent le développement de l’enfant, au soutien à l’allaitement, aux pratiques d’alimentation, et à la mise en œuvre de recherches.
En premier lieu, je souhaite souligner les avantages spécifiques du lait maternel et de l’allaitement pour les prématurés et les enfants malades. Chez les prématurés, le lait maternel a un impact positif sur la maturation du tractus digestif. Les nutriments du lait maternel sont facilement absorbés. Il a d’innombrables effets sur le développement d’une fonction immunologique optimale. Pour les enfants hospitalisés en néonatalogie, cela signifie un risque plus bas de septicémie et d’entérocolite ulcéronécrosante, une pathologie intestinale inflammatoire potentiellement mortelle. De plus, nous savons maintenant qu’il favorise la maturation du cerveau, qu’il abaisse le risque de problèmes au niveau de la fonction visuelle, et qu’il favorise le développement psychomoteur. D’après une méta-analyse pour laquelle les données étaient corrigées pour les facteurs socio-démographiques concluait que les enfants de petit poids de naissance nourris au lait humain avaient un QI supérieur d’environ 5 points à celui des enfants qui n’avaient pas reçu de lait humain.
Pendant environ un mois après la naissance, la composition du lait des mères qui ont accouché prématurément est différente de celle du lait produit par les mères qui ont accouché à terme ; leur lait a un taux plus élevé de protéines, d’acides gras, de sodium, de chlore, et d’oligo-éléments tels que le fer, le zinc et le magnésium, nutriments nécessaires pour des apports énergétiques élevés et une croissance rapide, et il contient moins d’hydrates de carbone. Ceci convient aux prématurés dans la mesure où leur intestin immature a une capacité réduite d’absorption des glucides pendant les premières semaines de vie.
Pour les enfants malades, prématurés ou nés à terme, le lait maternel a aussi des avantages spécifiques. Là aussi, ses nutriments sont facilement absorbés, ce qui est, par exemple, particulièrement important pour les enfants qui doivent subir une chirurgie gastro-intestinale, et il améliore la fonction immunitaire. Mais – et c’est tout aussi important – il minimise l’impact sur l’enfant de la rupture de son expérience post-natale naturelle, qui inclut normalement l’allaitement.
Et, bien sûr, l’allaitement présente aussi des avantages spécifiques pour les mères des enfants prématurés et malades. Interrogées au sujet de l’allaitement, des mères suédoises d’enfants prématurés ont mis en avant trois idées principales : c’est une manifestation importante des capacités vitales de l’enfant ; c’est un pas important vers le retour à la normalité ; et cela permet à la mère à se sentir importante en tant que mère. C’est une chose importante, qu’elle seule peut faire.
Alors, comment pouvons-nous aider les mères et les bébés pour que l’allaitement soit une réussite ?
D’abord et avant tout, il faut permettre à la mère de lancer sa lactation en tirant son lait. Les études sur le sujet ont montré qu’il était important que la mère commence aussi rapidement que possible à tirer son lait (de préférence dans les heures qui suivent la naissance). Cela pourra être plus facile d’exprimer le colostrum à la main, mais la mère a aussi besoin d’un tire-lait (manuel ou électrique). Elle peut être encouragée à tirer son lait huit fois par 24 heures ou plus, y compris la nuit. Le double pompage prend deux fois moins de temps, ce qui pourra aider la mère à produire plus de lait. L’expérience montre qu’un massage doux des seins est souvent efficace.
Par conséquent, il y a de nombreux avantages bien identifiés à nourrir les prématurés et les bébés malades avec du lait maternel, et les connaissances actuelles en physiologie de la lactation montrent qu’il est possible de réussir à allaiter ces enfants. Mais il est également évident que, dans les pays industrialisés, l’incidence de l’allaitement est plus basse chez les prématurés, et que la durée de ces allaitements est plus courte. Pourquoi ?
On a souvement mis des limitations pour commencer les mises au sein chez les bébés prématurés, en fonction de critères tels que : un niveau minimal de maturation, comme 32 ou 34 semaines, ou un poids minimal, ou les capacités de déglutition, ou une succion vigoureuse sur une sucette ou sur le doigt d’un soignant, ou une coordination par l’enfant de la succion, de la déglutition et de la respiration qui soit similaire à celle observée chez l’enfant à terme.
L’une des raisons pour ces restrictions a été la conviction que l’allaitement présentait des risques. Cette conviction se fondait sur les observations de bébés prenant leur biberon. Quand un bébé prématuré prend un biberon, il rencontre de sérieux problèmes avec sa respiration. On a donc supposé que les mêmes difficultés se présenteraient pendant les mises au sein. Cependant, de nombreuses études sur des enfants de très petit et d’extrêmement petit poids de naissance ont montré qu’au sein ces enfants étaient stables physiologiquement. Mais quand ces mêmes enfants recevaient un biberon, leur respiration devenait irrégulière, avec des pauses respiratoires, une baisse du taux de saturation en oxygène, et des épisodes de ralentissement important du rythme cardiaque (bradycardie).
Comment est-ce possible ? Regardons de plus près l’expérience d’un bébé prématuré. Dans l’utérus, le fœtus acquiert très tôt de nombreuses compétences. Entre 10 et 13 semaines d’âge gestationnel, le fœtus commence à porter fréquemment ses mains à son visage. Entre 12 et 15 semaines, il passe beaucoup de temps à téter et à avaler du liquide amniotique. Donc, téter n’est pas quelque chose de nouveau pour le prématuré. Au contraire. Jusqu’à récemment, les étapes du développement des comportements liés à l’allaitement chez le bébé prématuré avaient été très peu explorées.
C’est la raison pour laquelle j’ai choisi d’orienter mes recherches sur le développement des comportement liés à l’allaitement chez le prématuré. Mon objectif était de décrire l’évolution du comportement au sein des bébés prématurés, en fonction de leur stade de maturation et de leur âge, en effectuant une étude descriptive prospective. Dans ce but, j’ai mis au point une Échelle de Comportement d’Allaitement du Prématuré (ECAP), qui a été utilisée par les mères pendant le séjour en néonatalogie de leur enfant. Des tests de pesée étaient effectués avant et après les tétées pour vérifier les quantités de lait absorbées par les enfants. La population étudiée est constituée de 71 paires mères-bébés. Les enfants sont nés après une grossesse non gémellaire, entre 26 et 35 semaines d’âge gestationnel. Les mères ont fourni des rapports d’ECAP pour plus de 4300 tétées au sein. Tout d’abord, je vais décrire les comportements que ces mères ont observés, puis le résultat de ces observations.
Les signes suggérant que l’enfant est disposé à téter – réflexe de fouissement – sont les mouvements des lèvres, l’ouverture de la bouche, l’extension de la langue, et le fait qu’il porte ses mains à sa bouche ou à son visage. L’enfant qui tourne la tête et ouvre simultanément la bouche a un comportement typique de fouissement. Cette petite fille est née à exactement 30 semaines, et elle a maintenant 10 jours, un stade de maturation de 31 semaines et 3 jours.
Ensuite vient la prise du sein. Ici, vous observez ce que l’enfant prend en bouche (ce qu’on peut appeler la prise aréolaire). Est-ce que l’enfant a à la fois le mamelon et une part de l’aréole en bouche ? C’est possible quand la bouche est grande ouverte, que le bout du nez est en contact avec le sein, et que le menton est appuyé contre le sein.
Ce qu’on peut à l’inverse observer ici, c’est que seul le mamelon est dans la bouche, tout le mamelon ou seulement une partie, et que la bouche n’est pas grande ouverte. C’est la sœur jumelle du bébé que vous avez vu juste avant.
La durée la plus longue pendant laquelle l’enfant est restée au sein est estimée à moins d’une minute, et ensuite, en minutes, de 1 à 15 ou plus.
Le schéma de succion peut être décrit comme des mouvements de succion avec une pause entre chaque succion, de courtes salves de succion (2 à 9 mouvements consécutifs de succion), de longues salves (10 mouvements de succion ou plus). Ces salves peuvent être uniques ou répétées. La longueur d’une salve est définie comme étant le nombre maximum de mouvements de succion avant une pause.
Des mouvements de déglutition peuvent être notés, ils sont occasionnels ou répétés. A savoir quand il existe un rythme audible, par exemple sucion-succion-succion-déglutition.
Et maintenant, quelques résultats. On a relevé l’âge gestationnel et l’âge post-natal auxquels les bébés ont franchi les différentes étapes comportementales lors des mises au sein. L’âge gestationnel est donné en semaines, et correspond au temps écoulé depuis le début de la grossesse, y compris le temps écoulé depuis la naissance ; l’âge post-natal est donné en jours, et correspond au temps écoulé depuis la naissance.
Les premières mises au sein se faisaient entre 27 semaines et 6 jours, et 35 semaines et 6 jours, avec une médiane de 33 semaines pour l’âge gestationnel, et entre 0 et 20 jours pour le temps écoulé depuis la naissance, avec une médiane de 1 jour. Le premier épisode de succion nutritive était défini comme la prise de 5 ml ou plus au sein, confirmée par la pesée avant et après la tétée. Nous avons choisi ce chiffre de 5 ml parce que la balance du service fonctionne par incréments de 5 g. Cela survenait entre 30 et 37 semaines, et à un âge post-natal de 1 à 46 jours. 57 enfants sont parvenus à un allaitement exclusif, à un âge post-menstruel de 33 à 40 semaines, et à un âge post-natal de 2 à 68 jours.
Les rapports d’ECAP établis par les mères révélaient les étapes suivantes dans le comportement oro-moteur. Le premier jour de mise au sein (nous avons des données pour 36 enfants pour ce jour), un comportement de fouissement a été noté chez presque tous les enfants, 34 sur 36, et ce comportement était évident chez les deux tiers d’entre eux. La plupart des enfants sont restés peu de temps au sein, quelques minutes à chaque fois. Des mouvements de succion ont été constatés chez la plupart des enfants, mouvements de succion uniques ou en courtes salves. Les 3 enfants pour lesquels la mère a rapporté qu’il n’avait pas eu de mouvements de succion avaient un âge gestationnel de 33 à 35 semaines, et ils n’étaient donc pas les bébés les plus immatures. Des mouvements de déglutition ont été perçus chez seulement quelques enfants nés à 31 semaines ou plus.
Quand nous regardons de plus près l’âge gestationnel le plus précoce auquel on peut observer l’émergence d’un comportement oro-moteur efficace, nous constatons un comportement de fouissement patent, une prise aréolaire efficace et un temps passé au sein plus ou moins long à 28 semaines, des déglutitions répétées à 31 semaines, et des salves de mouvements de succion répétées, longues et très longues avec 30 mouvements de succion consécutifs ou plus à partir de 32 semaines.
Nous avons aussi évalué les étapes dans l’absorption de lait, en terme de pourcentage du volume quotidien requis. 20 % de ce volume était pris au sein à partir de 32 semaines, et tous les autres pourcentages, 50 %, 80 % et l’allaitement exclusif étaient réalisés à partir de 33 semaines.
Le taux d’allaitement à la sortie de l’hôpital pour la totalité du groupe étudié était de 80 % d’allaitement complet, 14 % d’allaitement partiel, et donc 6 % d’enfants qui n’étaient pas allaités. Soit une prévalence totale de l’allaitement de 94 %. Nous avons aussi noté que, chez les enfants qui sortaient en étant totalement allaités, la quantité de lait absorbée à chaque tétée était hautement variable. Certains enfants ne prenaient jamais plus d’un maximum de 40 ml à la fois, tandis que d’autres enfants étaient capables de prendre jusqu’à 90 ml en une seule tétée.
Nous avons aussi utilisé un électromyographe pour examiner de plus près le comportement de succion des prématurés. Vous voyez ici un enfant de 33 semaines d’âge gestationnel, né depuis 17 jours, qui a des salves de succion répétées courtes et occasionnellement longues, et une succion d’une forte intensité. Les pics qui ne sont pas droits représentent d’autres mouvements oraux que la succion : des mouvements de la langue, des lèvres et des mâchoires que l’on peut décrire comme un comportement d’expérimentation, signe d’un développement oro-moteur immature. Vous voyez aussi des pauses plutôt longues entre les salves de succion.
Voici un bébé de 34 semaines et 6 jours d’âge gestationnel, né depuis 18 jours. Souvenez-vous, un âge de 34 semaines a été un critère fréquemment utilisé pour l’introduction de l’alimentation orale. Cet enfant a de très longues salves de succion (dans cet enregistrement, la salve la plus longue comptait 96 succions consécutives). C’est un signe de comportement de succion mature, lorsque l’enfant arrive à intercaler les mouvements respiratoires entre les mouvements de succion, mais vous ne pouvez pas repérer les moments où l’enfant respire par la seule observation. Lui aussi a une succion d’une intensité élevée. Maintenant, je dois souligner que ce comportement mature de succion n’est PAS nécessaire pour parvenir à l’allaitement exclusif. Un allaitement exclusif est tout aussi possible quand le bébé a un comportement de succion immature, mais cela prend plus de temps, car l’enfant a des difficultés à contrôler la succion et la respiration.
Sachant cela, comment répondriez-vous à la question suivante : Quand la mère peut-elle commencer à mettre son enfant au sein ? Les recommandations pour le démarrage de l’allaitement chez les prématurés devraient être fondées uniquement sur la stabilité cardio-respiratoire, sans tenir compte du niveau de maturation, de l’âge, ou du poids. Les premières tentatives peuvent avoir lieu dès 27 semaines. Le fait que l’enfant reçoive de l’oxygène par une sonde nasale n’est pas un obstacle à l’allaitement.
Quelques années ont passé depuis que cette étude a été conduite. Depuis cela, nous voyons de plus en plus d’enfants dans notre service qui arrivent à être exclusivement allaités à un stade de maturation de plus en plus précoce. La limite actuelle est 31 semaines. Maintenant, je voudrais vous raconter une histoire vraie, concernant une petite fille nommée Anna. C’est le second enfant de cette famille, elle est née à 30 semaines et 5 jours, avec un poids de 1525 g. Elle a eu besoin d’une ventilation pendant 8 heures, et de CPAP pendant 12 heures.
Dès son premier jour de vie, à l’âge d’une heure, elle a commencé à être alimentée par sonde toutes les 3 heures. Elle a reçu du lait humain provenant de donneuses, et le colostrum de sa mère. A J1, elle a reçu par sonde du lait provenant de donneuses et du lait maternel. A J2, les mises au sein ont débuté. Une infirmière a écrit dans son dossier : « Tète très bien, a faim ». A J4, la mère a été installée dans une chambre familiale au service de néonatalogie. A J5, les tests de pesée faits à l’occasion de 9 tétées ont montré des prises allant de 1 à 25 ml. Elle a aussi été nourrie par sonde à 4 reprises. A J9, elle avait repris son poids de naissance. A J10, elle a été sortie de l’incubateur et placée sur un matelas à eau dans un berceau ouvert. A partir de ce jour, les quantités de lait à prendre n’ont plus été déterminées pour chaque repas, elle devait juste prendre un volume donné sur 24 heures. Elle n’avait plus besoin que d’un seul repas par sonde. A J11, à l’âge gestationnel de 32 semaines et 2 jours, elle était exclusivement allaitée. Les quantités de lait prises au sein allaient de 20 à 50 ml. On peut lire dans les notes de l’infirmière : « A passé la nuit dans le lit de sa mère ». A J12, la mère a cessé les tests de pesée.
A J14, elle n’avait plus besoin du matelas à eau dans son berceau, et à J15, elle est sortie du service. Comme nous disons, « sur le départ ». Cela signifie qu’elle est encore une de nos patientes. Un suivi est effectué par téléphone auprès des parents. A J18, elle est revenue consulter pour la sortie définitive de l’hôpital. Comme vous pouvez le voir, elle a pris 100 g pendant ces 4 jours. Le suivi de sa santé et de sa croissance a ensuite été effectué par les services de santé infantile et la consultation de suivi de l’hôpital, car elle était encore immature.
Quelles conclusions pouvons-nous tirer de ce cas ? Anna a reçu des soins favorisant son développement. On lui a permis de bénéficier de mises au sein sans aucune restriction, et de développer son propre schéma d’alimentation jour et nuit. Cela lui a permis d’arriver rapidement à être totalement allaitée, et de sortir rapidement de l’hôpital. Et elle a eu une croissance adéquate en ne recevant que du lait humain comme seul aliment. Sa mère a reçu tout le soutien nécessaire pour la mise en place de l’allaitement exclusif, jusqu’à se sentir confiante en ses capacités à se débrouiller par elle-même après le retour à la maison.
Comment pouvons-nous rendre ceci possible ? Il y a plusieurs facteurs qui doivent être présents pour offrir un environnement favorable.
L’un de ces facteur est un point inscrit dans la Convention des Droits de l’Enfant : L’enfant devrait […] autant que possible, avoir le droit de connaître et d’être soigné par ses parents. Les états signataires devraient s’assurer qu’un enfant n’est pas séparé de ses parents contre leur volonté.
A Uppsala, nous nous sommes aussi inspirés de l’expérience de Tallin, en Estonie. Là-bas, le Dr Adik Levin a mis en œuvre ce qu’il appelle des soins humanistes de médecine néonatale, fondées sur la conviction que la mère et l’enfant doivent être vus comme une entité psychosomatique unique (NDLR : voir le Hors Série des Dossiers de l’Allaitement de la JIA 1997, p.11-12). Ceci implique la cohabitation mère-enfant. La mère s’occupe de son enfant pendant toute la durée de son séjour à l’hôpital. Les membres de l’équipe soignante ont d’abord un rôle de soutien à la mère, et évitent de se présenter comme les personnes qui assurent vraiment les soins à l’enfant. Tout ce qui perturbe la mise en situation naturelle de la mère et de l’enfant doit aussi être évité.
Cela signifie qu’il faut permettre aux parents d’être présents 24 heures sur 24. Pour favoriser l’allaitement, le contact peau à peau entre la mère et l’enfant, et l’adaptation, sont éminemment nécessaires.
Nous offrons à la mère et au père la possibilité de séjourner dans une chambre familiale à la section de soins intermédiaires, et de s’occuper de leur enfant. Cette photo a été prise ce matin. La mère est encore au lit avec son bébé. Vous pouvez voir sur la gauche l’appareil pour le monitoring du rythme cardiaque et de la saturation en oxygène.
Quand les parents restent dans le service, ils ont besoin d’une cuisine et d’un salon pour préparer les repas, pour manger, pour se distraire et pour rencontrer d’autres parents. Les frères et sœurs ont besoin d’endroits pour jouer.
Les obstacles à l’allaitement décrits par les mères sont, dans l’ensemble, relatifs à l’environnement physique : enfants malades, équipement technologique, niveau élevé d’activité, de bruit et de lumières, manque d’intimité, impression d’être observée par l’équipe soignante et les autres parents – particulièrement les pères, et sentiment de gêne. Ces obstacles sont fréquents dans l’environnement des services traditionnels de néonatalogie.
Un environnement approprié s’efforce de respecter l’intimité, comme dans notre nouvelle section de soins intensifs, où tous les berceaux sont dans des boxes séparés par des murs coulissants, avec un environnement tranquille, dans lequel le niveau sonore est réduit, et qui est perçu comme calme par les parents. Les yeux des enfants sont protégés des lumières directes et il n’y a pas d’activités dans leur champ visuel.
Les seules activités qui s’effectuent dans le box de l’enfant sont celles qui sont directement centrées sur lui. Les visites, l’enseignement, le travail administratif sur papier ou sur ordinateur, les appels téléphoniques, tout cela se fait dans un bureau séparé, dont les fenêtres donnent sur la nurserie et sur un moniteur central.
En ce qui concerne l’allaitement, la mère a besoin de comprendre ce que le bébé cherche à lui communiquer. On facilite cette compréhension si l’on guide la mère dans l’interprétation des signaux comportementaux émis par son bébé. L’outil d’observation qui nous aide à le faire est le Programme Néonatal Individualisé d’Evaluation et de Soins de Développement (Newborn Individual Developmental Care and Assessment Program – NIDCAP). Cet outil nous permet de mettre en évidence, en présence de la mère, les moments où son bébé est éveillé et actif, et où il est opportun de le stimuler au sein, et les moments où il est fatigué et a besoin de se reposer, et où il ne faudrait donc pas le stimuler. Mais, allez-vous penser, est-ce que cet enfant est intéressé par une tétée maintenant ? Il a été nourri il y a 3 heures. Qu’en pensez-vous ? En fait, c’est un aspect du comportement au niveau duquel le bébé prématuré est différent de l’enfant né à terme.
La mère « demande » à son bébé s’il est intéressé. Elle le fait en lui touchant doucement les lèvres. Et comment répond le bébé ? Il se réveille et a un comportement de fouissement : il ouvre la bouche, sort la langue, la passe sur sa lèvre inférieure, et…
Maintenant, il cherche visiblement le sein : il tourne la tête en ouvrant la bouche. Au contraire du bébé né à terme, le bébé prématuré a besoin d’être régulièrement encouragé, et de recevoir le signal que sa mère lui offre l’opportunité de téter. C’est crucial pour l’établissement de l’allaitement exclusif chez ces enfants immatures, car ils n’ont pas encore une maturité neurologique suffisante pour savoir se réveiller seuls et téter suffisamment souvent pour avoir une bonne croissance. Cette compétence se développe lorsque l’enfant atteint l’âge du terme.
Le bébé prématuré a également besoin d’aide pour se concentrer pendant qu’il est au sein. Une mère attentive observe les mouvements d’extension et de tortillement, quand son bébé étire ses bras et ses jambes, et elle l’aide à retrouver une position confortable, avec les bras et jambes fléchies, et à être calme.
La position de la mère et de l’enfant est cruciale. La mère a besoin d’un siège confortable, qui lui permet de s’asseoir dans une position verticale, les bras bien soutenus. Certaines mères apprécient d’avoir un repose-pied pour y poser les pieds. La mère a aussi besoin d’un oreiller sur lequel elle pourra poser son bébé pour qu’il soit juste devant ses seins.
Afin d’être capable de prendre correctement le sein et de le garder en bouche, l’enfant a besoin d’être doucement soutenu au niveau du dos et de la tête. Vous voyez ici deux positions pratiques, l’une dans laquelle l’enfant est en face de sa mère, l’autre où il est allongé contre elle.
Le bébé préfère une position dans laquelle il a les bras et les jambes fléchies, où il est contre le corps de sa mère, la tête penchée vers la poitrine, le tronc droit, en évitant d’être affaissé sur lui-même, à l’intérieur des vêtements de la mère, avec la tête doucement soutenue. Lorsque l’enfant est bien positionné, la mère le maintiendra sans bouger les mains, en évitant de le caresser, de le chatouiller, de le bercer. Ce type de stimulations tactiles provoque en effet des mouvements désordonnés et une respiration irrégulière chez les bébés prématurés, ce qui les empêche de rester au sein et de téter.
Chez les bébés prématurés, un bout de sein remplit des fonctions spécifiques dans certaines situations. Il donne à l’enfant un signal plus fort lui indiquant que « c’est ici qu’on doit téter ». Il aide l’enfant à rester au sein même s’il fait de longues pauses entre les mouvements de succion. Il stimule la succion, et se comporte comme un réservoir pour le lait qui coule pendant les pauses. Cela peut aider l’enfant à obtenir plus rapidement une quantité plus importante de lait.
Je suis sûre que je n’ai pas besoin de dire cela, mais – rappelez-vous, s’il vous plait – l’allaitement n’est pas juste une question d’alimentation, c’est aussi le médiateur optimal pour les interactions et l’attachement entre la mère et son bébé. Pour cette raison, et puisque l’allaitement n’est pas fatigant pour le bébé prématuré, on ne devrait jamais limiter le temps passé au sein, à moins d’une raison impérative.
Un autre point important concerne le choix de protocoles d’alimentation et de méthodes pour nourrir le bébé, qui préservent l’allaitement.
L’alimentation au gobelet est la meilleure alternative lorsque l’enfant est nourri par voie orale. On peut la commencer dès 29 semaines d’âge gestationnel, et l’utiliser après les tétées si l’enfant est encore éveillé mais qu’il ne veut plus téter, ou si la mère est absente. Après avoir été informés par une infirmière sur la façon de procéder, les parents peuvent nourrir eux-mêmes leur bébé au gobelet dans de bonnes conditions de sécurité (et bien sûr, les parents peuvent aussi nourrir avec une sonde au doigt).
L’alimentation au gobelet a de nombreux avantages. Il existe beaucoup de documentation scientifique en faveur de cette méthode. Les bébés apprennent rapidement à boire au gobelet. Ce n’est pas stressant, ça ne prend pas beaucoup de temps. Les bébés qui reçoivent les compléments au gobelet ont une prévalence plus élevée d’allaitement que les bébés qui les reçoivent au biberon. Cela protège l’enfant vis-à-vis de l’inconfort de l’alimentation par sonde. Cela n’a pas d’impact négatif sur le comportement de succion de l’enfant. Le bébé peut sentir le goût du lait, et l’absorption des lipides du lait est meilleure.
Fondamentalement, il y a deux stratégies possibles pour passer de l’alimentation par sonde à l’allaitement exclusif, en réduisant les suppléments donnés à l’enfant. La stratégie A est d’utiliser les tests de pesée conjointement aux tétées (notez bien que, dans ce cas, l’enfant doit être pesé à l’occasion de toutes les tétées pendant 24 heures). On peut appeler cette stratégie la réduction des suppléments pilotée par le bébé. La stratégie B est la réduction planifiée des suppléments. Des études ont clairement démontré qu’il n’était pas possible de deviner la quantité de lait prise par un bébé pendant une tétée, donc, avec cette stratégie, c’est l’équipe soignante ou les parents qui décident de la réduction des suppléments. Notre expérience auprès de bébés prématurés est que la quantité de lait prise par ces bébés pendant les tétées est très souvent sous-estimée. Mais la question importante est : Comment la mère perçoit-elle les tests de pesée ? Si la mère trouve qu’ils constituent une aide, qu’il lui permettent de bien voir les progrès de son bébé, alors on doit les utiliser. Si la mère les trouve stressants, cela pourra être mieux d’utiliser la stratégie B. Certaines mères pourront décider de changer de stratégie, en fonction des capacités de succion de l’enfant et de ses apports.
Pourquoi ne pas donner les suppléments au biberon ? Bien sûr, il y a des situations exceptionnelles où c’est approprié. Il existe de nombreuses réponses à cette question. Le principal problème est « la mentalité du biberon », à savoir que les enfants sont normalement nourris 6 à 8 fois par jour à intervalles réguliers, et qu’ils prennent un volume fixe de lait par repas. Tout le monde peut nourrir le bébé, et c’est uniquement une question de nutrition. L’égalité entre les deux parents et une plus grande liberté pour la mère sont d’autres arguments fréquemment donnés. Ces arguments ne prennent pas en compte un point essentiel.
Le point essentiel est que nous sommes des mammifères. Il existe de nombreuses similitudes entre une mère humaine et une mère kangourou. Toutes les deux sont capables de donner à leurs bébés de la chaleur, du lait maternel, une protection et de l’amour par le biais du contact physique.
Depuis la mise en œuvre de la méthode Kangourou en Colombie à la fin des années 1970, cette méthode de soins s’est répandue dans le monde entier, y compris dans les pays industrialisés. La définition de la méthode Kangourou telle qu’elle est donnée par le réseau international pour la méthode KMC (Kangaroo Mother Care) est : un contact peau à peau précoce, prolongé et continu (selon les circonstances) entre la mère (mais cela peut être un autre membre de la famille ou de l’entourage) et son bébé de faible poids de naissance (moins de 2500 g), pendant le séjour à l’hôpital et après le retour précoce au domicile, jusqu’à environ 40 semaines, avec allaitement exclusif (dans l’idéal), et un suivi adéquat. Est-ce que cette méthode est valable uniquement pour les pays dans lesquels on manque de ressources médicales ? La réponse est résolument non.
Il existe suffisamment d’études ayant démontré que, même dans des pays où il existe d’excellents services médicaux, tels que la Suède ou la France, cette méthode a des effets positifs sur la stabilité thermique du bébé, sur son adaptation à la vie extra-utérine, sur la lactation et l’allaitement, et sur la croissance. Il n’y a aucun inconvénient en terme de dépenses énergétiques de l’enfant, et cela contribue à l’humanisation des soins néonataux. Les mères déclarent que cela leur donne un « sentiment de réconciliation avec elles-mêmes et de guérison » après le choc de la naissance prématurée.
Les recommandations faites par le bureau international pour la méthode KMC et par l’OMS pour les régions favorisées est le démarrage de la méthode Kangourou dès 28 semaines, quel que soit l’âge gestationnel à la naissance et le poids de naissance (à partir de 600 g), et aussi l’utilisation de cette méthode aux enfants nés à terme et malades. Nous avons encouragé le contact peau à peau entre les parents et les bébés, y compris lorsque le bébé était un grand prématuré sous ventilation assistée, et ce depuis des années. Mais maintenant, nous sommes en train de mettre en œuvre la méthode originelle, avec contact prolongé, dans l’unité de néonatalogie d’Uppsala, en commençant avec les enfants dont la prématurité est modérée.
J’aimerais vous présenter un cas de contact continu à partir de la naissance entre une mère, un père, et un bébé. Ce bébé, David, est né à 33 semaines et 2 jours d’âge gestationnel après un accouchement par voie basse, avec un poids de 2 kg, et un Apgar optimal. C’était le premier enfant de cette mère. Elle avait 29 ans, et ne fumait pas. La mère de David a été encouragée à mettre souvent son bébé au sein, et à dormir avec lui. Elle était libre d’utiliser ses bras pour manger, lire, préparer les repas dans la cuisine familiale, etc., dans la mesure où elle portait David dans un chemisier fabriqué spécialement pour permettre le portage des enfants en peau à peau.
Donc, David a bénéficié d’un contact ininterrompu avec ses parents dès la naissance. Ses parents s’occupaient de lui dans une chambre familiale, et il passait ses nuits dans le lit de sa mère, sur sa poitrine ou couché contre elle. Le jour de sa naissance, il a reçu 10 repas au gobelet et a pris 9 fois le sein. Entre J3 et J8, il a été traité par photothérapie, par biliblanket (un tissu de fibres optiques diffusant la lumière enroulé autour de l’enfant) quand il était porté par ses parents, et par une lampe quand il était dans le lit. Pendant quelques jours, il a été traité simultanément par les deux méthodes.
A J4, il a reçu 11 repas au gobelet et 8 tétées au sein, et on a constaté pour la première fois qu’il y prenait du lait : 5 + 5 + 10 ml. A J5, il a atteint son poids le plus bas après la naissance, soit une perte de poids de 8%. A J6, il a commencé à reprendre du poids. Ce jour là, il a reçu 11 repas au gobelet, et a tété 9 fois. La quantité de lait consommée au sein allait de 2 à 40 ml par tétée, avec un total de 75 ml.
A J7, il a pris au sein en tout 94 ml sur la journée, de 2 à 25 ml par tétée. A J8, il a reçu 2 repas au gobelet, et 129 ml au sein, de 6 à 30 ml par tétée. A J9, 201 ml en tout, de 6 à 30 ml par tétée. A J10, à l’âge gestationnel de 34 semaines et 5 jours, il était exclusivement allaité et les tests de pesée ont été arrêtés. Le jour suivant, il a quitté le service avec ses parents. Le contact a été maintenu quotidiennement par téléphone, et à J11, les parents sont revenus le faire peser dans le service. 2 jours plus tard, il sortait « définitivement ». David avait alors 35 semaines et 3 jours, il était né depuis 15 jours, et il pesait 2070 g. Il a alors été pris en charge par le programme de suivi néonatal de l’hôpital et par les services de santé pédiatrique.
Les conclusions que nous pouvons tirer de cette histoire sont que l’établissement de l’allaitement exclusif chez un enfant modérément prématuré est facilité par un contact ininterrompu avec la mère, qu’il est possible de nourrir un tel enfant en combinant alimentation au gobelet et mises au sein, et que la mise en place d’un allaitement exclusif avec une croissance satisfaisante est aussi possible chez ces enfants.
L’essentiel de ce que j’ai décrit au sujet des mères de prématurés s’applique aussi aux mères d’enfants nés à terme et malades. Ces mères doivent pouvoir bénéficier d’aménagements répondant à leurs besoins spécifiques d’intimité, avec un endroit confortable et privé pour les mises au sein et les séances d’expression du lait, des informations sur l’expression, un endroit où stocker leur lait, et un tire-lait mis gratuitement à leur disposition.
Les mères ont le droit de recevoir des informations adéquates sur la lactation et l’allaitement. Après un acte médical ou chirurgical, l’allaitement devrait être repris aussi rapidement que possible, lorsque l’enfant est éveillé, sauf contre-indication médicale. Les soins aux patients devraient être planifiés pour perturber le moins possible l’allaitement. Les mères devraient être encouragées à tirer leur lait régulièrement. Les mères des enfants qui sont partiellement ou totalement incapables de prendre le sein à cause de leur maladie devraient être encouragées à donner leur lait en utilisant des méthodes alternatives. Le planning de sortie de l’enfant devrait inclure des informations sur le stade où en est le bébé vis-à-vis de l’allaitement, à destination du pédiatre ou des services de santé pédiatrique.
En conclusion :
L’allaitement peut être regardé comme un droit tant de la mère que de l’enfant, et
L’allaitement est avant tout le début d’une relation, et pas seulement une question de nutrition.
Merci.
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