Article publié dans les Dossiers de l'Allaitement numéro 53 (Octobre - Novembre - Décembre 2002)
D'après Incorporating breastfeeding care into daily newborn rounds and pediatric office practice.
LS Black. Pediatr Clin North Am 2001 ; 299-319.
Intégrer l’aide aux mères allaitantes dans la pratique pédiatrique peut significativement améliorer le déroulement de l’allaitement ; pour les pédiatres, savoir qu’on a aidé efficacement une mère à allaiter comme elle le souhaitait est très gratifiant. Il est pour cela nécessaire d’avoir de bonnes con-naissances en matière d’allaitement. En post-partum précoce, l’objectif est un enfant recevant suffisamment de lait, et une mère satisfaite du déroulement de son allaitement et de sa sécrétion lactée. Cet article fait le point sur les connaissances théoriques et pratiques qui sont indispensables à un pédiatre pour aider efficacement les mères allaitantes de sa clientèle.
Le suivi pédiatrique en maternité
A la naissance, l’enfant dispose de réserves qui lui permettent normalement de faire face aux modifications induites par le passage du milieu intra-utérin à la vie extra-utérine. Conjointement à la consommation de colostrum, ces réserves lui permettent de maintenir son équilibre métabolique pendant les 2 à 3 premiers jours post-partum. Des problèmes surviendront si :
• les dépenses de l’enfant sont supérieures à la normale : atmosphère chaude et sèche augmentant les pertes liquidiennes, pleurs importants, interventions médicales inutiles stressantes ou douloureuses, vomissements, hypo- ou hyper-thermie, environnement trop bruyant ou lumineux …
• le démarrage de l’allaitement se passe mal et que l’enfant ne reçoit pas le colostrum ou n’en reçoit pas suffisamment : séparation mère-enfant, tétées trop espacées, mise au sein incorrecte, don de suppléments ou d’une sucette…
Ces enfants pourront réagir de façon très variable ; ils deviendront agités et irritables ou au contraire léthargiques ; ils téteront peu, ou voudront téter longtemps ou souvent et seront inefficaces. Ils perdront plus de poids que la normale, présenteront un ictère plus prononcé, auront des urines peu abondantes. Le risque de dégradation rapide de la situation est plus élevé chez les enfants nés avant 37 semaines d’âge gestationnel ou post-terme, chez les enfants nés avec un poids nettement inférieur ou supérieur à la normale, ou dont la mère est diabétique. La mère pourra répondre de façon inappropriée aux besoins de son enfant, avoir les mamelons douloureux, une montée de lait retardée…
La solution de facilité a longtemps consisté à donner des suppléments de glucose ou de lait industriel. Mais cela peut aggraver encore la situation. En pareil cas, la bonne approche consiste à optimiser la pratique d’allaitement, suivre étroitement la situation pour vérifier que les choses s’améliorent, et donner des compléments de lait industriel au cas par cas lorsqu’ils sont nécessaires pour maintenir un statut nutritionnel correct chez l’enfant.
Les principales actions de prévention sont :
• recommander un contact peau à peau continu immédiatement après l’accouchement jusqu’à la fin de la première tétée
• supprimer toutes les procédures faites en routine qui ne sont pas réellement nécessitées par l’état de l’enfant
• programmer les procédures non urgentes après la première tétée, pour ne pas interférer avec celle-ci
• limiter au maximum la durée des pleurs de l’enfant
Le suivi de routine du nouveau-né allaité comporte divers volets. L’observation des tétées permettra d’évaluer la qualité de la mise au sein, et d’apprécier l’efficacité de la succion de l’enfant. Le nourrisson perd habituellement du poids pendant les 3 à 4 premiers jours ; cette perte de poids n’excède pas 7 à 8% du poids de naissance. Le poids se stabilise ensuite, puis commence à remonter.
Si l’enfant perd plus de 8 à 10% de son poids de naissance, si la mère ne ressent pas de « montée de lait », ou si l’enfant perd beaucoup de poids dès J1, la situation sera examinée de près immédiatement, et des compléments seront donnés si nécessaire. Les urines de l’enfant sont un bon moyen d’apprécier ses apports liquidiens. La quantité des urines baisse progressivement pendant les 2 à 3 premiers jours, pour réaugmenter dès la montée de lait ; à partir de ce moment, il doit mouiller correctement 3 à 4 couches par jour, les urines étant pâles.
Un retard de 1 à 2 jours sur ce schéma est acceptable à partir du moment où les choses sont en bonne voie d’amélioration à la sortie de maternité, et où la mère est revue en consultation au bout de 24 à 48 heures pour vérification de la situation. Les selles sont un bon moyen d’apprécier les apports caloriques. Pendant les premiers jours, l’enfant évacue le méconium ; après la montée de lait, les selles doivent devenir jaunes, molles ou liquides et abondantes, et l’enfant a le plus souvent au moins 3 selles quotidiennes. L’existence de selles rares et/ou méconiales après J5-6 signale une absorption insuffisante de lait, et la nécessité d’une intervention rapide.
De nombreux problèmes d’allaitement pourraient être prévenus avec davantage d’information. Le maternage et l’allaitement sont des comportements à la fois innés et acquis ; lorsque les enfants ont régulièrement l’occasion de voir des femmes allaiter et s’occuper de leur bébé, ils apprennent tout naturellement le maternage et l’allaitement. Malheureusement, les femmes de nos sociétés ont rarement vu d’autres femmes allaiter, ce qui constitue un handicap. Des expériences effectuées sur de jeunes femelles primates élevées sans avoir vu d’autres femelles pendant leur enfance ont montré qu’il était nécessaire de leur apprendre à s’occuper de leur petit et à l’allaiter. Cela explique aussi la rareté des problèmes d’allaitement dans les sociétés où l’allaitement est la norme.
Pendant les premiers jours post-partum, il sera donc important d’évaluer le déroulement des tétées, et d’observer :
• les manifestations de faim du bébé et la façon dont la mère les perçoit et y répond ;
• la façon dont la mère met son bébé au sein ;
• la façon dont le bébé prend le sein ;
• la succion de l’enfant avant le réflexe d’éjection (mouvements rapides peu amples) et après ce réflexe (succions lentes et amples avec déglutitions régulières) ;
• le déroulement global de la tétée ;
• la façon dont se termine la tétée et le comportement de l’enfant à ce moment ;
• l’aspect des seins et des mamelons après la tétée.
Il serait aussi nécessaire de prévoir de revoir la mère 48 à 72 heures après la sortie de maternité, afin de vérifier que tout se passe normalement.
En cabinet pédiatrique
Le suivi de l’allaitement, la prévention des problèmes et leur résolution rapide sont des aspects des soins aux enfants qui devraient être systématiques. Tout pédiatre devrait avoir à cœur d’appliquer les « 10 recommandations pour soutenir les parents qui ont choisi l’allaitement », éditées par le groupe de travail sur l’allaitement de l’Académie Américaine de Pédiatrie, afin de faire de leur cabinet médical un endroit où l’allaitement est la norme. Il n’est pas nécessaire de changer de fond en comble sa pratique du jour au lendemain pour adopter ces recommandations ; il est préférable de procéder progressivement. La promotion de l’allaitement passe par un langage verbal, mais aussi par un langage non verbal ; en créant un environnement favorable, on permettra aux informations d’être données et reçues d’une façon qui respecte les besoins des familles.
Les visites « de routine » sont un bon moyen de soutenir les mères allaitantes ; on pourra leur demander systématiquement comment se passe l’allaitement, et si elles ont des questions à poser ou un quelconque problème. Si la mère n’en parle pas spontanément, il est aussi possible de lui poser des questions sur la façon dont le père vit l’allaitement, ou sur les éventuelles réactions négatives de l’entourage.
Les questions à poser et le suivi à effectuer varieront suivant l’âge de l’enfant. Lors de la première visite après la sortie de maternité, on vérifiera que l’allaitement se passe bien. Si ce n’est pas le cas, la situation sera passée en revue de façon détaillée, afin de mettre en place des solutions, et l’évolution sera suivie de près jusqu’à totale résolution du problème. En particulier, on suivra régulièrement les urines et les selles du bébé pendant les premières semaines, jusqu’au moment où la lactation sera bien établie. A l’occasion des visites de routine pendant la première année, il sera nécessaire de s’adapter aux changements liés à l’âge de l’enfant et aux besoins de la mère ; on pourra donner des informations sur l’intérêt de l’allaitement exclusif, rassurer la mère sur le comportement de son enfant ou sur l’abondance de sa sécrétion lactée en cas de « poussée de croissance », lui rappeler l’utilité de l’allaitement à la demande, répondre à ses questions, encourager la poursuite de l’allaitement, et se souvenir que les encouragements et félicitations du pédiatre sont très motivants pour les mères.
Les tétées nocturnes sont un aspect très important, et les attentes des parents et des professionnels de santé sont essentiellement influencées par notre culture, et non par des données objectives concernant les besoins des jeunes enfants. Dans la mesure où aucune étude n’a évalué de façon fiable l’impact psychologique des différentes pratiques de sommeil, le rôle du pédiatre devrait se borner à présenter aux parents les diverses options possibles, et les précautions à prendre pour avoir un niveau de sécurité optimal (enfant sur le dos, matelas ferme…). Les rythmes de sommeil des enfants allaités sont différents de ceux des enfants nourris au lait industriel. Les enfants allaités ont des cycles de sommeil plus courts, et se réveillent plus facilement. Indiscutablement, les pratiques de sommeil couramment « recommandées » dans nos pays sont beaucoup plus adaptées aux enfants nourris au lait industriel qu’aux enfants allaités. Des techniques « d’apprentissage » du sommeil ont été décrites, pour entraîner les enfants à « faire leurs nuits ». Cela pourra intéresser certains parents. Dans la plupart des cultures traditionnelles, l’enfant dort avec sa mère, et tète à volonté pendant la nuit, le sommeil de la mère étant généralement peu perturbé. Les familles qui font ce choix doivent être rassurées quant à sa normalité. D’autres familles préféreront que l’enfant dorme dans un berceau à côté du lit des parents. D’autres enfin souhaiteront que le bébé dorme dans sa chambre.
L’utilisation d’une tétine doit être évitée autant que faire se peut pendant les premières semaines. Mais dans certains cas, cela sera nécessaire, et pourra au contraire faciliter la poursuite de l’allaitement. Lorsque l’allaitement est bien démarré, la mère pourra souhaiter introduire les biberons pour que le père puisse nourrir l’enfant, ou pour pouvoir s’absenter. Mais cette pratique n’est pas à encourager, et il sera utile de prévenir la mère des problèmes qu’elle peut induire, en particulier un refus du sein par l’enfant … ou un refus obstiné du biberon, ce qui est hautement compréhensible du point de vue du bébé, mais peut être très frustrant pour la mère ; si la mère tient vraiment à introduire les biberons, on pourra alors lui faire des suggestions qui pourront amener l’enfant à les accepter. De nombreuses études ont constaté une corrélation entre le don régulier d’une sucette à l’enfant et un risque plus élevé de sevrage précoce ; cette pratique augmente aussi la prévalence des pathologies infectieuses telles que les otites, diarrhées, ou infections respiratoires hautes. Les parents devraient en être avertis.
Aider efficacement les mères à allaiter leurs enfants en leur donnant toutes les informations et le soutien nécessaire est très gratifiant professionnellement parlant ; cela améliore le niveau de satisfaction des mères, le niveau de santé infantile, ainsi que les capacités professionnelles des pédiatres.
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