Article publié dans les Dossiers de l'Allaitement numéro 63 (Avril - Mai - Juin 2005)
D'après Chantal Razurel.. Les Dossiers de l’Obstétrique 2003 ; 320 : 6-11.
Depuis toujours les mères ont allaité. Mais au vu des réactions passionnelles que l’allaitement déclenche, l’acte d’allaiter dépasserait-il la seule fonction de nourrir l’enfant ? A la maternité de Genève où l’auteur est sage-femme, 94% des femmes allaitent. A travers l’exercice de sa profession, elle a pu constater des difficultés dans la rencontre entre les patientes et les sages-femmes, ce qui l’a amenée à se demander si le problème ne venait pas du fait que les femmes attendent autre chose que ce que leur apportent les professionnelles. L’auteur a souhaité comparer les représentations de l’allaitement des femmes et des sages-femmes.
La naissance est une période de grand bouleversement. L’enfant possède dès la naissance les comportements qui lui permettront de s’assurer les soins de l’adulte nécessaires à sa survie, car ils suscitent une réponse à ses besoins de nourriture et d’affection. L’attachement se fonde sur une interaction, qui nécessite une proximité physique dans laquelle le toucher et le contact visuel jouent un rôle majeur. Actuellement, l’allaitement est souvent abordé dans un contexte médical. Mais sa dimension psychologique est aussi à prendre en compte. Et le poids des représentations sociales a une place privilégiée.
Pour cette étude, des entretiens semi-dirigés ont été menés auprès de 5 mères pendant le séjour en maternité et auprès de 5 sages-femmes. Ils ont été enregistrés et retranscrits pour analyse des représentations des patientes et des sages-femmes. A travers les divers points qui ont été abordés, il existait des similitudes et des différences importantes entre le discours des mères et celui des sages-femmes. Lorsqu’on parle des avantages de l’allaitement, ce discours est similaire, le principal bénéfice rapporté étant la protection contre les infections. Tant les mères que les sages-femmes semblent ignorer les autres avantages de l’allaitement pour la mère et l’enfant. En revanche, les discours étaient très différents en ce qui concernait l’apprentissage de l’allaitement. Les sages-femmes préconisaient une information sur l’allaitement avant la naissance, voire même pendant l’enfance ; mais paradoxalement elles déploraient le fait que les femmes avaient appris trop de choses, et pas auprès d’elles. Les femmes soulignaient la difficulté d’apprendre une chose qui n’a pas été vécue. Pendant la grossesse, les femmes ont du mal à se projeter dans le futur.
Les femmes semblent accorder beaucoup moins d’importance que les sages-femmes à l’impact de l’entourage. Les points de vue divergent aussi quant au rôle du père. Les sages-femmes voient l’allaitement comme une difficulté supplémentaire pour le père, qui doit déjà s’adapter à la naissance, tandis que les mères mettent en avant son rôle d’accompagnant. Les sages-femmes regrettent que l’allaitement en public ne soit pas encore rentré dans les mœurs, tandis que les femmes expriment un besoin d’intimité et de calme. Si les femmes qui ont décidé d’allaiter revendiquent leur choix, les sages-femmes pensent que les femmes ont du mal à choisir et se laissent facilement influencer. Cela peut affecter la réaction des soignantes en cas de problème d’allaitement : alors que la mère demande à être confortée dans ses compétences, la sage-femme pourra avoir tendance à juger négativement la motivation de la mère. Il serait éventuellement intéressant, avant toute formation sur l’allaitement, de réfléchir sur les représentations de la personne sur le sujet.
L’allaitement est vu comme un don de la mère à l’enfant par les mères comme par les sages-femmes, le bébé étant passif. Si l’enfant est difficile à mettre au sein, cela sera souvent perçu comme une « rébellion », et on aura alors tendance à le « forcer » à adopter le comportement souhaité. Pourtant, partir de ce qu’exprime l’enfant semble le meilleur moyen de rentrer en relation avec lui. Si les éléments normatifs sont très importants, ils ne sont pas les mêmes pour les mères et pour les sages-femmes. Les mères se réfèrent aux normes de société, les sages-femmes aux normes d’excellence (juste/faux, réussi/raté). Un point fortement mis en avant par les mères est la durée de l’allaitement, ce qui laisse supposer un conflit entre la relation fusionnelle qu’elles vivent avec leur enfant et les règles de la société mettant en avant l’autonomie que l’enfant doit acquérir. Les sages-femmes se situent dans la réussite d’un acte, ce qui est compréhensible car elles réagissent en professionnelles, mais établit un paradoxe entre l’allaitement en tant qu’action à réussir et l’allaitement en tant que relation.
A la suite de ce travail, l’auteur suggère de travailler sur les représentations des femmes à l’occasion de la préparation à la naissance, et sur celles des sages-femmes avant les actions de formation. Il serait aussi nécessaire de reconnaître les compétences des mères, de respecter leur intimité, d’intégrer le père comme partenaire, de prendre en compte les compétences des bébés, et de proposer des groupes de paroles pour discuter des conflits normatifs.
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