Article de Marie Petit, avocate en droit du travail, paru le 7 juin 2023 dans Village de la justice.
Reproduit avec l'autorisation de l'autrice.
L’égalité entre les femmes et les hommes dans l’entreprise passe nécessairement par la prise en compte des besoins des femmes, et parmi elles des mères, dont notamment les mères allaitantes.
1. Des dispositions légales peu contraignantes et peu lisibles
Le Code du travail comporte plusieurs dispositions sur les droits des salariées allaitantes dans l’entreprise [1], mais celles-ci sont peu contraignantes pour l’employeur, parfois peu claires et souvent obsolètes.
Le droit au repos
Les femmes allaitantes, tout comme les femmes enceintes, doivent pouvoir se reposer en position allongée, dans des conditions appropriées [2].
L’employeur doit donc mettre en mesure les femmes allaitantes d’accéder à un espace dont l’aménagement leur permettra de s’allonger et de se reposer. Cette obligation concerne toutes les entreprises quelle que soit leur taille.
L’aménagement du temps de travail
Pendant une année à compter du jour de la naissance, la salariée allaitant son enfant dispose à cet effet d’une heure par jour durant les heures de travail [3].
Il est communément admis que ces dispositions couvrent également le cas de la salariée qui tire son lait sur son lieu de travail, mais la lettre du texte n’est pas explicite sur ce point. L’utilisation des termes "à cet effet" permet de justifier cette lecture extensive, mais l’employeur peut toujours le confirmer dans une note unilatérale ou, mieux encore, dans un accord collectif.
Il est ensuite précisé dans la partie réglementaire du Code du travail que cette heure dont dispose la salariée pour allaiter son enfant est répartie en deux périodes de 30 minutes, l’une le matin et l’autre l’après-midi. La période où le travail est arrêté pour l’allaitement est déterminée par accord entre la salariée et l’employeur, et à défaut, elle est placée au milieu de chaque demi-journée de travail [4].
Cette période de 30 minutes est réduite à 20 minutes lorsque l’employeur met à disposition des salariées un local dédié à l’allaitement, que celui-ci se situe à l’intérieur ou à proximité des locaux affectés au travail [5].
Sauf engagement plus favorable (dispositions collectives de branche ou d’entreprise, décision unilatérale de l’employeur, usage), ces périodes ne sont pas rémunérées.
Pourtant, l’absence d’obligation légale de rémunérer ces pauses se heurte au droit supranational. Ainsi, le Comité européen des droits sociaux a conclu en 2011 que la situation de la France n’était pas conforme à l’article 8§3 de la Charte sociale européenne révisée au motif que la rémunération des pauses d’allaitement n’était pas garantie (rapport relatif aux conclusions 2011 de la Charte sociale européenne révisée).
Nous savons toutefois que dans sa jurisprudence la plus récente rendue à l’occasion des débats relatifs au "barème Macron", la Cour de cassation juge que la Charte sociale européenne ne peut être directement invoquée dans un litige entre particuliers [6].
Par ailleurs, la Convention n°183 de l’Organisation Internationale du Travail de 2000 sur la protection de la maternité prévoit dans son article 10 que : "Ces pauses [d’allaitement] ou la réduction journalière du temps de travail doivent être comptées comme temps de travail et rémunérées en conséquence." Mais pour le moment, la France a choisi de ne pas ratifier cette convention.
Dans ses rapports annuels 2020 et 2021, la Cour de cassation souligne ces incohérences et propose une révision des textes nationaux, allant notamment dans le sens d’une pause rémunérée dans toutes les entreprises quelle que soit leur taille, permettant aux femmes d’allaiter ou de tirer leur lait.
Le local d’allaitement
1. Toute salariée est autorisée à allaiter son enfant dans l’établissement où elle travaille [7].
Ainsi, quelle que soit la taille de l’entreprise et le nombre de salariées, que l’employeur ait été ou non mis en demeure d’installer un local d’allaitement, et qu’il dispose ou non d’un tel local, la salariée peut allaiter son enfant dans les locaux de l’entreprise.
En revanche, l’employeur n’est pas a priori tenu d’installer un local d’allaitement dans l’entreprise, bien qu’on peine à imaginer comment le droit de la salariée d’allaiter son enfant dans l’établissement puisse pleinement s’exercer en l’absence de local dédié.
Plus encore, ce n’est que lorsqu’il emploie plus de 100 salariées (seules les femmes sont donc prises en compte) que l’employeur peut être mis en demeure d’installer dans son établissement, ou à proximité, des locaux dédiés à l’allaitement. Il n’y a donc pas d’obligation sans mise en demeure préalable et cette mise en demeure ne peut concerner une entreprise employant moins de 100 femmes.
La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser à ce titre que cette mise en demeure ne pouvait émaner que des agents de contrôle de l’inspection du travail, et non d’une organisation syndicale par exemple [8].
En l’espèce, plusieurs syndicats avaient mis en demeure la société Ikea d’ouvrir des négociations pour mettre en place des salles d’allaitement dans les établissements employant plus de 100 salariées. L’employeur avait refusé de faire droit à cette demande et la Direccte [9] avait été saisie de la question de l’absence de salles d’allaitement au sein de l’entreprise sans donner suite à cette demande.
La Cour de cassation juge que l’employeur n’avait pas été mis en demeure au sens de l’article L1225-32 du Code du travail, d’installer des locaux dédiés à l’allaitement, compte tenu de l’absence de réaction de la Direccte.
Il est intéressant de noter que dans ses rapports annuels 2020 et 2021, la Cour de cassation revient sur cet arrêt et souligne que les articles du Code du travail sur lequel il a été rendu sont issus d’une loi adoptée le 5 août 1917 qui n’ont pas été modifiés depuis.
Elle ajoute que cet arrêt : "montre qu’ils [les articles du Code du travail concernés] ne sont plus adaptés et qu’ils sont susceptibles de poser des difficultés d’application."
2. S’agissant du local d’allaitement en lui-même, la recodification de 2008 a fait disparaître la distinction entre "le local où l’enfant est simplement allaité" et les "chambres d’allaitement" (qui s’apparentent davantage à des crèches d’entreprise), tout en maintenant les dispositions relatives aux secondes dans une section qui ne vise plus que les premiers… ce qui est source de confusion [10].
Avant la recodification de 2008, tous les employeurs étaient tenus d’avoir un local d’allaitement, ceux employant plus de 100 salariées pouvant être mis en demeure d’installer des chambres d’allaitement.
Cette distinction semblait bien plus claire.
Désormais, les premières dispositions de la section sur le "local dédié à l’allaitement" décrivent effectivement un simple local d’allaitement, et imposent à l’employeur de respecter un certain nombre de règles assez précises concernant son aménagement, sa taille ou encore sa situation dans l’entreprise. Elles précisent également que les enfants ne peuvent séjourner dans ce local que pendant le temps nécessaire à l’allaitement.
Le local doit répondre à 8 critères d’aménagement : il doit être séparé de tout local de travail, aéré et muni de fenêtres donnant directement sur l’extérieur, pourvu d’un renouvellement d’air continu, convenablement éclairé, pourvu d’eau en quantité suffisante ou à proximité d’un lavabo, pourvu de sièges convenables pour l’allaitement, tenu en état constant de propreté et maintenu à une température convenable. Les prises électriques et réfrigérateurs ne figurent pas dans cette liste.
D’autres dispositions en revanche nous éloignent de la conception que nous pouvons nous faire d’un local d’allaitement pour nous rapprocher davantage d’une crèche d’entreprise : elles sont pourtant présentées par les textes comme tout aussi impératives que les premières (pour peu que l’employeur ait été mis en demeure d’installer un local).
Selon ces dispositions, le local doit avoir une superficie de 3 mètres carrés par enfant et peut contenir au maximum douze berceaux. Lorsqu’il y a plusieurs salles, celles-ci doivent être distribuées par un vestibule (le Code est particulièrement précis sur l’architecture du lieu).
Plus encore, l’employeur doit fournir pour chaque enfant un berceau et un matériel de literie, de même que du linge en quantité suffisante pour que les enfants puissent être changés aussi souvent que nécessaire.
Le local doit par ailleurs être équipé de moyens de réchauffer les aliments "conformes aux prescriptions réglementaires prévues pour les établissements et services d’accueil des enfants de moins de six ans" (on retrouve ici encore une forte similarité avec une crèche collective).
Et plus surprenant encore, le Code poursuit en indiquant que le local dédié à l’allaitement est tenu exclusivement par du personnel qualifié en nombre suffisant qui se tient dans un état de propreté rigoureuse.
Il doit également être tenu un registre sur lequel sont inscrits les nom, prénoms et la date de naissance de chaque enfant, les nom, adresse et profession de la mère, la date de l’admission, la constatation des vaccinations, l’état de l’enfant au moment de l’admission et, s’il y a lieu, au moment des réadmissions, et un autre registre sur lequel sont mentionnés nominativement les enfants présents chaque jour.
Le local doit enfin être surveillé par un médecin désigné par l’employeur, qui le visite au moins une fois par semaine.
Un règlement intérieur signé par le médecin doit être affiché à l’entrée du local.
Enfin, le texte précise qu’aucune contribution ne peut être réclamée aux mères dont les enfants fréquentent le local.
3. Faute de paraître réalistes aux entreprises, ces dispositions sont tombées dans l’oubli et ne sont pas appliquées, et
les employeurs ne sont pas mis en demeure de le faire. Elles font pourtant toujours bien partie du droit positif.
Dans ses rapports annuels 2020 et 2021, la Cour de cassation affirme que : "la question de l’allaitement au travail n’est en rien obsolète et la possibilité de concilier allaitement et travail s’inscrit aujourd’hui dans l’objectif recherché d’une égalité professionnelle entre les femmes et les hommes."
La Cour de cassation insiste sur la nécessité de réviser les dispositions du Code du travail et indique que cette suggestion proposée au rapport annuel 2020 n’ayant pas été suivie d’effet, il convient de la maintenir dans le rapport 2021.
La protection de la santé
A l’issue de la visite d’information et de prévention, la femme allaitante peut bénéficier à sa demande d’une visite auprès du médecin du travail afin que ce dernier puisse proposer, si elles étaient nécessaires, des adaptations du poste, ou l’affectation à d’autres postes de travail [11].
Par ailleurs, le Code du travail interdit d’affecter les femmes allaitantes à certains postes exposés à des risques spécifiques.
Ainsi, il est interdit d’affecter ou de maintenir une femme allaitante à un poste de travail comportant un risque d’exposition interne à des rayonnements ionisants [12].
Il est également interdit d’employer une femme allaitante aux travaux à l’aide d’engins du type marteau-piqueur mus à l’air comprimé [13].
Il est interdit d’employer une femme allaitante aux travaux suivants, et même de les admettre de manière habituelle dans les locaux affectés à ces travaux : (i) préparation et conditionnement des esters thiophosphoriques et (ii) emploi du mercure et de ses composés aux travaux de secrétage dans l’industrie de la couperie de poils [14].
Il est également interdit d’affecter ou de maintenir les femmes allaitantes à des postes de travail les exposant à un certain nombre d’agents chimiques limitativement énumérés par l’article D4152-10 du Code du travail.
Les sanctions pénales
Le fait pour l’employeur de méconnaître :
- Le droit pour la salariée de bénéficier d’une période, sur son temps de travail, pour allaiter son enfant (1 heure en principe réduite à 40 minutes si elle a accès à un local d’allaitement) ;
- Le droit pour la salariée d’allaiter son enfant dans l’établissement (et ce même en l’absence de local d’allaitement) ;
- Une mise en demeure d’installer dans son établissement ou à proximité, des locaux dédiés à l’allaitement ;
Ce manquement est puni de l’amende prévue pour les contraventions de 5ème classe, soit 1 500 € pour l’employeur personne physique et 7 500 € pour l’entreprise personne morale, prononcée autant de fois qu’il y a de salariées concernées par l’infraction [15].
2. Les dispositions conventionnelles au secours de la carence législative
Dans sa réponse au Comité européen des droits sociaux, la France mettait en avant les dispositifs avantageux de nombreuses conventions collectives de branche, comme si le dialogue social permettait ainsi de palier la carence du législateur. Si le raisonnement est critiquable, dans les faits il illustre bien l’importance que prennent les dispositions conventionnelles dans ce domaine.
La question de l’allaitement doit faire partie des négociations relatives à l’égalité entre les femmes et les hommes. Si les mères ont le choix - allaiter ou ne pas allaiter, allaiter chez elles (congé d’allaitement si des dispositions conventionnelles le prévoient, congé parental d’éducation) ou reprendre le travail tout en continuant d’allaiter - ce choix ne peut être ignoré par l’entreprise et les partenaires sociaux dans leur action en faveur de l’égalité.
Au niveau des branches, plusieurs conventions collectives prévoient la rémunération de la pause d’allaitement sur la base du salaire habituel (par exemple fabrication mécanique du verre, caoutchouc, négoce des matériaux de construction, industries chimiques, télédiffusion ou encore cristal, verre, vitrail) ou sur la base du minimum garanti du poste occupé (par exemple blanchisserie-teinturerie et nettoyage, chemiserie sur mesure, industries d’habillement, industries du camping, industries textiles).
Certaines conventions collectives prévoient un congé d’allaitement (communication et production audiovisuelles du secteur public non étendue), mais on peut s’interroger sur son intérêt par rapport à un congé parental d’éducation lorsque celui-ci n’est pas rémunéré (par exemple, distribution des films de l’industrie cinématographique, bois et scieries) sauf pour les salariées ne remplissant pas la condition d’ancienneté d’un an pour bénéficier d’un congé parental lorsque la convention de branche ne pose pas de condition d’ancienneté (par exemple caves coopératives vinicoles et leurs unions, métallurgie Jura).
Si elle ne rémunère pas cette pause, la convention collective des commerces et services de l’audiovisuel, de l’électronique et de l’équipement ménager prévoit une pause d’une heure le matin et une heure l’après-midi jusqu’aux six mois de l’enfant (au-delà, le droit commun redevient applicable). La convention collective des entreprises du commerce à distance prévoit quant à elle deux heures de pause par jour pour la mère qui allaite son enfant, dont une heure rémunérée.
La convention collective des banques prévoit pour sa part qu’au-delà du congé maternité supplémentaire rémunéré de 45 jours à plein salaire ou 90 jours à demi-salaire, la salariée qui allaite et prend un congé parental d’éducation bénéficie pendant 45 jours d’une indemnisation versée par l’employeur.
Par ailleurs, certaines conventions collectives de branche imposent aux employeurs la mise en place de locaux d’allaitement conformes aux dispositions légales et réglementaires (sans attendre donc une éventuelle mise en demeure), comme par exemple la convention de la fabrication mécanique du verre, la convention de l’hospitalisation privée à but lucratif (pour les entreprises de plus de 100 salariées), la convention de la blanchisserie-teinturerie et nettoyage et celle des industries textiles ("dans la mesure du possible").
Plusieurs accords d’entreprise prennent également en compte la situation d’allaitement, soit dans des accords dédiés, soit dans des accords plus larges. Ces accords consacrent souvent l’assimilation du temps de pause pour allaitement à du temps de travail effectif, prévoient des jours de télétravail supplémentaires pour les mères allaitantes ou encore restreignent leurs déplacements professionnels.
Il est certain qu’en l’état des dispositions légales sur le sujet, la négociation collective joue un rôle majeur et que les partenaires sociaux doivent se saisir du sujet, dans les problématiques plus vastes de l’égalité femmes/hommes, de l’équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle, de la protection de la parentalité et de la protection de la santé.
[1] Articles L1225-30 à L1225-33 ; articles R1225-5 à R1227-7 ; articles R4152-13 à R4152-28 du Code du travail.
[2] Article R. 4152-2 du Code du travail.
[3] Article L1225-30 du Code du travail.
[4] Article R. 1225-5 du Code du travail.
[5] Article R. 1225-6 du Code du travail.
[6] Cass. Soc, 11 mai 2022, n°21-15.247 : "les dispositions de la Charte sociale européenne n’étant pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers."
[7] Article L. 1225-31 du Code du travail
[8] Cass. Soc., 25 novembre 2020, n°19-19.996
[9] Direction Régionale des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l’Emploi, devenue Dreets (Direction Régionale de l’Économie, de l’Emploi, du Travail et des Solidarités).
[10] Article R. 4152-13 et suivants du Code du travail.
[11] Article R. 4624-19 du Code du travail
[12] Article D. 4152-7 du Code du travail
[13] Article D. 4152-8 du Code du travail
[14] Article D4152-9 du Code du travail
[15] Article R. 2127-6 du Code du travail.
Aurélie et Lamagie, voici la réaction de l'autrice de l'article à vos deux commentaires :
Bonjour, le principe du forfait jours est justement que le temps de travail est décompté en jours (ou en demi-journées selon l'accord collectif ou la convention de branche applicable) et non en heures. Dès lors il n'y a pas lieu de décompter la pause allaitement ni de la déduire du salaire, et ce que le salarié soit dans les locaux ou en télétravail.
Bonjour,
Je suis dans la même situation que vous, reprise du travail et allaitement avec une convention en forfait jour. Pour la retenue de salaire, elle n'est pas justifié selon moi du fait que nous ne pointons pas nos heures (libre organisation du temps de travail). En revanche, oui il y aurait à redire concernant l'adaptation de la charge de travail avec cette "heure d'allaitement'.
Bonne reprise
Merci beaucoup pour cet article qui fait bien le point sur la situation actuelle
Je comprends mieux pourquoi je ne comprenais pas bien les réglementation sur le "local" d'allaitement.
2 questions qui se sont posées à moi lors de ma reprise :j'ai un contrat avec un forfait de travail en jours, comment décompter 1 h par jour dans ce cas ?
Comment compter/décompter pour les jours de télétravail ? Droit aux pauses quand même, ou pas épaisse et pas de déduction de salaires les jours de télétravail ?
Ce sont des questions qui se sont posées, mais je tiens à conclure en disant que cela c'est bien passé avec mon employeur : mise à disposition de la salle de soin de l'infirmerie et finalement pas de retenue de salaire (mais un chef qui avait quand même l'air d'attendre que 100% du travail soit fait ?)
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