Article écrit par Marie Courdent,, initialement paru dans le n° 199 de Profession sage -femme, révisé en 2018
Donner un même et unique sein à chaque tétée est possible. Malgré les conseils et les aides techniques, d’autres paramètres peuvent influer sur la poursuite de l’allaitement. Dans le cas présenté, la production lactée a probablement été affectée par une rétention placentaire prise en charge tardivement.
Madame N. se rend à la consultation infantile de la PMI pour poser des questions sur l’allaitement. Son enfant est né il y a onze jours, à terme, pesant 4 030 g. À J3, la perte de poids a été de 300 g. Depuis, il a légèrement dépassé son poids de naissance pour atteindre 4 060 g. Sa croissance est normale, avec une prise moyenne de 41 g par jour.
D’emblée, Madame N. explique qu’elle est porteuse du gène BRCA1, que plusieurs personnes de sa famille ont eu un cancer du sein et que sa mère est décédée d’un cancer des ovaires il y a quelques années. Elle-même a présenté il y a trois ans des calcifications au niveau d’un canal galactophore du sein droit. Par prudence, elle a subi une mastectomie partielle. Elle en garde une cicatrice de 5 cm environ dans le cadran supéro-interne droit. La totalité du sein a ensuite était irradiée. Elle porte les marques tatouées de la zone ayant reçu des rayons, et cette zone déborde largement le sein. Elle a un suivi oncologique tous les six mois.
Ce sein droit n’a pas évolué durant la grossesse, ni en post-partum immédiat. Il ne donne pas de lait. Durant le séjour en maternité, les tentatives d’expression manuelle ont été vaines. À l’examen, le sein est souple et indolore. On remarque au niveau du mamelon une petite tache orange. Je pense qu’il s’agit d’un pore bouché par une micro goutte de colostrum. Le sein gauche a pris du volume dès la grossesse et il produit tout le lait dont l’enfant a besoin. Le mamelon présente à son extrémité supérieure une érosion avec un début de croûte. Il est bien entendu sollicité à toutes les tétées et celles-ci sont douloureuses.
Accompagnement
J’indique à Madame N. la position « Biological Nurturing » et la position « madone inversée », et lui indique une crème pour améliorer les blessures du mamelon gauche. À J16, lorsque je revois la maman en PMI, les crevasses ont vite guéri. L’enfant pèse 4 240 g.
Mais une semaine plus tard, la prise de poids s’est ralentie : l’enfant pèse 4 280 g. Il est alors conseillé de proposer systématiquement à chaque repas deux fois le sein gauche, avec un changement de couche au milieu de la tétée. Par ailleurs, comme la maman perd encore du sang, elle sollicite, sur ma suggestion, l’avis de son gynécologue-obstétricien par courriel. Celui-cii lui répond qu’il pense que cela va s’arrêter et banalise la situation. Je lui explique pour ma part que cela pourrait provenir d’une rétention placentaire, qui peut influer sur sa production lactée. Madame N. fait confiance à son gynécologue.
Le risque majeur de cancer du sein peut être évoqué avec Madame N., très au fait de sa situation. Elle déplore que le sein droit ne produise pas de lait, car allaiter de ce côté aurait fait diminuer les risques d’une récidive. Comme elle souhaite tirer du lait pour éventuellement laisser un biberon de lait maternel en cas de sortie, je lui propose de tirer dans ce cas les deux seins pour amener, peut-être, le sein droit à produire un peu de lait. Avec un tire-lait électrique double pompage, la maman essaye de tirer les deux seins, et le sein droit donne un peu de colostrum. Je l’encourage à tirer régulièrement pour le faire travailler.
La jeune femme m’explique également que, depuis sa grossesse, elle a arrêté toute prise d’alcool. Mais cela lui pèse dorénavant lors de soirées entre amis. Elle est ravie de recevoir un document indiquant le temps nécessaire pour éliminer l’alcool du lait maternel en fonction de la dose d’alcool consommé et du poids de la maman [5].
À quatre semaines post-partum, Madame N. a une visite de contrôle pour son risque de cancer. L’échographie mammaire est normale, mais l’échographie pelvienne confirme qu’il y a bien une petite rétention placentaire de trois centimètres. Comme le couple part en vacances, le gynécologue propose de voir cela au retour. De son lieu de vacances, Madame N. m’appelle car elle pense que son bébé a faim, et elle se pose la question de lui proposer en fin de tétée un « dessert » de 30 ml de lait industriel. Elle passe beaucoup de temps avec son enfant au sein et ne voit pas comment elle peut mieux le satisfaire. Elle a loué une balance et a constaté un ralentissement de sa prise de poids. Sa décision est prise, et elle a besoin de renseignements pratiques sur la préparation des biberons. Je lui donne les informations pour minimiser au maximum l’impact négatif des compléments sur l’allaitement (compléter plutôt que remplacer une tétée, limiter les quantités, permettre au bébé de téter activement au biberon en positionnant l’enfant assis, avec un biberon quasi horizontal, qui ne coulera que si le bébé tète).
Au retour des vacances, Madame N. saigne toujours et la rétention placentaire est confirmée. Elle subit un curetage sous anesthésie générale, suivi d’une hémorragie. Elle est hospitalisée 24 heures. Son bébé ira la voir pour des tétées. Il est aussi nourri de lait prélevé au tire-lait et de lait industriel.
L’enfant est désormais en allaitement partiel et, progressivement, la mère s’achemine vers un sevrage. Il sera complètement effectif pour sa reprise de travail aux 3 mois de l’enfant, alors qu’elle avait envisagé auparavant de garder les tétées du matin et du soir.
Observations
- L’allaitement, facteur de protection du cancer du sein chez les femmes porteuses d’une mutation du gène BRCA1 ou 2. 8 à 10 % de l’ensemble des cancers du sein sont transmis génétiquement. Dans les « familles à risques », la mise en évidence d’une mutation du gène BRCA implique un risque évalué à 80 % de développer ultérieurement, le plus souvent avant 50 ans, un cancer du sein, ou, à un moindre degré, de l’endomètre. C’est le cas de la famille d’Angelina Jolie qui a choisi comme mesure préventive radicale l’ablation des deux seins.
Une vaste étude portant sur près de 6 000 femmes de sept pays différents et toutes porteuses d’un gène BRCA1 ou 2 a conclu que l’on observe une réduction significative du risque de cancer du sein chez les femmes BRCA1 ayant allaité durant au moins un an (réduction de 32 %), réduction s’accroissant de 19 % par an en cas d’allaitement durant plus d’un an. En revanche, cet effet n’est pas retrouvé en cas de mutation BRCA2 [1].
C’est pourquoi il me semblait vraiment important que cette maman puisse allaiter aussi longtemps qu’elle le souhaitait et qu’elle stimule son sein droit pour l’encourager à produire du lait. Un résumé de l’article de J. Kotsopoulos lui a été remis [1]. Elle fut étonnée d’apprendre que l’allaitement pouvait être prolongé jusqu’à 1 an, car cela n’était pas son projet de départ.
- La rétention placentaire, cause d’une production lactée insuffisante [2, 3]. La lactogénèse 2 ou « montée de lait » se manifeste quand les taux d’hormones placentaires, œstrogène et progestérone, ont atteint des taux sanguins très bas suite à la naissance et à l’expulsion complète du placenta. Même si la femme n’a pas de douleurs pelviennes ni de fièvre, il faut savoir penser à une rétention placentaire quand les saignements persistent et demander une échographie de contrôle. Une rétention, même minime, peut freiner la production lactée. Je pense que dans le cas de Madame N., cette rétention a été prise en charge trop tardivement.
- Les biberons de compléments, parfois nécessaires, mais à manipuler avec précaution pour éviter de prendre le chemin du sevrage.
Dans l’étude de Kent, analysant notamment le volume de lait produit par les femmes, 13 % des bébés faisaient toujours des tétées couplées aux deux seins. Cependant, 30 % faisaient toujours des tétées sur un seul sein et le reste des bébés (57 %) un mélange des deux, sans préjudice pour leur croissance [4]. Le fait que Madame N. ne puisse allaiter que d’un seul sein a peut-être été un facteur limitant, même si la physiologie de la lactation aurait dû permettre au sein de suivre les besoins de l’enfant. La décision de compléter les tétées n’est pas à prendre à la légère, car cela peut vite évoluer vers des biberons de remplacement et une chute de la lactation.
Conclusion
Dans le cas de Madame N., je pense que la rétention placentaire a maintenu une lactation basse et ce, depuis le début de l’allaitement. D’autres facteurs ont sans doute contribué à l’orienter vers le sevrage. D’une part, la maman n’avait pas de projet arrêté d’allaitement, se demandait si elle aimerait allaiter et ne connaissait pas la possibilité d’un allaitement prolongé. Par ailleurs, durant leurs vacances, Madame N. a-t-elle reçu un soutien actif de la part de sa famille, incluant la banalisation du besoin de tétées fréquentes du petit garçon, ce qui surprend parfois la génération précédente ? L’introduction de compléments de lait industriel, nécessaires car l’enfant avait, d’après les parents, encore faim après les tétées, a signé le début d’un sevrage inéluctable et relativement rapide. Aux 3 mois de l’enfant, la mère se dit satisfaite de son expérience d’allaitement.
Marie Courdent, animatrice LLL France, puéricultrice de PMI, formatrice Am-F, consultante en lactation certifiée IBCLC.
Références bibliographiques
[1] Kotsopoulos J. et al,. Breastfeedin and the risk of breast cancer in BRCA1 ans BRCA2 mutation carriers. Breast Cancer Res 2012 ; 14 : 1-9
[2] Neifert MR, McDonough SL, Neville MC. Failure of lactogenesis associated with placental retention. Am J Obstet Gynecol 1987; 140(4):477-8
[3] Disruption of lactogenesis by retained placental fragments. J Hum Lact 2001 May; 17(2):142-4.
[4] Kent JC, Mitoular LR, Cregan MD, Ramsay DT, Doherty DA, Hartman PE. : Volume and frequency of breastfeeding and fat content of breast milk throughout the day. Pediatrics 2006; 117: e387-95.
[5] La consommation d’alcool pendant l’allaitement. Centre de ressources sur la maternité, les nouveau-nés et le développement des jeunes enfants de l’Ontario, révisé en février 2005.
[6] Allaitement et tabac, alcool, drogues dans Allaiter aujourd’hui de juillet 2013, n° 96
Je remercie infiniment les personnes ayant laissé des commentaires avec l'expérience vécue !!! Je remercie particulièrement PAULINE car opérée également il y a une semaine de mon sein droit à cause d'un abcès, la gynécologue ainsi que mon entourage m'ont encouragée à arrêter l'allaitement, ce que je refuse (mon bébéa un mois), cela me tenait tellement à cœur !! Donc je continuais jusqu'à ce jour à allaiter que du sein gauche avec du lait en poudre en complément (sein droit avec pansement, guérison prévue dans 1 mois).
Je tirais mon lait une à deux fois par jour, pour maintenir une lactation jusqu'à guérison de mon autre sein, en perdant un peu espoir.
Mais aujourd'hui je suis encore plus motivée que jamais, car j'ai la preuve que je peux gérer avec un seul sein pendant un certain temps et que rien n'est perdu !!!
Je vais encore plus tirer mon lait et garder bébé tout le temps au sein.
Je suis très émue, très contente de savoir que je vais pouvoir continuer à allaiter !! =)
Belle journée à toutee !!
Bonjour, en raison d'un accouchement compliqué, j'ai du passer plusieurs jours en soins intensifs et ce dès les premières heures de vie de mon bébé. Je voulais vraiment l'allaiter et ça a été beaucoup d'efforts et de détermination pour y arriver. Les premiers jours j'avais très très peu de lait, a peine qqs gouttes, insuffisantes pour nourrir mon fils, qui recevait donc un complément. D'autant plus que j'étais sous anti-inflammatoires, antibiotiques et qu'ayant perdu beaucoup de sang, j'étais très faible et j'ai du être transfusée. Tout cela a pesé moralement, je passais mon temps à essayer d'exprimer du lait depuis les soins intensifs alors que mon bébé était avec son père à la maternité. Quand j'ai pu les rejoindre à la maternité, j'ai redoublé d'efforts pour favoriser la montée de lait. Ça a pris beaucoup de temps, et mon fils était également gêné par le frein de sa langue. Une fois le frein "coupé" par la pédiatre de la mater, il a été plus a l'aise pour téter. En parallèle, une puéricultrice m'a prêté un tire lait et ça a aidé aussi a produire plus de lait. Au bout de 10 jours mon état et celui de mon fils étaient stabilisés, on a enfin pu quitter la mater et rentrer a la maison ! Néanmoins je n'avais pas beaucoup de lait dans mon sein droit. Malgré tous mes efforts et les précieux conseils des puéricultrices de la pmi, mon sein droit est resté quasi vide. Je tirais et tire encore mon lait du côté gauche, mais je n'ai jamais rien eu côté droit avec le tire lait. Aujourd'hui mon fils a dix mois, et en plus de la diversification alimentaire il reçoit a la fois de mon lait et des biberons de lait infantile. Je tire mon lait côté gauche lors de mes journées de travail. En parallèle j'allaite mon fils les soirs, nuits et matins, (et en journée les weekends). Lors des tétées il tête à la fois a gauche et à droite. Notamment la nuit où je l'allaite en position allongée, il choisit souvent de lui même le sein droit. Ce sein qui pourtant semble "vide" suscite l'intérêt de mon fils. Alors même si il n'en tire pas ou peu de lait, je me dis que s'il apprécie de le téter (tétée de confort?), ce sein garde un rôle. Le corps est bien mystérieux, la vie est pleine de surprises et je suis heureuse d'avoir persisté dans mon désir d'allaitement malgré les difficultés. Je n'ai pas pu maintenir un allaitement exclusif, je n'ai pas non plus de lait des deux côtés. Mais je continue d'allaiter mon fils et d'apprécier ces moments avec lui.
Pour compléter le commentaire précédent (du 27 avril 2020): Nous avons effectivement repris l'allaitement du sein qui a été opéré et tari. La lactation s'est adaptée. Mon enfant a désormais 17 mois et l'allaitement se poursuit (en complément de son alimentation "diversifiée"), des 2 seins. Il y a toujours plus de lait de l'autre sein, mais celui-là le nourrit également, sans inconvénient.
Bref, juste pour signaler aux mamans qu'il est possible d'interrompre l'allaitement sur 1 sein (pour quelque raison que ce soit), et de reprendre plus tard. En tout cas dans mon cas ça s'est produit.
Mon médecin généraliste, favorable à l'allaitement mais pas expert non plus, ne savait pas qu'il était possible d'allaiter avec 1 seul sein, ni de retrouver une lactation après avoir tari 1 sein, eh bien si! Je ne sais pas si ça fonctionne pour toutes, mais c'est possible. L'important est de se faire confiance et d'essayer en fonction de ce dont on a envie.
Bonjour,
j'allaite uniquement d'un sein depuis que mon bébé a 1 mois.
Suite à un engorgement mal traité, j'ai été opérée d'un abcès. L'allaitement a été interrompu pendant les 2 jours d'hospitalisation, et comme je n'avais pas prévu de réserve il a été nourri avec du lait artificiel en poudre, au biberon. Ensuite j'ai repris l'allaitement sur un seul sein.
L'allaitement du sein opéré aurait été possible mais j'ai préféré éviter du fait d'un pression psychologique (craintes de mon entourage pour ma santé et celle de mon bébé), et pour éviter d'éventuels coups involontaires de mon bébé sur la plaie.
Bref, pendant 1 semaine on lui a donné quelques biberons (30 à 90 mL) en complément de l'allaitement, quand il semblait avoir encore faim, puis cela n'a plus été nécessaire, la lactation étant devenue suffisante.
Pendant cette semaine "mixte" et la suivante l'allaitement était parfois un peu délicat; C. a dû être perturbé entre le sein sur lequel il devait exercer une succion suffisante pour avoir du lait et le biberon où le lait venait quasiment tout seul. J'avais l'impression qu'il prenait mal le sein ou qu'il attendait et s'agaçait un peu que "ça ne vienne pas" (alors qu'il y avait du lait). Néanmoins c'est rentré dans l'ordre assez vite.
Mon bébé a désormais presque 4 mois, et est toujours en allaitement exclusif. Cela se passe bien. Il est tout-à-fait possible d'allaiter d'un seul sein... en prévoyant persévérance, patience et disponibilité!
Je reprendrai sûrement l'allaitement du sein opéré prochainement (il a été tari mais j'ai bon espoir que la lactation revienne, même en moindre quantité).
Bb grandit et l'allaitement a très bien fonctionné jusqu'à récemment. A 5mois introduction d'un repas puis progressivement maintien d'une tétée matin et soir. Au 16 mois de bébé je déclare une candidose ce qui fût très douloureux je projette d'arrêter l'allaitement mais une sage femme m'en dissuade car bébé est en demande et pour ma part, seules les douleurs me poussent à vouloir arrêter. Je maintien donc avec un traitement. Après 15 jours je récidive et un sein est particulièrement douloureux malgré la reprise du traitement. Maintenant je ne maintien la tétée que le soir et qu'avec le sein droit en raison des lancements que ça gênerait. Pour le moment ça fonctionne plutôt bien. Merci pour votre article ça me conforte dans le fait que l'allaitement à un seul sein est possible et non dommageable
Bonjour
Je suis une maman qui allaite avec un seul sein et ça fonctionne hyper bien !
En 2010 j'ai subi une intervention chirurgicale pour un Papillaume au sein gauche et le chirurgien m'avait dit que ça ne poserait aucun problème pour allaiter : ben en fait si ! j'ai eu les montées de lait aux deux seins... Mais le chirurgien a dû couper un truc car je n'ai jamais eu qu'une seule goutte de lait qui sort du sein gauche et le tire lait n'a jamais rien sorti...
Bien sûr à la maternité l'équipe de nuit et l suivante ont trouvé tous les arguments pour que je ne me pas avec l'allaitement et qu'il valait mieux pour tout le monde que je lui donne des biberons (de merde) mais c'était sans compter sur ma détermination et la volonté de ma poupinette d'amour !
Bref mon sein droit rempli entièrement le job et à 7 mois et demi nous ne sommes pas prêtes d'arrêter !
Ayons confiance en Nos Bébés
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