Les médecins et pharmaciens ont reçu récemment le courrier ci-dessous concernant la dompéridone (qui peut être utilisée dans certains cas pour augmenter la production lactée) :
« En accord avec l’Agence de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) et suite aux recommandations du Groupe de Travail de Pharmacovigilance de l’Agence européenne des médicaments (EMA), le laboratoire Janssen souhaite vous informer de nouvelles données concernant les risques cardiaques des médicaments contenant de la dompéridone.
Des études épidémiologiques ont mis en évidence que l’utilisation de la dompéridone peut être associée à une augmentation du risque d’arythmies ventriculaires graves et de mort subite.
Le risque d’allongement de l’intervalle QTc et d’arythmies ventriculaires sont des risques cardiaques connus et sont inclus dans le Résumé des Caractéristiques du Produit (RCP) des médicaments contenant de la dompéridone.
Le risque d’arythmies ventriculaires graves ou de mort subite peut être plus élevé chez les patients âgés de plus de 60 ans ou chez ceux traités par des doses orales quotidiennes supérieures à 30 mg.
La dompéridone doit être utilisée à la dose efficace la plus faible chez les adultes et les enfants.
Le rapport bénéfice/risque de la dompéridone demeure positif. »
Les études citées pour fonder cette mise en garde sont les suivantes :
Risk of serious ventricular arrhythmia and sudden cardiac death in a cohort of users of domperidone: a nested case-control study. Johannes CB, Varas-Lorenzo C, McQuay LJ, Midkiff KD, Fife D. Pharmacoepidemiol Drug Saf. 2010 Sep;19(9):881-8.
Domperidone and ventricular arrhythmia or sudden cardiac death: a population-based case-control study in the Netherlands. van Noord C, Dieleman JP, van Herpen G, Verhamme K, Sturkenboom MC. Drug Saf. 2010 Nov 1;33(11):1003-14.
La rédaction des Dossiers de l’Allaitement, revue de La Leche League France destinée aux professionnels de santé, a émis le 8/12/2011 la note suivante :
L’étude de Johannes a pour conclusion : La prise de dompéridone était corrélée à une augmentation modeste du risque d’arythmie sévère et d’arrêt cardiaque soudain pendant le traitement. Cette corrélation était plus faible après ajustement pour les variables confondantes, ce qui permet de penser que d’autres variables confondantes non prises en compte dans cette étude pourraient encore l’abaisser. Il serait nécessaire de faire d’autres analyses prenant en compte l’âge des patients, la durée du traitement par dompéridone, et la posologie.
Dans l’étude de van Noord, les auteurs concluaient à une augmentation du risque d’arrêt cardiaque, les données étant insuffisantes pour conclure sur le risque d’arythmie. Le résumé de cette étude ne présente aucune donnée sur les doses et la voie d’administration. Il reste donc difficile de conclure au vu des résultats de deux ces études.
Dans un communiqué du 7 juin 2004, la FDA (Food and Drug Administration, USA) avait déjà lancé un avertissement pour interdire l’utilisation de la dompéridone chez les mères allaitantes, en se fondant sur le fait que des études anciennes avaient fait état de deux décès chez des patients qui avaient reçu de la dompéridone en administration intraveineuse. À l’époque, deux spécialistes s’étaient vigoureusement insurgés contre ce communiqué :
Thomas W Hale (Dr en pharmacie et en toxicologie, professeur de pédiatrie, auteur du livre Medications and mothers’ milk) :
« La dompéridone est utilisée depuis des années partout dans le monde avec une excellente innocuité… La réalité, c’est que je continue à penser que la dompéridone est le produit le moins dangereux que nous puissions utiliser pour stimuler la production lactée chez certaines femmes. Il reste exact que, chez certaines mères, il constitue le seul espoir pour maintenir leur sécrétion lactée pour leur enfant, et éviter ainsi les effets secondaires nocifs des laits industriels.
Lorsque je leur ai demandé (la FDA) s’ils avaient consulté une personne compétente dans le domaine de la lactation au sujet des conséquences de leur avertissement, ils m’ont dit que non. Lorsque je leur ai demandé ce que les mères allaitantes étaient censées faire, ils m’ont répondu qu’elles devraient contacter leur médecin pour une alternative, ou passer au lait industriel. Je n’ai pas de conseils à vous donner, mais en ce qui me concerne, j’ai tout simplement décidé de les ignorer, eux et leur avertissement. »
Dr Jack Newman (pédiatre, responsable de consultations d’allaitement) :
« Pourquoi ne parlent-ils pas du métoclopramide dans leur avertissement (celui de la FDA) ? Ce dernier est bien plus dangereux. Et ce produit est aussi utilisé pour augmenter la production lactée, alors que ce n’est pas son indication de vente, qui est le traitement des troubles de la motilité gastrique aux USA… Pourquoi se focaliser sur les mères allaitantes ? Pourquoi pas sur les diabétiques qui ont un risque beaucoup plus élevé d’arythmie cardiaque que les femmes en âge de procréer ?
J’ai prescrit de la dompéridone à des bébés (pour un reflux), mais je l’ai surtout prescrit pour augmenter la production lactée chez des mères, et ce à probablement bien plus de 1000 mères, sans autres effets secondaires que des céphalées modérées, des irrégularités menstruelles occasionnelles, ou des douleurs abdominales modérées. Je ne peux pas en dire autant du métoclopramide, pour lequel j’ai observé de sérieux effets secondaires neurologiques ainsi que des dépressions… Si on pèse les avantages par rapport aux risques, la dompéridone peut faire beaucoup plus de bien que de mal. Je continuerai à le prescrire aux femmes chez qui j’estime qu’il peut être utile. »
La dompéridone passe très faiblement dans le lait maternel. La quantité de dompéridone excrétée dans le lait est estimée à moins de 7 microgrammes/jour aux posologies les plus élevées recommandées, ce qui représente moins du millième de la posologie utilisée en pédiatrie (0,75 à 1 mg/kg/jour). S’il peut exister un risque lié à la dompéridone pour la mère allaitante, il n’y a aucun risque pour le bébé allaité par une mère prenant de la dompéridone.
Il est cependant nécessaire de se souvenir que la dompéridone (comme tout autre produit galactogène) ne doit pas être prescrite en première intention lorsqu’une mère dit ne pas avoir assez de lait. Nous rappelons donc ci-dessous la conclusion du protocole de l’Academy of Breastfeeding Medicine (http://www.lllfrance.org/Demarrer-telechargement/Protocoles-de-l-Academy-of-Breastfeeding-Medecine/175-Protocole-ABM-9.pdf.html) :
« Avant d’utiliser un galactogène, une évaluation soigneuse devrait être effectuée sur tous les aspects de l’allaitement par un expert en la matière. La mère doit être rassurée lorsque c’est approprié. Lorsqu’une intervention est indiquée auprès de la dyade, les facteurs modifiables doivent être passés en revue : confort et relaxation pour la mère, fréquence des tétées et drainage complet du sein, et passage en revue des éventuelles causes médicales. Un médicament ne devrait jamais remplacer une évaluation, et le don de conseils sur les facteurs modifiables.
Dans la mesure où nous avons de nouvelles connaissances sur les diverses interventions permettant d’augmenter la production lactée chez les mères allaitantes, la nécessité d’utiliser un galactogène est devenue plus basse. Il reste des indications spécifiques dans lesquelles certains de ces produits peuvent être utiles, mais les données sont insuffisantes pour faire des recommandations définitives. Une étude de qualité élevée a trouvé que la dompéridone était utile chez les mères d’un bébé de moins de 31 semaines d’âge gestationnel hospitalisé en néonatalogie. Les plantes galactogènes posent un problème en raison de l’absence de régulation pour les préparations, et pour le manque de données suffisantes sur leur efficacité et leur sécurité.
Les cliniciens devraient prescrire les galactogènes avec la prudence nécessaire en matière d’interactions médicamenteuses (ou entre médicaments et plantes), ainsi qu’avec la prise en compte du rapport bénéfices/risques, et après avoir obtenu un consentement informé. Un suivi étroit de la mère et de l’enfant est essentiel pour suivre le déroulement de l’allaitement, ainsi que tout effet secondaire du médicament sur la mère ou l’enfant. »
La rédaction des Dossiers de l’Allaitement, 8/12/2011
En complément, voici la réponse à l’article de la revue Prescrire 2011 faite par le Dr Aurore Gouraud (Centre de pharmacovigilance de Lyon, 9 mars 2010) et le Dr Raphaël Serreau (Réseau Medic-Al, Paris, 7 décembre 2011) :
Il faut différencier plusieurs points :
1. Efficacité de la dompéridone comme galactogogue :
Sur ce point, je rejoins assez volontiers ce qui est dit dans l’article dans le sens où les données d’efficacité sont limitées à trois petites études comparant l’effet de la dompéridone à un placebo et une étude non comparative.
Deux études, incluant un total de 62 couples mère/enfant dont 28 traitées par dompéridone, concernent des mères de prématurés (enfants nés à 27-28 SA) avec une inclusion entre 31 et 33 SA d’âge corrigé. La dompéridone augmente significativement les taux maternels de prolactine et la production de lait par rapport aux groupes non traités (+ 44-106 % d’augmentation de volume de lait en moyenne contre + 15-16 % dans le groupe placebo) (1,2).
Une autre étude, non contrôlée, a testé l’efficacité de deux posologies de dompéridone (30 ou 60 mg/j) chez six mères de prématurés (terme naissance moyen 26,4 SA, âge moyen au moment de l’étude 33 SA). Sur ces six mères, deux n’ont pas vu leur production de lait augmenter, quelle que soit la dose de dompéridone utilisée. Chez les quatre autres, on observe une augmentation de la production lactée de 200 à 300 % par rapport au volume de lait avant traitement. Sur ce petit effectif, il n’y a pas de différence significative d’augmentation de la production de lait entre les deux doses testées (3).
La dernière étude versus placebo (non randomisée) concerne les mères de 32 enfants nés à terme dont 17 étaient traitées par dompéridone 30 mg/j. Le traitement était débuté au plus 15 jours après la naissance. Les auteurs signalent une augmentation de la production lactée chez les mères traitées par rapport aux mères non traitées, sans que cette augmentation n’apparaisse cependant corrélée avec les taux de prolactine. Il faut par ailleurs souligner que cette étude est ancienne (1985) et qu’il n’est nulle part fait mention de l’utilisation de méthodes non médicamenteuses de soutien à l’allaitement pour le groupe placebo (4).
En conclusion, sur ce premier point, les quelques données d’efficacité d’un traitement par dompéridone concernent surtout les mères d’enfants prématurés. Il faut garder à l’esprit que les effectifs sont très réduits.
Il n’existe aucune donnée d’efficacité de la dompéridone chez les mères d’enfants nés à terme au-delà de 15 jours post-partum.
2. Risque de l’utilisation de la dompéridone
C’est sur ces points que notre avis diffère complètement de celui émis dans le texte. Il est parfaitement infondé de dire que la dompéridone est un médicament dangereux.
S’il s’agit bien d’un médicament de type neuroleptique, il ne passe que très peu la barrière hématoencéphalique, ce qui en fait l’un des antiémétiques de cette classe les mieux tolérés (en comparaison au Primpéran® par exemple). Il n’est donc pas légitime ni scientifiquement justifié d’extrapoler les effets indésirables des neuroleptiques antipsychotiques à la dompéridone comme cela est fait dans l’article.
a. Chez la mère
Parmi les effets indésirables cités dans l’article :
- Hyperprolactinémie : c’est justement le but recherché dans ce contexte d’utilisation.
- Troubles du rythme cardiaque : cet effet a justifié le retrait de la dompéridone aux USA. Il faut cependant préciser que les cas de troubles du rythme survenaient lors d’administration par voie IV de dompéridone chez des patients recevant une chimiothérapie anticancéreuse et à des doses plus élevées que celles préconisées dans son utilisation en tant que galactogogue. Il faut également préciser que la biodisponibilité par voie orale de la dompéridone est faible, de l’ordre de 15 %. Les concentrations plasmatiques de dompéridone obtenues après une administration IV sont donc bien supérieures à celles suivant une prise orale.
Enfin, pour être tout à fait complet, les seules études épidémiologiques s’intéressant au risque cardiaque de la dompéridone par voie orale ne retrouvent qu’un sur-risque extrêmement faible chez les patients âgés de plus de 60 ans et de sexe masculin (5,6).
Compte tenu de la population qui nous intéresse, de la dose utilisée et en prenant soin d’interroger les patientes sur d’éventuels antécédents cardiaques personnels, il ne semble pas que la prise de dompéridone comme galactogogue expose à un risque spécifique de troubles du rythme.
- Troubles extrapyramidaux : il s’agit de l’un des effets indésirables les plus fréquents décrit avec les antiémétiques de cette classe. Ces troubles sont généralement des mouvements anormaux, parfois impressionnants, mais généralement bénins, qui cèdent avec l’arrêt du médicament. La dompéridone est cependant beaucoup plus rarement impliquée dans ce type de trouble que le métoclopramide. Ainsi, une analyse des notifications en France a permis d’estimer l’incidence de cet effet à 1 cas/3.000.000 de prescriptions.
- Troubles thromboemboliques veineux : il s’agit d’effets indésirables rapportés avec les neuroleptiques antipsychotiques uniquement et pour lequel il semble qu’il existe une part importante liée à la pathologie sous-jacente, puisque les patients psychotiques présentent généralement de nombreux facteurs de risque associés à des thromboses. Cet effet n’est pas noté dans les RCP des spécialités à base de dompéridone, et c’est parfaitement logique.
- Idées et comportement suicidaires : à nouveau, il s’agit d’un effet qui n’a jamais été décrit avec la dompéridone et qui semble extrapolé à partir du profil d’effet indésirable d’autres neuroleptiques.
b. Chez l’enfant
Le passage dans le lait de la dompéridone a été étudié dans plusieurs études. En prenant le taux lacté le plus élevé observé dans ces études (2,6 μg/L), on peut estimer qu’un enfant allaité exclusivement est exposé à une dose de 0.4 μg/kg/j, soit 0,05 % de la plus petite dose recommandée en pédiatrie. Ce niveau d’exposition parait un élément suffisant pour éliminer raisonnablement un risque chez l’enfant allaité, même en envisageant des variations inter et intra individuelles qui pourraient conduire à des taux plus élevés.
Dans les études citées plus haut, aucun effet indésirable n’a été observé chez les enfants allaités, y compris dans un contexte de prématurité. Enfin, le Motilium® peut être utilisé chez l’enfant dès la naissance. Dans la base nationale de pharmacovigilance, les quelques effets signalés concernant des enfants de moins de 1 an traités directement sont en grande majorité des mouvements anormaux survenant pour l’essentiel dans un contexte de surdosage accidentel en dompéridone.
Enfin, une étude s’est intéressée aux modifications éventuelles de composition du lait chez les mères traitées par dompéridone et n’a pas identifié de conséquence notable (2).
Pour conclure :
Si l’intérêt de l’utilisation de la dompéridone comme galactogogue est discutable et reste pour l’essentiel à démontrer, ce type d’utilisation selon les protocoles habituellement proposés (30 mg/j pendant 1 à 2 semaines) ne paraît pas exposer la mère et l’enfant à un risque particulier. (Ndlr : la dompéridone a un effet galactogène rapporté mais n'a pas d'AMM en France pour cette indication)
Des études complémentaires randomisées restent à réaliser pour juger de la posologie adéquate à donner chez les mères d'enfants prématurés.
1. da Silva OP, Knoppert DC, Angelini MM, Forret PA. Effect of domperidone on milk production in mothers of premature newborns: a randomized, double-blind, placebo-controlled trial. CMAJ. 2001 Jan 9;164(1):17-21.
2. Campbell-Yeo ML, Allen AC, Joseph KS, Ledwidge JM, Caddell K, Allen VM, et al. Effect of domperidone on the composition of preterm human breast milk. Pediatrics. 2010 Jan;125(1):e107-114.
3. Wan EW, Davey K, Page-Sharp M, Hartmann PE, Simmer K, Ilett KF. Dose-effect study of domperidone as a galactagogue in preterm mothers with insufficient milk supply, and its transfer into milk. Br J Clin Pharmacol. 2008;66(2):283-289.
4. Petraglia F, De Leo V, Sardelli S, Pieroni ML, D'Antona N, Genazzani AR. Domperidone in defective and insufficient lactation. Eur. J. Obstet. Gynecol. Reprod. Biol. 1985 May;19(5):281-287.
5. van Noord C, Dieleman JP, van Herpen G, Verhamme K, Sturkenboom MCJM. Domperidone and ventricular arrhythmia or sudden cardiac death: a population-based case-control study in the Netherlands. Drug Saf. 2010 Nov 1;33(11):1003-1014.
6. Johannes CB, Varas-Lorenzo C, McQuay LJ, Midkiff KD, Fife D. Risk of serious ventricular arrhythmia and sudden cardiac death in a cohort of users of domperidone: a nested case-control study. Pharmacoepidemiol Drug Saf. 2010 Sep;19(9):881-888.
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