Des professionnels de santé et des animatrices de LLL France ont récemment été contactées par une commerciale travaillant pour les produits mam’BIO, vantant les qualités de ces produits, en particulier les formules lactées commerciales « biologiques » Prémilait®. Parmi lesdites qualités, le message reçu affirmait la présence dans ces formules d’un « bifidus maternis, un microorganisme également présent dans le lait maternel, qui contribue à renforcer les défenses immunitaires et diminue le risque d'allergie ».
N’ayant jamais vu mentionnée l’existence de ce bifidus particulier, nous avons demandé à la commerciale sur quelles études scientifiques elle se fondait pour affirmer la présence de « bifidus maternis » dans le lait humain, ainsi que les bénéfices pour la santé des bébés de son inclusion dans une formule lactée commerciale. En réponse, elle nous a envoyé :
- deux études portant sur les bifidobactéries du lait humain,
- deux textes présentant les résultats d’une étude in vitro, étude que nous sommes allées rechercher sur Internet (voir plus bas le résumé de ces études)
Dans aucune de ces études on ne trouve mention d’un « bifidus maternis ». Quant à l’étude in vitro, elle ne porte même pas sur un bifidus, mais sur un lactobacille. Or, bifidobactéries et lactobacilles sont des espèces différentes. Par ailleurs, les deux premières études portent sur l’étude des bifidobactéries présentes dans le lait maternel, ainsi que dans les selles du bébé allaité pour l’une d’entre elles, mais n’ont absolument pas étudié l’impact éventuel de cette flore sur la santé du bébé. Et encore moins l’impact éventuel d’un prétendu « bifidus maternis » présent dans une formule lactée commerciale.
La composition de ces formules lactées commerciales est disponible (lait dit de 1er âge) :
Ingrédients :
Lait écrémé (issu de l’agriculture biologique, origine France), sirop de maïs, huiles végétales non hydrogénées (colza, noix de coco, tournesol), fécule de pomme de terre, lactose, lécithine de tournesol, bifidus longum. Minéraux : phosphate de calcium naturel de lait, oxyde de magnésium naturel, pyrophosphate de fer, gluconate de zinc, gluconate de cuivre, iodate de potassium, sélénite de sodium.
Vitamines d'origine végétale : L-ascorbate de sodium (C), cobalamine (B12). Vitamines nature identique : niacine (PP), acide pantothémique (B5), riboflavine (B2), thiamine (B1), pyridoxine (B6), rétinol (A), acide folique (B9), phytoménadione (K1), biotine (B8), ergocalciférol (D2).
Vitamine naturelle : tocophérols naturels (E), extrait de tournesol.
On remarque donc la présence d’un bifidus longum.
Nous avons communiqué nos constatations à la commerciale de mam’BIO, qui a reconnu que le bifidus longum présent dans le lait avait été rebaptisé « bifidus maternis », très probablement afin de donner une image plus positive de leurs produits. Force est donc de constater que les documents qui nous ont été fournis :
- ne démontrent en aucune façon l'existence d'un quelconque « bifidus maternis » dans le lait humain ou ailleurs, ce qui est compréhensible dans la mesure où cette dénomination a été inventée,
- ne démontrent pas non plus (et pour cause) que ce « bifidus maternis » soit susceptible d'avoir un quelconque impact sur la santé des bébés.
Les affirmations sur les bénéfices d’un « bifidus maternis » présent dans les formules lactées commerciales vendues sur ce site sont donc au mieux une erreur, au pire une tromperie délibérée.
À noter enfin que ce n'est pas parce qu'un lait (maternel ou formule lactée commerciale pour nourrissons) contient un germe que celui-ci va obligatoirement coloniser l'intestin du nourrisson, en particulier en ce qui concerne les bifidobactéries. Voir par exemple une étude toute récente publiée dans le Journal of Human Lactation :
Sharing of bacterial strains between breast milk and infant feces. Martín V, Maldonado-Barragán A, Moles L et al. J Hum Lact 2012 ; 28(1) : 36-44.
Chez 19 des 20 dyades, les mères et les enfants avaient en commun au moins 1 souche bactérienne (2 souches dans 13 dyades, 4 souches dans 2 dyades). Le partage de S epidermidis était le plus fréquent, tandis que celui des bifidobactéries était nettement plus rare. Toutefois, le fait que les bifidobactéries et les lactobacilles étaient beaucoup plus souvent retrouvés dans les selles des enfants que dans le lait maternel est probablement en rapport avec leur nombre beaucoup plus important dans les selles, et avec les difficultés liées à la culture de ces souches, une exception étant le L gastricus, qui a été isolé uniquement à partir d’un échantillon de lait. Les techniques moléculaires permettent de constater que les souches de bifidobactéries sont spécifiques à chaque dyade.
Ajoutons que pour avoir une chance de coloniser le tube digestif de la personne qui les absorbe, les probiotiques doivent impérativement être vivants, ou être sous une forme qui leur permettra de se développer après leur absorption. C'est le gros problème avec ce type de produit, car ce n'est pas facile à obtenir. Il semble donc peu probable, étant donné le mode de fabrication des formules lactées commerciales, et le fait que les boites vont séjourner pendant des semaines ou des mois sur un rayon, qu'il y reste suffisamment de bifidobactéries encore « vivantes » pour être capables de coloniser quoi que ce soit.
Françoise Railhet, éditrice des Dossiers de l'allaitement
Résumé des articles dont les références étaient fournies par la commerciale de mam’BIO
Isolation of bifidobacteria from breast milk and assessment of the bifidobacterial population by PCR-denaturing gradient gel electrophoresis and quantitative real-time PCR. Martín R et al. Appl Environ Microbiol 2009 ; 75(4) : 965-69. Mots-clés : lait humain, bifidobactéries.
Dès la naissance débute la colonisation du tube digestif du nouveau-né. La flore qui va s’installer progressivement aura un rôle important sur sa santé, et pourra contribuer à la maturation du système immunitaire intestinal. L’alimentation reçue en début de vie a un impact sur la constitution de cette flore, et des études ont constaté que la flore des bébés nourris au lait industriel était différente de celle des bébés allaités. L’objectif de cette étude était de voir si le lait humain contenait des bifidobactéries, d’en déterminer les souches, et de voir dans quelle mesure elles pouvaient être transmises à l’enfant via le lait maternel.
On a inclus 23 mères et leurs enfants nés à terme et en bonne santé. Des échantillons de lait maternel et de selles des nourrissons ont été recueillis entre J4 et J7 pour analyse bactériologique. Les diverses colonies obtenues ont été identifiées. Toutes les souches de bifidobactéries retrouvées (Gram + et catalase négative) ont été identifiées et typées par fructose-6-phosphate phosphokétolase (F6PPK) et séquençage du gène codant pour l’ARN ribosomal 16S. Par ailleurs, les diverses souches bifidobactéries du lait humain ont été recherchées par PCR à partir de l’électrophorèse en gradient de gel dénaturant, et leur quantité a été estimée par PCR quantitative en temps réel.
Des bifidobactéries ont été retrouvées dans 8 échantillons de lait maternel et dans 21 échantillons de selles. Le lait maternel contenait les souches Bifidobacterium breve, B adolescentis, et B bifidum. Les selles des enfants contenaient en outre B longum et B pseudocatenulatum. La PCR après gel dénaturant a retrouvé la présence de 1 à 4 bifidobactéries dominantes dans 22 des échantillons de lait. Le séquençage de ces bifidobactéries a permis d’identifier B breve, B adolescentis, B longum, B bifidus et B dentium. L’ADN des bifidobactéries a été détecté par la PCR quantitative dans les mêmes échantillons de lait.
Le lait humain semble être une source de bifidobactéries vivantes, susceptibles de coloniser le tube digestif du nourrisson allaité.
Breast Milk : A Source of Bifidobacteria for Infant Gut Development and Maturation ? Gueimonde M et al. Neonatology 2007 ; 92 : 64–66. Mots-clés : lait humain, bifidobactéries.
Dès la naissance, le tube digestif du nouveau-né commence à être colonisé par la flore microbienne. Cette colonisation participera au développement du tractus digestif, et à la maturation du système immunitaire. De nombreuses études ont constaté des différences entre la flore fécale des bébés allaités et celle des bébés nourris au lait industriel. Le but de cette étude était de rechercher les bifidobactéries présentes dans le lait humain, et de déterminer les diverses espèces de bifidobactéries.
20 femmes qui allaitaient un bébé d’environ 1 mois ont tiré manuellement des échantillons de lait. Ces femmes ont également répondu à un questionnaire, destiné entre autres à évaluer leurs apports alimentaires en probiotiques. L’ADN de diverses souches de bifidobactéries a été recherché par PCR. Dans 3 échantillons, les bifidobactéries étaient indétectables. Il n’existait aucune différence entre les mères qui avaient consommé des produits contenant des bifidobactéries et celles qui n’en avaient pas consommé. Les principales souches retrouvées étaient des B longum longum, B longum infantis (ces 2 souches étant retrouvées dans tous les échantillons), B animalis (74 % des échantillons), B bifidum (46 % des échantillons), B catenulatum (33 % des échantillons), B breve et B adolescentis (6 % des échantillons).
Dans la mesure où il est impossible de recueillir du lait humain dans des conditions totalement stériles, il est impossible d’affirmer que les bifidobactéries retrouvées par cette étude sont réellement excrétées dans le lait humain. Toutefois, dans la mesure où les bifidobactéries sont des anaérobies stricts, une origine cutanée est hautement improbable. Le lait humain pourrait donc être une source de bifidobactéries, susceptibles de participer à la colonisation du tractus digestif du bébé allaité.
Luminal administration ex vivo of a live Lactobacillus species moderates mouse jejunal motility within minutes, Wang B Mao YK, Diorio C et al. FASEB J 2010 ; 24(10) : 4078-88.
La flore intestinale est très complexe, et on estime qu'elle contient environ 1 800 espèces différentes, dont la plupart n'ont jamais été cultivées. Les probiotiques sont définis comme des souches microbiennes qui, prises en quantité suffisante, présentent des bénéfices pour la santé. Les probiotiques les mieux connus sont les bifidobactéries et les lactobacilles. Le but de cette étude était d'évaluer l'impact du Lactobacillus reuteri et du L salivarius (utilisé comme témoin) sur les neurones entériques et la motilité de la muqueuse intestinale.
Cette étude in vitro a été effectuée sur des fragments de muqueuse intestinale de souris. Ces fragments ont été irrigués avec une solution isotonique contenant le lactobacille étudié. L'irrigation avec la solution contenant le L reuteri induisait une baisse significative de la motilité intestinale, qui était constatée au bout de 9 à 16 min, baisse qui n'était pas constatée avec le L salivarius. Elle n'était pas non plus constatée lorsque le L reuteri était préalablement détruit par la chaleur, ce qui indique que la présence de bactéries vivantes est nécessaire.
L'administration intraluminale de L reuteri in vitro abaisse la motilité intestinale. Le mécanisme de cette action du L reuteri reste à élucider. Il pourrait impliquer une réaction neurosynaptique, avec transmission entre des cellules immunitaires et des neurones entériques. Cette étude est une première étape dans la découverte des relations entre les bactéries et le système nerveux entérique. D'autres études sont également nécessaires afin d'évaluer l'impact de souches de lactobacilles sur les troubles digestifs fonctionnels.
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