Ce dossier a été publié dans Allaiter aujourd'hui n° 32, LLL France, 1997
Nous vivons dans un monde pollué. Les aliments que nous mangeons, l'eau que nous buvons, l'air que nous respirons, tous sont à des degrés divers contaminés par des polluants : insecticides, pesticides, nitrates, métaux lourds, dioxines, particules radio-actives, etc.
Le lait maternel faisant partie de la chaîne alimentaire, il est inévitable que certains de ces polluants s'y retrouvent à un degré ou à un autre.
Ces dernières années, cette constatation a engendré de grandes inquiétudes dans les milieux écologistes de certains pays. Au point qu'en 1992, une publication de Greenpeace titrait : "Si le lait maternel était un médicament, il faudrait le retirer de la vente immédiatement" !
Le parcours du Dr Rogan
En fait toutes les recherches des dernières années montrent que même légèrement pollué, le lait maternel reste de loin le meilleur choix pour les bébés.
À cet égard, il est intéressant d'étudier le parcours d'un spécialiste américain en matière de pollution, le Dr Rogan.
Pendant quinze ans, il a étudié les mères et enfants de Caroline du Nord, et a publié une série d'articles sur les taux de DDT et de PCBs (1) trouvés dans le lait maternel, et les conséquences éventuelles sur la santé et le devenir des enfants allaités.
Sa recherche confirme bien que ces produits - bien qu'interdits dans certains pays, dont les USA, depuis pas mal d'années - se retrouvent dans le lait de pratiquement toutes les femmes dans le monde entier. Les taux les plus élevés étaient retrouvés chez les femmes âgées, les femmes qui en étaient à leur premier enfant, les femmes tabagiques et celles consommant régulièrement des boissons alcoolisées. Le taux baissait tout au long de la lactation (2).
Si l'on essayait d'estimer l'impact à long terme de l'exposition aux polluants par le biais de l'allaitement, en termes d'espérance de vie, on aboutissait à des résultats très instructifs. La diminution de la durée de vie moyenne, chez les personnes ayant été allaitées, en tenant compte de l'exposition à divers toxiques pendant cet allaitement, était estimée à moins de 3 jours. Par contre, la diminution de vie moyenne, chez les personnes n'ayant pas été allaitées, en tenant compte des différences actuellement connues dans la morbidité et la mortalité reliées à l'alimentation au lait industriel, était d'environ 70 jours.
En 1992, il concluait dans un de ses articles (3) qu'aucun impact négatif ne pouvait être relié à l'exposition aux polluants du lait maternel chez des enfants suivis pendant quatre ans, et ce même chez les enfants qui avaient été allaités longtemps par des mères chez qui les taux de ces polluants étaient particulièrement élevés. Et en 1993, un dernier article (4) signalait que les enfants allaités avaient un meilleur développement psychomoteur et de meilleurs scores aux divers tests pratiqués que les enfants nourris au lait industriel. En outre, les scores étaient d'autant meilleurs que la durée de l'allaitement était longue.
Et la dioxine ?
Récemment, c'est la dioxine qui est devenu l'épouvantail majeur quant on parle de pollution du lait maternel. Il est vrai que l'inquiétude peut s'expliquer quand on sait que les dioxines sont soupçonnées d'être cancérigènes.
Mais là aussi, toutes les études scientifiques concordent pour dire qu'on ne retrouve aucun impact clinique chez des enfants allaités par des mères dont le lait était pollué par les dioxines. Mieux, le lait maternel semblerait corriger l'impact néfaste de la pollution subie par l'enfant en période foetale. Et, bonne nouvelle, les dernières recherches ont montré un abaissement d'environ 30 % du taux lacté de dioxine (5).
Que faire ?
On sait maintenant que si les polluants posent problème, c'est bien plutôt au niveau du foetus, à cause du passage transplacentaire, que par le biais de l'allaitement. Cela justifierait-il pour autant de remplacer l'utérus maternel par un "ventre" artificiel, sous prétexte qu'on pourrait mieux en contrôler le degré de pollution ?!
De même que la diade mère/foetus est irremplaçable, de même le lait maternel est unique, et il est absurde de vouloir lui appliquer la réglementation prévue pour la vente des produits alimentaires (6).
Cela ne signifie pas pour autant qu'il faille se satisfaire de la situation actuelle. Il serait évidemment meilleur pour les bébés allaités (et pas seulement pour eux...) que notre environnement soit moins pollué. Pour cela, nous pouvons agir au niveau individuel (voir les suggestions ci-dessous) et au niveau collectif.
C'est pourquoi l'action des défenseurs de l'allaitement et celle des défenseurs de l'environnement, loin de s'opposer, doivent se compléter.
C'est pourquoi La Leche League International a rencontré récemment le Directeur exécutif de Greenpeace USA, et au cours d'une conférence de presse de Greenpeace tenue à l'occasion du Jour de la Terre, le 22 avril dernier, a lancé un appel qui se terminait par ces mots : "Cette année, le thème de la Semaine mondiale de l'allaitement, du 1er au 7 août, est 'L'allaitement, la façon naturelle'. Nous faisons appel à tous les défenseurs de l'environnement pour qu'ils soutiennent l'allaitement comme la meilleure méthode d'alimentation infantile, tout en luttant pour contrôler l'usage des substances dangereuses. Le lait maternel est une ressource naturelle précieuse, qu'il faut promouvoir et protéger. Les écologistes tout comme les groupes de soutien à l'allaitement ont un intérêt commun à soutenir l'allaitement, la façon la plus saine et la plus écologique de nourrir nos bébés".
Minimiser le risque de pollution du lait maternel
. Laver et/ou éplucher soigneusement fruits et légumes, afin d'éliminer les résidus présents sur leur surface.
. Limiter la consommation de produits laitiers. Leurs graisses en particulier (surtout en ce qui concerne le beurre) concentrent les polluants liposolubles.
. Limiter la consommation de viande, et préférer les viandes maigres, pour les mêmes raisons que ci-dessus. Ne pas consommer la peau et la graisse des volailles.
. Eviter les poissons de rivière ou de mer qui sont en bout de chaîne alimentaire, et sont donc les plus susceptibles d'être pollués par les PCBs et le mercure (par exemple le thon).
. Préférer les produits qui sont en début de chaîne alimentaire à ceux qui sont en fin de chaîne. Par exemple, préférer les céréales à la viande : les animaux qui consomment des céréales polluées concentrent les polluants dans leur corps.
. Eviter les pertes de poids importantes pendant l'allaitement. Une telle perte de poids remettra en circulation dans le sang tous les polluants stockés dans les graisses, en particulier les PCBs.
. Eviter de fumer et de boire de l'alcool pendant l'allaitement. Des études ont montré que les personnes qui fument et boivent de l'alcool ont des taux sanguins plus élevés pour de nombreux polluants.
. Limiter l'utilisation domestique (maison, jardin) des pesticides, insecticides, désinfectants, détachants, produits de traitement du bois, peinture, solvants..., tous produits susceptibles de provoquer une pollution du lait maternel.
. Limiter l'absorption de médicaments au strict minimum indispensable. Choisir les produits les plus connus. Vérifier soigneusement la composition des produits appliqués sur les mamelons.
. Eviter les lieux récemment traités contre les termites ou les cafards. Les produits utilisés pour ces traitements sont très toxiques, en particulier le chlordane et la dieldrine.
. Fuir la proximité des décharges et usines d'incinération des déchets, et les produits cultivés à proximité de tels lieux. L'incinération concentre tous les polluants, qui se retrouvent dans l'air ambiant.
. Dès la grossesse, s'assurer que le lieu de travail présente un maximum de garanties de sécurité pour les femmes enceintes et allaitantes. Le cas échéant, demander à changer de poste, ou à aménager ce poste pour en améliorer les conditions.
. Etre conscient de la pollution engendrée par l'aménagement "tout électrique" des cuisines et lieux de travail (PCBs en particulier).
D'après Betty Crase, Pesticides and breastfeeding, Leaven, May-June 1994.
(1) Polychlorobiphényles, notamment utilisés dans l'isolation des transformateurs électriques.
(2) Ce qui rend particulièrement absurde la recommandation de limiter l'allaitement à trois mois. Cela revient à encourager les mères à ne donner à leur bébé que le lait "le plus pollué" !
(3) Rogan WJ and Gladen BC, "Neurotoxicology of PCBs and related compounds", Neurotoxicology 1992 ; 13 : 27-36.
(4) Rogan WJ and Gladen BC, "Breastfeeding and cognitive development", Early Human Dev 1993 ; 31 : 181-93.
(5) "Breast milk : dioxin levels fall but action is still needed", BMA Update, August 1996, 6.
(6) Sans compter que les laits artificiels eux aussi peuvent être pollués (voir par exemple l'affaire des phtalates, AA n° 29, p. 17).
À lire
- "Faut-il avoir peur de la pollution ?", Dossiers de l'allaitement, n° 23, avril-mai-juin 1995, p. 5-10. Nombreuses références bibliographiques.
- Frank JW, Newman J, "Breastfeeding in a polluted world : uncertain risks, clear benefits", Can Med Soc 1993 ; 149 : 33-37. Résumé dans Spécial études n° 3, p. 24.
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Peut être reproduit, imprimé ou diffusé à condition de mentionner la provenance de cet article.
Voici une ressource (en anglais) sur le sujet : https://www.atsdr.cdc.gov/pfas/health-effects/pfas-breastfeeding.html
qui dit bien que : "compte tenu des connaissances scientifiques actuelles, les avantages de l'allaitement l'emportent sur les risques potentiels d'exposition aux PFAS par le lait maternel".
Ce qui est vrai de la plupart des polluants éventuellement trouvés dans le lait maternel.
Bonjour,
Merci pour cet article.
J’ai lu récemment plusieurs article indiquant la présence de PFAS dans le lait maternel qui contaminait les nourrissons. Les PFAS étant très néfaste (cancer, diminution de la réponse du système immunitaire à la vaccination …) pour la santé je m’inquiète pour mon bébé. Il était indiqué que les emballages alimentaires des fast food contenait ces polluants qui migraient dans les aliments. Je consommait régulièrement (4/5 fois par mois) des fast food jusqu’à récemment. J’ai peur aujourd’hui que cela ait des répercussions sur la santé court ou long terme de ma fille que j’allaite depuis 15 mois.
Faut il s’inquiéter ? Y’a t’il un réel risque ?
Sources des articles :
https://www.efsa.europa.eu/fr/news/pfas-food-efsa-assesses-risks-and-sets-tolerable-intake
https://www.generations-futures.fr/actualites/pfas-rapport/
Si vous allez voir cet article sur le site :
http://www.lllfrance.org/vous-informer/fonds-documentaire/allaiter-aujourd-hui-extraits/1655-aa-92-la-sante-dentaire-de-lenfant-allaite-et-de-sa-mere
vous y lirez que "le port d’amalgames ne contre-indique en rien l’allaitement, et il est utile de savoir que, comme pour beaucoup de polluants et toxiques, c’est pendant la grossesse que s’effectue un transport important vers le fœtus, et non pendant l’allaitement".
Ce qui peut poser problème, c'est la dépose de ces amalgames, pas le fait d'en avoir.
Bonjour,
Merci pour cet excellent article.
Je suis maman d'un bébé de 9 mois allaité jusque là et je souhaiterais continuer l'allaitement. Le problème c'est que j'ai des dents soignées avec des composites blanches (résines) et deux dents avec des amalgames au mercure depuis 15 ans . J'ai lu que le mercure passe la barrière placentaire et contamine le lait maternel également. Par conséquent je m’interroge avec beaucoup d'inquiétude sur les bienfaits/dangers d'un allaitement prolongé à 12 mois voir plus, sachant que le mercure causerait des maladies dangereuses dégénératives comme l'autisme.
lola38
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