Cet article a été publié dans Allaiter aujourd'hui n° 64, LLL France, 2005
Ces derniers temps, des études paraissent, plus ou moins relayées par les médias, tendant à montrer que ce que mange ou ne mange pas la mère allaitante pourrait avoir un impact plus ou moins important sur l’enfant allaité. Nous avons demandé à Françoise Railhet, éditrice des Dossiers de l'allaitement, de réagir face à ces informations.
Allaiter Aujourd'hui - On sait que certaines protéines de l’alimentation maternelle peuvent passer dans le lait et provoquer éventuellement des réactions allergiques chez l’enfant allaité (voir AA n° 81 Allergies et allaitement). D’où parfois des consignes d’éviction, plus ou moins draconiennes selon les cas. Mais on entend dire maintenant que la prise de probiotiques par la mère allaitante et/ou l’enfant pourrait avoir un impact favorable sur l’atopie. Que faut-il en penser ?
Françoise Railhet – Les probiotiques sont des « bons » microbes dont la prise en quantité suffisante est susceptible de modifier la flore bactérienne intestinale, de façon à lutter contre certaines maladies (traitement préventif ou curatif). Les bifidobactéries et les lactobacilles sont les plus utilisés. De nombreuses études ont été publiées sur leur utilisation pour le traitement des diarrhées chez les jeunes enfants, et effectivement, ils sont également étudiés dans le cadre de la prévention et du traitement des maladies atopiques. Des études ont fait état de résultats intéressants chez des enfants souffrant d’eczéma (Isaulori, 2000). Et une étude des mêmes auteurs faisait état d’un risque trois fois plus bas d’eczéma pendant les deux premières années chez des enfants dont la mère avait pris des probiotiques pendant la grossesse et l’allaitement (Isolauri, 2002). Cette voie semble d’autant plus prometteuse que la plupart des probiotiques sont sans danger ; très peu d’effets néfastes ont été rapportés, y compris lorsqu’ils étaient utilisés chez des nourrissons. Toutefois, beaucoup de choses restent à étudier. Leur efficacité pourra être fonction du type de bactérie utilisée, de la quantité de bactéries viables absorbées, de certaines caractéristiques spécifiques à chaque individu…
AA – Concernant toujours l’allergie, on dit aussi qu’un déficit du lait maternel en oméga 3, un déséquilibre entre oméga 6 et oméga 3, pourraient être un facteur de sensibilisation chez l’enfant, et que cela expliquerait les résultats contradictoires des études concernant les effets protecteurs de l’allaitement vis-à-vis de l’allergie (protection moins efficace dans les pays où les apports lipidiques maternels seraient inadéquats).
FR – Effectivement. Les acides gras des séries oméga 3 et oméga 6 sont utilisés, dans notre organisme, pour la fabrication de prostaglandines qui ont des rôles diamétralement opposés. Les prostaglandines de type 1 (PG1) sont fabriquées à partir des acides gras en oméga 6, ainsi que les prostaglandies de type 2 (PG2), tandis que les prostaglandines de type 3 (PG3) sont élaborées à partir des acides gras en oméga 3. Les prostaglandines jouent un rôle majeur dans la modulation des réactions immunitaires. Or, les PG2 favorisent les réactions inflammatoires, tandis que les PG3 ont au contraire un rôle anti-inflammatoire. Dans l’idéal, pour un fonctionnement « correct » du système immunitaire, le rapport oméga 6 / oméga 3 devrait être aux alentours de 3/1 à 5/1. Or, dans nos pays, il est fréquemment compris entre 10/1 et 30/1 (Guesnet, 1995). Ce qui peut induire un déséquilibre important des réactions immunitaires en faveur des réactions inflammatoires et allergiques, et augmenter le risque d’allergie (Oddy, 2004).
Les acides gras du lait humain modulent eux aussi les réponses immunitaires, et participent à l’inhibition des germes pathogènes. Ils favorisent l’installation d’une flore protectrice, ainsi que l’adhésion des probiotiques à la muqueuse intestinale. De ce point de vue, on peut dire qu’ils ont des actions complémentaires (Das, 2002). Leur utilisation pour la prévention des allergies donne pour l’instant des résultats prometteurs, qui demandent à être confirmés (Mihrshahi, 2004).
AA – Toujours à propos des acides gras essentiels. On sait que la teneur du lait maternel en ces différents acides gras est influencée par la consommation qu’en fait la mère. Voir par exemple l’étude de Smit et al (Acta Paediatr 2003), qui a étudié l’évolution de la composition sur 25 ans des acides gras du lait de femmes habitant la Hollande et différentes régions des Caraïbes, et a trouvé de grandes différences entre le lait de mères occidentales et celui de mères non occidentales.
D’après le Professeur Turck, « on a prescrit des oméga 3 à des femmes allaitantes et l’on a suivi le développement de leurs enfants jusqu’à l’âge de 7 ans. Avec au final des petites différences positives au niveau du développement neuro-comportemental de ces bambins ». Que penser de ces études ?
FR – Des études ont constaté un moins bon développement neurologique chez les enfants qui étaient nourris au lait industriel. Cet impact est plus net chez les prématurés. On pense habituellement que le taux d’acides gras polyinsaturés à longue chaîne apportés par l’alimentation de l’enfant en est responsable : le lait humain est riche en ces acides gras, tandis que les laits industriels n’en contiennent pas ou très peu. Toutefois, si les études évaluant l’impact de l’enrichissement du lait industriel en ces acides gras ont constaté qu’effectivement les bébés qui recevaient ces laits enrichis avaient un meilleur statut métabolique pour ces acides gras, aucune étude n’a constaté d’impact sur le développement neurologique des bébés. Il semble donc d’une part que les acides gras ne soient pas seuls en cause, et d’autre part que l’enrichissement du lait industriel par ces acides gras ne présente pas d’intérêt significatif (et puisse même, éventuellement, avoir un impact négatif). Il est extrêmement difficile de savoir quelle devrait être la composition « optimale » du lait humain (ou du lait industriel) en acides gras. Les acides gras du lait humain sont beaucoup plus complexes et variés que les acides gras du lait industriel. De plus, les taux de la plupart des acides gras du lait humain sont variables, et sont corrélés entre eux, positivement ou négativement, tandis que les taux d’acides gras dans les laits industriels sont fixes et non corrélés entre eux (Smit, 2003).
Le taux lacté des divers acides gras semble dépendre du taux sérique de la mère et de ses réserves lipidiques, qui dépendent eux-mêmes de son alimentation. Il dépend également de l’activité des enzymes maternelles d’élongation et de désaturation des précurseurs des acides gras à longue chaîne. On a constaté que le don à la mère allaitante de suppléments d’acides gras, ou la consommation d’aliments riches en ces acides gras, en augmente le taux lacté (Lauritzen, 2002, Hawkes, 2002…). Et une étude a constaté, chez des femmes prenant des suppléments d’acides gras en oméga-3, une durée de grossesse plus longue et une meilleure maturation neurologique du nouveau-né dans le groupe des mères qui avaient les taux d’acide docosahexaénoïque (DHA) les plus élevés dans le sang du cordon (Helland, 2001). Une étude toute récente (Desci, 2005) a constaté un meilleur développement neurologique à l’âge de 4 ans chez des enfants dont la mère avait reçu des suppléments de DHA à doses relativement élevées pendant la grossesse et l’allaitement.
AA – Encore et toujours les oméga 3. D’après le professeur Gérard Ailhaud (Université de Nice-Sophia Antipolis, 2004), le déséquilibre entre oméga 6 et oméga 3 serait aussi responsable de l’épidémie d’obésité dans le monde. Et ce déséquilibre se retrouverait aussi dans le lait maternel, en raison du déséquilibre dans l’alimentation maternelle. Des études auraient montré qu’en cinquante ans, le rapport oméga 6 / oméga 3 serait passé de 5/1 à 17/1 dans le tissu adipeux des femmes américaines ; et que parallèlement, entre 1945 et 1995, le taux d’acide linoléique (oméga 6) serait passé de 5 à 18 % dans le lait mature de femme américaine, cependant que le taux d’acide alpha-linoléique (oméga 3), qui contrecarre l’action des oméga 6, serait resté stable à 0,9 %.
FR – De façon paradoxale, on assiste à une augmentation importante de la prévalence de l’obésité dans de nombreux pays industrialisés depuis quelques décennies dans toutes les tranches d’âge, alors que le pourcentage des graisses dans l’alimentation a baissé. En revanche, la nature des graisses consommées a beaucoup changé. Avec le développement du raffinage, le pourcentage de graisses polyinsaturées (essentiellement végétales) par rapport aux graisses saturées a fortement augmenté dans notre alimentation, tout particulièrement celui des graisses insaturées en oméga-6. Ailhaud et Guesnet ont en effet constaté une nette augmentation des signes précurseurs d’obésité, déjà chez les enfants de moins de 12 mois. Ils soulignent également que le taux d’oméga-6 est encore plus élevé dans les laits industriels que dans le lait humain, ce qui pourrait être l’une des raisons pour lesquelles les enfants nourris au lait industriel ont un risque plus élevé d’obésité que les enfants allaités.
Normalement, les acides gras naturels sont sous la forme « cis » (la forme spatiale de la molécule). Le raffinage, l’hydrogénation, les divers traitements subis par les aliments transformés vendus dans le commerce, induisent la formation d’acides gras « trans », susceptibles d’être particulièrement nocifs (Clifton, 2004 ; Stender, 2004 ; Dyerberg, 2005…). Ces acides gras trans traversent le placenta et passent dans le lait maternel, et sont susceptibles d’induire des problèmes de santé chez l’enfant. Ils seraient également susceptibles d’augmenter le risque d’eczéma chez les jeunes enfants, de par leur action inhibitrice sur une enzyme hépatique (Larque, 2001). Leur taux lacté sera fonction de l’alimentation maternelle. Une étude a constaté que les acides gras trans représentaient 0,35 % des acides gras dans le lait des femmes africaines, contre 7,2 % dans le lait des Canadiennes (Mojska, 2003).
AA – Il semble en fait que les apports en AGPI (acides gras polyinsaturés) de la mère et du petit enfant jouent un rôle capital dans la prévention de nombreuses maladies (obésité, diabète, hypertension, artériosclérose…). Sachant que les apports en AGPI du bébé dépendent du taux d’AGPI dans le lait maternel et de la durée de l’allaitement, que devraient faire les mères allaitantes pour donner les meilleures chances à leur bébé ?
FR – Beaucoup de choses restent à découvrir sur le sujet. D’autre part, « plus » n’est pas forcément synonyme de « mieux » : on commence à se rendre compte qu’un apport trop important en certains acides gras peut détruire un équilibre fragile entre les divers acides gras (saturés, mono-insaturés et polyinsaturés, mais aussi acides gras à chaîne courte, moyenne ou longue). Tous ces acides gras ont leur utilité et leur rôle à jouer dans notre organisme.
Les recommandations que l’on peut toutefois faire sont les suivantes :
- Allaiter le plus longtemps possible : même si le taux d’acides gras en oméga-6 et en acides gras trans du lait humain s’est élevé dans nos pays, le taux et la composition des acides gras du lait maternel sont toujours bien mieux adaptés aux besoins du petit humain que ceux de n’importe quel autre lait. Des études ont constaté que le risque d’obésité était d’autant plus bas que l’allaitement avait été long (von Kries, 2003). De même, en ce qui concerne les allergies, la majeure partie des études concluent à un impact protecteur de l’allaitement exclusif pendant les quatre premiers mois (Oddy, 2003).
- Limiter les apports en acides gras trans : privilégier les huiles pressées à froid (huile d’olive en particulier), éviter les margarines hydrogénées, ainsi que tous les produits transformés contenant des graisses hydrogénées.
- Un bon moyen d’obtenir des acides gras en oméga-3 est de consommer régulièrement des poissons gras (harengs, anchois, sardines, maquereaux…). A noter qu’il est prudent de limiter la consommation de poissons tels que daurades, espadons, marlins, requins et thons qui sont les plus susceptibles d’être fortement pollués par le mercure. Certains auteurs recommandent, pendant la grossesse et l’allaitement, la prise d’un supplément riche en acides gras oméga-3 (huile de saumon, huile de lin…).
Références
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Bonjour j'allaite mon ti bout de 7mois et je voulais savoir si consommer de l'aloès est bien ou pas durant min allaitement ?
Merci d'avance de votre reoonse.
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