Ce dossier est paru dans Allaiter aujourd'hui n° 77, LLL France, 2008
La façon dont une femme vit sa sexualité subit d’énormes changements dès la conception, puis pendant la grossesse, la naissance, l’allaitement, les premiers jours du maternage et les nombreuses années de parentage. Pour Michel Odent, les rapports sexuels, l’accouchement et l’allaitement ne sont pas des domaines séparés, ils font tous partie de la vie sexuelle de la femme. Ces trois types d’actes donnent lieu à la sécrétion d’ocytocine, l’hormone de l’amour, qui fonctionne également comme un système de récompense chaque fois que nous accomplissons un de ces actes. Tous les trois sont nécessaires à la survie de notre espèce.
Des odeurs excitantes ?
Spencer et al, de l’Université de Chicago, ont montré que les femmes allaitantes et leurs bébés émettaient une phéromone augmentant le désir sexuel chez les autres femmes . On a demandé à des mères allaitantes de porter des coussinets absorbants dans leur soutien-gorge et sous leurs bras. Puis on a recruté 90 femmes âgées de 18 à 35 ans. Pendant deux mois, la moitié d’entre elles a été exposée à l’odeur des coussinets portés par les mères allaitantes, l’autre moitié à des coussinets portant une odeur neutre. Les femmes devaient placer les coussinets sous leur nez un certain nombre de fois par jour, et tenir un journal dans lequel elles notaient leur humeur, leur niveau de désir sexuel et leur activité sexuelle, y compris les rêveries de nature sentimentale ou érotique. Les femmes qui avaient un partenaire sexuel régulier ont fait état d’une augmentation de leur désir sexuel, tandis que celles qui n’avaient pas de partenaire ont eu davantage de fantasmes sexuels. Aucune modification n’a été constatée chez les femmes exposées aux coussinets témoin.
Sur le plan biologique, il n’est pas étonnant que les femmes allaitantes communiquent chimiquement avec les autres femmes. Un des auteurs de l’étude a fait le commentaire suivant : « De nombreuses espèces utilisent les signaux provenant d’autres femelles pour déterminer si les conditions sont assez bonnes pour accepter de dépenser l’importante quantité d’énergie et courir les risques liés à la grossesse et à la lactation. Quel meilleur signal pourrait-on utiliser pour montrer que les conditions sont bonnes, que la présence d’une autre femme ayant réussi à mener à bien une grossesse et maintenant en train d’allaiter un bébé ? »
Moins intéressées?
Pourtant, en dépit des signes montrant que les femmes allaitantes peuvent augmenter la libido d’autres femmes, elles ont la réputation de ne pas être intéressées par les relations sexuelles. Et ce tout particulièrement pendant la période où elles tentent laborieusement de concilier leur nouveau rôle de mère et leur rôle précédent d’amante.
La sexualité représente bien plus que l’acte sexuel. Elle inclut également la façon dont une femme se perçoit elle-même en tant que femme, ses sentiments sur l’intimité, le toucher et le plaisir. Dans la transition entre la mère et l’amante, ses seins, et la perception qu’elle en a, joueront un rôle important dans sa sexualité, et pourront également être à l’origine de certains conflits.
Il existe une large gamme d’expériences « normales » pendant chacune de ces phases, depuis la conception jusqu’au parentage, mais de nombreuses femmes pensent être les seules à éprouver ce qu’elles éprouvent. Une discussion sur le sujet, avec une personne faisant preuve de tact et de sensibilité, sera habituellement la bienvenue, dans le cadre de l’information anténatale, du conseil à l’allaitement, ou d’une discussion structurée dans un groupe de mères. Il peut être rassurant d’apprendre que tous les couples connaissent à la fois des joies et des difficultés avec les aspects physiques et psychologiques du passage du rôle d’amants à celui de parents, et que de nombreuses femmes trouvent difficile de jongler entre ces deux rôles.
Le vécu des pères
La plupart des pères sont profondément remués par le fait de voir leur bébé naître, et sont remplis d’amour et de respect. Mais certains peuvent être submergés par ce que leur compagne a traversé. Voir un bébé distendre, puis émerger par l’orifice sur lequel ils pensaient avoir auparavant un certain « droit de propriété » peut être passablement traumatisant. Voir d’autres personnes « tripoter » cette partie de l’anatomie de leur compagne peut également être très perturbant pour un homme, ainsi que le fait de le voir coupé, blessé et abîmé. Les sentiments résiduels suite à cette expérience sont probablement plus fréquents qu’on le pense habituellement, et peuvent affecter les relations sexuelles pendant un certain temps. La grossesse et le fait de devenir parent sont des moments de transition difficiles également pour les hommes.
Pas avant 6 semaines ?
On avait l’habitude de dire aux femmes d’attendre six semaines après l’accouchement pour reprendre les rapports sexuels, mais il n’existe aucun fondement physiologique à cette recommandation en l’absence de complication. Le col de l’utérus s’est généralement refermé à deux semaines post-partum, et même si de nombreuses femmes n’ont aucun intérêt pour le sexe à ce moment, certaines se sentent prêtes à reprendre les rapports sexuels, et il n’y a aucun risque à le faire.
Il existe de très importantes variations quant au moment où la femme se sent prête à reprendre les rapports sexuels après un accouchement. Cela est influencé par des facteurs physiques et émotionnels, ainsi que par les aspects pratiques de la vie avec un nouveau bébé. L’inconfort lié à une épisiotomie ou à une déchirure peut persister pendant des mois, et certaines femmes évitent les rapports sexuels par peur d’avoir mal. Le sentiment d’avoir été mutilée peut compliquer encore les choses. Certaines femmes sont fatiguées, très occupées avec leur bébé, ou bien n’éprouvent juste aucun intérêt pour le sexe.
Une étude canadienne a identifié cinq variables associées à la reprise des relations sexuelles à six semaines post-partum, l’allaitement étant la plus importante. Chez les femmes qui n’avaient pas encore repris les relations sexuelles, les raisons les plus fréquemment citées étaient l’absence d’intérêt, la fatigue, la peur de la douleur, le fait qu’elles pensaient, ou qu’un médecin leur avait dit, qu’il fallait attendre six semaines avant d’avoir des rapports sexuels. L’étude concluait que les couples gagneraient à avoir une discussion ouverte sur l’allaitement, la sexualité et la contraception en post-partum immédiat.
Il peut être sain pour une femme de récupérer son corps pour elle-même avant de recommencer à le partager avec son compagnon. Le fait de se caresser elle-même peut augmenter la circulation sanguine, et accélérer la guérison physique et psychologique.
Le nouveau rôle de parent
Le parentage est une expérience qui représente un défi pour tous les couples.
Si certains aspects hormonaux, physiques et psychologiques de l’allaitement peuvent avoir un impact sur la sexualité et la libido d’une femme, l’essentiel des changements est en fait lié à l’arrivée, à la présence et aux exigences d’un nouveau bébé, et ce quelle que soit la façon dont il est nourri.
Les premiers temps, la fatigue sera probablement le principal obstacle à la vie sexuelle, mais par la suite, le manque d’intimité et d’opportunités pour les rapports sexuels pourra devenir le principal problème. Des pratiques telles qu’aller se coucher à des heures différentes peuvent être des comportements d’évitement de la part de l’un ou l’autre partenaire, ou tout simplement une manifestation de fatigue. L’intimité est limitée lorsqu’il y a un nouveau bébé, et certains bébés semblent avoir un radar qui détecte toute manifestation d’intimité dans laquelle ils ne sont pas impliqués !
Avoir le bébé dans le lit parental a des avantages, mais aussi un effet inhibiteur. C’est peut-être le moment de trouver un autre usage pour la table de la cuisine, le tapis devant la cheminée, voire d’utiliser un lit dans une autre pièce. Si le bébé a une bonne plage de sommeil l’après-midi dans un endroit sûr autre que le lit parental, le sexe l’après-midi peut occasionnellement être une option.
La libido
La fréquence des rapports sexuels et l’importance du désir sont indiscutablement abaissées pendant plusieurs mois après l’accouchement (il arrive toutefois qu’une femme manifeste plus d’enthousiasme pour le sexe que son compagnon, ce dernier étant encore en période d’ajustement psychologique).
L’absence de désir peut également être psychologique, dans la mesure où le couple se débat pour s’adapter aux rôles apparemment incompatibles de parents et d’amants. Une mère pourra avoir besoin de temps pour apprendre à partager son corps à la fois avec son bébé et avec son mari, même si ce n’est pas de la même façon. Le compagnon pourra passer après le bébé, au moins pendant une période.
De nombreuses femmes ressentent un besoin de tendresse physique, mais pas celui de relations sexuelles. Certaines se sentent « au bout du rouleau » à la fin de la journée, ou ont l’impression d’avoir donné tout ce qu’il leur est possible de donner. La mère se sent totalement accaparée par son maternage et son bébé, elle a avec lui une relation très intime, ce qui peut abaisser drastiquement son intérêt et son désir pour davantage d’intimité ou pour des relations sexuelles.
Dans la mesure où, pour la plupart des nouvelles mères, l’épuisement est la principale raison à leur absence d’intérêt, l’aide du compagnon pour les tâches ménagères peut faire la différence.
Sensualité de l’allaitement
Certaines personnes sont choquées à l’idée que des femmes puissent trouver dans l’allaitement une expérience sensuelle et agréable. Elles veulent ignorer le double rôle des seins, les liens entre les seins et l’utérus.
Cependant, les sensations éprouvées par de nombreuses femmes pendant les tétées sont habituellement très différentes de celles éprouvées pendant l’excitation et les relations sexuelles. La plupart des mères ressentent un sentiment sensuel de paix et de sérénité, ou un sentiment global de chaleur et de relaxation suite au réflexe d’éjection du lait.
Il est possible de ressentir une stimulation sexuelle, voire même un orgasme, pendant les tétées, mais c’est assez rare. Si c’est le cas, ce n’est pas une raison pour se faire du souci, et rien ne permet de penser que cela fait de l’allaitement une relation inappropriée entre une mère et son enfant. Il n’y a aucune évidence d’un lien quelconque entre l’allaitement et une déviance sexuelle. En fait, cette période d’intimité joue probablement un rôle important dans le bon développement psychologique de l’enfant.
Les seins lactants
La philosophe Iris Marion Young a écrit : « Les seins brisent la limite entre le maternage et la sexualité. » Les seins ont un double rôle. Ils sont l’essence de l’attrait sexuel pour de nombreux hommes, mais ils sont également une source de nourriture, de paix et de réconfort pour l’enfant.
Il est intéressant de constater que la chirurgie d’augmentation mammaire a pour résultat des seins d’un volume plus important, imitant l’apparence de seins lactants, pleins de lait. Les seins lactants et le lait maternel sont également utilisés dans la religion et la pornographie. Au 12e siècle, une statue de Marie aurait miraculeusement fait jaillir du lait jusque dans la bouche de Saint Bernard de Clairvaux, lui transmettant le don oratoire. Il existe aujourd’hui tout un secteur de la pornographie – photos, vidéos et films – autour des seins lactants et de l’expression du lait. Les partisans de l’allaitement ne sont pas les seuls à être obsédés !
Dans la relation de couple, les seins lactants peuvent être vécus par chaque partenaire comme attrayants, signe de féminité, ou comme un tue-l’amour. La plupart du temps, les seins sont plus volumineux et plus fermes, mais ils peuvent être sensibles, ou du lait peut s’en écouler, en particulier pendant les rapports sexuels.
Une mère raconte : « Lorsque nous avons réalisé que du lait jaillissait de mes seins chaque fois que j’avais un orgasme, cela a été une grande source de satisfaction pour mon compagnon et moi. Il savait sans l’ombre d’un doute que j’avais eu un orgasme, et j’aimais pouvoir le lui montrer de cette façon. »
Comme le disait un conseiller en allaitement à l’occasion d’une émission de radio sur le sujet : il est juste que les femmes aient elles aussi la possibilité de faire des taches humides sur les draps !
La question de savoir « à qui appartiennent les seins » et à quel moment chaque « propriétaire » pourra y accéder peut être à l’origine de dilemmes intéressants. Si l’un des partenaires a l’impression que les seins sont « tabous », les jeux sexuels pourront être inhibés jusqu’à la mise en place d’ajustements.
Certaines femmes n’aiment pas que leur partenaire touche leurs seins ou les suce, parce qu’elles ont eu un bébé dessus toute la journée.
D’autres couples aiment inclure dans leurs jeux sexuels des seins qui dégoulinent de lait, et certains hommes aiment boire le lait de leur femme à cette occasion, ou la soulager en cas d’engorgement.
Histoires d’hormones
La mère allaitante a un taux élevé de prolactine et une inhibition de la sécrétion d’œstrogène, de progestérone et de testostérone, souvent pendant une longue période. Chez certaines femmes, la montée du désir sexuel est plus lente et moins intense, et la lubrification moins abondante. La plupart de ces problèmes disparaissaient avec le retour de couches.
Les lésions pelviennes ne sont pas rares au cours de l’accouchement, et peuvent engendrer des difficultés à éprouver du désir. Le tonus du plancher pelvien peut être difficile à rétablir pendant la période d’aménorrhée lactationnelle, mais les femmes devraient être encouragées à maintenir leur tonus pelvien à l’aide d’exercices adaptés.
Nouvelle dimension
De nombreuses femmes constatent que leur sexualité prend une nouvelle dimension pendant cette période, mais que leur intérêt se déplace ailleurs que dans la sexualité génitale. Elles se sentent pleinement satisfaites en utilisant leur corps pour porter un enfant, puis s’en occuper. Dans certains cas, il peut falloir des mois à une femme pour avoir envie d’inclure une relation sexuelle dans ce sentiment global de satisfaction.
Dan ce cas, son compagnon aura besoin d’être rassuré sur le fait qu’il ne se retrouve pas à la dernière place dans sa vie. S’il peut admettre intellectuellement que le bébé nécessite beaucoup d’attention de la part de sa compagne, il peut ne pas accepter que toute son attention soit drainée par le bébé – une attention dont il était auparavant le seul à bénéficier.
Un père a fait part d’une perspective intéressante. Décrivant les hommes comme centrés sur eux-mêmes, il disait : « Nous avons besoin que notre compagne nous rappelle tous les jours que son manque d’intérêt pour le sexe n’a rien à voir avec nous, ou avec quelque chose que nous avons fait – et qu’elle nous trouve toujours attirants. »
Une étude a trouvé que les futurs pères avaient un besoin accru d’être maternés, et que cela se manifestait par une augmentation des appels téléphoniques et des courriers à leurs parents, et de demandes sur l’histoire de leur naissance et de leur enfance.
Reprise de l’activité sexuelle
Des études ont constaté que, dans l’ensemble, les femmes qui allaitaient reprenaient plus rapidement une activité sexuelle après la naissance que les mères qui donnaient un lait industriel, et que l’allaitement et la sexualité étaient positivement corrélés. Dans une étude sur 1000 mères new-yorkaises, 30 % disaient que les relations sexuelles avec leur mari s’étaient améliorées avec l’allaitement, et seulement 2,5 % faisaient état d’une dégradation (et toutes étaient des femmes qui avaient des difficultés sexuelles préexistantes).
Mais la réalité reste que de nombreuses femmes ont besoin d’un bon bout de temps avant de reprendre les relations sexuelles. Cela pourrait d’ailleurs faire partie d’une programmation favorisant la survie de l’enfant. Dans d’autres espèces, il est fréquent d’observer une longue période d’abstinence sexuelle après la naissance d’un petit.
Conclusion
L’expérience de la grossesse, de l’accouchement et de l’allaitement peut élargir la sexualité de la femme, et la façon dont elle apprécie d’être une femme. Pour de nombreux couples, c’est également une expérience excitante et gratifiante à vivre, par le biais du partage, de l’intimité et des relations sexuelles. Ces relations sexuelles seront différentes, elles pourront être moins fréquentes, mais il n’y a pas de raison qu’elles soient moins agréables.
Il est peu probable que la venue d’un bébé améliore une relation de couple déjà en mauvais état, mais la plupart des couples trouvent de nouveaux modes de relations épanouissants et gratifiants.
Il existe une vie sexuelle après l’arrivée des enfants, même si elle est différente. Les couples qui peuvent communiquer avec sensibilité sur le sujet trouveront les moyens de faire les ajustements nécessaires. Un conseiller attentif pourra faciliter le processus en aidant les couples à comprendre qu’ils ne sont pas les seuls à vivre une telle expérience.
Il est souvent difficile de parler de sexualité, mais les couples ont réellement besoin de partager leurs sentiments pendant cette période d’importants ajustements dans leur relation.
Discuter de sexualité pendant les consultations prénatales et post-natales, ou à l’occasion de réunions de groupes de mères, peut être un merveilleux moyen de mettre le sujet sur le tapis, et sera souvent le prélude à une discussion à la maison.
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Bel article bien écrit.
Mais la réalité est très différente de tous les sondages et autres prétendus statistiques.
Une fois le bébé arrivé et bien messieurs nous sommes piégés.
Votre femme n'a plus à faire d'efforts pour vous.Une femme veut bien avoir des relations sexuelles avec vous pour avoir un enfant.Les femmes n'aiment pas le sexe pour le sexe , elles veulent enfantés.( ma femme aimait faire l'amour avec moi et souvent)Une fois que bébé est arrivé , pour la plupart d'entre nous(eh oui nous ne sommes pas que des monstres) restons parce que nous ne pouvons pas abandonner notre enfant.La culpabilité.Alors , un père, c'est un Homme que l'on a castré , au sens figuré du terme, bien sûr.
Personnellement, j'aimerai avoir la recette magique pour chasser toutes pensées érotiques.Parce qu'avoir de telles responsabilités avec cette frustration permanente, c'est juste infernal à vivre.Vie de merde.
Et quand le père n'a jamais connu le sien et qu'il a la charge d'un bébé et bien , c'est la définition du tragique.
Un homme qui ne s'est jamais senti aussi seul que depuis qu'il a un bébé et une femme sous son toit.Et la vraie solitude , je l'ai connu, et la regrette.
MERCI TRES BON CONSEIL
Pas mal comme info sur le sujet merci
Bonjour, j'ai lu avec une attention particulière cet article, qui pour ma part est une bonne action de votre part. En effet, de telles initiatives sont louables dans ce sens que les couples sont souvent à la recherche de réponses à leurs interrogations sur la vie de couple. J'ai pour cela été très édifié et vous remercie pour l'intérêt porté sur cette question d'allaitement et de sexualité.
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