Publié dans le n° 138 d'Allaiter aujourd'hui, janvier 2024.
Un trouble du comportement alimentaire (TCA) est une perturbation de la relation à l’alimentation, qui peut altérer la santé physique comme l’adaptation psycho-sociale, et créer des difficultés pendant la grossesse et l’allaitement.
Qu’est-ce que les TCA
Les TCA font partie des pathologies addictives. Addiction à un comportement (et non à un produit comme l’alcool).
Les trois principaux sont l’anorexie mentale, la boulimie nerveuse (des formes mixtes anorexie-boulimie sont fréquentes) et les crises d’hyperphagie. Il existe aussi des TCA non spécifiques. Cet article sera centré sur les trois principaux TCA ; si vous vivez un trouble différent, vous trouverez des liens qui vous permettront d’être accompagnée dans votre allaitement.
L’anorexie mentale (AM) est le plus classique des TCA. Elle touche 1,4 % de la population féminine, essentiellement des jeunes filles entre 15 et 25 ans.
Elle se manifeste par une restriction alimentaire amenant à une perte de poids importante, la peur de prendre du poids et une altération de la perception de son poids ou de la forme de son corps. Elle peut s’accompagner de stratégies de contrôle du poids : hyperactivité physique, vomissements, prise de traitements laxatifs et/ou diurétiques.
La boulimie nerveuse se traduit, elle, par l’ingestion impulsive, massive et rapide de grosses quantités de nourriture, avec une sensation de perte de contrôle. Ce trouble s’accompagne de manœuvres compensatoires tels que des vomissements, la prise de laxatifs ou l’hyperactivité.
L’hyperphagie présente des signes de boulimie sans manœuvre compensatoire.
Qu’en est-il de la fertilité
On estime que l’ensemble des TCA touche entre 5 et 7 % des femmes en âge de procréer. Et bien qu’ils puissent avoir un impact négatif sur la fertilité, la majorité des personnes qui en souffrent peuvent avoir des enfants (1).
Les personnes boulimiques ont un risque accru de grossesse non prévue et non désirée, dû en particulier à des troubles du cycle. Cela peut aussi être lié aux vomissements après prise de pilule contraceptive, pilule qui ne joue plus alors son rôle.
Des problèmes de fertilité sont rapportés plus fréquemment chez les personnes anorexiques, souvent en raison d’une aménorrhée et d’un faible indice de masse corporelle (IMC).
Les femmes qui ont de la difficulté à être enceintes pourront bénéficier de l’aide à la procréation, un parcours long, difficile et très médicalisé. La mise en place d’un allaitement, processus physiologique, pourra être pour elles un enjeu majeur, après des années des soins médicalisés pour traiter la maladie puis pour accompagner le désir de grossesse.
Le temps de la grossesse
Les grossesses menées dans un contexte de TCA, surtout en cas d’anorexie active au moment de la conception et pendant la grossesse, sont des grossesses à risque. Et malheureusement, ces femmes sont peu prises en charge durant la grossesse dans la spécificité de leur pathologie.
On observe des complications spécifiques, en particulier quand l’IMC est inférieur à 20. Complications qui pourront avoir un impact sur la mise en place de l’allaitement.
Chez les femmes anorexiques, les changements corporels induits par la grossesse peuvent entraîner une majoration de la souffrance psychique. La perte de contrôle sur leur corps est source d’angoisse, exacerbant des troubles préexistants. La prise de poids liée à la grossesse est souvent décrite par ces femmes comme effrayante, terrifiante (2).
Chez les personnes en rémission, la grossesse peut réactiver les symptômes, en particulier au cours du troisième trimestre (3), ou juste après l’accouchement.
Chez les femmes boulimiques, les conduites de purge diminuent pendant la grossesse (4), mais beaucoup rechutent en post-partum.
Les compulsions alimentaires sont le symptôme le plus fréquent pendant la grossesse (5).
Cependant, les inquiétudes pour la santé du bébé peuvent aider ces futures mères à diminuer leurs troubles pendant la grossesse.
La naissance du bébé
Pendant la grossesse, le corps et les pensées de la maman construisent un nid qui permet le développement du bébé dans les domaines physique, psychique et émotionnel. Les TCA de la maman peuvent impacter ce développement et entraîner des complications spécifiques au bébé durant les premiers mois de vie.
Il peut avoir un retard de croissance intra-utérin, un petit poids à la naissance, un risque plus important de fente labio-palatine, des complications néonatales (hypothermie, hypoglycémie, APGAR plus bas).
Le repérage des troubles pendant la grossesse et un accompagnement bienveillant, sécurisant et contenant pour la mère et le bébé seront préventifs des risques et permettront un accompagnement réel pour la mise en route de la lactation.
Le post-partum
Pour toutes les nouvelles mères, le post-partum est une période difficile, il faut du temps pour s’habituer à son nouveau rôle. En cas de TCA, l’adaptation peut être encore plus difficile : dans la population générale, on retrouve un taux de 10 % de dépression post-partum, chez les mères TCA, il s’élève à 50 %... (6)
Chez les mères souffrant de TCA, la grossesse puis la parentalité peuvent réactiver des problèmes relationnels avec leur propre famille, et des problèmes d’individuation. Il y a un risque de dysfonctionnement des interactions précoces maman-bébé.
Souvent, les troubles réapparaissent après la naissance. Reviennent les crises de boulimie, d’hyperphagie, ou la restriction alimentaire. Dans une étude, 65 % des mères boulimiques qui ne faisaient plus de crises lors de troisième trimestre rechutaient en post-partum (7).
L’allaitement, défis et bienfaits
Connaître les risques du fait des TCA autour de la naissance permettra de s’informer sur les modalités de mise en place de l’allaitement en cas de prématurité, de césarienne, d’hypoglycémie, d’hypothermie, de faible prise de poids…
La difficulté à téter, engendrée par les soins, peut faire perdre confiance à la maman en ses capacités d’allaiter son bébé.
En cas de dénutrition ou d’apport calorique insuffisant chez une mère anorexique, l’allaitement exclusif pourra être difficile à mettre en place.
L’obsession de perdre du poids peut finir par prendre le dessus sur la mise en place de l’allaitement. Ces préoccupations par rapport au poids font que l’allaitement s’interrompt généralement rapidement (8). Sans compter que les mères s’imaginent souvent ne pas nourrir suffisamment leur bébé…
Avoir quelques informations sur l’alimentation de la mère pendant l’allaitement pourra aider. Savoir que l’allaitement exclusif durant les 6 premiers mois favorise la perte de poids en post-partum (9). Savoir qu’augmenter ses apports tout en gardant des activités physiques de plaisir permet de brûler plus de graisses (10). Dans tous les cas, l’accompagnement par une diététicienne-nutritionniste sera une aide pour équilibrer l’alimentation.
Les mères souffrant de TCA peuvent être moins attentives aux signaux de faim et de satiété de leur bébé. La peur que celui-ci soit en surpoids est très présente. Elles peuvent avoir un comportement particulier vis-à-vis de l’alimentation de leur enfant, susceptible d’influencer à long terme son comportement vis-à-vis de la nourriture (11).
Par contre, le fait que son corps s’avère capable de nourrir son bébé pourra être thérapeutique pour une femme qui a une mauvaise image de son corps et une piètre confiance en elle.
Des études ont constaté que les mères allaitantes avaient une intensité plus basse de réponse au stress (12). L’ocytocine sécrétée pendant les tétées a un effet calmant, et elle favorise le lien mère/enfant.
Comme on l’a vu plus haut, la dépression post-partum est plus fréquente chez les femmes souffrant de TCA (13). Mais elle est moins fréquente quand la mère allaite… (14)
En conclusion
Parler de ses troubles du comportement alimentaire est difficile, la honte est très présente au quotidien.
Continuer ou reprendre les prises en charge médicale, nutritionnelle et psychologique, individuelles ou collectives, est important pour une meilleure santé de la mère et de l’enfant, tant sur le plan somatique que psychologique. Les rechutes, comme dans les pathologies addictives, sont fréquentes. Une rechute n’est pas négative, c’est une opportunité de changement et un pas de plus vers la guérison, une occasion d’appeler à l’aide, bénéfique pour la mère, le bébé et la famille dans son ensemble.
Il est important de se faire aider et accompagner, que ce soit par les professionnels de santé, les associations d’entraide autour des TCA, les associations de soutien à la parentalité, et bien sûr les associations de soutien à l’allaitement.
Le soutien à l’allaitement sera important pour le démarrage et pour sa poursuite au fil du temps. Réussir son allaitement sera une fierté pour la maman et une chance pour le bébé !
Annaïck Gautrin, animatrice LLL France
(1) Bulik CM et al., Patterns of remission, continuation, and incidence of broadly defined eating disorders during early pregnancy in the Norwegian Mother and Child Cohort Study (MoBa), Psychol Med 2007 ; 37(8) : 1109–1118.
(2) Lemberg R, Phillips J, The impact of pregnancy on anorexia nervosa and bulimia, Int J Eating Disorders 1989 ; 8(3) : 285-295.
(3) Fairburn CG, Stein A, Jones R, Eating habits and eating disorders during pregnancy, Psychosom Med 1992 ; 54(6) : 665-72.
(4) Lacey JH, Smith G, Bulimia nervosa, The Impact of Pregnancy on Mother and Baby, Br J Psychiatry 1987 ; 150 : 777-81.
(5) Martínez-Olcina M et al., Eating Disorders in Pregnant and Breastfeeding Women : A Systematic Review, Medicina (Kaunas) 2020 ; 56(7) : 352.
(6) Astrachan-Fletcher E et al., The reciprocal effects of eating disorders and the postpartum period : a review of the literature and recommendations for clinical care, J Womens Health (Larchmt) 2008 ; 17(2) : 227-39.
(7) Lacey JH, Smith G, op. cit.
(8) Le taux de sevrage avant 6 mois est plus important chez les personnes souffrant d’anorexie que dans le reste de la population. Voir : Torgersen et al., Breastfeeding practice in mothers with eating disorders, Matern Child Nutr 2010 ; 6(3) : 243-52. Par contre, l’allaitement jusqu’à 1 an est bien représenté chez les femmes souffrant de boulimie (Micali N et al., Infant feeding and weight in the first year of life in babies of women with eating disorders, J Pediatr 2009 ; 154(1) : 55-60.e1).
(9) Baker JL et al., Breastfeeding reduces postpartum weight retention, Am J Clin Nutr 2008 ; 88(6) : 1543-51.
(10) Lederman SA, Influence of lactation on body weight regulation, Nutr Rev 2004 ; 62(7 Pt 2) : S112-9.2004.
(11) Martini MG et al., Effect of maternal eating disorders on mother-infant quality of interaction, bonding and child temperament : A longitudinal study, Europ Eating Disorders Review 2022 ; 31(2) : 335-348.
(12) Groër MW, Differences between exclusive breastfeeders, formula-feeders, and controls : a study of stress, mood, and endocrine variables, Biol Res Nurs 2005 ; 7(2) : 106-17.
(13) Franko DL et al., Pregnancy complications and neonatal outcomes in women with eating disorders, Am J Psychiatry 2001 ; 158(9) : 1461-6.
(14) Voir le n° 124 d’Allaiter aujourd’hui, Allaitement et difficulté maternelle.
Ressources
- Fédération Française Anorexie Boulimie, Qu’est-ce qu’un TCA.
- Institut Fédératif des Addictions Comportementales, Les troubles du comportement alimentaire.
- Maternité et conduites addictives : enjeux et intérêts de l'addictologie de liaison en périnatalité, Thèse de Anne Chassevent, Université de Nantes, 2008.
- Clinique et prise en charge de l’anorexie mentale dans un service hospitalier, n° 881 de la revue Soins.
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