Publié dans le n° 141 d'Allaiter aujourd'hui, octobre 2024.
La neuroatypie, c’est quoi ?
La neuroatypie (on parle parfois aussi de neurodivergence ou de neurodiversité) désigne un fonctionnement neurologique ou psychologique qui s’écarte de la norme.
Cela recouvre aussi bien
– les TND (troubles du neurodéveloppement) : TSA (trouble du spectre autistique), TDAH (trouble du déficit de l'attention), DYS (troubles des apprentissages type dyslexie, dysorthographie, dystrophie, dyscalculie, dyspraxie), TDI (trouble du développement intellectuel),
– le HPI : Haut potentiel intellectuel (correspondant à un quotien intellectuel évalué à 130 ou plus sur un outil standardisé avec un professionnel),
– peut être associée entre autres à une haute sensibilité émotionnelle ou sensorielle, à un TOC (trouble obsessionnel compulsif), à un TAG (trouble anxieux généralisé).
On pense qu’une personne sur six pourrait être concernée (1). Certaines peuvent avoir plusieurs neuroatypies (2). La plupart vivent souvent longtemps (et plus ou moins bien) avant d’être diagnostiquées, après une errance médicale variable selon le territoire où l’on habite. Ce qui leur provoque des difficultés plus ou moins importantes dans leurs interactions sociales.
Avoir enfin un diagnostic, que ce soit pour soi ou pour son enfant (3), est généralement un soulagement, car cela permet à la fois de mieux comprendre pourquoi on fonctionne de cette façon (et de le faire comprendre à son entourage), et de trouver des outils pour mieux "fonctionner", que ce soit pour les apprentissages ou/et pour la vie relationnelle.
Être autiste et allaiter
Dans cet article, nous parlerons essentiellement de l’autisme, sachant que beaucoup de choses dites sont également vraies pour d’autres neuroatypies.
Comme le montre le graphique ci-dessous, qui résume une étude faite au Royaume-Uni en 2020 (et beaucoup d’autres études le confirment), le taux d’allaitement chez les mères autistes est le même que dans la population générale. Selon une autre étude, faite cette fois en France en 2023, le taux à 6 mois serait même plus élevé.
Donc, les mères autistes allaitent ! (Rappelons que beaucoup ne se savent pas autistes quand elles deviennent mères).
Mais quelles sont leurs forces et leurs faiblesses dans ce parcours d’allaitement ?
Beaucoup disent que l’allaitement leur procure un moment de calme et de tranquillité qu’elles apprécient. Il leur offre un temps protégé pour s’asseoir et se reposer, et elles sont nombreuses à trouver qu’il accroît leur confiance en leurs capacités.
Les femmes autistes excellent souvent dans la recherche et la découverte d’informations de manière indépendante. Et donc, celles qui projettent d’allaiter en savent déjà beaucoup sur le sujet, et si elles le décident, elles seront probablement très déterminées.
Allaiter en étant neuroatypique et/ou allaiter un enfant neuroatypique, cela peut être un défi particulier, mais aussi une aide bienvenue, comme le montrent les témoignages que nous avons reçus.
Le plus souvent, elles préfèrent des informations qui vont "droit au but" et souhaitent qu’on leur présente toutes les options nécessaires afin de prendre une décision éclairée (mais ça, c’est vrai pour tout le monde, non ?!).
Mais beaucoup auront du mal – ou ne se sentiront pas à l’aise – à demander du soutien en cas de problème : difficulté à communiquer par exemple par téléphone, méfiance par rapport aux professionnels de santé et aux travailleurs sociaux (suite généralement à des expériences malheureuses)... Et beaucoup ne seront pas à l’aise avec un soutien qui implique un contact physique.
De nombreuses personnes autistes ont des différences sensorielles pouvant entraîner une expérience accrue ou réduite de l’odorat, du goût, du toucher, de la vue, de l’ouïe, de la proprioception et de l'intéroception. Cela peut affecter l’allaitement de plusieurs manières.
Le réflexe d’éjection du lait peut être ressenti comme une sensation de picotement, et chez une personne présentant des différences sensorielles, cela peut être inconfortable, voire même être ressenti comme douloureux.
Certaines personnes présentant des différences sensorielles peuvent avoir une aversion à l’idée d’allaiter dans un endroit bruyant ou très lumineux ou très fréquenté. Le bruit peut être particulièrement difficile pour certaines. De nombreuses mères trouvent utile d’utiliser des bouchons d’oreille ou d’éviter les zones bruyantes.
Allaiter un enfant neuroatypique
L’allaitement peut être particulièrement important pour un tel enfant. Mais cela peut comporter des défis particuliers.
Parfois, un enfant présentant des différences sensorielles peut vouloir téter très fréquemment afin de se réguler. D’autres fois au contraire, ces différences sensorielles peuvent amener un enfant à vouloir téter moins souvent.
Ces enfants peuvent vouloir téter lorsqu’ils se sentent dépassés, par exemple lorsqu’ils se trouvent dans un endroit très fréquenté, bruyant ou inconnu. Ou encore, ils peuvent avoir du mal à téter dans certaines conditions – cela peut aller de la température de la pièce à leurs chaussettes ! Si cela se produit, il sera utile de modifier la situation afin de réduire ou d’éviter les stimuli sensoriels avec lesquels ils sont aux prises.
Tout cela donne un tableau d’enfant "aux besoins intenses", voire d’enfant "difficile" aux yeux de l’entourage. Trouver des communautés partageant les mêmes idées (par exemple un groupe LLL...) est alors essentiel, en particulier pendant les premières années intenses.
Le sevrage peut être plus difficile chez les enfants autistes en raison de problèmes sensoriels et de communication, ou parce que l’allaitement est pour eux un moyen important d’auto-régulation.
Si un enfant présente des différences sensorielles, il peut avoir du mal à manger des aliments solides et vouloir téter fréquemment plutôt que de manger.
Parfois, en grandissant, un enfant autiste peut se mettre à rejeter certains aliments en raison de leur texture, leur goût, leur odeur, ce qui peut entraîner une augmentation des tétées.
Continuer à allaiter jusqu’à la petite enfance et au-delà offre une série d’avantages à la fois pour l’enfant et la mère, et fournit des nutriments qui peuvent manquer à l’enfant dans son alimentation si celle-ci est limitée.
Les bienfaits de l’allaitement
Plusieurs études ont montré les bienfaits de l’allaitement pour ces enfants.
Citons par exemple cette étude espagnole qui a trouvé qu’une durée plus longue d’allaitement abaissait le risque de troubles du spectre autistique, un impact modeste mais significatif (4).
Ou cette méta-analyse de 2019 portant au total sur 1 463 enfants souffrant de TSA et 1 180 enfants témoins (5) qui permet, elle aussi, de penser que la prévalence des TSA est plus élevée chez les enfants qui n’ont pas été allaités. Pour les auteurs, cet impact de l’allaitement est biologiquement plausible, que ce soit via certains composants du lait maternel (facteurs de croissance neurotrophiques, acides gras polyinsaturés, différences structurelles entre les protéines humaines et les protéines bovines...) ou via l’acte d’allaitement lui-même (contact peau à peau et impact hormonal de ce contact physique...).
Ou encore cette étude indienne où le risque d’autisme était environ six fois plus élevé chez les enfants qui n’avaient pas été exclusivement allaités jusqu’à 6 mois et chez ceux qui avaient commencé à recevoir rapidement des solides (6).
Comme le dit cette dernière étude, même s’il reste impossible d’affirmer avec certitude que l’allaitement abaisse le risque d’autisme, un tel effet est physiologiquement possible, ne serait-ce qu’en raison de l’impact de l’allaitement sur le microbiome intestinal, et du rôle de ce dernier dans la survenue de troubles neurologiques. Encourager des pratiques optimales d’allaitement, incluant la promotion de l’allaitement exclusif pendant les six premiers mois, pourrait, outre les nombreux avantages pour la santé et le développement infantiles, protéger les enfants vulnérables vis-à-vis du risque d’autisme.
Vous pouvez lire les témoignages de mères dans le numéro en vente dans la boutique, vous y retrouverez tous les défis évoqués plus haut et tous les bienfaits de l’allaitement pour elles et leurs enfants.
Librement adapté de l’article d’Emily Lunny Breastfeeding and Autism, publié en novembre 2023 sur le site de LLL GB.
1. Mattea Battaglia, Les troubles du neurodéveloppement chez les enfants, un enjeu de santé publique, Le Monde du 6 février 2024.
2. Voir https://www.lazebrelle.fr/post/rencontre-neuroatypie
3. C’est d’ailleurs souvent lorsqu’on diagnostique un TDN (trouble du neurodéveloppement) chez l’enfant que le parent s’en découvre également un.
4. Boucher O et al., Association between breastfeeding duration and cognitive development, autistic traits and ADHD symptoms : a multicenter study in Spain, Pediatr Res 2017 ; 81 : 434-42.
5. Tseng PT et al., Maternal breastfeeding and autism spectrum disorder in children : A systematic review and meta-analysis, Nutr Neurosci 2019 ; 22(5) : 354-362.
6. Manohar H et al., Role of exclusive breastfeeding in conferring protection in children at-risk for autism spectrum disorder : results from a sibling case-control study, J Neurosci Rural Pract 2018 ; 9(1) : 132-6.
Ressources
– Information pour l’allaitement, Accompagnement des mères neurodivergentes dans leur allaitement (avec une bibliographie et des ressources intéressantes).
– Un témoignage sur le site de LLL USA : Amanda’s Story : Birth, Breastfeeding And My Neurodivergent Child.
– Anouchka, maternité, neuro-atypie et transidentité, podcast.
– Camille Desbois, C’est quoi, les neuroatypies ? Le vrai du faux sur l’autisme, le haut potentiel intellectuel, le TDA/H, les dys..., éditions Dangles, 2024. Journaliste et auteure, Camille Desbois a découvert sa neuroatypie à l’âge de 28 ans, elle se consacre depuis à démocratiser le domaine, notamment avec un podcast : Bande d’Autistes !
– Christopher Boyd, Moi, dyslexique – Comment j’ai appris à vivre avec des troubles dys, bande dessinée aux éditions Dunod, 2023.
– Valentine Lecêtre, Sortir de l’autisme. Le témoignage d’une maman, Ideo Eds, 2023.
– Karen Henry, Hayley Morgan, Emma Durman, Supporting Autistic People Through Pregnancy and Childbirth, Jessica Kingsley Publishers, 2024.
– Les papillons bleus zébrés, groupe Facebook privé de soutien aux proches d'enfants avec autisme et HPI.
– Podcast Témoignages de femmes autistes.
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