À présent, elle ne vivait que pour allaiter Mourad, pour entendre sa respiration, pour s'endormir à côté de lui. Elle n'avait aimé personne comme il le fallait – même pas Tareq – avant de mettre Mourad au sein pour la première fois.
Dans les coulisses, le petit Mourad rouspétait dans les bras de sa grand-mère Tanina. Il ouvrait la bouche, cherchant le sein comme un oisillon affamé.
– Espèce de petit vilain, fit-elle en le berçant. Je n'ai pas de lait pour toi. En tout cas, ce n'est pas l'heure de la tétée.
Mais le petit Mourad ne voulait rien savoir, il voulait téter ! Tanina tenta de le calmer en lui mettant la sucette dans la bouche, mais il la recracha et se mit à brailler : Ala ! Ala ! Ala ! fit-il, le mot qui veut dire non en kabyle.
Sur scène, Tareq Aït-Meziane élevait sa voix aérienne pendant qu'il jouait de la guitare et, toute petite à côté de lui, arrivant à peine à la hauteur de ses épaules, Houda faisait vibrer sa voix de soprano légère pendant que le tambourin frissonnait entre ses mains (…) Tout d'un coup, elle sentit une brûlure dans les deux seins, et serra le tambourin contre sa poitrine. Heureusement et comme par hasard, c'était pendant l'interlude instrumental : les notes aiguës et piquées des flûtes et le battement de l'amendayer et de la cymbale, et tous les instruments électriques. Berçant toujours le petit Mourad, Tanina entra sur scène. Elle tapait des pieds comme l'une des choristes de la chanteuse Massa Bouchafa. D'une main, elle glissa tout doucement l'enfant dans les bras de sa mère et se saisit du tambourin de l'autre. Ils finirent la chanson en trio, ou plutôt en quatuor : personne n'entendit les déglutitions bruyantes de Mourad, et la robe kabyle que portait Houda finit par être inondée de lait.
Publié dans Anthologie de l'allaitement maternel, Claude Didierjean-Jouveau
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