Marie Courdent, animatrice LLL F- IDE - PDE - Consultante en lactation certifiée IBCLC - DIULHAM
Vanessa Lasne, animatrice LLLF - Consultante en lactation certifiée IBCLC
14/04/2022
Les seins se préparent à allaiter durant la grossesse, et c’est plutôt rassurant de les voir prendre du volume. Après la naissance et l’expulsion du placenta dans sa totalité, le lait va arriver en abondance avec (terme consacré mais un peu inadapté) la “montée de lait", que la mère ressent en principe avant H72 après la naissance. La plénitude mammaire est alors là, les seins sont lourds, le réseau veineux bien visible et le lait remplace le colostrum, qui coule parfois même spontanément.
Si le nouveau-né ne tète pas efficacement, boit peu, s’endort sur le sein, si la mère ne lui propose pas le sein très, très souvent, (toutes les heures, ce n’est pas de trop si le nouveau-né est partant), si elle n’exprime pas du lait entre deux tétées (le lait recueilli dans une petite cuillère peut être donné au bébé en dessert ou en apéro), si ses seins sont tendus, un ou les deux seins dans leur totalité peuvent se retrouver engorgés. Il faudra aider à les drainer, mais cette situation ne correspond pas à une mastite.
À la maison, si un sein complet fait mal, c’est souvent lié à la conduite de l’allaitement qui a fait oublier un sein lors de deux ou plusieurs tétées : le même sein a été présenté plusieurs fois de suite en premier et le second a été peu drainé, le bébé tète moins car il a un rhume, une tétine est donnée depuis peu, la bébé a espacé ses tétées la nuit et un sein "négligé" est engorgé. Sans autre signe qu’un sein bien plein, ce n’est pas une mastite.
De retour à la maison, il peut arriver qu’une zone d’un sein, et non un sein complet, proteste et fasse mal. La mère peut sentir une zone dure et douloureuse ou un cordon douloureux avec comme des petits pois : il s’agit alors d’un canal lactifère bouché qui peut être couplé d’un pore (par où s’écoule le lait) bouché lui aussi. Sans signes généraux, sans fièvre, ce n'est pas une mastite, mais cela pourrait le devenir si rien n’est fait.
La mastite est une inflammation du tissu mammaire, avec ou sans infection. La plupart du temps, elle ne survient pas brutalement, sans signes annonciateurs, elle est une complication d’un état de stase lactée préalable. Pour se soigner, le sein réagit avec des signes inflammatoires (chaleur, rougeur, douleur locale et fièvre). Sans prise en charge, la mastite peut éventuellement évoluer vers une infection. Ainsi, l’ANAES précise que “si la stase de lait persiste, les conditions locales peuvent devenir favorables à la multiplication bactérienne et provoquer une infection”. Quand la mastite est mal soignée, une zone du sein particulièrement bouchée peut se collecter pour donner un abcès. Vider, évacuer, drainer le lait est donc dans toutes ces situations le maître mot.
Facteurs prédisposant aux mastites
- limitation des tétées en fréquence ou/et en durée, sauter une tétée,
- extraction inefficace du lait par le bébé,
- crevasses et infection de ces plaies des mamelons,
- surproduction lactée,
- sevrage trop rapide,
- compression du sein par quelque chose qui a fait comme un "garrot" (soutien gorge, moyen de portage…),
- canal lactifère bloqué, engorgement localisé,
- stress ou fatigue maternelle, anémie, malnutrition,
- le sein le moins utilisé, ou négligé
Quand penser à une mastite
- vous voyez une ou des rougeurs localisée sur une zone d’un sein,
- vous sentez une bosse, une masse chaude, douloureuse dans le sein,
- vous vous sentez très fatiguée et courbaturée, nauséeuse, comme si vous aviez la grippe,
- vous avez de la fièvre, survenue parfois brutalement.
La conduite à tenir
- reposez-vous, confiez vos aînés, restez couchée avec votre bébé, hydratez-vous et mangez bien,
- continuez à allaiter des deux seins de 8 à 12 fois par 24 heures, soit toutes les deux à trois heures après le début des tétées, en commençant si c’est supportable par le sein douloureux pour qu’il soit bien drainé, ou, si la douleur inhibe le réflexe d’éjection, démarrez par le sein non douloureux jusqu’au moment où le lait commence à couler,
- variez vos positions pour allaiter, en cherchant à appliquer le menton de votre bébé sur la zone douloureuse ; assurez-vous de bien drainer toutes les zones du sein,
- essayez la position de la louve qui vous amène à vous pencher au-dessus de votre bébé pour associer la gravité à l'extraction du lait par votre bébé ; l repose à plat dos, soit au milieu de votre grand lit et vous êtes à quatre pattes, soit sur son matelas à langer, vous êtes alors appuyée sur vos coudes ; orientez votre bébé pour que son menton soit face à la zone douloureuse,
- pendant la tétée, massez doucement votre sein affecté vers le mamelon pour encourager le lait à sortir,
- la mastite induit une augmentation du taux de sodium et de chlorure dans le lait, lui donnant un goût plus salé ; le bébé peut rechigner à téter, mais ne risque rien ; l’expression manuelle ou le tire-lait pourront vous aider si besoin,
- exprimez votre lait manuellement ou à l’aide d’un tire-lait si le sein affecté n’est pas bien vidé après la tétée, ou si le bébé n’a plus faim pour boire le second sein, car il n’est pas à négliger,
- appliquez de la chaleur avant d’allaiter afin de promouvoir un meilleur drainage du sein (gant de toilette chaud, sein trempé dans un saladier d’eau chaude, douchette d’eau chaude),
- appliquez du froid, ou des cataplasmes de feuilles de chou ou d‘argile verte entre les tétées pour leur action anti-inflammatoire (coussinets d’allaitement, ou gant de toilette, gorgés d’eau, placés dans un sac en plastique, mis au congélateur et posés sur la peau après avoir intercalé un morceau de tissu pour éviter les brûlures ; sac de petits pois congelés réservé à cet usage – l’indiquer dessus et surtout ne pas le consommer si les petits pois ont été recongelés),
- communiquez avec une animatrice LLL ou une consultante en lactation certifiée IBCLC afin de déterminer la cause de la mastite et éviter qu’il y ait rechute,
- la situation doit s'améliorer en 24-48 heures : la fièvre va disparaître alors que vous ne prenez plus d’antipyrétique type paracétamol, la douleur s’estompe, le sein retrouve sa souplesse et la rougeur s'atténue en une semaine.
Quels sont les facteurs de gravité immédiats qui demandent une consultation médicale rapide
- votre nouveau-né a moins de 10-12 jours (car si microbe il y a, il pourrait venir de la maternité et l’infection être nosocomiale) ; si votre enfant est prématuré ou s'il est malade et hospitalisé, voir avec les professionnels de santé qui s'occupent de lui,
- si la mastite concerne les deux seins,
- si vous avez des crevasses qui durent et sont donc peut-être infectées,
- si vous avez des facteurs de risque infectieux tels que le diabète, une anémie ou une maladie spécifique, ou si vous vous sentez très mal.
Quand craindre une évolution défavorable
- vous ne voyez pas d’amélioration et vous ne vous sentez pas mieux au bout d’une période de 24 heures après le début des symptômes,
- vous continuez à faire de la fièvre ou soudainement la fièvre augmente et devient très élevée,
- le sein présente une plaque rouge, chaude et gonflée,
- vous voyez du pus ou du sang dans votre lait,
- vous voyez des stries rouges sur le sein, débutant sur l’aréole et allant vers l’aisselle (définition de ce qu’est une lymphangite),
- vous avez une crevasse sur le mamelon qui vous semble infectée,
- vous avez des frissons et continuez à vous sentir mal.
Alors que faire
- consultez un médecin,
- si l'on vous a prescrit un antibiotique, respectez l’ordonnance jusqu’au bout, soit de 10 à 14 jours,
- prenez du repos, hydratez-vous bien,
- continuez à allaiter fréquemment du sein affecté, toutes les 2 heures le jour et environ toutes les 4 heures la nuit (ou exprimez votre lait si le bébé ne peut ou ne veut pas bien téter au sein affecté),
- variez les positions à chaque tétée afin de bien drainer toutes les parties du sein,
- si la douleur empêche le réflexe d’éjection du lait, allaitez de l’autre sein en premier et terminez en vidant bien le sein affecté grâce à l’expression manuelle ou à l’aide d’un tire-lait,
- un antalgique type paracétamol ou un anti-inflammatoire type ibuprofène sont parfois prescrits, mais quand ils sont pris en continu 24h/24 et durant plusieurs jours, ils peuvent masquer des signes d’aggravation (abcès),
- restez vigilante, reconsultez si la situation ne s’arrange pas, car la complication d’une mastite qui traîne, c'est l’abcès du sein, et mieux vaut prévenir que guérir.
Un problème sur un sein allaitant quel qu’il soit doit être résolu rapidement, en quelques jours. Ces situations ne demandent jamais, bien au contraire, un sevrage temporaire du bébé allaité. Le sein infecté se guérit toujours mieux quand il poursuit sa fonction première : allaiter.
Question/réponse
Q – Mon bébé a 1 mois. J’ai de "belles" crevasses (surtout à gauche, où mon mamelon est invaginé). Mon bébé n'arrive pas à prendre le sein de façon asymétrique comme on voit dans les vidéos de votre site. Je n’ai pas investi dans un soutien-gorge d’allaitement, je fais glisser le bonnet sous le sein. Est-ce que cela peut-avoir un impact ?
R de Rachel animatrice LLLF – Le fait de passer un soutien-gorge normal, et non d’allaitement, sous le sein peut donner une forme bizarre au sein, provoquer des compressions, et cela peut être une super machine à engorgement. Si la maman est à l'aise avec, ce n'est pas un souci, mais ça peut valoir le coup, pour tenter des mises au seins plus sereines, d'essayer sans soutien-gorge peut-être.
Oui bien sûr ! Les mêmes règles s’appliquent avec du lait tiré que lors d’un épisode d’ engorgement avec poursuite de l’allaitement en direct au sein. L’enfant peut donc boire ce lait tiré et conservé.
Bonjour,
Je me permets de vous écrire concernant la conservation du lait tiré d'un sein ayant un engorgement/mastite. J'ai réussi à faire passer assez rapidement l'engorgement (moins de 10h) mais le sein reste douloureux et rouge, sans pus à priori. Le lait tiré congelé pour me soulager est-il consommable ?
Merci d'avance de votre retour
Bonjour Eloise,
Vous parlez de pus qui s’écoule dans le lait et que votre bébé refuse ce sein. Quel âge a-t-il ? Et cet écoulement unilatéral provient-il d’un seul pore, un seul petit trou par où coule le lait donc d’un seul canal ou de plusieurs pores ? Cet écoulement est-il sanglant ? Depuis combien de temps dure t-il ? Qu’est-ce qui vous a fait penser à du pus ?
Avez-vous une mastite, c’est-à-dire une inflammation ou une infection du sein ? En effet vous parlez de pus, et le pus provient d’une infection par un germe. Les infections s’accompagnent de signes inflammatoires locaux que sont rougeur, chaleur, douleur et souvent de signes généraux : fièvre, courbatures, céphalées. Est-ce le cas ?
Si vous n’avez pas d’autres symptôme pouvant faire évoquer une mastite que cet écoulement, il faut en rechercher la cause, en dehors d’une mastite. Vous avez besoin de consulter votre médecin pour un bilan avec échographie, mammographie.
Ces examens sont possibles chez la femme allaitante en prenant soin de « vider » votre sein avant l’examen par une tétée ou une expression au tire-lait, quitte à la faire dans une salle du cabinet de radiologie.
Merci de me donner de vos nouvelles
Je reste disponible
Marie Courdent Animatrice LLL France à Lille
Bonjour,
Que faire si du pus s'écoule dans le lait ? Je ne me vois pas faire téter mon bébé sur le sein en question, d'autre part avant que je ne me rende compte qu'il y avait du pus, mon bébé se mettait à pleurer et rejeter le sein dès qu'il commençait à le téter.
Merci
Bonjour Saadia,
Je comprends que vous vouliez arrêter cet allaitement qui ne se passe pas comme vous l'espériez puisque vous êtes en tire-allaitement et qu'en plus, vous faites une mastite.
Néanmoins aujourd'hui la priorité est de vous guérir de votre mastite, et de ne pas aggraver l'infection avec un abcès du sein ou des seins.
Deux comparaisons : vos seins se sont préparés à allaiter depuis le début de la grossesse et là, en fabriquant le lait dont votre bébé a besoin, ils tournent à plein, ils sont comme des TGV lancés à grande vitesse et un TGV ne peut pas s'arrêter, ne peut pas piler sur quelques mètres. Pour vos seins c’est pareil, la diminution et l'arrêt de la production lactée ne peut se faire que progressivement sinon une zone du sein proteste, devient très douloureuse et l'aggravation ultime, c'est l'accès du sein, que vous n'avez pas pour l'instant, mais que vous devez éviter à tout prix.
La 2e comparaison porte sur votre infection : la mastite est une infection du sein, qui nécessite parfois des antibiotiques, votre médecin vous en a du reste prescrit. Si vous aviez eu une infection des urines, on ne vous aurait pas dit d'arrêter de faire pipi et là c'est pareil, les antibiotiques et l'AINS ne vont pas avoir une action directe sur la diminution de la production lactée, elle continue à se faire, ce qui explique vos douleurs et la zone rouge qui apparaît sur le 2e sein. Votre glande mammaire souffre avec tout ce lait qui ne s’évacue pas .
Dans votre cas pour vous soulager, je pense qu'il est important de reprendre les tirages de lait, non pas pour vider à fond vos seins mais pour être confortable. Le faire plusieurs fois par jour, de façon à ce que vos seins soient plus souples et non douloureux tout en poursuivant votre traitement. Votre lait vaut de l’or, aussi pourriez vérifier que les antibiotiques et l’AINS sont compatibles avec l’allaitement en regardant sur LeCrat.fr ou e-lactancia ou en demandant à votre médecin ou votre pharmacien pour éviter de jeter votre précieux lait de maman.
Progressivement quand la mastite sera derrière vous, vous pourrez, à ce moment-là, diminuer le nombre d'expressions, les faire durer moins longtemps, pour arriver à un sevrage total sur plusieurs jours, si ce n’est plusieurs semaines. Vous pouvez aussi appliquer sur vos seins des cataplasmes de feuilles de chou cru, en les glissant dans votre soutien-gorge, sans en mettre au niveau de l'aréole et du mamelon, en les changeant régulièrement dès que les feuilles sont flétries. C'est un puissant anti-inflammatoire local et ça aide aussi à réduire la production lactée. Cependant il n'y a aucun produit miracle qui coupe les robinets à lait du jour au lendemain.
Bon rétablissement, bon sevrage
Je reste disponible
Marie Courdent Animatrice LLL France – Lille
Bonjour,
Je me permet de vous écrire, car je suis très inquiète.
Voilà ayant des tétons vers l intérieur je n arrive pas à allaiter, j ai donc opté pour le tire lait jusque là tout allait bien. Mon fils a aujourd'hui 23 jours...
Sauf qu il y a quelques jours j ai présenté de la fièvre, des frissons,migraine...puis j observe une tache rouge sous le sein gauche. Le médecin me prescrit ibuprofen et antibiotique. J ai donc décidé d arrêter l allaitement, au delà du fait que ma poitrine est engorgée, une tache rouge se présente au sein droit maintenant.
Que dois je faire, sachant que je suis sous antibio + AINS ...
Quand dois je m inquiéter, au dela de l inconfort que cela provoque.
Je vous remercie pour votre réponse.
Chère Cyrielle,
Je lis combien la perspective d'un sevrage est douloureuse pour vous. Je n'ai pas les informations concernant le traitement qui vous a été prescrit mais voici néanmoins des informations générales concernant la mastite chez une mère allaitante qui peuvent vous intéresser.
Les informations spécialisées sur le sujet s'accordent sur l'importance de drainer régulièrement le sein comme part essentielle du traitement. L'Academy of Breastfeeding Medicine dans son protocole #4 sur la mastite écrit :
"Traitement :
Vider efficacement les seins
Dans la mesure où la stase lactée est souvent le facteur ayant induit la mastite, le principal point du traitement est de vider efficacement et régulièrement les seins.
• Les mères seront encouragées à mettre leur enfant au sein plus fréquemment, et à commencer la tétée par le sein affecté.
• Si la douleur inhibe le réflexe d’éjection, la mère commencera la tétée par l’autre sein, et mettra l’enfant au sein atteint dès que survient le réflexe d’éjection."
Ce protocole précise également que "L’ibuprofène est indétectable dans le lait après des prises maternelles allant jusqu’à 1,6 g/jour, et il est considéré comme compatible avec l’allaitement"
On peut par ailleurs lire sur le site E-lactancia, (faisant partie des sites de référence en matière de compatibilité de diverses substances avec l'allaitement) que "Les médicaments utilisés pour le traitement des mastites, tels que les antibiotiques et les anti-inflammatoires, sont compatibles avec l'allaitement."
ChaLLLeureusement,
Vanessa,
Animatrice LLL France
Bonjour,
Je voudrais avoir votre avis. Mon médecin m'a prescrit antibiotique et anti inflammatoire pour me guérir de ma mastite. Il m'a dit "arrêtez immédiatementement d'allaiter car le traitement est incompatible avec l'allaitement...."
Qu'en pensez vous ?
J'ai obtempéré car je ne veux pas prendre de risques pour mon bébé et je tire mon lait afin de pouvoir reprendre l'allaitement par la suite mais cette situation me peine énormément....
Merci beaucoup pour ces précieux conseils qui m'ont permis d'éviter la mastite !!
Excellent
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