Editorial du numéro 72 des Dossiers de l'Allaitement (Juillet – Août – Septembre 2007)
Connaissez-vous le Code International de Commercialisation des Substituts du Lait Maternel ?
Le Code de Commercialisation des Substituts du Lait Maternel a été adopté le 21 mai 1981 par la 34ème Assemblée Mondiale pour la Santé. Il a aujourd’hui plus de 25 ans. Comme sa naissance, ses premières années, son adolescence et maintenant son âge adulte ont été plutôt agités :
• Les gouvernements n’ont pas tous adopté les législations ou autres mesures destinées à le rendre effectif dans chaque pays, loin s’en faut. En août 2005, 61 pays sur 192 n’avaient toujours pas adopté une législation fondée sur le Code, et de nombreux autres pays n’ont adopté que quelques-unes des mesures de ce Code. La majorité des pays de l’Union Européenne ont une législation fondée sur une directive européenne datant de 1991 ; cette directive ne prend en compte ni le matériel de biberonnerie, ni certains substituts du lait maternel tels que les tisanes et jus pour bébés, ou les laits de suite. En 2006, seulement 32 pays dans le monde avaient inclus dans leur législation toutes ou presque toutes les dispositions du Code. 44 pays avaient inclus certaines dispositions du Code dans leur législation (la France en fait partie, ainsi que la majorité des pays européens).
• Très peu de pays ont mis en œuvre une procédure de suivi régulier de la mise en œuvre du Code. Quant aux fabricants et aux distributeurs, ils ne se préoccupent guère de faire un suivi de leurs pratiques de commercialisation, ni de prendre des mesures pour corriger leurs pratiques quand elles violent le Code.
• Ceux qui affirment le faire ne font en réalité qu’interpréter le Code selon leurs souhaits, en affirmant par exemple qu’il s’applique uniquement aux pays en voie de développement, ou seulement aux laits industriels dits de 1er âge. Or, d’après le Code, est considéré comme un substitut du lait maternel : « Tout aliment commercialisé ou présenté de toute autre manière comme produit de remplacement partiel ou total du lait maternel, qu'il convienne ou non à cet usage ».
• Les organisations non gouvernementales, les associations de professionnels de santé ou de bénévoles qui tentent d’attirer l’attention sur les violations du Code sont bien souvent ignorées. L’IBFAN (International Baby Food Action Network) recense régulièrement ces violations, et publie des rapports d’évaluation (Breaking the rules) listant les violations commises par les principaux fabricants de lait industriel et de matériel de biberonnerie dans le monde. Ces rapports, dont le dernier date de 2004, peuvent être téléchargés sur le site de l’IBFAN.
En conséquence, le droit des mères à être protégées contre les pratiques de marketing des fabricants de lait industriel n’est pas assuré comme il devrait l’être. Dans certains pays, les mères sont toujours contactées par ces fabricants. Les pratiques de distribution d’échantillons gratuits de lait industriel via les maternités n’ont pas disparu. Les fabri-cants ont également mis au point de nouvelles techniques de marketing, tels que les « clubs de bébés ». La publicité est omniprésente dans tous les médias, et nous la mémorisons, que nous le voulions ou pas. Toute personne qui doute de l’impact que peuvent avoir les publicités n’a qu’à regarder les visages des adultes et des enfants qui regardent la télévi-sion tous les jours. Les publicités sont conçues par des per-sonnes créatives, et informées sur les moyens d’utiliser nos peurs, nos espoirs et nos désirs, afin de manipuler nos choix. Un excellent moyen de détourner la législation française interdisant la publicité pour les laits industriels dits de 1er âge dans les médias grand public est de présenter des laits dits de 2ème âge ou de suite dont la présentation générale est quasiment similaire à celle des laits 1er âge. Il est également courant de voir, dans les publicités pour un lait industriel, une mère donner un biberon en tenant son bébé contre sa poitrine nue, dans une position évoquant l’allaitement, ce qui idéalise l’alimentation au lait industriel.
Le Code peut-il relever les défis actuels et à venir ? Tel qu’il existe actuellement, oui et non. S’il était vraiment bien compris et correctement appliqué, les gouvernements feraient en sorte d’obliger les fabricants à assumer leurs responsabilités en matière de sécurité des consommateurs. Par exemple, ce serait faire preuve de responsabilité que de mettre sur les boîtes de lait industriel un avertissement selon lequel ce lait n’est pas un produit stérile, et qu’il peut être contaminé pendant sa fabrication par des germes pathogènes potentiellement dangereux ; ou qu’il est indispensable de suivre scrupuleusement les instructions concernant la préparation et la conservation des biberons. Le Code pourrait également être utilisé pour interdire les allégations variées, le plus souvent totalement infondées, sur la « valeur » particulière de tel ou tel lait industriel (contre les coliques, les régurgitations, pour un meilleur développement neurologique, etc, etc). En revanche, le Code n’est pas adapté à la protection des enfants vis-à-vis de la menace que constitue la consommation de plus en plus précoce et de plus en plus importante de boissons sucrées, et des en-cas sucrés ou salés. Alors que l’obésité augmente dans les pays occidentaux, de façon particulièrement inquiétante chez les enfants, de plus en plus de voix s’élèvent pour blâmer l’influence de la publicité sur l’alimentation des jeunes enfants.
Si nous voulons promouvoir efficacement l’allaitement, nous devons, nous aussi, nous familiariser avec les besoins, les peurs et les désirs des mères. Plus nous en saurons sur leurs motivations et convictions, et plus nous serons à même d’intervenir efficacement. Certes, les moyens financiers des fabricants d’aliments pour enfants sont considérablement plus importants que ceux des personnes et associations susceptibles d’aider les mères allaitantes. Nous devrons donc faire preuve de créativité pour identifier les méthodes les plus efficaces pour le coût le plus bas. Nous ne devons pas attendre pour agir que l’on réforme les campagnes de publicité afin de les rendre moins nocives pour la santé publique. Et notre principal moyen d’action est une aide efficace aux mères. Si une mère ne reçoit pas une aide efficace lorsqu’elle a un problème d’allaitement, elle pourra en déduire que l’allaitement est difficile et douloureux ; elle partagera ce vécu avec d’autres mères, ce qui peut abaisser significativement la prévalence de l’allaitement dans l’entourage de cette femme. En l’absence d’un soutien permettant aux mères de réussir leur allaitement, ni la suppression de la publicité sur les substituts du lait maternel, ni la mise en application stricte du Code, n’aideront réellement les mères.
Bibliographie
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• Protégeons la santé de nos bébés. Manuel pour les pro-fessionnels de la santé : le Code de Commercialisation des Substituts du Lait Maternel. IBFAN 2005, 3ème Ed.
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