Article publié dans les Dossiers de l'allaitement n° 30, 1997.
Dans nos cultures, les médias projettent souvent une image idéalisée de la vie avec un nourrisson : une mère jeune, jolie, bien habillée et maquillée, un bébé dormant calmement dans son berceau, une maison pimpante et bien rangée. Toutes les femmes qui ont eu des enfants savent que cette image n’a pas grand chose à voir avec la réalité quotidienne. En outre, bien souvent, la femme choyée et entourée quand elle était enceinte se retrouve oubliée après la naissance, le nouveau-né accaparant l’attention de tous. Devant leur incapacité à offrir une image conforme à celle décrite ci-dessus, est-il bien étonnant que tant de femmes se sentent déprimées après leur accouchement ?
Bon nombre de nouvelles mères présentent des troubles dépressifs modérés en post-partum précoce, culminant générlement entre J3 et J5. Cela coïncide avec une période de changements hormonaux majeurs. Pour la plupart des mères, cette « déprime » sera passagère, et ne durera que quelques jours. Pour d’autres, elle s’aggravera progressivement, ou n’apparaîtra que lorsque le bébé aura 3 à 6 mois. Dans ce cas, elle pourra altérer la relation mère-enfant.
D’où vient le baby blues ?
Tout d'abord, il serait utile de mieux définir la dépression du post-partum. Le terme « dépression » est mal adapté dans la mesure où les femmes qui viennent d'accoucher sont plus souvent anxieuses ou agitées que léthargiques ou prostrées. Cette distinction est importante quand on se penche sur l'impact psychologique de l'allaitement.
Devenir mère est difficile. Cela semble a priori évident. C’est cependant souvent sous-estimé dans la réalité. Une nouvelle mère s’entend souvent dire : « Mais tu as tout pour être heureuse ! Qu’est-ce que tu voudrais de plus ? » Et beaucoup de chercheurs, ignorant le stress d’adaptation que représente la maternité, voient l’origine de la dépression dans les fluctuations hormonales.
Dans les jours qui suivent l’accouchement, on observe une chute massive du taux de progestérone. Le taux sérique de cette hormone est plusieurs centaines de fois plus élevé en fin de grossesse qu’en temps normal, et il reviendra à son taux basal dans les jours qui suivent l’accouchement. Il y a aussi baisse des taux d’oestradiol et de cortisol, ainsi qu’une augmentation importante du taux de prolactine. Au vu de ces bouleversements hormonaux, un rapport entre dépression du post-partum et allaitement est probable, mais quelle est la nature de ce rapport ? L'allaitement augmente-t-il ou diminue-t-il le risque de dépression ? Beaucoup de mères ont l'occasion d'entendre les deux sons de cloche : « Mon médecin m'a dit que je suis plutôt anxieuse, et que l'allaitement empirera les choses » ou « la consultante en lactation m'a dit que les hormones de l'allaitement avaient un effet calmant et relaxant ». Il serait donc intéressant d’en savoir davantage.
Les hormones jouent certainement un rôle, mais refuser de voir plus loin est restrictif. C’est ne pas vouloir considérer que certaines femmes ont à faire face à des difficultés d’une telle ampleur que le simple fait de les écouter en parler est susceptible de déprimer l’auditeur. Une femme peut être plus ou moins « abandonnée » par son compagnon ou sa famille ; elle peut vivre dans des conditions matérielles et/ou émotionnelles très dures, la grossesse et/ou l’accouchement peuvent avoir été très difficiles... De plus, pendant cette période de leur vie, les mères sont beaucoup plus fragiles émotionnellement et hyper-réceptives à l’entourage.
De nombreux facteurs favorisent la dépression. Les mères réagiront différemment en fonction de leurs caractéristiques psychologiques personnelles et de leurs limites propres.
- La fatigue et le manque de sommeil sont une constante pour les nouveaux parents, d’autant qu’ils savent rarement à quoi il est réaliste de s’attendre à la venue de leur premier enfant, et qu’ils supposent souvent que leur bébé « fera ses nuits » après quelques semaines (ce qui sera rarement le cas). À la fatigue s’ajoute alors un sentiment d’échec. Une mère qui allaite pourra en déduire que l’allaitement est en cause, et décider de sevrer son bébé pour cette raison... ce qui n’aura pas forcément pour résultat de faire dormir le bébé et de soulager la mère.
- Une grossesse et/ou un accouchement difficile. Leur impact est très souvent sous-estimé, bien que la femme soit particulièrement vulnérable émotionnellement pendant ces moments. Les quelques heures d’un accouchement vécu comme un cauchemar resteront très longtemps dans la mémoire ; une étude a montré que des femmes pouvaient se souvenir de tous les détails de leur accouchement 20 ans après. Cela pourra induire d’importantes difficultés dans la création du lien mère-enfant. Une femme qui a eu ce type de problème devrait pouvoir en parler, afin de pouvoir le relativiser et l’empêcher de lui gâcher la vie.
- La façon dont la mère a vécu et va vivre les modifications de son corps. Celles liées à la grossesse sont valorisées par l’attente de l’enfant. Après l’accouchement, la mère doit apprendre à « réhabiter » seule un corps souvent considéré comme « abîmé » par la maternité.
- Certaines caractéristiques de l’enfant, physiques ou psychologiques. Certains enfants sont incontestablement « difficiles à vivre ». Ils pleurent beaucoup, dorment peu, sont très demandeurs, n’ont pas de rythme, supportent très mal toute stimulation... Ce comportement est particulièrement fréquent si la grossesse et/ou l’accouchement ont été difficiles, ce qui ajoute encore au stress de la mère. Elle pourra attribuer le comportement de son bébé à l’allaitement, et se sentira en outre incompétente en tant que mère. Le fait que l’enfant soit prématuré, malade, présente une malformation... fait courir à la mère un risque très élevé de dépression, ce qui est aisément compréhensible.
- Le manque de soutien est un facteur important de dépression. Une femme bien aidée et entourée, tant matériellement qu’émotionnellement, a peu de risques d’être déprimée. Il n’est malheureusement pas rare que le compagnon ne s’implique guère dans les soins à l’enfant, et/ou exige de la mère qu’elle continue à accomplir avec la même efficacité le travail qu’elle accomplissait avant la naissance. La famille (mère, belle-mère en particulier) peut s’avérer très décourageante. Une naissance réactive souvent les conflits familiaux en sommeil. Le tissu social a son importance. Des auteurs ont constaté que, dans notre culture, tant de mères souffrent du baby blues qu’il semble quasiment inévitable, alors qu’il est inconnu dans d’autres cultures. Dans ces dernières, il existe des rituels pour les suites de couches ; ils sont destinés à donner à la mère le temps de se reposer et de s’adapter à son nouveau rôle, à lui offrir le soutien de sa famille, et à lui reconnaître un statut particulier et valorisant.
Allaitement et dépression
Kumar et Brockington ont passé en revue la littérature existant sur le sujet, et ont retrouvé des résultats contradictoires (1). Certaines études montraient que les mères qui allaitaient étaient plus susceptibles d'être anxieuses, déprimées ou agressives que celles qui donnaient un lait industriel. D'autres n'ont montré aucune différence entre les mères quel que soit le mode d'alimentation, et d'autres trouvaient que les mères qui allaitaient avaient un meilleur état émotionnel. Il est difficile d'apprécier la validité de ces études dans la mesure où il n'existait aucune définition précise pour l'allaitement (fréquence, allaitement exclusif ou non...), et pas davantage de dosages hormonaux. Il semblerait au total que l'allaitement puisse avoir un impact sur le psychisme de la mère, mais rien ne permet en fait de savoir exactement pourquoi et dans quel sens.
Des études plus récentes dessinent un tableau plus complexe. Bonin a trouvé une corrélation positive entre augmentation du risque de dépression et allaitement, mais aussi avec des stress psychologiques et physiques pendant la grossesse (2). Harris a retrouvé des relations variables entre les taux de prolactine et de progestérone, suivant que la femme allaitait ou non et qu'elle était ou non déprimée. Un taux élevé de progestérone et un faible taux de prolactine étaient associés à un risque plus élevé de dépression chez les femmes donnant un lait industriel (3) ; la brutalité de la chute du taux de progestérone semblait avoir un impact plus significatif que ce taux en lui-même (4). Un syndrome dépressif chez la femme allaitante semblerait donc favorisé par des taux d'hormones inadéquats. Les femmes allaitantes ayant des taux normaux ou élevés de prolactine et/ou de progestérone ne souffraient pas de dépression. Cooper a trouvé que les mères déprimées sevraient plus rapidement leur enfant (5) ; mais il est impossible de savoir si les mères étaient déprimées parce que l'allaitement se passait mal, ou si l'allaitement se passait mal parce que les mères étaient déprimées. Tamminen et Salmelin ont interrogé et filmé des mères. Celles qui étaient déprimées avaient plus de mal à comprendre les besoins de leur bébé, et elles interprétaient de façon négative son comportement pendant les tétées (6). Le tout menait à une mauvaise relation d'allaitement. Il semblerait donc qu'en fait l'allaitement se passait mal parce que la mère était déprimée.
Beaucoup d'études montrent que le soutien de l'entourage et la confiance en elle de la mère sont déterminants dans l'apparition ou non d'une dépression post-partum. Le soutien de l'entourage protège la mère et facilite la réussite de l'allaitement. Une étude a montré que les mères qui allaitaient exclusivement étaient celles qui bénéficiaient d'un meilleur soutien social, et qu’elles s'adaptaient mieux à leur nouveau rôle. Dans cette étude, les mères plus anxieuses que la moyenne disaient effectivement utiliser les mises au sein comme calmant, les tétées leur permettant d'abaisser leur niveau d'anxiété (7). Hillervik-Linquist a montré que les mères qui bénéficiaient d'un meilleur soutien avaient moins souvent l'impression de manquer de lait (8). Dans 62 % des cas, cette impression ne reposait sur aucune base réelle, et elle était due à l'anxiété de la mère. D'autres études encore ont montré que la confiance en elle de la mère était associée à un vécu positif de l'allaitement et à un risque moindre de dépression. Virden, dans une étude sur les primipares, a trouvé que les mères allaitantes étaient moins anxieuses et s'adaptaient plus facilement à leur enfant (9).
Les études récentes sont plus rigoureuses et plus fiables. Leur conclusion est que, globalement, lorsque la mère a des taux hormonaux normaux et qu'elle bénéficie d'un soutien adapté, l'allaitement facilite la confiance en soi, l'ajustement au rôle de mère, et permet un niveau moindre d'anxiété. Rien n'y indique que l'allaitement augmente le risque de dépression du post partum. Des taux adéquats d'hormones peuvent même induire un état de relaxation hormono-induit. D'autre part, la réussite de l'allaitement augmente la confiance en elle de la mère, ce qui en soi diminue le risque de dépression.
Comment aider la mère ?
Certaines mères exprimeront facilement leur sentiment de dépression, d’autres pas. Il sera donc nécessaire d’être attentif au discours de la mère : attention si elle se dit chroniquement épuisée, si elle a l’impression de ne rien comprendre au comportement de son bébé. Parler avec elle sera déjà important. Discuter avec une personne compréhensive de sa vie avec son bébé difficile, avec son mari qui n’est jamais là quand elle a besoin d’aide ou qui la critique en permanence... la soulagera, pourra l’aider à voir la situation d’un œil nouveau et donc à trouver éventuellement des solutions.
Il sera utile d’encourager la mère à prendre soin d’elle. Ce n’est pas de l’égoïsme, mais de l’altruisme bien compris. Une mère épuisée physiquement ne peut pas être en bon état émotionnellement. Or, de son état émotionnel dépendra bien souvent celui de son bébé (et celui de la maisonnée). Voyez avec elle comment elle peut se nourrir correctement, organiser sa vie de façon à pouvoir prendre davantage de repos... Il est beaucoup plus important pour elle de prendre un bon bain chaud, de faire une promenade ou de suivre un cours de danse (musique, peinture, couture...) que de faire en sorte et à tout prix que la maison soit impeccable.
Il est indispensable de savoir reconnaître le moment où la sympathie, l’écoute et les encouragements ne sont plus suffisants pour aider la mère. Il reste aussi important de continuer à les apporter que de comprendre que la mère a besoin d’une aide médicalisée (anxiolytiques, antidépresseurs) et/ou d’un suivi psychologique. Il est utile aussi de se souvenir de l’existence des dépressions graves et des psychoses du post-partum, qui peuvent mettre en danger la vie de la mère et de son enfant. Dans les cas les plus sévères, la mère devra être admise en institution psychiatrique, et l’allaitement est dans ce cas généralement déconseillé.
En conclusion
L’allaitement peut effectivement être un facteur de dépression, non en soi, mais à cause de tout ce qui s’y rattache. Beaucoup de mères souhaitent allaiter, et pensent que l’allaitement est naturel, donc facile. C’est exact, dans la mesure où la mère dispose des informations et du soutien adéquats. Lorsque ce n’est pas le cas, que se passe-t-il ? La mère remettra rarement en cause les facteurs qui ont induit l’échec de l’allaitement ; mais elle se sentira déprimée ou furieuse (car son attente a été déçue), flouée par l’image idéale qu’on lui avait fait miroiter, et incompétente. Or, peu d’échecs de l’allaitement sont uniquement dûs à la mère. Très souvent, l’allaitement a été un échec à cause d’informations erronées ou du manque de soutien.
Même les femmes « à haut risque de dépression du post-partum » peuvent être encouragées à allaiter, et devraient recevoir un soutien approprié afin de permettre l'établissement d'une bonne relation d'allaitement. Les femmes qui présentent des signes de dépression ont besoin d'être soutenues et encouragées, afin de regagner la confiance en soi que procure un allaitement réussi. Une femme qui allaite ne donne pas seulement à son enfant un aliment d'une très haute valeur nutritionnelle et immunologique. Elle a toute une relation à construire entre elle et son enfant, dont la réussite présentera de nombreux avantages pour celui-ci, et augmentera le sentiment de sa propre valeur en tant que femme et que mère.
Le point de vue du spécialiste
En cas de dépression importante, l’allaitement maternel peut jouer un rôle tout à fait bénéfique pour la mère (si elle désire le poursuivre, bien entendu). Il l’aide à se reconstruire une « bonne image » d’elle-même, et favorise l’établissement d’une relation mère-enfant satisfaisante.
Plutôt que d’épiloguer sur le problème des biberons de complément dont l’utilité ne m’apparaît pas du tout, je préfère poser la question du maintien de l’allaitement en d’autres termes :
- ou bien la dépression de la mère n’altère pas son jugement et sa relation aux autres, à son enfant en particulier, et dans ce cas il est tout à fait conseillé qu’elle poursuive l’allaitement si elle le désire, tout en étant traitée pour sa dépression,
- ou bien son état présente temporairement des signes de gravité et un risque vital pour elle et/ou l’enfant. La question se pose alors, dans ces formes rares, d’une séparation temporaire, de soins intensifs en milieu hospitalier (unité mère-enfant), lui permettant de reprendre au plus vite la relation au nouveau-né et l’allaitement maternel.
Dr Jean LAVIOLLE
Psychiatre des Hôpitaux
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Bibliographie
- Breastfeeding and postpartum depression : is there a connection ? A Dunnewold, J Crenshaw. B Abs, mai 1996.
- When a new mother is depressed. KA Kendall-Tackett. Leaven, juin/juillet 1996.
Références
1. Kumar R and Brockington IF. Motherhood and mental illness II, causes and consequences ; Boston ; Wright, 1988
2. Bonin F. Cortisol levels in saliva and mood changes in early puerperium. J Aff Dis 1992 ; 26 : 231-40
3. Harris B, Johns S, Fung H et al. The hormonal environment of postnatal depression. Br J Psych 1989 ; 154 : 660-67
4. Harris B et al. Maternity blues and major endocrine changes : Cardiff puerperal mood and hormone study II. BMJ A308 : 949-53, 1994
5. Cooper PJ, Murray L and Stein A. Psychosocial factors associated with the early termination of breastfeeding. J Psychosomat Res 1993 ; 37 : 171-76
6. Tamminen TM and Salmelin RK. Psychosomatic interaction between mother and infant during breastfeeding. Psychother Psychosom 1991 ; 56 : 78-84
7. Isabella.PH and Isabella RA. Correlates of successfull breastfeeding, a study or social and personal factors. JHL 1994 ; 10 : 257-64
8. Hillervik-Lindquist C. Studies on perceived milk insufficiency, a prospective study in a group of Swedish women. Acta Pediatr Scand 1991 ; Supp 376 : 1-27
9. Virden SF. The relationship between infant feeding method and maternal role adjustement. J Nurs Midw 1988 ; 33 : 31-35
Merci à vous je trouve très intéressant votre page. En plus j'aimerais bien vous posez une question qui est la suivante : quels sont les problèmes liés à l'allaitement maternel ?
Bonjour,
Je trouve que l'on n'est pas assez informées que le post partum. Une fois rentrée de la maternité, personne ne s'occupe de nous (sauf éventuellement le papa/conjoint(e) mais c'est nouveau pour lui aussi, donc il est aussi perdu ou retourne travailler) et on se retrouve avec ce corps déformé, seule, un bébé à s'occuper, ne sachant pas comment "vivre" cette étape.
On se concentre sur le bébé, mais on peut aussi avoir nos problématiques "post accouchement", de cicatrisation, lochies, perte de cheveux, ventre qui pend, vergétures... et à nous de chercher la raison, si c'est normal ou pas etc... Rajoutez un stress de reprise du travail, pas de temps pour soi et un ou deux soucis d'allaitement.
Tout ces désagréments peuvent conduire facilement à une dépression.
Il serait vraiment bon que les femmes soient un peu plus accompagnées, surtout que c'est un sujet dont on parle peu en société.
J'en ai fais des posts sur les réseaux pour informer les mamans de mon entourage (https://lamarmotteetsesmarmots.fr).
Merci à votre site, de nous informer au moins.
Cordialement,
Alexandra.
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