Article publié dans les Dossiers de l'Allaitement numéro 65 (Octobre – Novembre – Décembre 2005)
The influence of context on the success of adoptive breastfeeding : developing countries and the west. KD Gribble. Breastfeed Rev 2004 ; 12(1) : 5-13.
Il n’est pas indispensable d’avoir mené une grossesse à terme et d’avoir accouché pour pouvoir allaiter. L’allaitement d’un enfant adopté est pratiqué depuis des millénaires. Certains auteurs ont constaté que les femmes des pays en voie de développement arrivaient plus facilement à allaiter un enfant adopté que les femmes des pays industrialisés. Dans ces derniers, les spécialistes estiment d’ailleurs que si l’allaitement d’un enfant adopté est possible, la production lactée de la mère adoptive sera rarement suffisante pour couvrir les besoins de l’enfant. Il serait intéressant d’en savoir davantage sur le sujet. Dans cette analyse, l’auteur a cherché à évaluer l’impact de la culture sur la réussite de l’allaitement d’un bébé adopté. La culture définie comme « occidentale » fait référence aux normes culturelles en vigueur en Amérique du Nord, en Europe et en Australie ; la culture définie comme celle « des pays en voie de développement » est celle rencontrée dans la plupart des cultures traditionnelles. Ce type de définition est loin d’être parfait, mais il prend en compte les principales différences constatées entre ces deux types de cultures.
Tous les articles portant sur l’allaitement d’un enfant adopté ont été analysés. Lorsque tous les détails n’étaient pas donnés dans l’étude, l’auteur a contacté les équipes ayant écrit les articles pour obtenir davantage de précisions. L’auteur a aussi évalué le contexte de l’allaitement dans les cultures traditionnelles et dans les pays occidentaux. Un certain nombre de différences ont pu être constatées entre ces deux types de cultures.
Dans les pays en voie de développement, l’allaitement est la norme, et toutes les femmes ont eu de nombreuses occasions de voir d’autres femmes allaiter. Dans bon nombre de pays occidentaux, l’allaitement n’est plus la norme, et de nombreuses femmes n’ont pas vu d’autres femmes allaiter. Elles ont donc beaucoup moins d’informations sur la pratique de l’allaitement, et une confiance bien moindre en leur capacité à allaiter. Il existe aussi d’importantes différences dans les pratiques d’allaitement et de maternage suivant les cultures. L’allaitement à la demande est la norme dans les pays en voie de développement, tandis que les restrictions de la fréquence des tétées sont la norme dans les pays occidentaux. Un contact mère-enfant plus ou moins constant est la norme dans les pays en voie de développement, et l’enfant dort avec sa mère, tandis que la culture occidentale prône la séparation mère-enfant rapide, l’enfant étant censé passer une bonne partie de son temps (et en particulier la nuit) seul dans un berceau. Ces facteurs font que la fréquence des tétées est habituellement beaucoup plus basse dans les pays occidentaux. Or, des tétées fréquentes induisent habituellement une sécrétion lactée abondante. La conception du rôle des seins est aussi très différente suivant les cultures. Dans les pays occidentaux, les seins sont hautement érotisés, et en conséquence l’allaitement est conçu comme devant être strictement alimentaire pour être accepté. Dans les cultures traditionnelles, le sein est destiné à nourrir, mais aussi à réconforter et à materner l’enfant ; ce dernier est encouragé à téter pour se consoler, et pour satisfaire son besoin de succion.
Dans les pays en voie de développement, toute mère est censée allaiter l’enfant qu’elle a mis au monde, et l’allaitement d’enfants adoptés fait partie de la routine dans certains endroits. Dans nos pays, l’allaitement est « un choix » que la mère est libre de faire ou pas. La plupart des gens ne savent même pas qu’il est possible d’allaiter un enfant adopté, et le nombre très faible de mères qui font ce choix le rend plus difficile. Les femmes des cultures traditionnelles qui décident d’allaiter un enfant adopté peuvent habituellement compter sur le soutien de leur entourage et des professionnels de santé. Dans nos pays, les mères qui prennent cette décision devront habituellement l’assumer seules, voire en cachette, dans la mesure où certains professionnels de santé estiment que vouloir allaiter un enfant adopté est une preuve de troubles psychologiques. L’allaitement d’un enfant adopté est encouragé dans les cultures traditionnelles pour permettre à l’enfant d’avoir une alimentation optimale. Dans nos pays, le lien mère-enfant est considéré comme prioritaire, et on dit souvent à la mère qu’elle doit s’attendre à ne pas avoir beaucoup de lait (ce qui ne l’aidera pas à avoir confiance en sa capacité à allaiter). Dans les pays en voie de développement, on pense qu’il est important que la mère reçoive du soutien pour s’occuper de son enfant, et les mères qui induisent une lactation pour un enfant adopté sont parfois hospitalisées pour leur faciliter les choses. Dans nos pays, l’adoption est souvent vue comme le dernier recours pour les parents qui n’ont pas pu avoir d’enfants biologiques. On attend des nouvelles mères qu’elles s’occupent de leur bébé tout en continuant à assumer toutes leurs autres tâches, et cette attente est encore plus forte en cas d’adoption. Il est exact que l’adoption a le plus souvent pour raison l’infertilité du couple. Certains problèmes d’infertilité pourront avoir un impact sur la capacité de la femme à allaiter ; mais ils auront aussi pour impact de dévaloriser le corps de la mère à ses propres yeux, et donc de saper sa confiance en sa capacité à allaiter. Dans les pays en voie de développement, l’adoption est beaucoup plus courante, et se fait le plus souvent parce qu’un enfant a besoin d’une mère (habituellement parce que sa mère est décédée).
Les femmes des pays en voie de développement qui adoptent un enfant ont beaucoup plus souvent eu des enfants qu’elles ont allaités que les femmes des pays occidentaux. On ne sait pas actuellement si cela peut avoir un impact physiologique sur la capacité à allaiter, mais cela a indiscutablement un impact sur l’expérience d’allaitement de la femme. Il est difficile d’évaluer l’impact de cette expérience par rapport à celui d’un environnement culturel dans lequel l’allaitement est la norme. Il semble aussi que les enfants adoptés dans les pays en voie de développement ont beaucoup plus souvent été allaités avant leur adoption que les enfants adoptés dans les pays occidentaux ; certains pourront même avoir été occasionnellement allaités par une autre femme que leur mère. Le bébé saura donc habituellement téter correctement.
Un certain nombre de médicaments sont utilisés pour aider à induire une lactation. On peut utiliser des mélanges oestrogène/progestatif pour mimer la grossesse, et des galactogènes pour augmenter le taux de prolactine. Ce type de traitement est plus couramment utilisé dans les pays occidentaux. Un taux élevé de prolactine est nécessaire pour le démarrage de la lactation. Le taux basal de prolactine est plus bas chez les nullipares que chez les multipares ; or, les mères adoptives occidentales sont plus souvent nullipares que les mères adoptives des pays en voie de développement. Les femmes minces ont un taux basal de prolactine plus élevé et sécrètent davantage de prolactine en réponse à la succion que les femmes en surpoids ; or, les femmes des pays en voie de développement sont beaucoup plus souvent malnutries que les femmes occidentales.
Il semble bien que les caractéristiques de l’allaitement d’un enfant adopté sont très différentes dans les pays occidentaux et dans les pays en voie de développement, et que ces différences rendent l’allaitement d’un enfant adopté beaucoup plus difficile pour les mères occidentales. Bon nombre de ces différences pourraient être supprimées avec un soutien adéquat à la mère et le don d’informations correctes. De nombreuses études ont constaté que le niveau de confiance en elle et la qualité des informations et du soutien dont elle bénéficiait avaient un impact important sur la production lactée et sur le déroulement de l’allaitement. Pouvoir rencontrer d’autres mères allaitantes adoptives (réunions spéciales, forum sur internet) pourra être une aide précieuse pour ces femmes. Les professionnels de santé peuvent soutenir ces mères en s’informant sur le sujet. Ils pourront alors expliquer aux mères l’importance d’un contact physique étroit avec leur enfant adopté, l’utilité de mettre l’enfant au sein non seulement pour le nourrir, mais aussi pour le réconforter et satisfaire ses besoins de succion. Ils pourront voir avec elle comment donner les suppléments qui pourront être indispensables en interférant le moins possible avec l’allaitement. Dire à une mère qu’elle n’aura probablement jamais suffisamment de lait pour allaiter exclusivement part certes d’un bon sentiment, celui d’éviter à la mère une déception si cela survient ; mais d’un autre côté, cela mine sa confiance en elle, et pourra abaisser notablement sa motivation.
Aider une mère adoptive à optimiser sa production lactée ne signifie pas qu’il faille minimiser l’impact psychologique de la relation d’allaitement. En fait, cet impact pourrait être encore plus important pour l’enfant adopté que pour un enfant naturel. Beaucoup d’enfants adoptés ont une histoire qui les rend psychologiquement plus vulnérables que la moyenne, et ils auront besoin de temps et d’attention pour créer un lien solide avec leurs parents adoptifs. La proximité physique de l’allaitement facilitera la création d’un tel lien.
Très peu d’études ont été effectuées sur l’allaitement d’un enfant adopté. D’autres recherches seraient donc très utiles pour mieux cerner les facteurs qui peuvent expliquer le succès beaucoup plus fréquent de l’allaitement d’un bébé adopté dans les cultures traditionnelles que dans les cultures occidentales. Tout permet de penser que, dans les pays occidentaux, les mères adoptives sont physiologiquement capables, pour la plupart d’entre elles, de produire suffisamment de lait pour couvrir les besoins d’un bébé adopté pour peu qu’elles bénéficient d’un environnement favorable.
Article sur l'allaitement d’un bébé adopté, publié dans les Dossiers de l'Allaitement numéro 65
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