Allaitement et travail : quelles stratégies ?
Ted Greiner. Breastfeeding and working women : thinking strategically.
Version révisée d'un document de référence écrit pour une conférence-atelier de l'UNICEF Travail, femmes et allaitement Brasilia, 26 Mai-ler Juin 1990. Révisé en mars 2000.
Chaque femme est unique. Elle a besoin de recevoir les informations qui lui permettront d’allaiter de la façon qu’elle estime être la meilleure dans son cas, ce qui peut aller d'un allaitement exclusif au-delà de la limite des six mois habituellement recommandée par les nutritionnistes, jusqu'à pas d’allaitement du tout. Dans nos efforts pour protéger, soutenir et encourager l'allaitement, nous oublions parfois que c'est la femme qui a le pouvoir de décider si elle va allaiter, et pendant combien de temps.
L'importance d'un allaitement exclusif
De plus en plus d’études démontrent que l'allaitement exclusif pendant quatre à six mois est essentiel à la santé du nourrisson, et même à la santé de la mère, étant donné son influence sur l'espacement des naissances. Jusqu'à récemment, les recherches ont trop souvent été menées à partir d'une mauvaise définition de l'allaitement exclusif, ce qui en a minimisé l'importance. Le fait de donner de l’eau sucrée ou des suppléments d'eau au nouveau-né est généralement inutile, voire nuisible (Brown et al, 1986 ; Almroth et Bidinger, 1990 ; Sachdev et al, 1991). Lorsque de meilleures définitions de l’allaitement sont utilisées (Labbok and Krasovec, 1990; WHO, 1991), les auteurs mettent en évidence les corrélations entre de nombreux problèmes de santé et l’absence d’un allaitement exclusif, y compris dans les pays industrialisés (Walker, 1993; Saarinen, 1995; Duffy 1997).
Il est bien évident que, mis à part les conséquences de l’arrêt total de l’allaitement sur la santé des nourrissons, le travail des femmes n’est pas associé à une moins bonne santé et à une moins bonne alimentation de l’enfant. (Leslie, 1988). En fait, il est même patent sur le plan ethnographique, que dans certains pays la plupart des soins à l'enfant, mis à part l'allaitement, ne sont pas assurés par les mères (Weisner et Gallimore, 1977). A partir de l'âge de quatre à six mois, une tierce personne peut donner d’autres aliments à l'enfant, la fréquence des tétées pouvant rester la même, ou être plus basse si les aliments donnés par ailleurs à l’enfant sont de sufisamment bonne qualité (cependant, remplacer le lait maternel par d’autres aliments pendant la première année de vie – ou même ensuite – n’induit pas pas obligatoirement une santé maternelle et infantile optimale)
L’utilisation des biberons peut faire échouer l’allaitement pour de multiples raisons, entre autres à cause du risque de confusion sein-tétine chez le nourrisson. Les compléments donnés au gobelet, à la cuillère, etc., ne satisfont pas le besoin de succion du bébé, et cela pourrait expliquer pourquoi il était plus facile auparavant de poursuivre l'allaitement avec des compléments, lorsqu’ils étaient donnés par ces moyens traditionnels, que maintenant avec le biberon.
La vulgarisation des biberons est souvent considérée comme un phénomène urbain dans les pays en voie de développement. Mais la faible utilisation des biberons dans beaucoup de zones rurales est liée à plusieurs facteurs : la pauvreté des femmes en milieu rural, le fait qu’elles ne sont pas touchées par les médias, le peu de contact avec les services de santé modernes, et plus particulièrement l'absence de points de vente de biberons proches de leur domicile. Là où il n'y a pas ces facteurs, l'alimentation au biberon se répand très rapidement, même parmi des femmes illettrées vivant en zone rurale isolée (Greiner, 1983). Si le fait de travailler implique, pour les femmes, de nourrir leurs enfants au biberon ; même si en théorie ce n’est pas une obligation, les femmes reçoivent rarement les informations et le soutien qui leur permettront d’éviter le don de biberons.
Est-ce qu'un emploi empêche les femmes d’allaiter ?
La croyance que le travail et l'allaitement sont totalement incompatibles est étonnamment répandue. Il n'est pas rare de lire des articles sur le risque de conflit entre allaitement et travail dans les pays industrialisés, alors que les taux d'emploi des femmes et les taux d'allaitement ne cessent d'augmenter. On peut se demander s'il faudra attendre que ces taux atteignent 100 % d’allaitement chez les femmes qui travaillent pour que l'absurdité d'une telle affirmation apparaisse enfin !
Les points suivants démontrent qu'un emploi n'est pas un obstacle majeur à l'allaitement :
1. Bien que la proportion de femmes qui ont de jeunes enfants et qui exercent un emploi salarié a augmenté dans la plupart des pays, le pourcentage de femmes qui allaitent et la durée de cet allaitement n’ont guère changé.
2. Les femmes qui affirment que le travail est la raison pour laquelle elles n'ont pas allaité, ont commencé une alimentation au lait industriel ou ont arrêté l'allaitement, représentent une minorité (Van Esterik and Greiner, 1981 ; Winikoff et Laukaran, 1989).
3. Alors que les femmes occidentales semblent passer quotidiennement deux à quatre heures à allaiter, du moins avant l’introduction des compléments, les femmes des pays en voie de développement n’y passent qu'une heure à une heure et demi (Leslie, 1989), ce qui rend l'allaitement plus compatible avec de nombreux emplois. En fait, sans les facilités offertes par les cuisines modernes, l’alimentation au biberon prendrait beaucoup plus de temps que l’allaitement (Greiner, et autres, 1979). En dépit du fait que beaucoup de femmes estiment que le temps que demande l’allaitement représente une contrainte majeure, une étude effectuée au Honduras a montré que ce n’était pas le cas (Cohen et al, 1995).
4. Seul un faible pourcentage des femmes qui introduisent le biberon pendant les 2 premiers mois de leur enfant ou arrêtent l'allaitement avant six mois ont repris leur emploi à ce moment là, et le travail à domicile semble avoir peu d'influence sur le mode d'alimentation du bébé (Winikoff et Laukaran, 1989).
La reprise d’un emploi salarié semble donc avoir un impact mineur à l’échelle d’une population, mais elle peut avoir un impact majeur à l’échelle individuelle ; elle peut induire la cessation de l’allaitement exclusif, sauf si le congé de maternité (payé) est suffisamment long pour permettre à la mère de rester plusieurs mois avec son bébé, ou, à défaut, de pouvoir allaiter son bébé sur son lieu de travail (crèches d’entreprise, pauses d’allaitement payées). Peu d’études ont été menées sur ce sujet, principalement en raison du fait que l’allaitement exclusif intéresse peu les chercheurs ; ceux qui se sont intéressé à la question ont constaté que la prévalence de l’allaitement exclusif était trop basse pour permettre une étude sufisamment fiable (Rea et al, 1999).
Contraintes « personnelles » et contraintes « matérielles »
L'enquête « Réviser les recommandations concernant l'alimentation du nourrisson en fonction de l'évolution des conditions socio-économiques » (Marchione et Helsing, 1984) a été menée dans trois pays pour déterminer à la fois les contraintes personnelles et les contraintes matérielles qui pèsent sur l'allaitement. Les contraintes matérielles sont les facteurs extérieurs qui empêchent une femme d'allaiter, quels que soient sa volonté et son savoir-faire. Les contraintes personnelles sont en rapport avec ses motivations pour allaiter, ses connaissances et ses croyances. Dans cette étude, on a pris en compte les emplois occupés par les femmes, les pratiques des services de santé, et celles des fabricants d’aliments pour enfants. Les enquêteurs ont conclu que les facteurs personnels semblaient avoir l’impact le plus important sur l’allaitement. Une autre enquête, menée dans quatre autres pays (Winikoff et Laukaran, 1989), est arrivée aux mêmes conclusions. Dans la plupart des cas, le biberon est choisi pour des raisons personnelles, non à cause de contraintes matérielles.
Le « syndrome de la lactation insuffisante » est souvent cité comme un obstacle matériel à l'allaitement, bien que des auteurs (Greiner et al, 1981) aient suggéré que ce syndrome était probablement une croyance non fondée partagée par de nombreuses cultures. On constaté au Yémen que cet argument était utilisé comme un argument culturellement acceptable pour justifier un passage au biberon motivé par d'autres raisons (Greiner, 1983). Marchione et Helsing (1984) ont montré que le travail n’était pas une cause majeure de « manque de lait », dans la mesure où les femmes qui s’en plaignaient étaient beaucoup plus souvent des femmes ne travaillant pas que des femmes qui avaient repris leur emploi. Par ailleurs, Hardy (1985) suggère que beaucoup de raisons données par les femmes qui travaillent pour justifier un sevrage, telles que « je n'ai plus de lait » ou « mon bébé préfère le biberon » pourraient en partie être liées aux contraintes matérielles.
Parmi les contraintes matérielles, le fait de bénéficier ou non d'allocations de maternité est déterminant. Rhea et al (1999) concluent que de telles allocations sont nécessaires, mais non suffisantes. Nous pouvons peut peut-être tirer des leçons de l’examen des cas extrêmes, comme la situtation aux USA et en Suède. Le cas des USA nous permet d'étudier l’utilité d’une allocation de maternité pour les femmes qui travaillent pour leur permettre de poursuivre l’allaitement ; celui de la Suède nous aidera à évaluer le caractère suffisant ou insuffisant de l'allocation de maternité seule pour permettre aux femmes qui travaillent de continuer à allaiter.
Le cas des USA
Alors que la plupart des pays industrialisés offrent des congés de maternité et diverses dispositions légales destinées à aider les mères sur les lieux de travail (Clearinghouse on Infant Feeding and Maternal Nutrition, 1989), il n'y avait jusqu’à récemment aux USA aucune disposition officielle pour les femmes enceintes qui travaillent, mis à part le fait que la grossesse peut être traitée comme une invalidité provisoire (Kammerman, 1983). Il y a quelques années, le gouvernement Clinton a décidé d’offrir aux femmes des congés de maternité non payés, et en 1999 il a suggéré de trouver les moyens financiers pour que ce congé soit payé. Pourtant, dans les années 1980, 67% des femmes en âge de procréer et plus de 40% des mères d’enfants de moins de 12 mois travaillaient (Ryan et Martinez, 1989), proportion beaucoup plus élevée que dans la plupart des autres pays industrialisés.
Des études montrent que les femmes qui ont repris leur travail peuvent se débrouiller remarquablement bien pour continuer à allaiter en dépit des conditions matérielles décourageantes. Schlossman et Zeitlin (1990), dans une étude approfondie sur les choix en matière d’alimentation infantile chez des femmes employées dans la région de Boston, ont conclu que « l'absence de différences significatives entre les femmes qui poursuivent l’allaitement et celles qui nourrissent leur enfant au biberon quant à la difficulté du travail exercé ou aux allocations perçues démontre que le choix de concilier ou non-maternage et emploi salarié est davantage une question de culture et de conviction personnelle qu'une question de nécessité économique ou matérielle, au moins pour les femmes des classes moyennes et supérieures. »
Les données nationales recueillies sur de nombreuses années par les fabricants de lait industriel permettent de penser que, à l’échelle statistique, la reprise d’un emploi salarié a peu d’impact sur la décision d’allaiter ou sur la prévalence de l’allaitement en post-partum précoce Toutefois, la reprise du travail peut avoir un impact important sur la durée de l’allaitement, tout particulièrement chez les femmes dont le niveau socio-culturel est bas (Martinez and Dodd, 1983 ; Ryan and Martinez, 1989 ; Ryan et al., 1990). Ce fait a été confirmé par une étude nationale (Visness and Kennedy, 1997), qui a aussi constaté que la durée de l’allaitement augmentait lorsque le congé de maternité était plus long.
Le cas de la Suède
La Suède constitue un exemple particulièrement intéressant en matière d’emploi des femmes et d’allaitement : dans ce pays, la majorité des femmes travaillent, et la politique gouvernementale est de les encourager à le faire, entre autres en accordant de généreux congés de maternité (dont un mois de congé réservé strictement au père) et d’importantes subventions pour la création de systèmes de garde pour les enfants.
La figure 1 montre comment le taux d'allaitement a évolué entre 1945 et 1985. Deux courbes montrent le pourcentage de nourrissons qui étaient encore exclusivement allaités à deux et à six mois (sans aucun complément de lait industriel ou de solides). Comme on peut le voir, la diminution et l'augmentation ont été plutôt spectaculaires. Le taux d'allaitement en Suède a peu évolué entre1986 et 1993 par rapport à ceux de 1985, mais on constate depuis une nouvelle augmentation, tout particulièrement au niveau de la prévalence des allaitement de 6 mois et plus.
Les dates de chaque évolution par rapport au paiement de congés de maternité ou les allocations consenties durant cette période sont marquées sur la figure 1. La création des allocations destinées aux femmes enceintes a, en fait, commencé en 1934 par des versements faits aux mères au moment de la naissance, qui étaient plus élevés pour les femmes qui travaillaient et qui bénéficiaient d'un système d'assurance national. En 1937, la somme versée aux femmes de bas niveau socio-économique a été augmentée. En 1945, une loi a été votée interdisant de licencier une femme sous prétexte qu'elle était enceinte, ou en post-partum. En 1955, le congé de maternité pour les femmes qui travaillaient a été porté à six mois, dont trois mois payés. La somme versée a notablement augmenté en 1963. En 1974, elle est passée à 90 % du salaire pour les femmes qui travaillaient, et une petite allocation a été versée aux femmes qui ne travaillaient pas. En 1975, un mois supplémentaire de congé de maternité a été accordé. En 1978, le congé de maternité a été porté à 9 mois, dont 6 mois payés à 90 % du salaire. Depuis 1979, la durée totale du congé de maternité est de 18 mois, les 3 premiers mois étant réservés à la mère, et autres étant à partager entre le père et la mère. La durée pendant laquelle ce congé est payé et le pourcentage par rapport au salaire a varié en fonction des conditions économiques ; il est actuellement de 80 % pour les 12 premiers mois, et variable pour les 6 mois suivants.
« L'idée que chaque individu doit avoir possibilité d'acquérir une indépendance économique grâce à un emploi rémunéré, et que les soins aux enfants sont la responsabilité des deux parents, est de mieux en mieux acceptée en Suède. » (Bureau International du Travail, 1988). En 1985, plus de 80% des femmes ayant des enfants d'âge préscolaire travaillaient. Parmi elles 41% travaillaient à plein temps. Plus de 45% des enfants d’âge préscolaire sont placés dans un système de garde subventionné. La participation financière des parents est calculée sur leurs revenus, et ne couvrait qu’environ 10% des frais de garde il y a quelques années (la participation des parents a augmenté depuis 1990). Il est interdit de refuser aux femmes de prendre du temps sur leurs heures de travail pour allaiter.
Chacun des deux parents peut prendre un congé payé pour s'occuper à la maison d'un enfant de moins de douze ans lorsqu’il est malade, avec un maximum de soixante jours par an et par enfant. Les parents ont le droit de travailler moins (mais au minimum 75% d'un temps plein, souvent en fonction de leurs convenances) jusqu'aux 8 ans de leur plus jeune enfant, mais ils ne sont payés qu'au prorata du temps travaillé.
La figure 1 montre clairement que les allocations de maternité, qui étaient déjà conséquentes, n'ont pas empêché le taux d'allaitement de chuter régulièrement et rapidement du milieu des années 40 jusqu'au début des années 70. Il est difficile d’attribuer l'augmentation rapide du taux d'allaitement qui intervient au milieu des années 70 aux petites améliorations du congé parental apportées à cette époque, et on ne peut pas non plus établir de relation directe entre les améliorations conséquentes du congé parental depuis 1979 et l'augmentation modérée du taux d'allaitement. La chute rapide de la prévalence de l’allaitement pendant des décennies, son augmentation rapide pendant un peu plus de dix ans, et la stagnation actuelle du taux d'allaitement s’avèrent indépendantes de la législation et des incitations financières.
Les femmes suédoises ont le pouvoir de décider elles-mêmes si elles veulent allaiter et pendant combien de temps. Elles reçoivent les informations et le soutien nécessaire, et en conséquence quasiment toutes les femmes décident d’allaiter. 74 % des enfants nés en 1997 étaient toujours allaités à 6 mois. Bien qu'elles n'aient pas à souffrir des mêmes contraintes matérielles que la plupart des femmes qui travaillent dans le monde, elles restent influençables, et toutes les femmes ne sont probablement pas capables d'allaiter autant qu'elles le voudraient. Pendant des décennies, les fabricants de lait industriel ont envoyé aux parents des publicités pour leurs produits 3 mois après la naissance de l’enfant, contenant éventuellement des informations fausses. Le Bureau National de la Santé a révisé le code national de commercialisation des substituts du lait industriel, et recommande que les disposititions de ce code soient appliquées à tous les enfants de moins de 12 mois.
Quand j'ai demandé à une des employées de l’administration qui gère le paiement des congés de maternité ce qu’elle pensait du fait que les améliorations apportées semblaient n'avoir aucun impact sur le taux d'allaitement, elle m'a répondu : « Bien sûr que non ! J'ai eu un bébé en 1970 et à cette époque une femme n'était pas censée s'occuper de choses comme l'allaitement. Il y avait d'autres moyens faciles de nourrir les enfants et vous deviez plutôt penser à votre carrière. Puis j'ai eu un autre enfant en 1980. Là, j'ai pu apprécier ce que j'avais manqué 10 ans plus tôt. En 1980, on vous encourageait à prendre le temps d'accompagner vos enfants pendant cette courte période où ils étaient bébés, et à apprécier cette relation particulière qui s'installait entre eux et nous. » Peut-être que le concept qui exprime le mieux les forces en action est « Zeitgeist » que l'on peut définir comme « esprit du temps, tendance de la pensée et du sentiment à une époque donnée », c'est à dire les croyances partagées par une société dont la culture est relativement homogène, et qui bénéficie d’excellents moyens de communication, permettant une propagation rapide des nouvelles idées.
L'expérience des femmes suédoises nous montre que la prévalence de l'allaitement, dans une société où la plupart des femmes travaillent, peut continuer à baisser malgré une législation respectée par les employeurs, et qui, en principe, devrait leur permettre d'allaiter aussi longtemps qu'elles le désirent. Tant la diminution que l'augmentation de la prévalence de l'allaitement semblent être indépendantes des incitations matérielles. La question de savoir si les femmes suédoises qui travaillaient étaient contraintes d'arrêter l’allaitement à une époque où elles ne bénéficiaient d'aucune aide sort du cadre de cette étude, de même que la question de savoir si la prévalence de l’allaitement en Suède serait aussi élevée qu’elle l’est actuellement en l’absence des congés offerts aux parents.
En conclusion, les contraintes personnelles sont aussi importantes que les contraintes matérielles. Il est utopique d’espérer que les femmes qui travaillent continuent à allaiter exclusivement après la fin de leur congé de maternité. Mais même avec un congé de maternité long et des allocations, les femmes n'allaiteraient pas non plus, à moins d'être motivées pour le faire, d’avoir les connaissances nécessaires pour ce faire, et d'être correctement soutenue par leur famille, leur employeur, les professionnels de santé et la société dans laquelle elles vivent.
Surmonter les contraintes matérielles qui empêchent les femmes qui travaillent d'allaiter.
Histoire des recommandations concernant la maternité
La nécessité d'une législation de protection de la maternité pour les femmes salariées est la mesure qui a reçu le plus d'attention dans le passé. La Fédération Internationale des Parents et l'Union Internationale des Sciences de la Nutrition et de l'Allaitement, de la Fertilité et du Travail Féminin (Jeliffe et al, 1979) ont abordé, à l’occasion d’un congrès commun avec l’UNICEF et l’O.M.S. en 1979 sur l'alimentation des jeunes enfants : « La santé et le statut social des femmes » (O.M.S., 1981). L’O.M.S. a aussi tenu un certain nombre de conférences et a publié plus d'une douzaine de documents sur l'allaitement, et sur les mesures de soutien social pour les femmes, proposées principalement par le Fond des Nations Unis pour les Activités de la Population, l'Autorité Suédoise pour le Développement International, et l'Agence Suédoise pour la Recherche sur la Coopération avec les Pays en voie de Développement (voir par exemple, O.M.S. 1983 ; Fergusson, 1984 ; Nieves, 1984 ; O.M.S., 1985 ; Sempebwa et Okello,1985 : et Sempebwa, 1989). L'UNICEF, l’O.M.S. et le Secrétariat du Marché Commun ont traité le sujet. Le statut des femmes et la protection de la maternité dans leur séance de travail sur la « mise en œuvre de mesures destinées à aider les mères qui travaillent vivant dans les pays en voie de développement (Thomas, 1984).
La Convention Internationale du Travail comporte de nombreuses résolutions, recommandations et conventions, et ce depuis sa première seront votées à la conférence de l’ILO en juin 2000. Les détails de cette convention peuvent être consultés sur le site de l’ILO publication en 1919 (ILO, 1984). La convention la plus récente date de 1952 ; elle doit être révisée, et les nouvelles recommandations (www.ilo.org), ainsi que sur le site d’une ONG qui a beaucoup travaillé sur le sujet, la World Alliance for Breastfeeding Action (WABA, https://waba.org.my/).
Il est important de rappeler en permanence que l'allaitement est un droit de la femme, et que la société doit s'adapter à ce besoin primordial au lieu de forcer les femmes à s'adapter à des situations parfois impossibles à vivre pour elles (Helsing, 1979 ; Latham, 1999). Mais l'expérience acquise à l’occasion d'un projet de promotion de l'allaitement au Panama devrait nous rappeler les limitations d'une déclaration aussi idéaliste. Il avait été établi que « tant que les activités sont d'ordre éducatif, elles seront considérées comme sans danger. Essayer de trouver des appuis pour renforcer les lois serait beaucoup plus controversé et difficile à obtenir » (Huffman, 1990). Au Brésil, le congé de maternité est passé de trois à quatre mois il y a 10 ans, principalement en réponse à une action nationale de promotion de l'allaitement mise en place depuis une dizaine d'années. Cependant le quatrième mois doit être payé par l'employeur, et la presse rapporte que beaucoup d'employeurs ont réagi en licenciant les femmes. Cela souligne l’importance de veiller à ce que le coût de ces congés ne soit pas supporté par l’employeur, mais par la société.
A la recherche de la meilleure approche
Souvent, les femmes qui travaillent ne trouvent pas pratique d'emmener leurs jeunes enfants au travail avec elles. En raison du coût élevé d’un logement, les femmes des milieux les plus défavorisés habitent souvent loin de leur lieu de travail, et doivent circuler dans des transports en commun bondés et bruyants. De telles contraintes ne peuvent probablement pas être surmontées, même avec une meilleure information sur l'importance d'un allaitement exclusif. (Savané, 1980). Par exemple le Centre Tanzanien de la Nourriture et l'Alimentation (TFNC) a établi une crèche de jour dans ses locaux en 1979 « pour permettre mères du TFNC d'allaiter leurs enfants pendant les heures de travail... et pour montrer l'exemple au gouvernement et aux organisations. » Cependant, une étude faite en 1988 a montré qu'aucun enfant de moins de 12 mois n'avait été amené dans cette crèche (Lyamuya et Ngonyani, 1988). Il y a aussi des cas où le lieu de travail est dangereux pour l'enfant, ou peut même polluer le lait de la femme qui y travaille (Berger, 1981 ; Rogan, 1986). Les mères amènent généralement leur enfant à la crèche de leur lieu de travail seulement losqu’il est plus âgé, et l’impact sur l’allaitemen est minime. En fait, le personnel de ces crèches n’accepte souvent les enfants allaités que si la mère laisse un biberon qui sera donné à l’enfant lorsqu’il aura faim. Dans d'autres cas, les femmes font de gros efforts pour allaiter leurs enfants au moins une fois pendant leur journée de travail, et une crèche sur leur lieu de travail leur serait une aide précieuse, malgré la longueur du trajet nécessaire pour aller travailler (Hardy, 1985). En Inde, beaucoup de femmes dont le lieu de travail est mobile trouvent sur place des crèches itinérantes, ce qui est aussi un moyen de diffuser un programme d'éducation sur la nutrition et l'hygiène (Balagopal, 1983).
Il est utile de se battre pour obtenir des pauses permettant d'allaiter uniquement si les femmes qui travaillent le demandent. Souvent, le poste de travail de la femme est trop éloigné de l’endroit où est gardé leur bébé pour que ces pauses soient utiles, à moins qu'elle puisse les grouper pour quitter son travail plus tôt. Il serait plus simple, dans ce cas-là, de permettre aux mères qui allaitent d'avoir une journée de travail plus courte. Beaucoup de femmes trouveraient aussi utile d'avoir des horaires de travail plus flexibles. Dans certains lieux de travail, offrir aux mères de jeunes enfants la possibilité de bénéficier d’horaires flexibles pourrait être une action efficace et peu onéreuse. Dans d'autres lieux, cela pourrait s'avérer presque impossible à mettre en place pour les employeurs. Le droit de pouvoir bénéficier de différents congés de maternité, payés intégralement, partiellement ou sans solde, permettrait à la plupart des femmes d'allaiter de façon optimale et de travailler en tenant compte de leurs impératifs économiques et de leur carrière.
Pour optimiser le congé de maternité, considérer les différents points suivants
1. Diverses possibilités et une grande souplesse devrait être proposées à la femme, de façon à ce qu'elle puisse prendre avant la naissance uniquement le congé dont elle a réellement besoin. (Beaucoup de professionnels de santé ont constaté que beaucoup de femmes souhaiteraient travailler presque jusqu'à la date de la naissance, sauf dans certains cas de maladie, où lorsque le travail de la mère peut présenter un danger, comme l’exposition à des toxiques). Cela permettrait aux femmes de prendre un maximum de congés après la naissance, ce qui serait bénéfique pour l'allaitement.
2. Les femmes devraient pouvoir bénéficier d'au moins trois à quatre mois de congés de maternité payés presque intégralement sur la base de leur salaire, pour qu'elles aient la possibilité d’allaiter exclusivement pendant cette période. Cela faciliterait la promotion de l'allaitement exclusif. Les employeurs ne devraient pas avoir à en supporter le coût, à moins de recevoir les subventions appropriées.
3. Les femmes qui désirent prolonger leur congé devraient pouvoir bénéficier d'une petite aide financière, au moins pendant quelques mois, et ne pas risquer de perdre leur emploi ou leur ancienneté.
4. Les femmes qui reprennent leur travail dans les 12 mois qui suivent leur accouchement devrait avoir accès sur leur lieu de travail à une pièce où elles pourront allaiter ou tirer dans de bonnes conditions.
5. Des horaires de travail plus souples ou/et un temps partiel devraient être proposés aux femmes qui le désirent, surtout si la durée du congé de maternité dure moins de quatre mois.
6. Les pères devraient être encouragés à prendre des congés pour être présents à la naissance et aider la mère après sa sortie de maternité. Dans quelques pays, on encourage aussi le père à prendre du temps pour rester avec ses enfants à la maison. Mis à part l'intérêt évident pour la mère, le père et l'enfant, les congé de paternité permettraient aussi d'aller à l'encontre des préjugés vis-à-vis de l'emploi des femmes.
Les facteurs qui empêchent la mise en œuvre de solutions
La discrimination
Une étude récente de l'Organisation Internationale du Travail (ILO) a montré que « un des facteurs essentiels de limitation de l'accès des femmes au travail est l'idée répandue parmi les employeurs qu'elles coûtent plus cher, et qu’elles sont moins productives que les hommes. Cette idée est souvent directement liée à la grossesse et au rôle privilégié des femmes dans l'éducation des enfants ; elle est renforcée par des législations qui imposent aux employeurs de prendre en charge le coût des congés de maternité et des crèches » (Anker et Hein, 1985).
Avoir des opportunités de carrière égales à celles des hommes est un objectif important pour de nombreuses femmes dans la plupart des pays. Cela signifie que les conséquences sur la carrière des pères et sur celle des mères devrait être la même lorsque le couple a un nouvel enfant. Certains pays européens recherchent le moyen de mettre en œuvre cette approche optimale. Pourtant, l'allaitement reste parfois utilisé comme un argument biologique pour obliger les femmes à rester à la maison et s'occuper des enfants. C'est ce qui a amené certaines féministes à considérer l'abandon de l'allaitement comme une nécessité. Il serait préférable de reconnaître l’importance du lien mère-enfant pendant les premiers mois, le père pouvant ensuite prendre une place de plus en plus importante dans les soins à l’enfant, s’il peut bénéficier d’un congé de paternité suffisant.
Beaucoup d'organisations de défense des femmes luttent pour obtenir l’égalité entre les hommes et les femmes en matière d’accès au travail. C’est une chose importante, en particulier parce qu'une augmentation du revenu des femmes profite davantage aux enfants qu'une augmentation du revenu des hommes.
Dans les pays où les allocations de maternité sont versées par des systèmes d'assurances ou de sécurité sociale, les problèmes économiques sont évités, par les femmes qui désirent travailler mais qui tiennent aussi à allaiter leurs enfants pendant quelques mois après la naissance, et par leurs employeurs. Cependant, cela peut entraîner des perturbations dans l'organisation du travail, et cela n'est pas bien vu par les employeurs. Cela peut être compensé par les avantages liés à la poursuite de l'allaitement après la reprise du travail. Par exemple, les enfants allaités sont souvent moins malades, la mère a donc moins besoin de prendre de congés pour les soigner (Cohen and Mrtek, 1995).
Le coût
Toute intervention destinée à faciliter la poursuite de l’allaitement chez les femmes qui travaillent impose néanmoins une charge financière à la société, plus élevée que toute autre forme de promotion de l'allaitement (Phillips et al, 1987). Le coût relativement bas de la main-d’œuvre dans les pays en voie de développement est le principal moyen trouvé par ces pays pour augmenter leur niveau d'exportations pour rééquilibrer leur économie. Dans un tel climat économique, l'idée d’augmenter les allocations de maternité pour permettre une augmentation du taux d'allaitement a peu de chance d'être approuvée par les gouvernements. Toutefois, certains avantages économiques de l’allaitement peuvent être utilisés pour contrer partiellement ce point de vue (Almroth and Greiner, 1979; Oshaug and Botten, 1994; Drane, 1997).
Les caractéristiques propres à chaque pays
Dans certains pays, les caractéristiques locales s’opposeront à tout ce qui ressemblera à un encouragement ou à une « récompense » attribuée aux femmes lorsqu’elles ont un enfant. Certains pays accordent des congés ou des allocations pour 1, 2 ou 3 enfants seulement. D’autres le font uniquement pour des enfants espacés d’au moins 3 ans (pour encourager l’espacement des naissances).
Surmonter les obstacles personnels chez les femmes qui travaillent
Les idées préconçues et le manque de connaissance jouant un rôle aussi important que les contraintes matérielles dans le déclin de l'allaitement, il est important d'y accorder autant d'importance pour promouvoir l'allaitement. Un programme de promotion agissant en profondeur à ce niveau, associé à une formation adéquate des professionnels de santé, aura des répercussions favorables sur l'allaitement, y compris chez les femmes qui travaillent. L’Initiative « Hôpitaux Ami des Bébés » est actuellement le programme dont l’impact est actuellement le plus important à l’échelle mondiale, y compris dans les pays industrialisés. Dans les pays en voie de développement, cette initiative a permis d’améliorer nettement les pratiques d’alimentation infantile en post-partum précoce, surtout dans les zones urbaines lorsque les femmes accouchent dans un service hospitalier. D’autres efforts sont nécessaires pour soutenir les mères après leur sortie de maternité. Dans de nombreuses cultures, les femmes âgées de la famille ont un impact important sur la façon dont l’enfant sera nourri ; elles doivent donc bénéficier d’une bonne information. Les jeunes mères peuvent se trouver démunies lorsqu’elles souhaitent allaiter exclusivement, contre le souhait de leur belle-mère, ou même du père de l’enfant.
La question se pose de savoir comment prendre le mieux en compte la situation des femmes qui travaillent dans l'élaboration d'un tel programme d'information, d'éducation et de communication. L'allaitement est un phénomène trop complexe pour le promouvoir uniquement par le biais des médias. Des contacts personnels, avec des professionnels de santé formés correctement et avec d'autres femmes ayant une attitude positive, de l'expérience et des connaissances, sont aussi nécessaires. Les syndicats représentés sur le lieu de travail sont des réseaux d'informations qui restent à explorer.
En attendant que le droit des mères salariées à allaiter soit respecté, il y a différentes façons d'aider les mères qui travaillent à gérer leur allaitement quand elles sont séparées de leur bébé pendant leurs heures de travail. Les principaux éléments de cette aide seraient :
1. Former les mères aux différentes techniques qui leur permettont de maintenir leur sécrétion lactée, avec possibilité de tirer leur lait et de le conserver, quand la reprise du travail intervient dans les premiers mois qui suivent la naissance.
2. Apprendre aux mères comment donner des compléments au gobelet plutôt qu'au biberon, et leur déconseiller d'utiliser des tétines.
3. Encourager les mères à allaiter souvent quand elles sont avec leur bébé, en particulier en dormant avec eux la nuit.
4. Aider les mères à convaincre à la fois leur employeur et leur entourage (principalement leur mari) que l'allaitement est important, et que les mères qui travaillent ont besoin d'aménagements pour leur permettre de le réussir. Un travail de fond au niveau de la société sera nécessaire.
5. Informer les femmes sur les différents modes d'accueil, de préférence à proximité de leur lieu de travail.
Bien que cela demanderait une importante évolution dans les mentalités, il y aurait beaucoup d'avantages et peu d'inconvénients à ce que les pères s’impliquent davantage dans les soins à donner aux enfants et dans les travaux ménagers. La nécessité de ce type de soutien doit être mentionnée dans toute communication sur l'allaitement susceptible d'atteindre des pères. Sinon, après avoir pris conscience de l'importance de l'allaitement, ils risquent de demander à leurs femmes davantage que ce qu'elles sont capables d'assumer étant données les contraintes qu’elles subissent déjà (Greiner, 1983).
La place de l’aide aux salariées dans le cadre d'un programme de promotion de l’allaitement plus important
Malheureusement, même si un certain nombre de solutions peuvent être trouvées pour les femmes salariées, cela s'avère beaucoup plus difficile d'aider la majorité des femmes qui travaillent dans le secteur informel. Dans les zones rurales, où la superficie des cultures réservées à l’exportation augmente au détriment des cultures locale, où les pressions économiques augmentent la marginalisation, les problèmes liés au travail peuvent peser plus lourd sur les femmes et compromettre l'allaitement. Tobisson (1979) a montré que l’accroissement de la superficie des villages en Tanzanie fait que les femmes ont à parcourir à pied de plus grandes distances pour rejoindre les champs, en laissant leurs enfants à la maison, et qu’elles allaitent moins longtemps. Levine (1988) a montré que les contraintes du travail obligeaient les femmes de certains villages du Népal à donner des suppléments plus tôt qu'elles ne le voudraient. De même, les femmes des villes travaillant dans des secteurs parallèles avec peu ou pas de protection de l'emploi, et sans allocations, sont peu concernées par les solutions discutées ci-dessus. Marchione et al (1984) a constaté que les femmes vivant en zone urbaine et travaillant dans le secteur informel, souvent à leur domicile, allaitent souvent moins que les autres ; par exemple, les femmes payées à la pièce préfèreront travailler plutôt que mettre l’enfant au sein, pour ne pas voir baisser leurs revenus.
Mais la nécessité d'une stratégie concernant l'allaitement et les femmes salariées va au-delà du seul besoin d'augmenter la prévalence de l'allaitement parmi les nombreuses femmes qui considèrent le travail comme un facteur limitant l'allaitement. Les professionnels de santé pourraient faire un bien meilleur travail de promotion de l’allaitement exclusif si un tel allaitement était effectivement possible matériellement. Dans les zones rurales, les enseignantes sont souvent les femmes les mieux éduquées ; elles doivent être soutenues et encouragées à allaiter de façon optimale, et à servir d’exemple aux autres femmes. Affirmer que « on ne peut pas promouvoir l'allaitement ici parce que trop de femmes travaillent » est tout aussi infondé que d'autres affirmations courantes telles que : « les femmes vivant ici sont trop mal nourries pour pouvoir allaiter » ou « aucune de ces femmes n'a assez de lait », justification souvent donnée par les professionnels de santé et les législateurs pour le déclin de l'allaitement actuellement constaté dans certains pays. Il y a peut-être une part de vérité dans ces affirmations, mais aucune d'entre elles n’est un véritable obstacle à l'allaitement. Plus important, la conviction que ces affirmations sont exactes est souvent utilisée pour justifier la promotion de laits industriels et l’absence de mise en place de programmes de promotion de d'allaitement. Par conséquent, un des principaux objectifs de ces programmes de promotion est de venir à bout de tels mythes, qui engendrent une réaction anti-allaitement ou pro-biberon dans la société.
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