Teexte de la conférence donnée à la JIA (Journée Internationale de l'Allaitement) 2003, publiée dans le numéro hors série "JIA 2003" des Dossiers de l'Allaitement.
Thomas W. Hale, Ph.D. Associate Professor of Pediatrics
Texas Tech University School of Medicine - Amarillo, Texas, USA
5ème Journée Internationale de l’Allaitement – 21 mars 2003 – Unesco - Paris
Pendant ces dix dernières années, les avantages de l’allaitement sont devenus particulièrement évidents. De nombreuses études récentes sur le sujet ont montré une baisse importante des maladies infectieuses. Des études ont montré une réduction d’au moins 50% de la prévalence des otites, de 45% et plus de la prévalence des diarrhées virales, et une baisse importante des infections respiratoires hautes chez les enfants allaités. Alors que l’incidence des pathologies respiratoires dues au virus respiratoire syncytial semble ne pas être changée, la morbidité globale de ces infections est réduite chez les enfants allaités. Ces derniers, apparemment, ne deviennent pas aussi malades que les enfants nourris au lait industriel. Une réduction de 30% de l’incidence des lymphomes infantiles a été rapportée, ainsi qu’une incidence plus basse des maladies de Crohn. Les données sur le diabète insulino-dépendant permettent de penser que l’allaitement abaisserait l’incidence de cette maladie, mais des études plus poussées restent nécessaires.
Le lait n’est pas un liquide filtré à partir du compartiment plasmatique ; il est plus exact de dire qu’il est créé, à partir des composants plasmatiques, par les cellules épithéliales des ascini mammaires, appelés actuellement lactocytes. Le lactocyte prend dans le compartiment plasmatique maternel des protéines, des électrolytes, des lipides et d’autres substances, et fabrique le lait. Ensuite, la cellule transfère les composants selon des modalités spécifiques dans la lumière des alvéoles. Tous ensemble, ces composants constituent le lait humain. Les médicaments passent dans le lait humain par diffusion à partir du compartiment plasmatique maternel. Il existe quelques (très peu) systèmes de transport connus, mais la plupart des médicaments passent dans le lait par simple diffusion, jusqu’à atteindre un stade d’équilibre ; ils sont forcés de diffuser de l’endroit où leur concentration est importante (le plasma) vers l’endroit où leur concentration est faible (le lait). La plupart des drogues et autres produits chimiques passent d’un compartiment à l’autre par simple diffusion. C’est aussi la règle pour la plupart des médicaments.
L’alvéole mammaire est entourée par une cellule musculaire lisse très spécialisée, appelée cellule myoépithéliale. Cette cellule musculaire lisse a des récepteurs pour l’oxytocine, plutôt que les récepteurs cholinergiques et adrénergiques trouvés habituellement dans le reste du corps. Lorsque l’enfant prend le sein de la mère, l’hypophyse sécrète de l’oxytocine, qui induit la contraction de ces cellules myoépithéliales, ce qui éjecte le lait vers les canaux intralobulaires et vers le mamelon. Ce phénomène est appelé « réflexe d’éjection ». Les études de Hartmann en Australie nous permettent de savoir qu’il y a environ 2 à 3 réflexes d’éjection par sein pendant la tétée.
Pendant les 4 premiers jours post-partum, les lactocytes sont plutôt de petit volume, car leur fonction a été inhibée par le taux circulant élevé de progestérone chez la mère avant l’accouchement. Avec la sortie du placenta, le taux de progestérone va chuter rapidement, avec suppression de son impact inhibiteur sur le lactocyte. Ce dernier se développe alors rapidement. Pendant cette phase du post-partum précoce, les cellules sont de petites tailles, et ont de nombreux ponts intercellulaires entre elles. Les médicaments, les protéines, et même les lymphocytes et les macrophages provenant de la circulation sanguine maternelle, peuvent facilement passer dans le compartiment lacté. Pendant cette phase, appelée phase colostrale, le lait immature contient d’importantes quantités de composants maternels, en particulier des cellules vivantes et des immunoglobulines. Si des médicaments sont donnés à la mère pendant cette phase, ils passent généralement fortement dans le lait en raison de ces larges ponts intercellulaires entre les lactocytes. Heureusement, la quantité de médicament transférée pendant cette phase est souvent minime, tout simplement parce que le volume de lait absorbé par l’enfant est bas, habituellement de l’ordre de quelques centimètres cube. En conséquence, l’impact des médicaments donnés à la mère pendant cette phase colostrale est souvent insignifiant, juste parce que la dose reçue par l’enfant est très basse.
Toutefois, pendant que le taux de progestérone chute, les lactocytes voient leur taille augmenter énormément, et les ponts intercellulaires disparaissent, jusqu’au moment où la jonction cellulaire est tellement forte qu’elle imite la barrière hémato-encéphalique, ce qui empêche le passage de nombreuses substances chimiques, des cellules, des protéines, et même de certains médicaments. Ce mécanisme est un don de la nature, et il est la principale raison pour laquelle la plupart des médicaments passent peu dans le lait.
Le lactocyte est une cellule typiquement humaine, avec une fonction atypique. Il est situé sur une membrane basale, et fabrique un produit unique, le lait. Les précurseurs des composants du lait sont prélevés dans le compartiment plasmatique maternel, et le lactocyte les transforme afin de fabriquer des substances qui conviennent exactement pour le petit humain. La plupart des médicaments et autres produits chimiques doivent passer à travers une membrane lipidique bipolaire avant de pouvoir entrer dans le lactocyte. Il existe de nombreuses pompes de transport, qui pompent les immunoglobulines, les électrolytes, les acides aminés et d’autres substances, mais ce mode de transport a dans l’ensemble un rôle modeste. La plupart des molécules (y compris celles des médicaments) doivent passer dans le lait par diffusion à travers les membranes lipidique bipolaires qui sont passablement bien ajustées. C’est la raison pour laquelle la composition du lait est à peu près similaire chez toutes les femmes (quelle que soit l’alimentation maternelle), et pour laquelle les médicaments ont autant de mal à passer dans le lait.
Dans la mesure où le passage dans le lait des médicaments est largement fonction de la diffusion et de l’atteinte d’un équilibre, le taux des médicaments reflète, dans une large mesure (mais pas toujours), le taux présent dans le compartiment plasmatique maternel. Plus important encore, lorsque ce taux plasmatique baisse, le médicament quitte le compartiment lacté et retourne dans le compartiment plasmatique maternel à partir duquel il sera éliminé. Ainsi, la plupart des médicaments ne restent pas dans le lait, mais ils y entrent puis en sortent en fonction du taux plasmatique maternel.
Toutefois, savoir à quel moment le taux lacté est le plus élevé est utile (Cmax ou pic lacté), car cette donnée peut être utilisée pour éviter la mise au sein au moment où le taux de médicament est le plus élevé. Cela peut simplement se faire en évitant de mettre l’enfant au sein lorsque le taux de médicament culmine dans le plasma. L’enfant sera mis au sein juste avant de prendre le médicament, ou une heure ou plus après la survenue du pic, afin de réduire la quantité totale de médicament transférée à l’enfant.
La demi-vie du médicament est le temps nécessaire pour que le corps de la mère élimine la moitié du produit. Il y a diverses demi-vies pour les divers compartiments du corps humain, comme le plasma, les os, le foie, etc…, mais le compartiment primaire, qui est le plus important pour déterminer le taux lacté des médicaments, est le compartiment plasmatique maternel. Le procédé mentionné ci-dessus d’allaiter avant ou après le pic afin d’éviter le moment où le taux lacté du médicalement est le plus élevé est utile avec les médicaments qui ont une courte demi-vie, mais il est impraticable pour les médicaments qui ont de très longues demi-vies.
La biodisponibilité orale est un terme qui qualifie la façon dont le médicament est absorbé par voie orale. Les médicaments qui passent par l’estomac (comme via le lait), doivent être stable dans le milieu acide qu’est l’estomac, puis absorbés de façon significative au niveau de la circulation portale. Cette circulation amène le médicament jusqu’au foie, pour une première filtration. Le foie de l’enfant peut très efficacement capter et garder les médicaments qui arrivent par la veine porte. De ce point de vue, la capture hépatique des médicaments suite à leur absorption orale est un problème majeur pour de nombreux médicaments. Toutefois, bon nombre de médicaments qui passent éventuellement dans le lait pourront en fin de compte ne pas être absorbés par le tractus digestif de l’enfant. Cela est très important, car des centaines de médicaments sont ainsi éliminés pour cette seule raison. En bref, ils ne sont pas absorbés par l’enfant.
Les médicaments qui ont une mauvaise biodisponibilité orale sont par exemple la vancomycine, l’insuline, l’héparine, les sels de magnésium, les tétracyclines, l’oméprazole, le sumatriptan et la morphine.
Passé les premiers jours post-partum, les médicaments devront passer dans le lait via les lactocytes, car les ponts intercellulaires ont plus ou moins totalement disparu. Cela signifie que les médicaments dont le principe actif a un poids moléculaire élevé ne pourra tout simplement pas passer à travers les lactocytes bien serrés les uns contre les autres. Les médicaments dont le poids moléculaire est supérieur à 1000 daltons ne peuvent virtuellement pas passer dans le compartiment lacté. C’est particulièrement vrai pour les molécules de poids moléculaire très élevé comme l’héparine (40.000 daltons), l’insuline (> 6000 daltons), l’interféron (> 24.000 daltons), etc. En conséquence, les médicaments dont le poids moléculaire est élevé peuvent être utilisés sans risque chez les mères allaitantes si besoin est.
Les galactogènes sont des médicaments qui stimulent la production lactée. Généralement, cette classe de médicaments bloque la sécrétion de dopamine par l’hypothalamus. C’est ce que font le métoclopramide et le dompéridone. De nombreux autres médicaments ont le même impact, comme la chlorpromazine, une phénothiazine utilisée comme tranquillisant, et d’autres produits antipsychotiques, mais ces médicaments présentent tout simplement des risques trop importants pour être utilisés chez la plupart des mères allaitantes.
La prolactine est la principale hormone responsable de la production lactée. Fondamentalement, un taux élevé de prolactine est nécessaire pour fabriquer du lait, bien que le taux de cette hormone passe d’un taux élevé pendant les jours qui précèdent le démarrage de l’allaitement à un taux juste légèrement supérieur à la normale 6 mois après l’accouchement. Mais d’un autre côté, nous savons qu’on peut fabriquer tout à fait autant de lait avec un taux de prolactine juste un peu élevé que lorsque ce taux est extrêmement élevé. Pour dire les choses plus simplement, cela signifie que le taux de prolactine n’est pas nécessairement corrélé au volume de la production lactée. Le taux nécessaire à une production à plein régime pourrait être juste légèrement supérieur au taux de base hors allaitement.
Chez les mères qui ont un taux plasmatique bas de prolactine, on a pu constater que des doses modérées de métoclopramide ou de dompéridone élevaient le taux de prolactine à un niveau galactogène, et que la production lactée augmentait significativement. Nous savons aussi que, chez de nombreuses mères qui ont un taux élevé de prolactine, ces médicaments n’augmentent tout simplement pas la production lactée. (Ndlr : la dompéridone a un effet galactogène rapporté mais n'a pas d'AMM en France pour cette indication)
Donc, si le taux plasmatique maternel de prolactine est bas, alors ces galactogènes pourront augmenter la production lactée. Mais si le taux de prolactine est élevé, il ne faut pas s’attendre à ce que le métoclopramide ou le dompéridone aient cet impact.
Le métoclopramide (Primpéran®) est couramment utilisé aux USA car le dompéridone n’y est pas commercialisé. Les effets secondaires potentiels du métoclopramide sont une dépression sévère, des signes extrapyramidaux, des douleurs gastriques et une diarrhée. Après environ 3 semaines de traitement avec ce produit, la survenue d’une dépression sévère a souvent été rapportée. De ce point de vue, le dompéridone est de très loin préférable. Il ne passe tout simplement pas la barrière hémato-encéphalique, et on n’observe donc pas d’effets secondaires sur le système nerveux central comme la dépression ou les signes extrapyramidaux.
Quelques consignes pour l’utilisation des galactogènes :
1. Ils sont efficaces rapidement. Si aucune augmentation de la production lactée n’est constatée dans les quelques jours à une semaine qui suivent le début du traitement, il est peu probable que le traitement devienne efficace.
2. Ils ne sont efficaces que si le taux maternel de prolactine est bas.
3. Le métoclopramide peut induire une dépression sévère survenant après 2 à 3 semaines de traitement.
4. Si la production lactée maternelle augmente, utiliser le médicament pendant une à plusieurs semaines en fonction des besoins, puis diminuer progressivement la posologie. La diminuer brusquement pourrait avoir pour résultat la cessation complète de la production lactée.
Les médicaments à visée contraceptive sont parmi les médicaments les plus utilisés chez les femmes allaitantes. On sait que les oestrogènes abaissaient la production lactée maternelle. Ce fait est bien connu, mais il est peu documenté dans la littérature médicale. En conséquence, les mères allaitantes doivent éviter les pilules contraceptives contenant des oestrogènes pendant tout l’allaitement, à moins qu’aucune autre alternative ne soit possible. En pareil cas, on devra dire à la mère de surveiller étroitement sa sécrétion lactée, le nombre de couches mouillées par l’enfant, sa prise de poids et ses autres paramètres de croissance. La réduction de la production lactée est souvent insidieuse, et peut se faire lentement sur des semaines, la mère pouvant ne pas se rendre compte que sa sécrétion lactée est sérieusement compromise.
Les pilules contraceptives contenant uniquement un progestatif sont fortement recommandées. Dans une vaste majorité des cas, elles ne poseront aucun problème, ni à l’enfant, ni à la production lactée. Dans certains cas, une baisse significative de la production lactée a été rapportée. Je recommande généralement aux mères d’utiliser une pilule contraceptive contenant uniquement un progestatif pendant plusieurs mois. Si aucune modification de la production lactée n’est constatée pendant plusieurs mois, la mère pourra probablement utiliser un implant contraceptif progestatif ou une injection de Depo-Provera® sans danger. Toutefois, l’utilisation de ces produits en post-partum précoce devrait être évitée. Le démarrage de l’allaitement est stimulé par la chute brutale du taux de progestérone pendant les jours qui suivent l’accouchement. L’utilisation précoce de Depo-Provera® (dans les 24 à 48 heures qui suivent l’accouchement) pourra interrompre ce processus de démarrage de l’allaitement, et doit être évitée à tout prix. Retarder cette injection d’une semaine sera préférable pour la production lactée maternelle.
Après les pilules contraceptives, les antibiotiques sont les médicaments les plus utilisés chez la femme allaitante. Virtuellement tous les antibiotiques ont été étudiés chez les mères allaitantes. Les pénicillines et les céphalosporines ont été étudiées de façon extensive. Heureusement, en raison de leur structure lipophobe, leur passage dans le lait est très limité. Il y a quelques exceptions, mais dans l’ensemble la dose reçue par l’enfant est inférieure à 1-2% de la dose maternelle. Elle est beaucoup trop faible pour induire des complications chez la plupart des enfants, sauf chez ceux qui sont extrêment sensible au produit actif. Les seuls effets secondaires rapportés suite à l’exposition à ces classes d’antibiotiques sont de légères modifications de la flore digestive, et éventuellement une diarrhée.
Deux des trois principaux macrolides ont été étudiés : l’érythromycine et l’azithromycine. Le taux lacté d’érythromycine est bas, tandis que celui de l’azithromycine est bas à moyen. Ces deux molécules sont utilisées chez les nourrissons, et toutes les deux sont considérées comme compatibles avec l’allaitement. Il serait utile d’être prudent chez les mères dont l’enfant a présenté une sténose du pylore, dans la mesure où les macrolides ont été rendus responsables d’une augmentation du risque de sténose du pylore chez certains nourrissons. Hormis cette circonstance, ils sont tout à fait utilisables chez les mères allaitantes.
Les sulfamides ne devraient pas être utilisés chez les enfants présentant un ictère, en raison de leur capacité à déplacer la liaison de la bilirubine à l’albumine. Leur utilisation chez les nourrissons (< 30 jours) n’est probablement pas une bonne idée. La famille des fluoroquinolones présente un peu plus de risques. Le taux lacté de ciprofloxacine est bas, mais l’enfant reçoit environ 2,6% de la dose maternelle ajustée. Un cas de colite pseudomembraneuse a été rapporté chez un enfant allaité. Personnellement, je suggère habituellement l’utilisation de l’ofloxacine, de la norfloxacine, ou peut-être de la lévofloxacine au lieu de la ciprofloxacine, car leur passage dans le lait est beaucoup plus faible. Bien que l’utilisation de la ciprofloxacine chez les femmes allaitantes ait été récemment approuvée par l’Académie Américaine de Pédiatrie, je ne suis pas forcément d’accord dans la mesure où il existe de meilleures alternatives.
Parmi les anti-infectieux, le métronidazole est celui qui passe le plus fortement dans le lait (environ 9 à 12 % de la dose maternelle). Heureusement, le métronidazole est une molécule qui présente peu de dangers et peu d’effets secondaires. Bien que des études anciennes menées chez les rongeurs aient fait état d’un impact mutagène à doses massives, cela n’a pas été constaté chez les humains, et il est couramment utilisé en pédiatrie dans le monde entier sans problème. Le métronidazole peut donner un goût métallique au lait ; certains enfants pourront ne pas téter aussi volontiers à cause de ce goût. Chez les mères qui prennent une dose unique de 2 g pour le traitement minute d’une trichomonase, on recommande une suspension de l’allaitement de 12 à 24 heures, la mère tirant et jetant son lait.
Environ 20 % des mères allaitantes pourront présenter une mastite. Bien qu’il existe diverses formes de mastites (inflammatoire, infectieuse, fongique), le germe le plus souvent en cause est un Staphylocoque, celui venant ensuite en fréquence étant un E. coli. En raison de la fréquente implication des staphylocoques dans les infections bactériennes et de la résistance croissance de cette famille, un antibiotique très efficace contre les staphylocoques est fortement recommandé. Per os, la dicloxacilline, la cloxacilline, la flucloxacilline ou la céphalexine sont à préférer, quoi que l’association amoxicilline + acide clavulinique puisse être utilisée. Les pénicillines les plus anciennes doivent être évitées si elles ne sont pas efficaces contre toutes les infections à staphylocoques.
L’existence des mastites fongiques est un sujet hautement controversé. A ce jour, seulement 2 articles portant sur des cas de mastite fongique ont été publiés, et l’incidence de ce problème était basse, moins de 20 % des cohostes étudiées. La plupart des spécialistes en infectiologie ne pensent pas que le Candida albicans puisse se développer à l’intérieur du sein d’une mère normale, ne présentant pas de déficit immunitaire. Toutefois, lorsqu’une candidose semble patente, la mère peut être traitée localement ou per os. Les traitements locaux font appel au miconazole (à préférer), ou au clotrimazole (mais de nombreux cas de dermatite ont été rapportés). Per os, le fluconazole est la molécule à préférer, car dans la famille des dérivés azolés, c’est la molécule qui a la plus faible hépatotoxicité, et il est couramment utilisé en pédiatrie pour le traitement des infections fongiques systémiques. Le pic lacté est modéré, mais il ne pose apparemment aucun problème pour l’enfant. La quantité de fluconazole qui passe dans le lait est insuffisante pour traiter un enfant qui souffre de muguet. La nystatine est un bon premier choix pour ces enfants.
L’utilisation locale du violet de gentiane (solution aqueuse à 1 %) est devenue plus fréquente. Ce colorant était utilisé il y a des décennies pour le traitement du muguet. Il tue les candida par contact. Toutefois, lorsqu’on l’utilise pour traiter la bouche d’un bébé, on ne doit jamais l’appliquer plus de 1 fois par jour, et pas plus longtemps que pendant 3 à 5 jours, car il est irritant pour les muqueuses. Il peut aussi être appliqué sur les mamelons pour le traitement d’une candidose locale chez la mère. (Sur le violet de gentiane, voir : Controverses autour du violet de gentiane : où en est-on en 2020 ?).
L’hypertension est un problème relativement fréquent en post-partum. Les antihypertenseurs doivent être utilisés avec précaution, car certains peuvent induire des épisodes d’hypotension majeure chez l’enfant allaité. Parmi les bêta-bloquants, l’aténolol et l’acébutolol ont induit une hypotension chez les enfants. Ces molécules doivent donc être évitées. Le métoprolol, le propanolol, le labétolol et le sotalol ont été étudiés. Leur passage lacté est faible, et ce sont les molécules à préférer pour le traitement d’une hypertension chez les mères allaitantes. Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion ne devraient pas être utilisés pendant les premières semaines post-partum, car ce sont des molécules puissantes, et on a constaté qu’elles pouvaient induire une hypotension chez des nourrissons. Passé les premières semaines, et si l’enfant est à terme et en bonne santé, ces molécules sont probablement sans danger. Dans cette classe, les molécules à préférer sont le captopril, l’énalapril et le bénazépril, qui ont été étudiés. La méthyldopa et l’hydralazine ont été largement utilisées, et ne présentent pas de danger pour la plupart des mères allaitantes et leurs enfants. La plupart des inhibiteurs calciques ont été étudiés. Dans cette classe, les produits à préférer sont la nifédipine, le vérapamil, la nimodipine et la nitrendipine.
La plupart des analgésiques sont fréquemment utilisés chez les femmes allaitantes. Parmi les opiacés, la morphine, la codéine et l’hydrocodone sont les molécules les plus fréquemment utilisées. Elles ont été utilisées chez de nombreuses mères allaitantes sans problème, mais la dose doit être modérée, car des cas de sédation ont été rapportés chez quelques enfants. Parmi les AINS, l’ibuprofène est l’idéal car son taux lacté est infime. Le paracétamol est aussi un bon choix. Toutefois, l’utilisation de la mépéridine ou de la péthidine est passablement controversée. De nouvelles données permettent de penser que le passage lacté de leurs métabolites peut induire une sédation chez certains nourrissons. La mépéridine est un analgésique opiacé faible, et elle ne devrait probablement pas être utilisée chez les mères allaitantes. L’analgésique opiacé à préférer par voie générale est probablement la morphine, car sa biodisponibilité orale n’est que de 25%, et on a constaté qu’elle induisait peu d’effets secondaires chez les enfants allaités.
Les herbes médicinales n’ont quasiment pas été étudiées chez les mères allaitantes. Il existe de nombreux rapports non médicaux sur leur efficacité, mais peu d’études de bonne qualité ont été menées sur leur impact chez les mères allaitantes, ou sur leur innocuité. A peu près aucune donnée n’existe sur le passage lacté de leurs produits actifs. Pour cette raison, je ne recommande normalement pas l’utilisation de ces produits chez les mères allaitantes. Les plantes qui doivent absolument être évitées en raison de leur toxicité sont le chaparral (Larrea tridentata), le Jin Bu Huan (lycopodium serratum), la germandrée, les tisanes de consoude, le caulophylle faux-pigamon (caulophyllum thalictroides), et d’autres. Je recommanderais vivement de consulter un médecin spécialisé en phytothérapie avant d’utiliser un quelconque produit à base de plantes pour un traitement pendant l’allaitement.
Les produits de contraste sont fréquemment utilisés pour des examens à visée diagnostique, comme les IRM et les CAT scans (Computerised Axial Tomography scans). Les produits contenant du gadolinium utilisés pour les IRM ont été étudiés, ils passent peu dans le lait, et leur biodisponibilité orale est nulle. Les produits de contraste utilisés pour les CAT scans contiennent généralement de grandes quantités d’iode. Habituellement, les sels d’iode (sodium, potassium) passent très fortement dans le lait. La membrane des lactocytes comporte une pompe qui transfère de grandes quantités d’iode dans le lait humain. Cette pompe a pour rôle de veiller à ce que le nouveau-né reçoive suffisamment d’iode pour fabriquer ses hormones thyroïdiennes. Dans le cas de sels d’iodes administrés à la mère, des quantités extrêmement élevées d’iode pourront passer dans le lait, et on a constaté que cela pouvait inhiber la fonction thyroïdienne chez l’enfant allaité. Les mères allaitantes devraient donc éviter la prise d’iodures de sodium ou de potassium sous toutes leurs formes. Toutefois, dans le cas des produits de contraste, l’iodure est lié de façon covalente à d’autres molécules, et il est éliminé rapidement de l’organisme avant d’avoir pu entrer dans le lait. En conséquence, les produits de contraste iodés ne présentent aucun risque ou très peu pour l’enfant allaité.
Les produits radioactifs peuvent, dans certains cas, être très dangereux chez les enfants allaités. Tous les iodures radioactifs peuvent passer fortement dans le lait. L’iode 131 est particulièrement dangereux, et une mère ne devrait pas poursuivre l’allaitement après avoir reçu ce produit. D’autres formes sont moins dangereuses, et certaines ont une demi-vie très courte et peuvent être utilisées avec une suspension courte de l’allaitement. La Nuclear Regulatory Commission américaine (la Commission Américaine de Régulation des Radio-isotopes) a publié une très bonne table de recommandation, et je vous recommande vivement de vous la procurer, car elle présente les meilleures informations actuellement disponibles (https://www.nrc.gov/docs/ML1803/ML18033B034.pdf).
L’utilisation des antidépresseurs chez les femmes allaitantes a augmenté significativement. Des données récentes publiées ces dernières années suggèrent que la dépression maternelle fait courir un risque important aux bébés. Les enfants dont la mère est déprimée ont un moins bon développement général et neurocognitif. Nous pensons actuellement que le risque de tels retard semble supérieur au risque lié à l’utilisation d’un antidépresseur. L’existence d’une dépression du post-partum est rapportée chez environ 15% des mères allaitantes, suivant les études.
Parmi les antidépresseurs, les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine sont les plus populaires, en raison de leurs effets secondaires moins importants. Chez les mères allaitantes, au moins 4 cas d’effets secondaires chez l’enfant allaité ont été rapportés suite à la prise par la mère de fluoxétine (Prozac®). Nous recommandons maintenant la prudence en cas d’utilisation en « post-partum précoce ». Les enfants âgés de plus de 3 mois métabolisent probablement plus efficacement la fluoxétine, et de nombreuses mères ont pris du Prozac sans problèmes alors qu’elles allaitaient.
Les études actuelles montrent clairement que la sertraline (Zoloft®) et la paroxétine (Paxil®) sont les molécules qui passent le moins dans le lait. Actuellement, aucune complication sérieuse n’a été rapportée avec ces deux molécules, et la plupart des spécialistes considèrent qu’elles sont à préférer à d’autres. Le citalopram (Célexa®) est un moins bon choix. Des cas de somnolence ont été rapportés chez des enfants allaités, et il est recommandé d’être prudent.
Le millepertuis est habituellement considéré comme ne présentant pas de danger, quoi que son impact en tant qu’antidépresseur est considéré comme tout à fait modeste. La plupart des études effectuées sur ce produit n’ont pas rapporté d’effets secondaires, ou peu d’effets. Dans une étude, les taux lactés rapportés étaient bas. La principale complication éventuelle du millepertuis est qu’il peut stimuler fortement l’action métabolique de certaines enzymes hépatiques chez les personnes qui le prennent. En conséquence, si ces personnes prennent aussi d’autres médicaments, cela pourra abaisser fortement le taux plasmatique de ces médicaments. Cela a été constaté chez des patients prenant de la cyclosporine, des inhibiteurs des protéases (patients séropositifs pour le VIH), et c’est probablement aussi le cas pour d’autres médicaments qui n’ont pas été étudiés. Dans la mesure où nous savons très peu de choses sur le millepertuis chez les mères allaitantes, je ne recommande habituellement pas son utilisation.
La dose relative chez l’enfant
En dernier lieu, la quantité absolue de produit actif absorbée par l’enfant avec le lait est importante. Tous les médicaments passent dans le lait, même si la plupart d’entre eux s’y retrouvent à un taux trop faible pour avoir un quelconque effet indésirable sur l’enfant allaité. Dans la mesure où l’allaitement est tellement important et bénéfique pour les enfants, l’évaluation du rapport risques / avantages est presque toujours en faveur de la poursuite de l’allaitement lorsque la mère suit un traitement médical. Ce n’est que dans de très rares cas qu’il sera nécessaire de suspendre temporairement l’allaitement.
La chose la plus importante à apprécier, concernant l’utilisation d’un médicament, est la quantité relative absorbée par l’enfant. En bref, c’est le rapport entre la quantité reçue par l’enfant via le lait maternel (mg/kg/jour) divisée par la dose reçue par la mère (mg/kg/jour). Ce n’est que si ce rapport dépasse 10% que l’on peut réellement se poser des questions sur les risques encourus par le bébé.
Recommandations pour le choix d’un traitement chez une mère allaitante :
• Choisir des médicaments qui ont une demi-vie courte
• Choisir des médicaments dont le poids moléculaire est aussi élevé que possible
• Choisir des médicaments dont la biodisponibilité orale est médiocre
• Choisir des médicaments qui sont fortement liés aux protéines plasmatiques
• Choisir des médicaments qui sont couramment utilisés en pédiatrie
• Ne pas prescrire de médicaments sauf si c’est réellement nécessaire (cela inclut la phytothérapie)
• Eviter de mettre l’enfant au sein au moment du pic lacté (Cmax).
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