Article publié dans les Dossiers de l'Allaitement numéro 67 (Avril-Mai-Juin 2006)
D’après : Breastfeeding higher order multiples : enhancing support during the postpartum hospitalization period. LG Leonard. J Hum Lact 2002 ; 18(4) : 386-92.
Le taux des naissances de multiples est en augmentation dans les pays occidentaux, en partie à cause des traitements de l’infertilité. Les mères de ces enfants sont de plus en plus nombreuses à souhaiter allaiter. C’est chose possible, et cela peut être très gratifiant, mais c’est aussi difficile et stressant.
L’intérêt de l’allaitement est encore plus important pour les multiples que pour les enfants nés après une grossesse simple. Les statistiques montrent que 90 à 95% des triplés sont prématurés, et que 35% sont hypotrophiques : ils naissent en moyenne à 33 semaines de gestation, avec un poids de 1735 g. Par rapport aux enfants nés après une grossesse simple, le taux de mortalité des triplés est 10 fois plus élevé pendant les premiers mois, et celui des quadruplés est 13 fois plus élevé. Ces enfants devront passer des semaines en service de néonatalogie, et seront soumis à de nombreuses interventions médicales agressives. De leur côté, les parents sont souvent terrifiés à l’idée de devoir prendre en charge plusieurs nourrissons fragiles, que la mère allaite ou pas. L’allaitement facilite la mise en place d’un lien étroit entre la mère et ses enfants. Il est donc important de tout faire pour faciliter l’allaitement de ces enfants.
Les parents des multiples se fient habituellement au discours des professionnels de santé pour les soins à donner à leurs enfants, ainsi que pour l’allaitement. Il est donc capital que les membres de l’équipe soignante aient de solides connaissances en matière d’allaitement, et soient motivés pour soutenir les mères. Ce soutien commence avant la naissance. Les familles attendant de grands multiples ont besoin de commencer à recevoir des informations sur l’allaitement dès que la grossesse est diagnostiquée, informations adaptées à leur situation autant que faire se peut. Tous les professionnels suivant la grossesse devraient tenir un discours cohérent sur l’allaitement, et chaque visite sera l’occasion d’en rediscuter et de répondre aux questions des mères. Les parents ont besoin d’entendre que le lait maternel que pourront recevoir les enfants, en quelque quantité que ce soit, sera un plus pour eux, et que l’allaitement sera un succès même si la mère ne peut pas allaiter exclusivement tous les enfants, même si certaines mères y arrivent. Certaines mères, qui ont eu d’énormes difficultés pour arriver à être enceintes, seront particulièrement motivées, surtout si elles savent qu’elles n’auront probablement plus jamais d’autre grossesse.
Les grossesses multiples sont des grossesses à risque, et la mère pourra présenter diverses pathologies. L’accouchement se fera beaucoup plus souvent par césarienne, et les suites de couches seront plus difficiles. La femme mettra davantage de temps à se remettre. Elle devra assumer le fait de tirer son lait pour ses bébés, et les visites au service de néonatalogie. Ces mères se sentiront généralement submergées, très fatiguées, et très anxieuses. Elles auront donc particulièrement besoin d’être écoutées, soutenues et aidées.
S’occuper jour et nuit d’un bébé n’est pas toujours de tout repos. S’occuper de plusieurs nourrissons en permanence est épuisant, et peu de mères y arriveront, même avec de l’aide, tout au moins pendant les premiers temps. La mère pourra porter ses bébés contre sa peau à tour de rôle, pendant qu’une autre personne (le père, un membre de l’équipe soignante) s’occupe des autres bébés. La création du lien mère-enfant après une naissance multiple est plus difficile pour de multiples raisons. Porter ses bébés contre sa peau aidera la mère à avoir un lien plus étroit avec chacun de ses enfants. De plus, des études ont constaté que cela augmentait la sécrétion lactée.
Afin d’optimiser la production lactée, la mère devrait commencer à tirer son lait dans les 6 heures qui suivent la naissance, puis le faire toutes les 2 à 3 heures pendant la journée, et toutes les 4 à 6 heures pendant la nuit. Le tire-lait sera le compagnon de la mère pendant des semaines. Un tire-lait électrique automatique à double pompage sera souvent le meilleur choix ; toutefois, des mères préfèrent un tire-lait simple pompage, ou tirer leur lait à la main lorsque la sécrétion lactée est bien lancée. Masser les seins avant de tirer le lait, écouter une cassette de relaxation, pratiquer des exercices de visualisation… aideront la mère à obtenir davantage de lait. Si la sécrétion lactée maternelle est insuffisante, le don de lait humain provenant d’un lactarium peut être envisagé. Il est aussi possible de prescrire un galactogogue à la mère.
Les enfants seront mis au sein aussi rapidement que leur état le permettra, avec l’aide d’une personne compétente en matière d’allaitement, qui aidera la mère à mettre ses enfants au sein, et à évaluer le comportement de l’enfant. Les mises au sein se feront dans un endroit calme, permettant un minimum d’intimité et de confort. La plupart des mères préfèrent mettre les enfants au sein l’un après l’autre, et non simultanément, tout au moins pendant les premières semaines. Cela permettra à la mère d’établir un contact privilégié avec chaque enfant, de devenir plus compétente pour apprécier la qualité de la mise au sein et de la succion des bébés, et de mieux vivre les tétées. Lorsque deux enfants tètent en même temps, il n’est pas facile d’en remettre un au sein s’il l’a lâché. Si la mère se sent prête à essayer d’allaiter deux enfants en même temps, la présence d’un membre de l’équipe soignante sera nécessaire au moins les premières fois pour aider la mère à trouver une position confortable pour elle et pour les bébés, et pour l’aider à mettre les enfants au sein.
Si certaines mères de multiples sont satisfaites avec un allaitement à la demande, de nombreuses mères le trouvent beaucoup plus facile à gérer en « réglant » les enfants. La mère pourra décider de réveiller tous les enfants dès que l’un d’entre eux se réveille, ou d’en réveiller un ou deux à la fois, et l’autre ou les autres ensuite. Avoir suffisamment de lait sera souvent difficile pour ces mères, et elles auront besoin d’encouragements soutenus pour ne pas se décourager.
La sortie du service de néonatalogie des enfants sera habituellement un moment difficile, et les parents auront besoin d’un soutien accru. Les enfants pourront ne pas sortir tous en même temps, ce qui obligera les parents à se « diviser » entre leur domicile et le service de néonatalogie, tâche ardue lorsque les parents habitent loin, ou qu’ils ont déjà un ou d’autres enfants. De ce point de vue, il sera utile de discuter avec les parents des modalités de sortie des enfants, afin de respecter au mieux leurs besoins et leurs préférences. Il sera préférable que les professionnels de santé prennent l’initiative d’un suivi régulier dès que les enfants sont sortis de néonatalogie, car les parents pourront être trop submergés pour demander un tel suivi. Dans l’idéal, il se fera par des visites régulières au domicile, effectuées par une consultante en lactation ou une autre personne compétente en matière d’allaitement ; il sera en effet très difficile à ces parents de se déplacer avec leurs multiples, tout au moins dans les premiers temps. Ces visites seront l’occasion de discuter avec les parents des éventuels problèmes, et de les soutenir, en particulier si leur famille ou leur entourage est peu favorable à l’allaitement.
En conclusion, l’allaitement de grands multiples demande beaucoup de motivation de la part des parents, et un soutien actif et intensif, sur une longue durée, de la part des professionnels de santé qui suivront les enfants et leurs parents. Ces professionnels de santé doivent considérer les parents comme des partenaires, qui ont droit à des informations adéquates et objectives sur ce que représente l’allaitement de grands multiples. Des études sur l’allaitement de ces enfants et sur tous les facteurs susceptibles de le faciliter seraient utiles.
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