Article publié dans les Dossiers de l'Allaitement n° 68 (Juillet – Août – Septembre 2006)
Mme Geneviève De Pena. Sage-femme, consultante en lactation. St Florent sur Cher (18)
L’allaitement est le plus souvent possible après une chirurgie mammaire, mais il nécessite une surveillance très rigoureuse dès la naissance afin d’éviter d’aboutir à des situations « difficiles ». Les deux exemples ci-dessous illustrent les soucis qui peuvent survenir, soit dès les premiers jours, soit aussi à distance de la naissance. Il me semble indispensable de prévenir et repérer ces difficultés le plus tôt possible.
Premier cas
Madame R avait accouché en 1988 par césarienne d’un premier enfant de 3200g qui a été allaité pendant 4 mois sans problème. En 1992, elle subit une chirurgie de résection mammaire. Le chirurgien lui avait alors certifié que ce geste n’aurait aucun impact sur un allaitement futur.
Elle accouche en avril 2003 à 38 semaines d’aménorrhée, par voie basse sous anesthésie péridurale d’un enfant de 3390g. La première tétée a lieu à 1 heure de vie, et les suivantes toutes les 3 à 4 heures sans problème particulier. A J1, l’enfant pèse 3370g ; à J2, 3220g ; à J3, 3140g. La sortie est autorisée à J3, et il est demandé à la mère de faire contrôler le poids de son bébé au 6ème jour. Pourtant, Mme R a fait part au personnel de la maternité de son inquiétude au 3ème jour car elle ne sentait pas la « montée laiteuse » comme pour son premier enfant. Il lui aurait alors été répondu qu’elle devait patienter encore un peu. Appel du papa à J4, qui me demande de passer les voir car, dit-il, la nuit a été très difficile, l’enfant ayant tété sans arrêt et la mère ayant l’impression de ne pas avoir de lait.
A l’examen de la mère, les seins sont très souples avec une impression d’engorgement axillaire, il y a présence de deux cicatrices péri-aréolaires. L’enfant tète peu vigoureusement et aucune éjection n’est constatée. Un essai de massage et extraction manuelle permet d’obtenir quelques gouttes de colostrum. Par ailleurs, le poids du bébé est de 2990g soit 150g de perte de poids en 24 heures, et 400g de perte de poids totale (environ 12%). Il n’a émis que des selles méconiales depuis la naissance, et les parents n’ont pas vu d’urines depuis le retour à la maison. Il n’y a pas de signes de déshydratation.
Devant l’urgence présentée, il est décidé de faire téter l’enfant toutes les deux heures et de compléter chaque tétée avec 30g de lait industriel. Il est prévu de réévaluer l’état de l’enfant après 24 heures. Le lendemain, le poids est inchangé, mais le bébé a émis deux selles au cours de la nuit. A J6, les selles et les urines sont nombreuses et le poids est de 3130g. La mère commence à utiliser le tire-lait après chaque tétée pour stimuler la lactation. A J9, elle dit bien sentir la montée laiteuse. L’enfant prend 10 tétées par 24 heures, une tétée sur deux étant complétée avec 60g de lait industriel. Madame R a poursuivi cet allaitement jusqu’au mois d’août (4 mois). Cet allaitement est resté partiel, la lactation de cette mère n’ayant jamais été suffisante pour assurer un allaitement exclusif.
Quelques remarques :
Cette mère a affirmé que ses seins n’avaient jamais été examinés au cours de la grossesse, ni pendant le séjour en maternité.
La sortie a été autorisée alors que la courbe de poids était toujours descendante.
La sortie a eu lieu sans que l’on se soit assuré de la bonne mise en route de la lactation.
La mère a insisté pour faire part de son absence de ressenti de la montée laiteuse sans que cet élément soit pris en compte.
Second cas
Madame P est venue la première fois en consultation d’allaitement alors que son bébé était âgé de 1 mois et 11 jours. Motifs de la consultation : rythme épuisant du bébé et douleurs au cours des tétées. Au moment de la consultation, elle envisage l’arrêt de l’allaitement si cette situation perdure. L’interrogatoire retrouve une chirurgie mammaire pour ptose à l’âge de 18 ans (elle en a actuellement 36). Un premier enfant né en 1998 a été allaité pendant 4 jours, puis l’allaitement a été arrêté devant des douleurs intenses aux mamelons et des pleurs importants du bébé. Un 2ème enfant, né en 2000, a été allaité pendant 10 jours avec les mêmes difficultés, puis sevré sur recommandation du médecin sur un diagnostic de mastite.
L’examen des seins met en évidence des cicatrices péri-aréolaires bilatérales, un sein droit beaucoup plus volumineux, mais cela date de son intervention, dit-elle. Les aréoles sont très tendues autour des cicatrices évoquant de possibles adhérences. La tétée est observée, et ne semble pas poser d’autre problème que les douleurs des mamelons ; l’enfant est bien positionné, a une succion efficace. Il pèse 4470g pour un poids de naissance de 3475g (+ 995 g sur 40 jours, soit presque 25 g/jour).
J’ai proposé à cette patiente des massages aréolaires doux à la lanoline (Lansinoh®). Nous avons longuement discuté du rythme de l’enfant. Je lui ai expliqué que ce rythme était probablement propre à l’enfant et à ses capacités, et qu’il risquait de durer sans que cela soit anormal. Je l’ai revue la semaine suivante. Les douleurs s’étaient beaucoup atténuées et la zone aréolaire était beaucoup plus souple. Les tétées étaient toujours très fréquentes, y compris la nuit, mais le couple acceptait facilement ce rythme car il était rassuré sur sa normalité. A 4 mois, l’enfant est toujours allaité exclusivement, pèse 7400g et mesure 65cm (52 cm à la naissance). Il prend en moyenne 15 tétées par 24 heures (toutes les deux heures la nuit). Les seins sont très souples et il n’y a plus de douleurs.
Mes hypothèses pour cette mère sont les suivantes :
Une probable lésion des canaux lors de la chirurgie. Je ne l’ai pas vue pour ses deux premiers allaitements, mais elle décrit une lactation insuffisante à chaque fois, avec des bébés « affamés », pleurant beaucoup et ayant des courbes pondérales « limites »
Un phénomène d’adhérence ayant entraîné des douleurs vives, et ayant probablement cédé avec la succion du bébé et les massages.
Sa détermination à réussir cette fois l’allaitement de son bébé lui a permis de surmonter ces difficultés malgré la fréquence élevée des tétées.
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