Texte de la conférence donnée à la JIA (Journée Internationale de l'Allaitement) 1997, par le Dr Jack Newman, publiée dans le numéro hors série "JIA 1997" des Dossiers de l'Allaitement.
Programme de promotion de l’allaitement
Introduction
Depuis des années, beaucoup de personnes m’ont demandé pourquoi je me suis intéressé à l’allaitement, et comment j’ai mis en route un service de consultations d’allaitement en 1984. Je souhaite souligner que j’ai étudié dans une prestigieuse école de médecine de Toronto, et que j’ai obtenu mon diplôme avec mention. Je ne dis pas cela pour me vanter, mais uniquement pour souligner le fait que, si mes souvenirs sont bons, le seul cours que j’ai eu à suivre en matière d’alimentation infantile durait une heure et ne parlait que de l’alimentation au lait industriel, il me semble que c’était en 1969. J’ai essentiellement appris comment il fallait préparer les biberons pour un nourrisson, une part de lait homogénéisé, deux parts d’eau, et une cuillère à soupe de sirop de maïs, agiter le tout et voilà. Lorsque le bébé atteignait un certain poids, il fallait adapter les proportions, et mettre une part de lait homogénéisé, une part d’eau, et deux cuillerées de sirop de maïs. Peut-être parce que je n’arrivais jamais à me souvenir des proportions exactes, ou quand il fallait changer, je suis devenu inconsciemment plus réceptif à la notion d’une alimentation plus facile, bien que, comme la plupart des étudiants à cette époque, je n’avais jamais considéré l’allaitement comme quelque chose qui se faisait. L’enseignement en matière d’allaitement n’a que peu évolué depuis dans la plupart des écoles de médecine canadiennes.
Lorsque notre premier enfant est né en 1976, j’ignore pourquoi si moi ni ma femme n’avons jamais envisagé la possibilité de le nourrir au lait industriel. Deux ans auparavant, en 1974-75, ma femme et moi avions voyagé ensemble en Amérique du Sud pendant plus d’un an, faisant du stop depuis l’Amérique Centrale jusqu’à la Terre de Feu, aller et retour ; bien entendu, nous avons vu des mères allaiter aussi naturellement qu’elles respiraient. Nous avons cependant appris, de par notre propre expérience, que si l’allaitement était quelque chose de naturel, ce n’était pas toujours facile et naturel pour nous. Mais comme nous étions en train de travailler dans une région très isolée du nord du Québec, nous n’avions heureusement personne à qui demander des conseils. Ma femme se débrouilla, et allaita notre fils pendant plus de trois ans. Notre premier contact avec La Leche League s’est produit lorsque notre fils avait 18 mois, qu’il tétait toujours, et que nous nous demandions comment faire pour qu’il arrête. Même l’expérience acquise à l’occasion de notre voyage en Amérique du Sud ne nous avait pas préparés à l’allaitement d’un bambin. Nous n’avons pas apprécié la suggestion qui nous a été faite à l’époque, bien qu’il se soit avéré parfaitement judicieux avec le recul, à savoir « prenez votre mal en avance, car l’obliger à se sevrer ne marcherait pas, ne ferait que gâcher la vie de toute la famille, profitez donc de l’allaitement pendant qu’il dure, votre fils finira bien par se sevrer tout seul ».
Lorsque notre second enfant a eu environ 9 mois, nous avons déménagé pour l’Afrique du Sud, et je suis devenu pédiatre au Transei. Là, j’ai appris beaucoup, beaucoup de choses sur l’allaitement. Par exemple, j’ai appris que les bébés et les enfants peuvent réellement mourir s’ils ne sont pas allaités. J’ai réalisé que, alors que l’équipe de pédiatres était submergée de travail, nous pourrions passer notre temps assis confortablement à jouer aux cartes si les simples mesures de santé publiques suivantes étaient appliquées avec persévérance :
1. Suivi et traitement de tous les cas de tuberculose
2. Immunisation universelle des enfants
3. Promotion , soutien et suivi d’un allaitement exclusif pendant les 4 à 6 premiers mois, avec adjonction d’aliments solides par la suite, parallèlement à la poursuite de l’allaitement jusqu’à deux ans et au-delà.
J’ai aussi appris que les fabricants de lait industriel ne déclarent pas forfait facilement. Même au Transkei, assurément une des régions les plus pauvres du globe, il venaient faire la promotion de leur produits. J’ai appris que des personnes pleines de bonnes intentions collaboraient parfois volontiers avec les fabricants de lait industriel. Par exemple, tous les vendredis, les bonnes soeurs de la maternité privée distribuaient des boites de lait industriel à toutes les personnes venaient en demander. La file d’attente, composée de mères démunies, allait plus loin que le coin de la rue. Quelle belle publicité ! Ces femmes et leurs bébés, attendant plus d’une heure dans la chaleur africaine, pour obtenir gratuitement du lait suisse, distribué par des religieuses suisses impeccables dans leurs vêtements blancs soigneusement amidonnés. Si les bonnes soeur, professionnelles de santé compétentes en la matière, distribuent ce lait, et que les gens font la queue pour l’obtenir, alors...
Quand je suis retourné au Canada, deux ans plus tard, j’ai travaillé avec un pédiatre aux urgences de l’Hôpital des Enfants Malades de Toronto. Tous les jours, je voyais des bébés avec des problèmes reliés à l’allaitement. Depuis la déshydratation sévère jusqu’à l’ictère « inexpliqué » en passant par les vomissements de sang. Ce qui me stupéfia fut le peu d’information que les mères recevaient sur l’allaitement. Et ces informations étaient si mauvaises, si stupides, que je commençais à me demander comment il était possible que des femmes puissent réussir à allaiter dans de telles conditions. Le plus frustrant était de constater avec quelle fréquence les femmes se voyaient recommander d’arrêter l’allaitement par les médecins, et ce presque toujours de façon inappropriée.
Lorsque le patron des urgences a demandé aux pédiatres du service de faire un autre type de travail une demi-journée par semaine pour ne pas « disjoncter », il s’est avéré que je n’avais aucune affinité pour les divers types de travail que les autres choisissaient - troubles du comportement, difficultés scolaires et autres. J’ai donc décidé de démarrer une consultation d’allaitement. Je dois admettre que mes connaissances en matière de physiologie de l’allaitement étaient au mieux schématiques, et que mon ignorance sur l’aide à apporter en cas de problèmes pratiques était quasiment totale. Mais je mettais en route quelque chose de neuf, la première consultation d’allaitement au Canada. Je suis aussi tombé dans le piège où de nombreux professionnels de santé se font prendre encore aujourd’hui : je croyais que n’importe qui pouvait aider une mère à allaiter. Comprendre que ce n’est pas le cas m’a pris des années.
La croissance de la consultation
Le tout premier jour de fonctionnement s’est situé en octobre 1984. Avant « d’ouvrir les portes », j’ai contacté La Leche League et le département local de la santé publique, afin d’avoir leur soutien et d’obtenir qu’ils m’envoient des patientes. J’ai envoyé des centaines de lettres aux médecins généralistes du secteur pour leur faire connaître l’existence de cette consultation. J’ai dû affronter le scepticisme de la plupart des gens, y compris celui des animatrices de La Leche League, qui ne pouvaient réellement pas croire qu’un médecin puisse demander leur aide, et celui des infirmières du services, beaucoup d’entre elles se demandant entre haut et bas si cette consultation existerait encore dans un an.
Pendant la première année, j’ai vu 70 mères avec leur bébé. Il y a eu beaucoup de lundis matin où j’attendais les patientes, et beaucoup de matins où je n’ai vu personne. Mais le message est passé peu à peu. J’étais capable d’aider quelques femmes. J’ai commencé à apprendre en observant les mères qui allaitaient. J’ai commencé à aller à des conférences, et à apprendre des choses nouvelles, tout au moins nouvelles pour moi.
A partir de 1990, ma seule occupation professionnelle, en dehors de quelques consultations de pédiatrie générale, était l’aide aux mères allaitantes. Il y avait tellement de problèmes, et tellement de femmes qui voulaient réellement allaiter. Je voyais maintenant des mères et des bébés en consultation d’allaitement 4 jours par semaine, dans 4 hôpitaux différents, et j’ai bien dû voir, en 1996, 1200 à 1300 nouvelles patientes. Certaines viennent de loin. La première mère qui a décidé de faire le voyage pour venir à la consultation a fait 600 km. D’autres consultations se sont ouvertes. Actuellement, dans Toronto et sa grande banlieue, il y a environ 12 hôpitaux qui proposent des consultations destinées à aider les mères qui allaitent. Ma propre consultation est encore généralement considérée comme le dernier recours, et beaucoup de mes patientes me sont envoyées par les autres consultations lorsqu’elles n’ont pas réussi à résoudre le problème. Des consultations d’allaitement fonctionnent maintenant d’une côte à l’autre, de Vancouver à Halifax.
En plus de la consultation, j’ai mis en place une « ligne d’urgence » où les mères et les professionnels de santé peuvent appeler pour avoir un avis téléphonique. Au début, les appels étaient rares, mais j’ai maintenant 300 à 400 appels par mois, alors même que bon nombre d’autres consultations proposent aussi un service d’aide téléphonique. Je reçois des messages par serveur vocal, entre 900 et 2000 sept jours sur sept, sauf quand je ne suis pas en ville. Bien que certains appels ne demandent que quelques éclaircissements, certains font état de problèmes majeurs, souvent non soupçonnés par les parents.
Problèmes vus en consultation
Les trois principaux problèmes que je vois en consultation sont :
1. Les mamelons douloureux
2. La stagnation staturo-pondérale
3. Le bébé qui refuse le sein
A eux trois, ils représentent en gros 80% des difficultés rencontrées. Bien sûr, nous voyons fréquemment des combinaisons de ces différents problèmes, ainsi que d’autres problèmes tels que coliques, faible prise de poids après 6 mois, tumeurs mammaires, canaux lactifères bouchés et mastites, et beaucoup d’autres.
Autres fonctions de la consultation
Outre l’action d’aide auprès des mères, soit en consultation, soit par le biais de la réponse téléphonique, le personnel de la consultation et moi-même essayons de travailler en prenant à la base la plupart des problèmes rencontrés par les mères. En d’autres mots, nous aimerions rendre notre existence inutile. Nous nous efforçons donc de :
1. Eduquer les professionnels de santé afin qu’ils prennent conscience de la nécessité pour eux d’encourager l’allaitement, et du fait que l’allaitement est important, qu’il ne faut pas interférer avec son fonctionnement ou l’arrêter avec légèreté. Il est aussi important que les professionnels de santé sachent comment ils peuvent, en pratique, aider les mères à résoudre les difficultés. Les encouragements marchent bien dans certains cas, mais souvent ce n’est pas suffisant. Ce travail est fait par le biais de conférences, bien que les médecins soient souvent peu enclins à assister à des conférences sur l’allaitement. De nombreux articles ont été publiés, tant dans des publications scientifiques que dans des journaux « grand public ». Nous commençons à constater des changements positifs dans le cursus universitaire des études médicales, et dans celui de spécialisations telles que l’obstétrique et la pédiatrie. Nous avons travaillé à convaincre les auteurs de certains livres de changer les passages sur l’allaitement qui sont inadéquats. Nous avons influencé de nombreux hôpitaux pour les amener à changer leurs routines périnatales, afin qu’elles deviennent plus « amies de l’allaitement ». Nous avons obtenus un de nos plus grands succès dans un petit hôpital de la ville de Toronto dans lequel non seulement les routines périnatales ont été changées, mais aussi toute l’approche de l’allaitement dans presque tous les services de l’hôpital, de façon à ce que l’allaitement soit vraiment encouragé, et que rien ne vienne interférer dans son déroulement.
2. Informer le grand public de l’importance de l’allaitement. Beaucoup de femmes sont au courant, mais, bien souvent, les membres de leur famille ou de leur entourage ne le sont pas. A Toronto, 83% des femmes allaitent après la naissance. Malheureusement, ce taux chute rapidement pas la suite. Cette information est faite par le biais d’articles dans la presse et d’émission à la radio et à la télévision. Le gouvernement ne nous a pas été d’une grande aide en la matière.
3. Etre les avocats des mères qui allaitent. Ces mères ont parfois besoin d’être protégées des professionnels de santé qui ignorent que l’allaitement peut être poursuivi dans presque tous les cas, ou de la bureaucratie qui ignore les besoins particuliers de la mère allaitante et de son bébé.
4. Protéger l’allaitement en travaillant à faire passer dans la législation canadienne le Code de Commercialisation des Substituts du Lait Maternel édité par l’OMS.
5. De travailler à rendre notre société favorable à l’allaitement, de façon à ce que les gens pensent « allaitement » et non « biberons de lait industriel » lorsque l’on parle d’alimentation infantile.
6. De développer les recherches sur l’allaitement. Notre domaine particulier est la recherche sur les aspects cliniques plutôt que sur le taux de phénylalanine dans le lait (par exemple). La mise en oeuvre récente d’un « programme de collaboration pour l’allaitement » à l’Hôpital des Enfants Malades de Toronto en association avec la Division de Pharmacologie Clinique met l’accent sur les rapports entre allaitement et lactation, tout particulièrement lorsqu’un médicament doit être prescrit pendant l’allaitement.
Nous sommes loin d’avoir atteint tous ces buts. En fait, nous avons encore un long chemin à parcourir pour chacun d’entre eux.
Qu’avons-nous appris ?
Depuis 12 ans que la consultation fonctionne, j’ai du voir personnellement peut-être 7000 dyades mères-enfant (avec une centaine de jumeaux, et un jeu de triplés). Je pense avoir appris bien des choses nouvelles, et j’ai confirmé bien des faits que La Leche League savait depuis longtemps être exacts. En voici un résumé.
1. 90% si ce n’est plus des problèmes que nous voyons en consultation sont totalement évitables. Si les mères recevaient pendant leur séjour en maternité l’aide nécessaire, et si elles bénéficiaient d’un suivi correct après la sortie, très peu de mères ne réussiraient pas à allaiter.
2. L’ignorance des professionnels de santé en matière d’allaitement est profonde et répandue. Malheureusement, cette constatation inclut même ceux qui sont favorables à l’allaitement, même ceux qui sont originaires de pays où l’allaitement est la norme, et accepté en tant que tel. C’est en train de changer, mais cela change lentement, et les rechutes sont fréquentes.
3. L’énorme majorité des femmes ont bien assez de lait, beaucoup en ont plus qu’assez. Lorsque le bébé ne prend pas de poids, ce n’est généralement pas parce que la mère ne peut pas fabriquer assez le lait, mais parce que le bébé ne reçoit pas le lait qui est disponible. En réponse à cela, la sécrétion lactée peut diminuer, mais cette baisse est secondaire à un mauvais transfert du lait à l’enfant, elle n’est pas due à une insuffisance primaire. Il est possible de rencontrer une insuffisance primaire, mais c’est rare.
4. Les problèmes de mamelons douloureux ne doivent pas être considérés comme la norme. Il est exact que presque toutes les femmes ont les mamelons douloureux, mais cela ne veut pas dire que c’est normal. Les problèmes de mamelons douloureux peuvent presque toujours être prévenus par un suivi correct du démarrage de l’allaitement.
5. Le principal facteur de la réussite de l’allaitement est que le bébé prenne correctement le sein. Un bébé qui ne tète pas correctement pourra induire des douleurs de mamelons chez sa mère, mais il aura en outre des difficultés à obtenir normalement le lait. Lorsque la sécrétion lactée est abondante, le bébé pourra prendre du poids normalement, mais il y aura souvent un prix à payer : mamelons douloureux, canaux lactifères régulièrement bouchés et/ou mastites, tétées longues et/ou fréquentes, et coliques chez le bébé. Toutefois, une sécrétion lactée abondante ne pourra pallier à la mauvaise succion de l’enfant que dans une certaines mesure ; quand celle-ci est vraiment très mauvaise, même une sécrétion lactée surabondante ne pourra compenser le problème, et le bébé ne prendra que peu de poids, voire pas du tout, ou même en perdre et se déshydrater de façon importante. Lorsque le bébé tète mal, on obtient le même résultat que s’il buvait à un biberon dont la tétine a un trou beaucoup trop petit : le bébé tète et tète, le biberon est plein, mais le bébé n’obtient que peu de lait, et cela pourra être insuffisant. S’il arrive à avoir assez de lait, ce ne sera qu’en passant beaucoup de temps à téter, mais si le trou est vraiment très petit, il pourra passer la journée à tétée et continuer à perdre du poids. Il pourra être frustré et s’agiter pendant les tétées, ou seulement s’endormir, en n’ayant que des mouvements de succion sporadiques sur la tétine. S’il s’endort et que l’on retire la tétine de sa bouchez, il se réveille au bout de quelques minutes et se met à pleurer. Est-ce que ça vous dit quelque chose ?
6. Il y a un signe physique qui montre que le bébé obtient le lait dont il a besoin. Je l’ai appris en observant des mères donnant le sein à leur bébé, et en voyant ce que le bébé faisait quant le lait ne se transmettait pas correctement de la mère à l’enfant. La valeur de ce signal s’est trouvée confirmée lorsque j’ai commencé à utiliser le DAL (Dispositif d’Aide à l’Allaitement) pour donner des suppléments pendant les tétées . J’ai remarqué que dès que le lait arrive dans la bouche du bébé, il change de type de succion : il passe du « tétouillage » à des mouvements de succion plus amples et plus lents, accompagnés d’une « pause » juste avant qu’il ferme la bouche.
7. La plupart des problèmes peuvent être prévenus, et ils peuvent souvent être facilement résolus lorsqu’ils existent. Parfois, cependant, le cercle vicieux « mauvaise prise du sein, succion inadéquate et baisse de la sécrétion lactée » a induit une situation tellement dégradée que nous ne pouvons plus aider la mère. Nous avons appris qu’une prise de poids insuffisante ou même une perte de poids ne nécessitait pas obligatoirement la mise en route d’une supplémentation. Souvent, une meilleure technique de mise au sein est la seule chose nécessaire. Nous avons développé une technique que j’ai appelé « compression du sein ». J’avais remarqué que les femmes du Transkei le faisaient, mais je n’y avais jamais fait attention à ce moment là. Lorsque j’ai vu, à la consultation, une mère chilienne presser son sein pendant que son bébé tétait, je lui ai demandé pourquoi elle faisait cela. « Comme ça, le bébé a plus de lait. C’est ma mère qui m’a dit de le faire ». Bien sûr !
8. Nous avons appris que les mamelons douloureux peuvent bénéficier de certains topiques locaux. Personnellement, j’utilise fréquemment un topique appelé Kenacomb (combinaison d’un antibiotique antistaphylococcique, d’un corticostéroïde et de nystatine) ; je suggère aux mères de l’utiliser après chaque tétée (et de ne pas essayer de l’enlever avant de mettre leur bébé au sein). Nous avons appris que le Candida albicans est une cause fréquente de mamelons douloureux, ainsi que de douleurs profondes du sein en l’absence de tumeur mammaire ou d’inflammation.
9. Le fait que le bébé refuse le sein est dû au fait qu’il ne sait pas comment en obtenir du lait. La principale chose que veut le bébé, c’est d’obtenir du lait. S’il en obtient, il continuera à procéder de la même façon pour en obtenir par la suite. Le truc pour prévenir le refus du sein est de veiller à ce que le bébé soit mis au sein correctement dès la première tétée. En cas de refus du sein, la seule autre chose qui soit importante est d’établir et de maintenir une sécrétion lactée abondante. Si la mère a une sécrétion lactée adéquate, le bébé finira presque toujours par prendre le sein, à condition que la mère reçoive une aide appropriée. Parfois, cela pourra prendre jusqu’à un mois ou 6 semaines avant de réussir à amener le bébé é téter. Nous avons utilisé pour ce faire des techniques telles que l’alimentation au doigt, l’alimentation au gobelet et le DAL.
10. La loi « de l’offre et de la demande » n’est pas aussi simple qu’il y paraît. Chez certaines femmes, la sécrétion lactée est très sensible à un mauvais démarrage de l’allaitement, et la baisse de lait sera très rapide et irrémédiable. D’un autre côté, des femmes qui n’avaient même pas essayé d’allaiter après l’accouchement, et ce pendant une semaine, voire plus, changent d’avis et arrivent à avoir une sécrétion lactée très abondante. En fait, nous avons connaissance de ce dernier fait parce que ces mères viennent à la consultation demander de l’aide pour démarrer leur allaitement. Ces mères, en général, ne voulaient pas allaiter, et elles avaient changé d’avis en voyant qu’elles avaient tellement de lait. Parfois, bien que je ne l’ai pas cru tout d’abord, un stress émotionnel peut tarir d’un seul coup la sécrétion lactée.
11. La Dompéridone est un bon médicament lorsque l’on souhaite augmenter la sécrétion lactée, et il peut être utilisé avec succès dans certains cas (Ndlr : la dompéridone a un effet galactogène rapporté mais n'a pas d'AMM en France pour cette indication) :
a. Lorsque la sécrétion lactée s’est « brusquement tarie »
b. Lorsque la mère s’est vue donner une pilule contraceptive contenant des oestrogènes, et que la sécrétion lactée a diminué. Les mères qui souhaitent une contraception orale et qui allaitent devraient se voir prescrire une pilule contenant uniquement des progestatifs. Toutefois, la « nécessité » d’une contraception orale devrait être soigneusement repensée. Dans bien des cas, cette nécessité est plus une opinion qu’une réalité.
c. Lorsque la mère tire son lait pour un bébé malade, surtout si le bébé est prématuré, la sécrétion lactée pourra baisser après quelques temps, typiquement vers 4-5 semaines après la naissance. Il y a diverses raisons à cet état de fait, mais la dompéridone augmentera rapidement la sécrétion lactée.
d. Pour induire une lactation (allaitement d’un bébé adopté) ou une relactation (redémarrer l’allaitement).
e. Occasionnellement, lorsque la sécrétion lactée a diminué vers 3 à 4 mois, et que les mesures courantes n’ont eu aucun résultat (augmenter la fréquence des tétées, prendre le bébé dans son lit...).
Résultats
1. Environ 25 % des mères qui se présentent avec des mamelons douloureux sont immédiatement et complètement soulagées pendant la mise au sein à la consultation, essentiellement grâce aux informations et à l’aide qu’elles reçoivent pour mettre leur bébé au sein correctement. 50% de mères supplémentaires sont suffisamment soulagées pour pouvoir poursuivre l’allaitement. Avec quelques mesures supplémentaires, telles que compression du sein, utilisation de coupelle, ou emploi correct d’un topique, la plupart des femmes sont guéries en 5 à 7 jours. Seul un faible pourcentage de mères (5%) cessent d’allaiter en raison du problème de mamelons douloureux.
2. Environ 40 % des mères qui ont un bébé de plus de 2 semaines dont la prise de poids est insuffisante arrivent à allaiter exclusivement . Si le bébé a moins d’une semaine au moment de la consultation ce chiffre monte à 80%. Parmi les bébés qui souffrent de déshydratation et qui sont âgées de moins d’une semaine au moment de la consultation, 50% ne reçevront pas de compléments et auront ensuite une prise de poids correcte. Parmi ceux qui reçoivent une supplémentation, la plupart ne reçoivent que le lait exprimé de leur mère, et certains ne reçoivent que de l’eau sucrée. Parmi ceux pour qui des suppléments de lait industriel sont nécessaires, 50 % ne les reçoivent que pendant 2 à 8 semaines. Quelques uns auront besoin de compléments pendant toute la durée de l’allaitement. Un pourcentage significatif des mères se trouvant dans ce cas peuvent allaiter l’enfant suivant sans problème, ce qui rend évident le fait que la mère était capable d’avoir assez de lait.
3. Environ 40 % des bébés qui ne prenaient pas le sein correctement le font et obtiennent suffisamment de lait dès la première ou la seconde consultation. Pour 40% des bébés, il faudra 1 à 3 semaines pour apprendre à téter correctement, et 10% auront besoin de plus longtemps. Parmi ceux qui arrivent à téter correctement, 33% auront besoin de compléments de lait industriel, et 50% d’entre eux ne pourront pas se passer de ces compléments pendant toute la durée de l’allaitement.
4. Les infections du sein et du mamelon à Candida albicans sont parfois difficile à traiter. Toutefois, une combinaison de violet de gentiane et de fluconazole ou de kétoconazole per os pendant 2 à 3 semaines est efficace dans la grande majorité des cas (Sur le violet de gentiane, voir : Controverses autour du violet de gentiane : où en est-on en 2020 ?).
5. Il y a encore beaucoup à faire et beaucoup à découvrir. Il existe des problèmes de mamelons douloureux qui résistent à tous les traitements que nous avons essayés. Il y a des bébés qui refusent obstinément le sein. Il y a des femmes qui semblent ne jamais pouvoir établir une sécrétion lactée adéquate.
Avec une meilleure observation, avec davantage d’expérience, et avec de plus en plus de professionnels de santé qui s’intéressent à l’allaitement, bien des problèmes que nous voyons disparaîtront parce qu’ils seront prévenus. De meilleures approches seront trouvées, qui permettront de résoudre plus rapidement les problèmes, et qui viendront à bout de situation pour lesquelles nous n’avons actuellement pas de remède. Tout bébé mérite le lait de sa mère, et toute mère mérite de pouvoir allaiter son bébé. Même si l’allaitement n’est pas exclusif, une tétine en caoutchouc ou en polyéthylène ne pourra jamais remplacer l’expérience que constitue la prise du sein par le bébé. Les conséquences à long terme de la plus importante expérimentation non contrôlée en matière d’alimentation infantile sont encore à venir. En tant que professionnels de santé, nous devons nous souvenir que l’allaitement est la méthode physiologique d’alimentation des enfants. L’alimentation au lait industriel est une intervention, une possibilité thérapeutique. Dans certains cas rares, elle peut sauver des vies ; à l’occasion, elle peut s’avérer très utile. Mais même les laits industriels les plus modernes sont très différents du lait maternel, tant sur le plan biochimique que sur le plan immunologie. Même le moins informé des professionnels de santé sait cela, mais peu d’entre eux le perçoivent réellement, et en comprennent les implications : à savoir que les professionnels de santé ne devraient pas promouvoir le lait industriel comme une alternative à l’allaitement, mais seulement comme une intervention thérapeutique.
Les professionnels de santé devraient encourager les mères à allaiter, et aider les familles à prendre conscience de l’importance de l’allaitement ; les professionnels de santé devraient donner aux nouvelles mères toute l’aide possible afin que le démarrage de l’allaitement se passe bien, et encourager les mères à allaiter aussi longtemps qu’elles et leurs bébés le souhaitent ; les professionnels de santé devraient réfléchir longuement avant de recommander un arrêt de l’allaitement, dans la mesure où cela n’est que très rarement nécessaire ; les professionnels de santé devraient rechercher l’aide d’autres personnes s’ils n’arrivent pas à aider une mère en difficulté.
Ce n’est pas aux partisans de l’allaitement de prouver que l’allaitement est meilleur. C’est à ceux qui préconisent le lait industriel de prouver que ce dernier ne présente pas de dangers. Cela n’a jamais été fait. Au contraire, les études semblent montrer que les lait industriel peuvent être dangereux. Le fait que bon nombre de bébés humains qui n’ont jamais goûté au lait de leur mère se développent correctement ne démontre qu’une seule chose : nos capacités d’adaptation. Mais il y a des limites à l’adaptation. Nous avons appris, pendant ce vingtième siècle, que même des changements mineurs dans un écosystème peut avoir des répercussions inattendues, et parfois désastreuses et irréversibles. L’abaissement de la prévalence et de la durée de l’allaitement au cours de ces 100 dernières années est, de façon non négligeable, responsable de l’augmentation importante de la population de notre planète pendant la même période. Si nous nous posons des questions sur l’avenir de nos enfants, il est de notre devoir de leur assurer le meilleur départ possible dans la vie. Et le meilleur départ possible est l’allaitement.
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