Le violet de gentiane n'est pas un produit issu de la plante gentiane, c'est un produit chimique. Utilisé en solution aqueuse, il a rendu service pour traiter en première ligne des candidoses mammaires chez des mamans allaitantes. Mais un usage souvent inapproprié en automédication (en particulier une utilisation trop longue) et des incertitudes sur ses effets secondaires rendent son utilisation actuellement controversée.
Le terme violet de gentiane désigne une substance produite industriellement à partir de l’aniline extraite du goudron de houille, utilisée initialement comme colorant, dans l’industrie textile ou cosmétique notamment.
Les propriétés antiseptiques, bactériostatiques et antifongiques du violet de gentiane en solution ont conduit à l’utiliser en application sur des infections de peau, en particulier des candidoses du mamelon chez les femmes qui allaitent et des candidoses buccales (muguet) chez les nourrissons. De nombreux articles en font la mention sur le site (1-9).
Néanmoins, l’utilisation de ce produit est controversée, et les publications récentes invitent à la prudence, comme l’a récemment rappelé un article publié dans la revue Prescrire, qui cite justement le site de LLL France pour l’utilisation du violet de gentiane (10).
Selon la classification CLP (classification, labelling, packaging), le violet de gentiane est :
- H302 - Nocif en cas d’ingestion,
- H319 - Provoque une sévère irritation des yeux,
- H351 - Susceptible de provoquer le cancer,
- H400 - Très toxique pour les organismes aquatiques.
En 2019, Santé Canada a attiré l’attention sur un possible effet cancérogène du violet de gentiane (11). Dans plusieurs études datant des années 1980, résumées dans un rapport de l’Organisation mondiale de la Santé de 2014 (12), du violet de gentiane, utilisé dans l’alimentation de rats et de souris à plusieurs dosages différents (allant jusqu’à 600 mg/kg) pendant 12 à 24 mois, avait notamment eu pour conséquence des augmentations du nombre de leucémies, de cancers thyroïdiens et d’adénocarcinomes du foie.
Outre le risque cancérogène, la littérature scientifique rapporte plusieurs dizaines de cas d’effets indésirables, tels qu’irritations cutanées ou buccales, ulcérations buccales, pharyngites, et des œdèmes de la face chez des nouveau-nés allaités exposés au violet de gentiane. Deux cas se sont compliqués d’œsophagites, laryngites et obstruction laryngée, mais il est cependant difficile de conclure à la seule imputabilité du violet de gentiane, une cause infectieuse étant possible (13).
Le rapport de l’OMS de 2014 (12) fait le résumé suivant : "Les études épidémiologiques ont indiqué que l'utilisation du violet de gentiane en teinture capillaire pourrait être cancérigène chez l'homme, bien que la relation de cause à effet n’ait pas été prouvée (CIRC, 1993 ; Rollison, Helzlsouer & Pinney, 2006 ; Baan et al., 2008). Il est à noter que les études susmentionnées n'ont pas étudié les effets du violet de gentiane lui-même sur la cancérogénicité chez l'homme, bien que le violet de gentiane et les composés apparentés puissent être utilisés comme ingrédients non oxydants dans les teintures capillaires directes dans certains pays. Diamante et al. (2009) ont passé en revue les différentes toxicités signalées du violet de gentiane chez l'homme. Il est démontré que le violet de gentiane provoque une irritation/sensibilisation cutanée (Bielicky & Novák, 1969 ; Meurer & Konz, 1977 ; Lawrence & Smith, 1982), une irritation oculaire (Dhir et al, 1982), une irritation des muqueuses (Slotkowski, 1957 ; Slotkowski & Redondo, 1966 ; John, 1968 ; Horsfield, Logan & Newey, 1976 ; Piatt & Bergeson, 1992) et une irritation de la vessie (Walsh & Walsh, 1986 ; Kim et al., 2003 ; Diamante et al. 2009). Une épidémie de saignements de nez chez les emballeurs de pommes qui utilisaient des plateaux d'emballage teints au violet de gentiane a également été décrite (Quinby, 1968)."
Pour toutes ces raisons, l’ANSM (Agence Nationale de Sécurité du Médicament) statue en 2018 que "la place du violet de gentiane est difficile à évaluer en l’absence de consensus sur le diagnostic de la candidose mammaire et sa prise en charge. Parmi les antifongiques, elle semble cependant limitée en raison des alternatives disponibles et des difficultés liées à son utilisation. Son profil de toxicité n’est pas inquiétant mais peut être amélioré par une diminution de la concentration des solutions proposées et la limitation de la fréquence d’application et de la durée du traitement" (13).
Le protocole #26 de l’ABM (Academy of Breastfeeding Medicine) (14) datant de 2016 mentionne la possibilité d'utiliser le violet de gentiane dans le cas d'infections à Candida pour une durée maximale de 7 jours. Il est difficile de savoir si les conclusions d’études animales dans lesquelles des doses importantes de violet de gentiane ont été ajoutées à l'alimentation de rats ou souris pendant une longue durée peuvent être extrapolées à l'utilisation qui en est faite dans le cadre du traitement d'une candidose mammaire, où la quantité de produit et la durée d’utilisation sont limitées.
En cas de candidose avérée du mamelon chez la maman ou buccale chez le bébé, des traitements alternatifs au violet de gentiane existent et sont également mentionnés dans les articles du site.
En outre, les études montrent que de nombreuses douleurs de l'allaitement, notamment chroniques, sont diagnostiquées à tort comme étant liées à la présence de Candida. En cas de douleurs chroniques du mamelon, d’autres causes sont à rechercher.
Dr Julie HAMDAN, médecin généraliste, animatrice LLL France, DIULHAM, IBCLC
NB. En décembre 2021, l'ANSM a sollicité La Leche League France pour collaborer à la réflexion autour de la rédaction d'un point information à destination des prescripteurs et pharmaciens sur l'utilisation du violet de gentiane dans le cadre de l'allaitement maternel.
(1) J. Newman, Utilisation du violet de gentiane, janvier 2005.
(2) Dossiers de l’allaitement n° 91, Sur le violet de gentiane, 2012.
(3) J. Newman, Protocole pour le traitement du candida, juin 2017.
(4) Dossiers de l’allaitement n° 82, Pommade du Dr Jack Newman adaptée à la France, 2010.
(5) Allaiter aujourd’hui n° 57, Candidose mammaire, 2003.
(6) Dossiers de l’allaitement n° 82, Candidoses du mamelon : questions et doutes, 2010.
(7) Dossiers de l’allaitement n° 63, Abcès du sein, attention aux situations cliniques parfois trompeuses !, 2005.
(8) Dossiers de l’allaitement hors-série JIA, Programme de promotion et de soutien à l’allaitement, 1997.
(9) Dossiers de l’allaitement n° 85, Problèmes de mamelons douloureux, 2010.
(10) Prescrire, Violet de Gentiane pendant l’allaitement : irritant et cancérogène, juillet 2020 ; 441:510.
(11) Santé Canada, “Résumé de l’examen de l’innocuité - Violet de gentiane topique sous forme liquide (violet de gentiane) et pansements antibactériens Hydrofera en mousse”, 12 juin 2019.
(12) Joint Expert Committee on Food Additives (JECFA), Toxicological evaluation of certain veterinary drug residues in food,2014 : 3-34.
(13) ANSM, Groupe de Travail Reproduction, Grossesse et Allaitement, séance du 21 juin 2018, compte-rendu de séance.
(14) ABM, Douleur persistante pendant l'allaitement.
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