Article publié dans les Dossiers de l'Allaitement numéro 61 (Octobre-Novembre-Décembre 2004)
D'après G Binel. Soins Pédiatrie-Puériculture 2003 ; 213 : 30-36.
Environ 8% des enfants naissent prématurément en France. Certains bébés pourront rester en maternité avec leur mère, mais les enfants nés à moins de 33 semaines seront admis en néonatalogie. Pour les mères de ces enfants, l’allaitement ressemblera trop souvent à un parcours du combattant. Elles devront surmonter des obstacles émotionnels, ainsi que des obstacles matériels. L’allaitement est pourtant particulièrement important pour les prématurés : morbidité plus basse, séjour plus court en néonatalogie, meilleur lien mère-enfant, sentiment maternel de faire une chose importante pour son bébé. Réussir l’allaitement d’un prématuré nécessite une solide motivation de la part de la mère, mais aussi le soutien et l’écoute de l’équipe soignante.
La naissance prématurée est habituellement un choc émotionnel important pour la mère. Pour certaines mères, le choix d’allaiter était fait avant la naissance de l’enfant, mais pour d’autres la décision aurait été prise pendant le 3ème trimestre de la grossesse. Lorsque la femme accouche prématurément, la décision d’allaiter sera souvent déterminée par le discours des soignants. S’ils lui disent qu’allaiter un prématuré est compliqué, qu’il ne pourra pas recevoir son lait avant éventuellement des semaines…, à un moment où la mère se sent déjà dévalorisée par cette grossesse qu’elle n’a pas su mener à terme, elle pourra renoncer. La séparation d’avec son enfant va la conforter dans ce renoncement. Elle pourra aussi se sentir obligée d’allaiter, choix qu’elle n’aurait pas fait dans d’autres conditions. Un tel choix sera habituellement remis en question à la moindre difficulté. D’autant que les mères pourront avoir du mal à percevoir les bénéfices de l’allaitement pour leur bébé, s’il ne peut pas recevoir leur lait, ou si elle n’en tire pas suffisamment, ou si leur bébé ne grossit pas suffisamment. Et la relation avec un tire-lait est très différente de la relation avec un bébé.
Si la mère ne décide pas d’allaiter rapidement après la naissance, il sera difficile de revenir en arrière. Il est donc important d’informer la mère aussi rapidement que possible de l’importance de l’allaitement pour son bébé prématuré. Il sera aussi nécessaire de prodiguer un soutien actif. Le prématuré pourra rarement être mis au sein après la naissance. La mère sera facilement découragée par les faibles quantités de lait tirées pendant les premiers jours. Les premières mises au sein pourront être difficiles, ne serait-ce que parce que ce bébé, qui a déjà plusieurs semaines, voire plusieurs mois, a subi des expériences négatives au niveau de la sphère buccale (passage de sondes, médicaments…), et qu’il pourra être réticent devant cette nouvelle expérience. De plus, il se fatigue rapidement, et il prendra donc peu de lait. Le rôle du père est important. S’il valorise la mère, l’encourage et la soutient, elle sera beaucoup plus encline à persévérer.
La mère devra utiliser un tire-lait. Il ne sera pas toujours facile d’en obtenir un pendant le séjour de la femme en maternité. Il ne sera pas non plus toujours facile d’obtenir des informations fiables sur son mode d’emploi, et sur la fréquence optimale d’expression du lait. Se pose ensuite le problème du transport du lait jusqu’au service d’hospitalisation de l’enfant. Dès que le lait ne passe pas directement de la mère à l’enfant, il fait l’objet de contrôles bactériologiques. Si les résultats de ces contrôles sont positifs, le lait sera jeté, ce qui sera très mal vécu par les mères. Si l’enfant ne peut pas encore être nourri par voie entérale, le lait sera congelé, ce qui pourra donner à la mère l’impression qu’elle ne verra jamais « le bout du tunnel ». L’allaitement est un acte de contact physique étroit. Mais le prématuré est placé dans un incubateur, entouré de divers appareils, intubé…, ce qui impose une distance entre la mère et son enfant. Certaines mères ne se verront comme des mères allaitantes que lorsque leur bébé pourra commencer à prendre le sein.
S’il n’est pas plus fatigant pour le bébé de prendre le sein que le biberon, contrairement à une idée largement répandue, la fatigue de la mère sera bien réelle. Après une grossesse qui aura pu être difficile, après un accouchement vécu comme un stress, la mère devra prendre le temps de tirer son lait, et de se rendre dans le service de néonatalogie, qui pourra être éloigné de son domicile, et ce alors qu’elle a peut-être déjà d’autres enfants. L’exemple des mères des autres enfants hospitalisés dans le service aura aussi un impact : un allaitement réussi encouragera les autres mères, une mère qui renonce favorisera le découragement chez les autres. Le personnel doit alors expliquer que tous les cas sont différents. L’équipe soignante doit veiller à transmettre un message positif sur l’allaitement. Il arrive qu’un médecin interdise à une mère d’allaiter, car elle prend des médicaments estimés incompatibles avec l’allaitement. Mais en fait, très peu de produits ou de situations sont réellement une contre-indication. Certains médecins pensent aussi que l’allaitement est trop stressant pour la mère. C’est une erreur : les hormones de l’allaitement ont un impact anti-stress ; de plus, ces mères trouvent habituellement gratifiant de participer activement à la prise en charge de leur bébé. La prise de poids est souvent une obsession de l’équipe soignante, et elle deviendra celle de la mère. Or, un certain nombre de facteurs peuvent augmenter les dépenses énergétiques de l’enfant, et induire un fléchissement temporaire de la prise de poids. C’est alors qu’on propose à la mère de donner des biberons, en lui affirmant que l’enfant prendra plus de poids et pourra sortir plus rapidement ; mais cela pourra aussi amener le bébé à refuser le sein. Et enfin, les soignants doivent se méfier de leur désir (humain) de contrôler la situation. Or, l’allaitement est difficile à contrôler, et les soignants doivent apprendre à renoncer à leur désir de protection et gérer leurs angoisses afin de laisser sa place à la mère.
Un certain nombre d’obstacles viennent aussi du bébé, en particulier lorsque viendra le moment des premières mises au sein. Certes, il connaît l’odeur de sa mère, éventuellement le goût de son lait s’il a pu lécher le mamelon,s’il s’est endormi contre le sein de sa mère, mais le téter activement est une autre histoire. Il a une petite bouche et pourra avoir du mal à prendre le mamelon. La sonde gastrique souvent laissée en place le gênera. Il a rarement très faim. Il se fatigue rapidement, et son niveau d’éveil est plus bas que celui d’un enfant né à terme. Les premières tétées seront donc rarement nutritives, et laisseront souvent les mères déçues.
Les soignants ont un rôle important à jouer pendant toute la durée de l’hospitalisation, pour aider les mères dans leur allaitement. Mais cela ne pourra se faire que si l’allaitement est une priorité dans le service, et cela sera toujours une affaire d’équipe à laquelle participeront les équipes soignantes travaillant en maternité comme les équipes soignantes du service de néonatalogie.
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