Article publié dans les Dossiers de l'Allaitement numéro 66 (Janvier - Février- Mars 2006)
D'après "Partner influence on health behaviour decision-making : increasing breastfeeding duration." LA Rempel, JK Rempel. J Soc Pers Relationship 2004 ; 21(1) : 92-111.
Le point de vue de chaque membre d’un couple joue un rôle important dans les décisions prises par l’autre membre, mais cet impact relationnel reste très peu étudié. Des études ont constaté que le point de vue du père avait un impact important sur la décision maternelle d’allaiter ou non, et sur la durée de l’allaitement. Le compagnon d’une nouvelle mère a de nombreuses opportunités pour influencer ses choix, de façon formelle ou informelle. Il faut toutefois distinguer la perception qu’une femme a du point de vue de son compagnon, et le point de vue réel donné par le père. Des études ont constaté que les pères qui étaient favorables à l’allaitement avaient de meilleures connaissances sur le sujet que les pères qui étaient favorables à l’alimentation avec un lait industriel. Et la durée d’allaitement sera positivement corrélée au niveau de connaissances du père. Il est toutefois difficile de savoir si le point de vue du père est réellement un facteur qui a un impact sur les décisions de la mère, ou s’il reflète essentiellement les convictions de la mère ou la perception que le père en a. Par ailleurs, il serait utile d’en savoir davantage sur les facteurs qui sous-tendent les convictions des mères.
Le père peut influencer directement la pratique d’allaitement en prodiguant ou pas un soutien émotionnel à sa compagne en cas de problèmes d’allaitement, et en apportant une aide pratique (en déchargeant sa compagne de certaines tâches domestiques, par exemple), voire tout simplement en faisant bénéficier sa femme d’une relation de couple gratifiante. Cette étude s’est penchée sur l’impact du point de vue du père sur l’allaitement sur les choix et sur le comportement de primipares.
317 primipares ont été incluses à partir de consultations prénatales canadiennes. Elles étaient âgées de 16 à 42 ans (27,6 ans en moyenne) et étaient en moyenne dans leur 34ème semaine de gestation. 76% étaient mariées, 13% vivaient avec le père de l’enfant à naître, et 10% étaient mères isolées. Au total, 213 futurs pères ont accepté de participer à l’étude. Ils étaient âgés d’en moyenne 30,5 ans. Les futurs parents ont répondu en période prénatale à un questionnaire comportant 25 raisons pour choisir l’allaitement, et 33 raisons pour ne pas choisir l’allaitement ; pour chaque question, ils devaient donner leur avis sur une échelle allant de 0 à 5 (pas d’accord à totalement d’accord). Les raisons couvraient divers domaines : celui de la logique (santé du bébé…), celui des conséquences personnelles (côtés pratiques…) et l’aspect socio-affectif (valeurs personnelles). On a également demandé aux futures mères si elles prévoyaient d’allaiter, et si oui, pendant combien de temps. De leur côté, les pères ont répondu à des questions sur ce qu’ils pensaient de l’allaitement chez leur compagne. Après la naissance, on a demandé aux mères, à chaque point du suivi (1, 2, 4, 6, 9 et 12 mois), si elles souhaitaient poursuivre l’allaitement, et pendant combien de temps, si elles pensaient que leur compagnon approuvait leur choix, dans quelle mesure elles se sentaient soutenues, et si elles estimaient que cela affectait leur décision. Par ailleurs, les mères ont à nouveau répondu au questionnaire administré en période prénatale à chaque point du suivi.
Dans l’ensemble, les pères pensaient qu’il était important que leur compagne allaite pendant les 4 premiers mois. Par la suite, leur conviction pro-allaitement devenait de plus en plus faible, et ils étaient peu convaincus de l’intérêt d’allaiter pendant plus de 12 mois. Les raisons données par les pères en faveur de la poursuite de l’allaitement étaient essentiellement du domaine de la logique, tandis que les principales raisons pour lesquelles un père pouvait souhaiter que sa compagne cesse d’allaiter étaient de l’ordre des considérations pratiques (fatigue ou inconfort éprouvé par la mère).
La durée d’allaitement prévue par la mère en période prénatale était corrélée au point de vue du père : quasiment toutes les femmes estimaient qu’un allaitement de 4 mois était important, mais peu de femmes prévoyaient d’allaiter plus d’un an. Si le point de vue de la mère en période prénatale était un facteur prédictif important de la durée de l’allaitement, le point de vue du père était un facteur prédictif plus important encore que le point de vue maternel en ce qui concernait la durée de l’allaitement à chaque point du suivi post-natal. Les scores obtenus par les pères aux questionnaires en période post-natale étaient corrélés aux éventuelles modifications du point de vue de la mère sur la poursuite de l’allaitement : soit le point de vue du père venait renforcer la décision maternelle, soit il induisait chez la mère un réajustement de sa décision en post-partum. De plus, le point de vue du père en période prénatale sur la durée pendant laquelle il estimait que sa compagne devrait allaiter s’avérait avoir en pratique un impact plus important que le point de vue de la mère sur la durée pendant laquelle elle pensait allaiter au départ ; pour une durée d’allaitement supérieure à 4 mois, la femme modifiait en post-partum son point de vue prénatal pour s’ajuster aux souhaits exprimés par le père en période prénatale.
La perception qu’avait la mère du point de vue du père était significativement corrélée à la durée pendant laquelle elle prévoyait d’allaiter en période prénatale. Toutefois, le point de vue exprimé par le père dans ses réponses au questionnaire avait un impact plus important que la perception maternelle du point de vue du père. Les mêmes corrélations étaient constatées pendant tout le suivi ; par exemple, l’intention de la mère de poursuivre l’allaitement exprimée à 9 mois était corrélée à sa perception de l’accord du père, mais l’était encore davantage à l’accord exprimé par le père dans ses réponses au questionnaire. Les réponses données par le père étaient également un facteur prédictif de la poursuite de l’allaitement plus important que le point de vue de la mère sur l’aide apportée par le père aux divers moments du suivi. Dans l’ensemble, si l’aide et le soutien du père avaient un impact important en particulier pendant les premiers mois, la perception qu’en avait la mère ne suffisait pas à expliquer l’influence du père sur les décisions maternelles concernant l’allaitement.
Le compagnon joue donc un rôle important sur les choix faits par la mère, même si la femme estime que la décision concernant l’allaitement et sa durée lui appartient exclusivement, et même si certains pères affirment que la décision appartient à leur compagne. Le degré avec lequel une femme se sent à l’aise avec l’allaitement pourrait être en partie lié aux messages positifs ou négatifs donnés plus ou moins consciemment par le compagnon. Il était intéressant de constater que le point de vue effectif du père avait un impact plus important sur les décisions de la mère que la perception que la mère avait du point de vue de son compagnon. Une étude avait constaté qu’une action de soutien était plus efficace quand la personne qui en bénéficiait n’en était pas avertie que lorsqu’elle en était avertie. Les résultats de cette étude semblent du même ordre ; une personne avertie pourra effectivement réagir en résistant à l’action si elle ne souhaite pas que cette action modifie son comportement. Il est également intéressant de constater que, dans cette étude, l’impact du père ne se manifestait que pour un allaitement de 4 mois et plus, probablement parce que l’allaitement d’un nourrisson est plus ou moins considéré comme la norme dans cette région du Canada.
Cette étude présente des limitations. Les pères inclus étaient ceux qui avaient accepté de participer. Ils étaient d’un bon niveau socio-économique et culturel, très favorables à l’allaitement pendant les premiers mois. Les résultats ne sont donc pas extrapolables à des couples d’un niveau socio-économique et culturel différent, ou moins motivés pour l’allaitement. La validité du questionnaire utilisé doit être confirmée. Il n’était pas possible d’évaluer avec exactitude la nature précise des influences interpersonnelles. Enfin, cette étude portait uniquement sur des primipares ; cela rend l’interprétation plus simple sur le plan méthodologique, mais les résultats ne seront pas applicables à des multipares. Les auteurs soulignent l’importance d’inclure le futur père dans les actions d’informations sur l’allaitement ; un père qui est informé sur les avantages d’un allaitement long, et sur les moyens de résoudre les problèmes d’allaitement, pourra offrir à sa compagne, directement ou indirectement, un soutien plus efficace. D’autres études sur le sujet seraient intéressantes.
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