Cas clinique publié dans les Dossiers de l’Allaitement n°67 (Avril – Mai – Juin 2006)
Danièle Bruguières, consultante en lactation IBCLC, formatrice LLL France Formation (Hérault)
Pour sa première grossesse spontanée, Mme B a rapidement appris qu’elle portait des triplées. Très motivée par la naissance naturelle et l’allaitement, elle a néanmoins accepté le protocole hospitalier peu négociable pour assurer la sécurité des bébés : hospitalisation à partir de 28 SA, accouchement déclenché selon l’état des fœtus, au plus tard à 34 SA et naissance par césarienne. Ce protocole permet que trois pédiatres soient présents au bloc pour prendre en charge chaque enfant de façon appropriée. En revanche, elle a cherché à s’informer aussi largement que possible sur l’allaitement de multiples : les premiers témoignages qu’elle avait lus faisaient état d’un nombre important d’échecs chez les primipares. Elle a donc contacté plusieurs associations de soutien à l’allaitement et à la parentalité en cas de naissances multiples et lu beaucoup de documentation dont un livre de référence sur l’allaitement des multiples « Mothering multiples » de Karen Kerkhoff Gromada. De nombreuses personnes, y compris parmi les professionnels de santé, ont émis des doutes sur sa capacité à nourrir ses enfants au sein. Elle a réservé un tire-lait à double set de pompage (Symphony® de chez Medela disponible en location auprès de JCS Médical à Lyon) et s’est procuré une soft-cup pour faire donner les compléments par voie orale pendant la phase de gavage. Elle a également acheté un DAL dont elle ne s’est servie que pour tenter de stimuler un peu plus la lactation plusieurs mois après la naissance des bébés.
Elle a accouché par césarienne à 34 SA de trois petites filles, qui ont été nourries par sonde gastrique (lait du lactarium au début). Les bébés pesaient 1,700 kg pour D, 2,080 kg pour A et 2,240 kg pour C. C et A ont eu besoin d’une assistance respiratoire (CPAP) pendant 48 à 72 heures.
La mère a commencé à tirer son lait le lendemain de l’accouchement à J2 mais les suites de la césarienne lui permettaient difficilement de bouger et il lui a été impossible de recueillir les quelques ml extraits. À J2, elle a aussi pu se rendre à l’unité de soins intensifs et faire du peau à peau avec deux des bébés. À J4, une première mise au sein peu efficace a été faite avec A. Elle a été beaucoup soutenue et encouragée dans ces premiers contacts avec les bébés par le personnel de la maternité et des soins intensifs. À J5, la mère et l’un des bébés, C, ont été transférés dans une chambre de l’unité Kangourou mais malgré l’aide pour les mises au sein, le bébé avait du mal à garder le sein en bouche d’autant que la sonde de gavage était toujours en place. À J6, un deuxième bébé, A, est sorti de l’unité de soins intensifs et a commencé à essayer de téter sans la sonde de gavage. La mère se rendait tous les jours au service des soins intensifs pour faire une ou deux séances de peau à peau avec le troisième bébé. Depuis J4, chaque bébé recevait du colostrum en gavage ou à la seringue car la mère tirait plus de 30 ml à chaque extraction. Elle gardait le tire-lait électrique dans sa chambre et avait un tire-lait manuel qui restait à l’unité de soins intensifs dans un bac de stérilisation à froid pour éviter le déplacement d’appareils et les éventuels risques au niveau de l’hygiène.
À J7, la mère n’a pas pu tirer son lait, tant ses seins étaient tendus par la montée de lait. Après une séance de peau à peau avec la petite D restée en unité de soins intensifs, le bébé s’est mis à téter efficacement et a soulagé sa mère fort à propos. La mère s’est alors mise à tirer son lait toutes les 3 heures et demie, jour et nuit. Les jours suivants ont été plus difficiles, car la mère espérait allaiter ses bébés exclusivement au sein rapidement et a dû revoir ses attentes concernant les délais. La sonde de gavage maintenue posait aussi toujours problème pour la mise au sein, et « énervait » visiblement les bébés. De toute façon, les bébés tétaient très lentement et devaient être beaucoup stimulés. La mère a reconsidéré ses objectifs, accepté l’idée qu’avoir tous ses bébés exclusivement au sein allait prendre encore du temps, et s’est autorisée à profiter pleinement des séances de peau à peau. L’exigence de la mère que ses enfants soient nourries sans biberon a créé des tensions avec le personnel par rapport au besoin de succion supposé des bébés. La mère a plusieurs fois retrouvé des tétines dans le berceau de l’un ou l’autre des bébés.
L’utilisation d’un bout de sein proposé par une puéricultrice a grandement aidé les mises au sein (voir le point sur l’utilisation des bouts de sein, DA n°59). À J11, A qui pesait alors 1,960 kg prenait sa ration entièrement au sein, avec le bout de sein, C (poids à J11 : 2,130 kg) s'entraînait toujours, et le troisième bébé D qui avait rejoint sa mère en unité Kangourou, faisait surtout des câlins (poids à J11 : 1,760 kg). À 14 jours, les trois bébés tétaient toutes au sein, pour C et A la nuit aussi. D était toujours sous gavage (au lait de la mère) la nuit, ce qui obligeait la mère à tirer son lait plusieurs fois par jour. À J18, jour de sortie de l'hôpital, les petites filles étaient exclusivement allaitées et pesaient respectivement 1,940 kg pour D, 2,270 kg pour A, 2,320 kg pour C, et leurs courbes de croissance étaient régulières.
La grand-mère des enfants était là pour aider au retour à la maison et le père était très présent pour la nuit. La mère ne tirait plus son lait, mais passait réellement ses journées à allaiter tout en le vivant plutôt bien. Néanmoins, les parents ont traversé des périodes de doutes sur la quantité de lait, et l’hospitalisation de deux des petites pour des opérations chirurgicales courtes a perturbé ce rythme de l’allaitement à la demande. D a été opérée à 2 mois pour une hernie de l’ovaire ; C a été opérée à J30 d’une cataracte congénitale, puis a été réhospitalisée 3 jours à 2 mois et demi pour un étouffement resté inexpliqué (lié semble-t-il à des régurgitations et à la présence de glaires). Lors de l’opération de la cataracte de C, la mère et les trois bébés ont été hospitalisés ensemble dans un autre centre hospitalier, et la mère a déploré que beaucoup de membres du personnel « défilent » dans sa chambre pour contempler ses triplées. La mère l’a ressenti comme un grand manque d’empathie vis-à-vis de ses bébés et d’elle-même ...
Les bébés ont toujours tété assez lentement et ont visiblement été gênés par les biberons reçus malgré les précautions prises par les parents. La mère a identifié que les bébés étaient très impatients au moindre retard du réflexe d’éjection, en revanche, la succion des bébés n’a pas été particulièrement perturbée par l’introduction de ces biberons. Les moments où les bébés étaient décalés dans leurs heures de tétée étaient particulièrement éprouvants. L’allaitement quasi exclusif a duré 6 semaines et les enfants ont été allaités jusqu’à environ 10 mois. Jusqu’à 6 mois, l’une ou l’autre des enfants voire les trois recevait au plus un biberon de lait en poudre par jour. La diversification alimentaire a commencé à 6 mois et a permis de ne presque plus avoir recours au lait en poudre jusqu’au sevrage complet qui s’est fait en douceur. Malgré la culpabilité ressentie temporairement à l’introduction de lait en poudre, cette mère est très satisfaite de son expérience d’allaitement.
Article sur l'allaitement long de triplées, par dans les Dossiers de l’Allaitement n°67 (Avril – Mai – Juin 2006)
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