Article publié dans les Dossiers de l'Allaitement numéro 63 (Avril - Mai - Juin 2005)
D’après "Diagnosing and managing breast disease during pregnancy and lactation."
CEH Scott-Conner. Medscape Women’s Health 1997, 2(3).
Une femme enceinte peut développer n’importe quelle pathologie mammaire observée dans la population féminine. Elle peut aussi présenter une pathologie mammaire spécifique à la grossesse, puis à la lactation. Il sera donc nécessaire de diagnostiquer correctement la pathologie, et ensuite de la traiter d’une façon adaptée à l’état de la femme, à savoir compatible avec la grossesse et avec l’allaitement. Un examen des seins devrait être effectué systématiquement pendant la grossesse, et toute anomalie sera soigneusement évaluée.
Modifications physiologiques pendant la grossesse
La taille et le poids des seins augmentent, en raison entre autres du doublement du poids de la glande mammaire, en préparation à l’allaitement. Le flux de sang double lui aussi, et du colostrum commence à être excrété. Après l’accouchement, la disparition des hormones placentaires lèvera le blocage sur la lactation, et la montée de lait surviendra. Par la suite, la succion de l’enfant entretiendra la lactation, qui peut théoriquement se poursuivre indéfiniment. Lorsque l’enfant cesse de téter, le lait sera résorbé, et la glande mammaire involuera.
Les lésions bénignes pendant la grossesse
Les principales lésions bénignes les plus susceptibles de survenir pendant la grossesse sont les adénomes lactants, les infarctus mammaires, et la gigantomastie. La présence de tissu mammaire ectopique peut aussi devenir apparente, suite à la stimulation hormonale de la grossesse. Le principal objectif est d’éliminer la possibilité d’une tumeur cancéreuse, possible à cette période de la vie, même si cette éventualité est rare.
Les adénomes lactants sont de petites tumeurs discrètes, rondes, bien délimitées. En dépit de leur nom, elles sont plus fréquentes pendant la grossesse que pendant la lactation. On classe parfois dans cette catégorie les fibroadénomes et les hamartomes mammaires, qui augmentent de volume pendant la grossesse et la lactation. Habituellement, les adénomes lactants sont indolores. Ils se situent le plus souvent dans le quadrant supéro-externe. Leur histologie est caractéristique : assemblage dense de lobules glandulaires bien définis. Le diagnostic sera fait sur une ponction à l’aiguille.
Les infarctus mammaires peuvent survenir à l’intérieur des fibroadénomes, des adénomes lactants, des hamartomes, ou même au sein du tissu mammaire hypertrophié. On suppose que leur cause est liée à l’augmentation des demandes métaboliques locales. Une masse préexistante peut soudain augmenter de volume, ou une nouvelle masse apparaître rapidement. Cette masse est souvent mal délimitée, sensible, elle peut adhérer à la peau. Toutes ces caractéristiques rendent particulièrement importante l’élimination d’une tumeur cancéreuse. Habituellement, une biopsie sera nécessaire, la ponction à l’aiguille donnant des résultats peu fiables, en raison de la nécrose de cette tumeur.
La gigantomastie survient avec une fréquence d'environ 1 / 100.000 grossesses ; la taille des seins augmente dans des proportions considérables. Non seulement cette hypertrophie est très inesthétique, mais elle représente aussi une gêne majeure. Elle peut aussi provoquer des ulcérations cutanées, un infarctus mammaire, ou des hémorragies importantes au niveau des vaisseaux mammaires dilatés. Ces complications peuvent être très sévères, voire mortelles. Le poids « normal » d'un sein est d'environ 200 g. Pendant la grossesse, il double habituellement. En cas de gigantomastie, des poids allant jusqu'à 4 à 7 kg par sein ont été rapportés.
La cause de cette anomalie est inconnue. On suppose que le tissu mammaire répond de façon anormale à l'augmentation du taux de progestérone pendant la grossesse. Cette hypertrophie ne survient pas forcément pendant la première grossesse, mais lorsqu'elle survient elle se reproduira généralement pendant les grossesses suivantes. Il n'existe aucune prédisposition raciale. Il n'est pas nécessaire (et il est même déconseillé) de pratiquer une biopsie mammaire, en raison du risque de surinfection et d'hémorragie lié à la biopsie. Cette dernière ne sera effectuée que s'il y a des raisons de suspecter une autre anomalie sous-jacente.
L'étude histologique retrouve une augmentation du volume du tissus glandulaire et du tissu conjonctif, sans augmentation de la masse adipeuse. L'image peut ressembler fortement à celle d'un fibroadénome. Le traitement consiste en la prise de bromocriptine, qui pourra stopper l'augmenta-tion de volume. D'autres traitements hormonaux ont été tentés avec un succès variable. Parfois, un déclenchement avant terme et une chirurgie de réduction seront nécessaires, en raison de la gravité des complications (infection, hémorragie, infarctus mammaire, ou même hyperparathyroïdisme). Un certain degré d'amélioration pourra survenir après l'accouchement. L'allaitement n'est pas conseillé, car cela pourra encore aggraver l'hypertrophie. Une chirurgie de réduction mammaire sera habituellement nécessaire, car les seins ne reviennent pas à leur taille normale même en cas d'involution.
Un écoulement mammaire sanglant (syndrome du tuyau rouillé) n’est pas exceptionnel pendant le 3ème trimestre de la grossesse, en raison de la prolifération de la glande mammaire, qui peut provoquer des lésions au sein des canaux lactifères. L’allaitement peut être débuté (ou poursuivi) ; le saignement disparaît habituellement après la montée de lait. Une mammographie et une biopsie seront indiquées uniquement si l’écoulement sanglant persiste toujours 2 mois après l’accouchement, s’il est localisé à un seul canal lactifère, ou s’il s’accompagne d’une masse mammaire palpable.
Les pathologies mammaires bénignes de la lactation
La principale pathologie rencontrée pendant l’allaitement est la mastite, qui se complique parfois en abcès. On peut aussi rencontrer des galactocèles.
Les mastites seront favorisées par la présence de lésions sur les mamelons, et par la stase lactée (raison pour laquelle ce type de pathologie est exceptionnel chez une femme non lactante). Elles constituent un continuum en fonction de l’importance de l’atteinte locale, de la virulence du germe en cause, et de sa prolifération. Les mastites dites épidémiques surviennent habituellement pendant les premiers jours post-partum, et sont causées par un germe hospitalier, souvent un Staphylocoque doré résistant. Ces mastites sont rares, et le risque d’abcès est relativement important même avec un traitement antibiotique rapide. Les mastites sporadiques sont moins graves et répondent habituellement bien au traitement. Pendant longtemps, on a recommandé aux mères de cesser l’allaitement du côté atteint, jusqu’à ce que l’on constate que « vider » régulièrement les seins était une composante majeure du traitement, afin d’éviter la prolifération microbienne, et que la mastite ne pose normalement aucun problème au bébé allaité. Si nécessaire, une mise en culture du lait avec antibiogramme permettra de bien cibler le traitement antibiotique.
En cas d’abcès, la ponction à l’aiguille, même si elle doit être répétée, est une bonne alternative au drainage chirurgical dans un certain nombre de cas. Lorsqu’un drainage est effectué, il est important de bien examiner l’intérieur de l’abcès, et d’effectuer une biopsie de ses parois, pour exclure la possibilité rare d’un carcinome.
Les galactocèles surviennent pendant la lactation ou peu après le sevrage. Ces tumeurs liquidiennes sont des masses souples, mobiles, souvent sensibles, bien localisées. L’aspiration fait le diagnostic et constitue le traitement. Elle ramènera du lait pendant la lactation ou peu de temps après le sevrage, ou un liquide caséeux si la tumeur a vieilli. Les récidives ne sont pas rares, et plusieurs aspirations pourront être nécessaires. Une mammographie est rarement utile, de même qu’un traitement chirurgical.
Les tumeurs malignes
L’incidence du carcinome mammaire est de 1 / 3000 femmes enceintes aux USA. Avec le carcinome du col utérin, il représente 25% de tous les cancers diagnostiqués pendant la grossesse. Certains pensent que le climat hormonal et immunologique de la grossesse pourrait favoriser la survenue de ce type de cancer, mais cela n’a pas été démontré. Il semblerait que, dans certains cas, le pronostic de ce type de cancer soit particulièrement péjoratif lorsqu’il survient pendant la grossesse.
Le plus souvent, il se présente sous la forme d’une tumeur non douloureuse, découverte par la femme. Cette découverte est rendue plus difficile par l’augmentation de volume des seins et leur modification de consistance pendant la grossesse et la lactation. Les mammographies sont plus difficiles à lire et peu utiles pendant cette période, et l’examen aux ultra-sons représente probablement le meilleur moyen pour une première évaluation, ainsi que la ponction à l’aiguille et la biopsie. La principale difficulté est de décider du moment où une exploration plus poussée d’une masse mammaire devient utile ; dans la mesure où les pathologies bénignes sont de loin les plus fréquentes, une politique agressive de biopsie posera des problèmes ; mais d’un autre côté, décréter qu’une tumeur est bénigne parce qu’elle survient pendant la grossesse ou l’allaitement a pour résultat une découverte tardive de la nature éventuellement maligne d’une tumeur.
Le principal risque d’une biopsie pendant l’allaitement est la création d’une fistule par laquelle du lait s’écoulera. Exprimer un maximum de lait juste avant la biopsie pourra limiter ce risque. La biopsie mammaire pendant la grossesse et l’allaitement nécessite une technique rigoureuse, et une attention particulière à l’hémostase. Les types histologiques possibles de cancer du sein et leur fréquence sont les mêmes que dans la population féminine générale ; on pourra observer des carcinomes inflammatoires, une maladie de Paget, des métastases mammaires d’un autre cancer, un sarcome, une maladie de Hodgkin, un lymphome… Lorsqu’ils surviennent pendant la grossesse, les cancers du sein sont souvent négatifs pour les récepteurs hormonaux, ce qui est probablement en rapport avec le fait que les cancers du sein survenant chez les femmes jeunes sont plus souvent négatifs pour ces récepteurs, et plus souvent peu différenciés et agressifs.
Le traitement sera décidé au cas par cas. Habituellement, on laisse la grossesse se poursuivre en adaptant le traitement. Dans certains cas, une interruption de grossesse ou un déclenchement prématuré pourra être décidé, si par exemple une tumeur importante et sensible au traitement hormonal est diagnostiquée pendant la première moitié de la grossesse. Une mastectomie totale reste encore le traitement chirurgical le plus souvent recommandé en cas de cancer du sein survenant pendant la grossesse. La radiothérapie est impossible pendant la grossesse. La recherche des métastases est plus compliquée pendant la grossesse. Certains agents de chimiothérapie peuvent être utilisés avec précaution, selon que le traitement est à visée curative ou palliative. Chaque fois que possible, la mise en route d’une chimiothérapie sera retardée jusqu’à l’accouchement. Elle contre-indique habituellement l’allaitement.
Le pronostic de ces cancers du sein pendant la grossesse et l’allaitement semble similaire à celui des cancers de même type diagnostiqués chez des femmes d’âge similaire hors la période de grossesse. Une étude concluait que ce pronostic était beaucoup plus mauvais, mais il est difficile de savoir si cela reflète réellement le caractère plus agressif de ces cancers pendant la grossesse, ou si la méthodologie des autres études était de mauvaise qualité. Il faut noter que la définition de « cancer du sein pendant la grossesse » est artificielle ; un cancer du sein pourra parfaitement commencer à se développer pendant la grossesse, et devenir visible beaucoup plus tard (ou inversement).
Des métastases placentaires ont été décrites, mais aucun cas de transmission au fœtus d’un cancer maternel n’a jamais été rapporté (sauf en ce qui concerne le mélanome). Le placenta sera examiné très soigneusement. La découverte de métastases à ce niveau signale un cancer à un stade évolué.
En conclusion
Heureusement, la très grande majorité des pathologies mammaires qui surviennent pendant la grossesse et l’allaitement sont bénignes. Toutefois, un cancer est possible, et le praticien se doit d’être vigilant. En face d’une pathologie qui semble suspecte, il ne faudra pas attendre pour mettre en œuvre une exploration plus poussée incluant une aspiration à l’aiguille ou une biopsie, afin de démarrer le traitement au plus vite en cas de tumeur maligne.
Merci pour ces informations ??????????????
Merci beaucoup pour cet article, c'est trop intéressant
J'ai bien aimé la présentation de l'article et son langage
Merci
je vous remercie pour l'article
Pour poser une question, n'utilisez pas l'espace "Commentaires" ci-dessous, envoyez un mail à la boîte contact. Merci