Article publié dans les Dossiers de l'Allaitement numéro 65 (Octobre-Novembre-Décembre 2005)
Depuis quelques décennies, nous comprenons mieux les maladies auto-immunes. Elles sont mieux diagnostiquées et mieux traitées. De plus en plus de personnes atteintes de maladies auto-immunes survivent longtemps, et leur qualité de survie est meilleure.
Les maladies auto-immunes les plus fréquentes chez les femmes en âge de procréer sont la polyarthrite rhumatoïde (PR) et le lupus érythémateux disséminé (LED). La PR touche environ 1% de la population, dont 85% de femmes. Le LED est moins fréquent, mais là aussi 80 à 85% des personnes touchées sont des femmes. Par ailleurs, si la PR est plus fréquente chez les personnes âgées, le LED débute souvent chez les adultes jeunes. La sclérose en plaque (SEP) est une maladie multifactorielle qui semble avoir une composante auto-immune ; elle débute le plus souvent entre 20 et 40 ans, et touche les femmes dans 2/3 des cas. Lorsqu’une femme jeune est atteinte d’une telle maladie, l’impact éventuel de la maladie et de son traite-ment sur la grossesse et la lactation sera à prendre en compte.
Les mères souffrant de maladies auto-immunes peuvent aussi se poser des questions sur les médicaments qu’elles seront amenées à prendre (anti-inflammatoires, immunosuppresseurs…). Ces femmes peuvent aussi avoir besoin de traitements pour les troubles plus spécifiques induits par leur pathologie. Le risque éventuellement lié au médicament doit être mis en balance avec les inconvénients d’un sevrage précoce.
Ces mères sont souvent chroniquement fatiguées, et cela peut être un grand souci pour elles. Elles auront besoin de savoir que l’allaitement en soi n’est pas fatigant, et qu’il ne sera pas à l’origine d’une exacerbation de leur symptomatologie. Une aide à domicile sera importante pendant l’allaitement.
Le lupus érythémateux disséminé
Pendant la grossesse, environ 60% des femmes présenteront une aggravation de la symptomatologie. Les femmes souffrant de LED et traitées par corticoïdes par voie générale ont un risque plus élevé d’hypertension et d’hyperglycémie. De plus, les femmes qui souffrent de néphrite lupique ont un risque considérablement plus élevé de pré-éclampsie. Il n’existe aucune corrélation entre le risque de LED et le nombre de grossesses.
L’allaitement pourrait protéger vis-à-vis du LED. Dans une étude publiée en 2002, un impact protecteur dose-dépendant de l’allaitement était constaté : le degré de protection augmentait avec le nombre d’enfants allaités et la durée de l’allaitement. On ignore totalement si le LED a un impact sur la physiologie de la lactation ou sur la composition du lait. Il est tout à fait possible que certains leucocytes du lait soient anormaux chez les femmes souffrant de LED et de leucopénie auto-immune ; par exemple, il est probable que si la femme a une neutropénie autoimmune, le taux de neutrophiles sera aussi abaissé dans son lait. L’impact de ce taux plus bas de neutrophiles dans le lait ou au niveau de la glande mammaire est inconnu.
Le fœtus ou le nouveau-né pourra présenter un lupus provoqué par les auto-anticorps maternels qui traversent le placenta. Cela peut survenir quel que soit le degré d’activité du LED chez la mère. Les lésions chez le fœtus sont provoquées par les IgG maternelles dirigées contre les phospholipides. Il est important d’identifier le plus rapidement possible ce problème pendant la grossesse : la prise maternelle d’héparine de bas poids moléculaire, seule ou en combinaison avec de l’aspirine à faible dose, permet d’augmenter la probabilité d’un enfant vivant à la naissance de 0-40% à 70-80%. Si la présence d’un lupus chez le nouveau-né est peu fréquente, les symptômes peuvent être sévères. Dans une étude portant sur 128 enfants nés de 112 mères souffrant de LED, les principaux signes cliniques présentés par les enfants étaient un lupus cutané (16%), des anomalies hématologiques (16%), une augmentation des enzymes hépati-ques (16%). L’existence d’un bloc cardiaque est beaucoup moins fréquente (1,6%), mais son taux de mortalité est élevé ; ce problème est lié à la transmission à l’enfant d’IgG maternel-les anti-SSA/Ro et SSB/La. Les expérimentations in vitro permettent de penser que ces anticorps induisent une fibrose progressive du système conducteur cardiaque. D’autres problèmes cardiaques peuvent être constatés, comme des cardiomyopathies survenant à long terme. On ignore toutefois pourquoi seulement un faible pourcentage d’enfants présenteront ces lésions cardiaques lorsqu’ils sont exposés aux IgG maternelles.
Certains se demandent dans quelle mesure les auto-anticorps peuvent passer dans le lait, et si, dans ce cas, ils sont suscepti¬bles d’induire des problèmes chez l’enfant allaité. Quelques études ont été effectuées sur le sujet. L’une d’entre elles a retrouvé de faibles taux d’IgA et d’IgM anti-ADN natif dans le colostrum humain normal. Mais dans la mesure où ces anticorps peuvent aussi agir sur certains antigènes environnementaux, il est possible qu’ils aient un rôle protecteur vis-à-vis de ces anti-gènes. D’autres études ont d’ailleurs montré que des IgA anti-ADN étaient également des enzymes qui clivaient l’ADN et l’ARN. En pareil cas, l’ADN sera reconnu à la fois comme antigène et comme substrat pour l’enzyme/anticorps. Comme les IgA sécrétoires sont résistantes à la digestion dans le tractus digestif, il est possible que les IgA anti-ADN protègent l’enfant vis-à-vis de l’ADN fabriqué à l’occasion de l’apoptose ou de l’inflammation au niveau du tube digestif, ou vis-à-vis du matériel génétique des divers germes pathogènes présents dans le tractus digestif. Au vu de tous ces faits, il est hautement improbable que les IgA anti-ADN du lait humain aient un quelconque impact négatif chez l’enfant ; ils sont probablement présents pour le protéger.
Le lait humain contient un faible taux d’IgG. Une étude récente a constaté que certaines IgG du lait de femmes atteintes de LED pouvaient réagir avec le complexe SSA/Ro – SSB/La. Toutefois, aucune étude n’a jamais constaté que les IgG du lait humain étaient absorbées au niveau du tube digestif de l’enfant. Au vu des connaissances actuelles, rien ne permet de penser que l’allaitement puisse transmettre à l’enfant des auto-anticorps susceptibles d’avoir chez lui un impact négatif.
La polyarthrite rhumatoïde
Plus de 70% des femmes bénéficient d’une amélioration de leur symptomatologie pendant la grossesse. L’existence d’une disparité entre la mère et l’enfant quant à certains allèles HLA est plus fréquente chez les femmes qui présentent une amélioration pendant leur grossesse.
Certains auteurs avaient conclu que le fait d’allaiter augmentait le risque de PR. Toutefois, une grande étude prospective récente a constaté le contraire : la durée totale d’allaitement chez une femme était inversement corrélée au risque de PR après la lactation. Il n’existe aucune donnée sur l’impact de la PR sur le déroulement de l’allaitement ou sur la composition du lait. Aucun impact sur le fœtus ou sur le nouveau-né n’a été rapporté chez les mères souffrant de PR. Dans la mesure où la pathogenèse de la PR implique des cellules T auto réactives, il serait intéressant de savoir si de telles cellules se retrouvent dans le lait de ces femmes. Actuellement, aucune étude sur le sujet n’a été effectuée.
La sclérose en plaque (SEP)
Cette maladie induit une démyélinisation inflammatoire des fibres nerveuses du système nerveux central, suivie d’une sclérose locale en plaques bien délimitées. La maladie évolue par poussées plus ou moins fréquentes et sévères, entre lesquelles les troubles régressent partiellement. Les symptômes sont très variables en fonction des zones atteintes, et s’aggravent avec le temps, induisant une invalidité progressive. On ignore quels lymphocytes (et/ou quels anticorps) sont spécifiquement impliqués dans le processus démyélinisant. Pour certains spécialistes, inflammation et destruction de la myéline seraient deux processus différents. On a constaté récemment une atteinte axonale, mise en évidence dès le début de la maladie. La SEP ne pose généralement pas de problème particulier pour la grossesse. On a toutefois observé une augmentation du risque d’exacerbation des symptômes pendant la grossesse, et surtout pendant les 3 premiers mois post-partum (sans aucune corrélation avec l’allaitement).
Il n’existe guère de données dans la littérature médicale évaluant l’impact d’une SEP sur l’allaitement. Dans des études évaluant le vécu de mères souffrant de SEP par rapport à la grossesse, quelques-unes ont évoqué la capacité à allaiter ; une femme notait qu’elle arrivait à allaiter tant qu’elle se reposait suffisamment et mangeait correctement ; une autre notait que l’allaitement était gratifiant car il lui permettait d’avoir un lien privilégié avec son enfant, chose particulièrement importante quand la majeure partie des soins devait être assurée par d’autres personnes en raison de l’incapacité de la mère à les assurer elle-même. Bon nombre de ces femmes ne savaient que penser après avoir entendu les avis souvent divergents des professionnels de santé qui les suivaient.
En conclusion
On connaît un certain nombre de choses sur l’impact de ces maladies auto-immunes sur la grossesse et l’accouchement. Aucun effet secondaire sur la lactation, la composition du lait maternel ou sur l’enfant allaité n’a été documenté pour le moment. En particulier, rien ne permet de penser que les auto-anticorps éventuellement présents dans le lait maternel constituent un risque pour l’enfant allaité. Des études sur le déroulement de l’allaitement et sur la composition du lait chez des femmes souffrant de maladies auto-immunes seraient utiles et pourraient être effectuées facilement. Des études à long terme sur ces mères et leurs enfants seraient aussi intéressantes, certaines conséquences pouvant ne devenir visibles qu’au bout d’un certain nombre d’années.
Références
• Autoimmunity, pregnancy, and lactation. AS Goldman. ABM News and Views 2004 ; 10(1) : 5-6.
• Hormonal and reproductive risk factors for development of systemic lupus erythematus : results of a population-based, case-control study. GS Cooper et al. Arthritis Rheum 2002 ; 46 : 1830-39.
• Breastfeeding in the woman with a compromised nervous system. LA Halbert. J Hum Lact 1998 ; 14 : 327-331.
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