L’immunisation via l’allaitement est-elle possible ?
Article publié dans les Dossiers de l'allaitement n° 110 (mai 2016).
Is infant immunization by breastfeeding possible ? Verhasserlt V. Philos Trans R Soc Lond B Biol Sci 2015 ; 370(1671).
L’allaitement est le moyen le plus efficace de prévenir les pathologies infectieuses en début de vie chez le bébé. Les immunoglobulines maternelles sont excrétées dans le lait, et sont source pour l’enfant d’une immunité passive, en attendant que son système immunitaire soit plus mature. Le lait maternel contient également des facteurs bioactifs qui stimulent cette maturation. En se fondant sur la littérature scientifique publiée sur la prévention des pathologies à médiation immunitaire, ainsi que sur les études menées par l’équipe de l’auteur dans le domaine de la prévention des pathologies allergiques, l’auteur estime que l’allaitement pourrait également induire chez l’enfant allaité des réponses à des antigènes spécifiques. Son équipe a constaté que l’exposition orale à des antigènes via le lait maternel induisait une tolérance, ou une réponse immunitaire, en fonction de la nature de l’antigène transféré et des facteurs maternels présents dans le lait qui l’accompagne.
Les données existantes montrent que les antigènes présents dans le lait humain peuvent avoir un impact à court et à long terme sur le système immunitaire de l’enfant. Ce dernier dispose du système HLA hérité génétiquement de ses parents, mais il est également exposé aux antigènes pré-sents dans le lait maternel sous diverses formes. Des études ont constaté que le transfert d’antigènes maternels in utero ou via le lait maternel favorise l’acceptation de cellules provenant de la mère. En cas de greffe de moelle, les antigènes HLA présents dans le lait maternel suffi-saient à prévenir les réactions allogéniques. Des études ont montré que le lait maternel contenait des antigènes originaires de divers organes. Par exemple, on a constaté que le risque de diabète insulinodépendant (DID) était plus fréquent chez les enfants qui n’avaient pas été allaités ; cer-tains auteurs estiment que l’insuline bovine présente dans les formules lactées commerciales pourrait induire une réaction immunitaire croisée avec l’insuline humaine, tandis que d’autres pensent que la présence d’insuline humaine dans le lait maternel induit une tolérance à cette insuline.
La présence dans le lait humain d’allergènes provenant de l’alimentation maternelle est bien dé-crite. Le traitement classique des allergies est l’éviction de l’allergène, et cette stratégie a été étendue au fœtus et au jeune enfant, avec la recommandation d’éviter les allergènes pendant la grossesse et la lactation et les premières années de vie en cas d’antécédents familiaux. Cette stratégie n’a toutefois pas donné les résultats souhaités : la prévalence des allergies a continué à augmenter, et les études évaluant son impact n’ont pas constaté de bénéfices significatifs. Par ailleurs, des études sur des animaux ont démontré que l’exposition aux antigènes via le lait maternel pouvait au contraire prévenir la survenue de réactions allergiques. Cette protection était spécifique à l’allergène auquel le petit avait été exposé via l’allaitement. La tolérance était en rapport avec la présence conjointe dans le lait maternel de l’allergène et de TGF-bêta, et à l’impact de ce dernier sur la régulation des lymphocytes T CD4+. Les auteurs ont également constaté que l’allaitement par des mères sensibilisées à un antigène aérien par le biais d’un aérosol administré pendant la lactation induisait une tolérance robuste et persistante chez le nourrisson vis-à-vis de l’asthme allergique déclenché par cet antigène. Le lait des mères sensibilisées contenait des complexes antigène-IgG spécifiques, qui étaient transférés au nourrisson, et qui induisaient chez lui l’apparition de cellules régulatoires spécifiques de l’antigène T FoxP3(+) CD25(+). L’induction de cette tolérance orale par les complexes immuns ne nécessitait pas la présence dans le lait de TGF-bêta, alors que le TGF-bêta était nécessaire en l’absence de ces complexes immuns dans le lait maternel. La présence d’antigènes aériens dans le lait maternel résulte probablement du transfert de ces antigènes des poumons au tractus digestif, puis de ce dernier à la glande mammaire.
Il est donc logique de poser l’hypothèse selon laquelle le transfert d’un antigène bactérien via le lait maternel pourrait déclencher une réponse immunitaire chez l’enfant allaité, et donc avoir un impact sur sa susceptibilité à long terme à la maladie infectieuse. On sait que le lait maternel peut transmettre divers agents infectieux. Il est donc intéressant de constater que le risque de contamination de l’enfant reste faible même lorsque l’agent infectieux est présent à un taux important. Le lait humain contient de nombreux facteurs qui limitent le risque d’infection (IgA, lactoferrine, oligosaccharides, lymphocytes…). Il serait donc intéressant d’évaluer les réponses immunitaires humorales et cellulaires aux divers germes chez l’enfant exposé à ces germes via le lait maternel. Peu d’études ont recherché les antigènes microbiens dans le lait humain, en particulier en cas d’infection maternelle sans transmission à l’enfant. La possibilité d’un impact de ces antigènes sur le système immunitaire de l’enfant allaité nécessite des études. La vaccination de la mère en fin de grossesse est encouragée afin d’améliorer la protection passive de l’enfant. Les IgG présents chez la mère suite à la vaccination pourraient favoriser l’induction d’une réponse immunitaire aux antigènes bactériens présents dans le lait maternel. Comme dit plus haut, les complexes immuns IgG-antigène induisaient chez l’enfant une forte activation des lymphocytes. Et des données permettent de penser que non seulement les IgG présentes dans le lait maternel, mais également les IgG provenant de la mère et présentes dans le sérum du bébé, pourraient stimuler fortement la réponse immunitaire aux antigènes microbiens présents dans le lait maternel. On sait que la sialylation des immunoglobulines module les réponses immunitaires. On a également démontré que la sialylation des IgG était abaissée en cas d’inflammation, ce qui favorisait une réponse immunitaire effectrice. Il serait donc intéressant d’étudier la sialylation des IgG maternelles pendant la grossesse et son impact.
D’autres études dans ce domaine pourraient amener à la mise au point de nouvelles stratégies de vaccination précoce, fondées sur la possibilité de stimuler une réponse immunitaire spécifique vis-à-vis d’un antigène donné apporté par le lait maternel.
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Détection des allergènes alimentaires dans le lait humain
Article publié dans les Dossiers de l'allaitement n° 110 (mai 2016).
Pastor-Vargas C et al. Sensitive detection of major food allergens in breast milk : first gateway for allergenic contact during breastfeeding. Allergy 2015 ; 70(8) : 1024-7.
Les allergies alimentaires sont un important problème de santé publique, en particulier chez les enfants. Des cas de réactions allergiques chez des nourrissons exclusivement allaités ont été rapportés, qui semblent en rapport avec le passage dans le lait humain d’allergènes provenant de l’alimentation maternelle. Toutefois, cela reste controversé. Le but des auteurs était de rechercher la présence d’allergènes alimentaires dans le lait maternel à l’aide d’une technique d’analyse dans de micro-échantillons.
Les auteurs ont mis au point une technique de recherche des 10 principaux allergènes alimentaires* dans le lait humain à l’aide d’anticorps spécifiques. Ces anticorps ont été incubés avec du lait provenant de 14 femmes. Cette technique a permis de constater la présence de tous les allergènes alimentaires testés dans le lait de ces femmes. Elle pourrait être très utile pour la recherche de ces allergènes et la prévention des allergies, ainsi que dans les études sur le rôle de l’allaitement dans l’induction d’une tolérance ou d’une allergie alimentaire chez les enfants.
* À savoir : la caséine bovine et ovine, la bêta-lactoglobuline bovine et ovine, la profiline de pastèque, la gliadine (présente notamment dans le blé), la parvalbumine (protéine de l'œuf), la thaumatine de pèche, la protéine de transfert lipidique de la pèche, la globluline 11S de moutarde, la protéine de transfert lipidique du blé.
Les allergènes de l’arachide passent rapidement dans le lait humain et peuvent prévenir une sensibilisation
Article publié dans les Dossiers de l'allaitement n° 110 (mai 2016).
Bernard H et al. Peanut allergens are rapidly transferred in human breast milk and can prevent sensitization in mice. Allergy 2014 ; 69(7) : 888-97.
Le rôle des allergènes alimentaires qui passent normalement dans le lait humain reste mal cerné. Le but de cette étude était d’analyser le transfert des allergènes de l’arachide dans le lait humain, ainsi que leur allergénicité ou leurs propriétés immunomodulatrices.
Des échantillons de lait humain ont été donnés par deux mères ne présentant aucune pathologie atopique (et en particulier aucune réaction aux arachides), avant et à divers moments après l’ingestion de 30 g d’arachides grillées. On a mesuré dans le lait le taux d’Ara h 6, de complexes immuns impliquant l’Ara h 6, ainsi que le taux d’IgE spécifiques. L’allergénicité des allergènes de l’arachide a été évaluée par une méthode cellulaire. Enfin, des échantillons de lait humain collectés avant et après l’ingestion d’arachide ont été administrés à des souris de différents âges, qui avaient été préalablement sensibilisées à l’arachide. L’Ara h6 était déjà détectée dans le lait humain 10 minutes après l’ingestion des arachides, le pic d’excrétion étant constaté pendant la première heure. Cet antigène était détecté pendant les 24 heures suivantes. Des IgG spécifiques de l’Ara h 6 et des complexes immuns spécifiques étaient également excrétés, avec une cinétique différente de celle de l’Ara h 6 libre. Les allergènes de l’arachide excrétés dans le lait réagissaient avec les IgE, et pouvaient donc induire une réaction allergique. Cependant, l’administration de lait humain contenant ces allergènes à des souriceaux sensibilisés à l’arachide, en particulier pendant leur allaitement, n’induisait pas une réaction allergique, mais au contraire une tolérance orale partielle.
Les faibles quantités d’allergènes d’arachide immunologiquement actifs excrétés dans le lait de femmes ayant consommé des arachides pourraient prévenir une sensibilisation à l’arachide plutôt que la favoriser.
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