Dossier paru dans le n° 109 des Dossiers de l'allaitement, avril 2016.
Modifications de marqueurs sériques et colostraux chez des femmes en surpoids et obèses
D'après : Changes in the biochemical and immunological components of serum and colostrum of overweight and obese mothers. Fujimori M et al. BMC Pregnancy Childbirth 2015 ; 15 : 166.
La prévalence du surpoids et de l’obésité a fortement augmenté dans de nombreux pays chez les femmes en âge de procréer. Cela augmente le risque de problèmes métaboliques. Par ailleurs, l’obésité augmente le risque d’inflammation systémique et de pathologies fœtales et maternelles pendant la grossesse. Les données concernant l’impact de l’obésité sur la composition du lait maternel sont rares. Le but de cette étude brésilienne était d’évaluer l’impact du surpoids et de l’obésité maternelle sur le taux de divers facteurs sériques et colostraux.
Pour cette étude transversale, 68 mères ont été réparties en 3 groupes en fonction de leur indice de masse corporelle (IMC) : poids normal, 25 mères, surpoids, 24 mères, et obésité, 19 mères. Toutes ces mères avaient accouché à > 37 semaines d’un bébé en bonne santé qu’elles allaitaient exclusivement, et elles ne présentaient pas de mastite ni de lésions sur les mamelons. Peu avant l’accouchement, des échantillons de sang ont été prélevés. 48 à 72 heures après la naissance, des échantillons de colostrum ont été collectés. On a recherché le taux de glucose, de protéines, de cholestérol, de triglycérides, d’Ig, de C3 et de C4, et de protéine C réactive dans le sang et le colostrum. Par ailleurs, des crématocrites ont été effectués sur le colostrum.
Les 3 groupes présentaient des caractéristiques similaires pour l’âge des mères, et l’âge gestationnel de l’enfant à la naissance. Le taux de césariennes était plus élevé chez les femmes en surpoids et obèses. Le poids et la taille des enfants à la naissance étaient similaires dans les 3 groupes. Si la glycémie était similaire dans les 3 groupes, le taux colostral de glucose était significativement plus élevé chez les mères obèses, tout en restant plus bas que la glycémie chez ces mères. Le taux sérique de protéines était positivement corrélé à l’IMC maternel, tandis que le taux colostral était inversement corrélé à cet IMC ; le taux colostral de protéines était > au taux sérique dans les 3 groupes. Le taux sérique de triglycérides et de cholestérol était plus élevé chez les mères obèses, tandis que leur taux colostral était similaire dans les 3 groupes, et plus élevé que le taux sérique. Le taux de lipides et l’apport calorique du colostrum étaient plus élevés chez les mères obèses. Le taux colostral de protéine C réactive était similaire dans les 3 groupes, tandis que son taux sérique était beaucoup plus élevé chez les mères obèses que dans les 2 autres groupes. Le taux d’IgA était significativement plus élevé dans le sang et le colostrum des mères obèses, tandis que les taux sérique et colostral d’IgG et d’IgM étaient similaires dans les 3 groupes. Le taux colostral de C3 était similaire dans les 3 groupes et plus bas que le taux sérique, tandis que ce taux sérique était beaucoup plus élevé chez les mères obèses. Le taux colostral de C4 était similaire dans les 3 groupes et plus élevé que le taux sérique, tandis que ce taux sérique était un peu plus élevé chez les mères obèses.
La principale limite de cette étude est que seul le colostrum a été analysé. Il serait intéressant de faire d’autres études sur le lait de transition et le lait mature. L’augmentation du taux sérique de protéine C réactive, de C3 et de C4 chez les femmes obèses, en rapport avec un niveau plus élevé d’inflammation chez ces mères, n’était pas corrélée à une augmentation de leur taux colostral. Si cette étude permettait de constater les modifications des taux de divers facteurs sériques et colostraux, les modifications constatées dans le colostrum des mères obèses ne sont pas susceptibles d’avoir un impact négatif chez leur enfant allaité. Toutefois, l’augmentation du taux colostral de glucose, de lipides et de calories chez les mères obèses nécessiterait d’autres études.
Anatomie des seins et succès de l’allaitement chez les mères obèses
D'après : Breastfeeding success and breast anatomy in obese women. Gal D et al. Breastfeed Med 2015 ; 10(S1) : S7.
Des études ont constaté que les femmes en surpoids ou obèses étaient moins nombreuses à allaiter, et qu’elles allaitaient moins longtemps. Toutefois, on ignore si cela est en rapport avec des anomalies anatomiques mammaires chez ces femmes. L’objectif de cette étude était de voir si un soutien intensif prodigué à des mères allaitantes obèses avait un impact sur la réussite de l’allaitement, et de rechercher d’éventuelles différences anatomiques mammaires chez ces femmes par rapport à des femmes de poids normal.
Cette étude rétrospective cas-témoin a été menée sur des mères obèses (indice de masse corporelle (IMC) avant la grossesse ≥ 35 kg/m², groupe cas), et sur des mères de poids normal et du même âge (groupe témoin – 36 mères dans chaque groupe). Toutes avaient accouché à terme d’un singleton en bonne santé. Leurs dossiers ont été analysés. On a noté le démarrage de l’allaitement, le don éventuel de suppléments, le score au LATCH (un protocole d’observation de la tétée), ainsi que les anomalies anatomiques mammaires. L’IMC était en moyenne de 44,5 kg/m² dans le groupe cas, contre 26,8 kg/m² dans le groupe témoin. Dans les 2 groupes, toutes les femmes sauf une ont commencé à allaiter. 74 % des mères du groupe cas ont donné des suppléments à leur bébé contre 36 % des mères du groupe témoin. L’anatomie mammaire était similaire dans les 2 groupes sur le plan de la morphologie du sein, des mamelons, et des aréoles. Le score LATCH était également similaire dans les 2 groupes, que ce soit pour la première ou pour la dernière tétée observée pendant le séjour en maternité. 92 % des mères du groupe cas allaitaient au moment de la sortie de maternité.
En dépit d’un soutien intensif, les mères obèses avaient davantage de difficultés de démarrage de l’allaitement que les femmes de poids normal. Toutefois, ces difficultés ne semblaient pas être en rapport avec des anomalies anatomiques mammaires. Le soutien dont ces mères ont bénéficié a toutefois permis d’atteindre un taux très élevé d’allaitement à la sortie de maternité.
Impact négatif de l’obésité sur l’allaitement : facteurs en cause
D'après : Weighing in on obesity and breastfeeding : factors possibly related to lower breastfeeding rates in women with higher BMIs. Kendall-Tackett K et al. Breastfeed Rev 2015 ; 23(2) : 7-12.
L’obésité est devenue un problème majeur de santé publique dans de nombreux pays industrialisés. Il est certain qu’une population qui combine sédentarité, excès alimentaires, et niveau élevé de stress court au désastre. De ce point de vue, les campagnes actuelles de lutte contre "l’épidémie d’obésité" sont une bonne chose. Toutefois, cela induit trop souvent une stigmatisation des personnes obèses, qui sont alors perçues uniquement par rapport à leur poids. Cela peut biaiser notre capacité à aider ces femmes. L’auteur fait le point sur les relations entre l’allaitement et l’indice de masse corporelle (IMC).
Des études australiennes ont constaté une prévalence et une durée plus basses d’allaitement chez les mères en surpoids ou obèses (Donath ; Oddy). On sait que ces mères ont plus souvent des problèmes médicaux pendant leur grossesse et leur accouchement. Mais en fait, on ignore pour quelles raisons exactement ces mères ont de moins bonnes statistiques d’allaitement. Nous devrions nous demander dans quelle mesure la façon simpliste dont l’obésité est abordée par les professionnels de santé n’est pas contre-productive. Une initiative de lutte contre l’obésité récemment lancée par l’Association Américaine de Psychologie pouvait se résumer en quelques mots : il suffit de moins manger. Il est sidérant que des psychologues soient incapables de prendre en compte tous les facteurs psychologiques et émotionnels impliqués dans l’obésité. De même, certains affirment que pour perdre du poids, il suffit juste de le vouloir ; cela signifie que les personnes qui n’y arrivent pas sont coupables d’être trop paresseuses ou indisciplinées. Cela ne prend pas en compte le fait que les personnes obèses ne mangent pas obligatoirement trop ou mal. Des études ont constaté l’impact obésigène de facteurs tels que la dépression, les troubles du sommeil, les antécédents d’abus variés, ou les traumatismes psychologiques (Cappuccio ; Hall ; Kendall-Tackett ; Pulkki-Råback ; Rich-Edwards ; Wegman).
Toutefois, l’IMC n’est pas à lui seul un facteur prédictif fiable de la santé, et contrairement à ce que beaucoup croient, une femme en surpoids peut être en meilleure santé qu’une femme de poids normal sur le plan cardiovasculaire et métabolique (par exemple si la première est physiquement active et pas la seconde). Cela ne signifie pas qu’il faut manger n’importe quoi, mais qu’il est plus important de se préoccuper d’une des conséquences de l’obésité, à savoir le syndrome métabolique. Ce syndrome inclut un taux élevé de triglycérides et de LDL cholestérol, une résistance à l’insuline, et une quantité importante de graisse viscérale. Il est le précurseur des pathologies cardiovasculaires et du diabète. La grossesse induit un syndrome métabolique temporaire, destiné à maintenir la gestation et à répondre aux besoins du fœtus. Et l’allaitement favorise le retour au métabolisme antérieur à la grossesse (Stuebe). Les femmes qui n’allaitent pas ont un risque plus élevé de syndrome métabolique, de diabète, et de pathologies cardiovasculaires (Groer ; Schwartz ; Stuebe). L’auteur a pu constater que, dans de nombreux services de maternité, les femmes en surpoids ou obèses sont très souvent cataloguées comme "à haut risque" pendant leur grossesse et leur accouchement, avant même que d’autres facteurs de risque aient été recherchés. Il n’est donc pas étonnant que ces femmes subissent davantage d’interventions, et aient donc davantage de problèmes. On affirme que c’est le surpoids ou l’obésité qui sont à l’origine des problèmes, mais ça n’est que partiellement exact. Une méta-analyse a constaté que ces femmes ont beaucoup plus souvent des césariennes programmées (Poobalan).
De nombreuses études ont constaté que le surpoids et l’obésité étaient les plus fréquents chez les personnes défavorisées et dans certaines minorités (Afro-américains aux États-Unis, populations indigènes en Australie et en Nouvelle-Zélande, par exemple). D’une certaine façon, un poids élevé est devenu, plus ou moins consciemment, un marqueur social, mais également le signe d’une certaine irresponsabilité, induisant à son tour un certain niveau de paternalisme : les "gros" sont ignorants, paresseux, et incapables de se prendre en charge, ou bien ils doivent être protégés du marketing de l’industrie alimentaire. Cela ne prend pas en compte des faits dérangeants. Comme par exemple le fait que les femmes défavorisées et/ou appartenant à des minorités subissent nettement plus d’agressions physiques et psychologiques que les femmes aisées. Cela vaut également pour l’accouchement : si une femme obèse accouche plus de 2 fois plus souvent par césarienne, elle a aussi un risque significative-ment plus élevé de syndrome de stress post-traumatique suite à la naissance ; une étude faisait état d’un tel syndrome chez 26 % des mères afro-américaines contre 18 % dans l’ensemble de la cohorte (Beck).
Comment soutenir adéquatement les mères en surpoids ou obèses ? Tout d’abord, il est nécessaire de considérer les femmes dans leur ensemble, et non juste comme "des grosses". Certes, leur poids peut induire des problèmes, mais si nous leur affirmons qu’elles vont avoir des problèmes, nous pouvons être sûrs qu’elles en auront. Les professionnels de santé doivent également reconnaître le fait que les diverses interventions pendant la naissance sont très souvent source de stress post-traumatique et de problèmes de démarrage de l’allaitement, et que les femmes en surpoids ou obèses ont un taux significativement plus élevé d’interventions. Il est également nécessaire de reconnaître les biais négatifs de notre société envers les femmes des minorités ethniques et/ou défavorisées, ainsi que la stigmatisation "anti-gros". Quel que soit leur indice de masse corporelle, toutes les femmes ont besoin d’être entourées et soutenues pendant leur grossesse, leur accouchement et leur allaitement. En montrant à ces femmes que nous avons confiance en leur capacité à réussir, nous les aiderons à avoir confiance en elles.
Références
• Beck CT et al. Posttraumatic stress disorder in new mothers : results from a two-stage U.S. national survey. Birth 2011 ; 38(3) : 216-27.
• Cappuccio FP et al. Meta-analysis of short sleep duration and obesity in children and adults. Sleep 2008 ; 31(5) : 19-26.
• Donath SM, Amir LH. Maternal obesity and initiation and duration of breastfeeding : Data from the longitudinal study of Australian children. Maternal & Child Nutrition 2008 ; 4 : 163-70.
• Groer M, Kendall-Tackett KA. How breastfeeding protects women's health throughout their lives. The psychoneuroimmunology of human lactation. 2011, Hale Publishing.
• Hall MH et al. Self-reported sleep duration is associated with the metabolic syndrome in midlife adults. Sleep 2008 ; 31(5) : 635-43.
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• Kendall-Tackett KA. Interventions for mothers who have experienced childbirth-related trauma and posttraumatic stress disorder. Clin Lact 2014 ; 5(2) : 56-61.
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• Poobalan AS et al. Obesity as an independent risk factor for elective and emergency caesarean delivery in nulliparous women : Systematic review and meta-analysis of cohort studies. Obes Rev 2009 ; 10 : 28-35.
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• Stuebe AM et al. Duration of lactation and incidence of type 2 diabetes. JAMA 2005 ; 294(20) : 2601-10.
• Wegman HL, Stetler C. A meta-analytic review of the effects of childhood abuse on medical outcomes in adulthood. Psychosom Med 2009 ; 71 : 805-12.
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