Article paru dans le n° 138 des Dossiers de l'allaitement, septembre 2018.
D'après : Dysphoric milk ejection reflex : a case series. Ureño TL et al. Breastfeed Med 2018 ; 13(1) : 85-8.
Le réflexe d’éjection dysphorique (RED) se caractérise par la survenue brutale d’une dysphorie pendant le réflexe d’éjection, qui disparaît au bout de quelques minutes. Le vécu maternel va de la tristesse à la détresse intense avec pulsion suicidaire, et il peut être suffisamment négatif pour affecter le lien mère-enfant et induire un sevrage. Les données sur le sujet sont limitées et peu de professionnels de santé le connaissent. Ce trouble est différent des sensations physiques (nausées…) que certaines femmes ressentent pendant une tétée, ainsi que de la dépression du post-partum (qui n’est pas spécifiquement corrélée au réflexe d’éjection). Les auteurs présentent 3 cas de RED.
1er cas
Cette femme de 29 ans, secondipare, a un enfant de 3 ans et un bébé de 4 mois. Les 2 enfants sont nés à terme, par voie basse, après une grossesse normale. Ils ont tous les deux été allaités. La mère se rappelle avoir été déconcertée par les sentiments négatifs qu’elle éprouvait brusquement pendant les tétées lors de son premier allaitement. Dès qu’elle mettait son enfant au sein et pendant 45 à 90 secondes, elle éprouvait un sentiment de terreur et d’effondrement, et elle trouvait les aliments répugnants. Ces sentiments disparaissaient totalement après la survenue du réflexe d’éjection, et la mère cotait leur sévérité à 7 sur une échelle de 1 à 10. Sa propre mère lui avait dit avoir ressenti des sentiments du même ordre mais plus agressifs lorsqu’elle allaitait, et cette femme pensait donc que c’était un phénomène courant. Elle a fait des recherches sur Internet, et a fini par trouver une description exacte de ce qu’elle vivait. Elle s’est adressée à des experts de l’allaitement dans sa région, mais ils n’ont pas pu l’aider. Elle a fini par trouver du soutien sur un groupe Facebook.
La reprise du travail après 6 semaines de congé de maternité a été difficile. Elle a expliqué à ses collègues ce qu’elle vivait, ce qui les a rendus plus compréhensifs. Elle se sentait également coupable et craignait que son vécu ait un impact négatif sur son lien avec son bébé. Elle a toutefois continué à allaiter. À environ 6 mois post-partum, elle a constaté que les réflexes d’éjection spontanés (en dehors des tétées) devenaient moins fréquents (5 à 10 fois par jour) et moins intenses. Elle a cependant décidé de tenter de prendre un traitement médical. On lui a prescrit du bupropion, un antidépresseur, qui n’a eu aucun impact et qu’elle a cessé de prendre au bout de 8 semaines. À 12 mois, le RED se manifestait par un sentiment de "mal du pays", et il ne durait plus qu’environ 30 secondes. Il a complètement disparu à environ 16 mois, soit 2 mois après le sevrage spontané de son enfant. Après le sevrage, le RED survenait lors de réflexes d’éjection spontanés, déclenchés par des facteurs tels que le fait de toucher ses mamelons, entendre un bébé pleurer, ou aider une autre mère à allaiter, et parfois même sans cause déclenchante évidente.
Le vécu de cette femme a été quasiment identique avec son deuxième enfant, mais cette fois elle savait ce qui lui arrivait et elle était mieux préparée, ce qui lui a permis d’éviter bon nombre de facteurs dont elle avait constaté qu’ils aggravaient le RED chez elle. Elle avait également moins de réflexes d’éjection spontanés. Elle a tenté une cure d’orpin rose (Rhodiola Rosea), qui a amélioré légèrement les symptômes, mais en raison du coût, elle a cessé d’en prendre. Le RED était toujours intense à 4 mois post-partum, mais la mère était décidée à poursuivre l’allaitement.
2ème cas
Cette femme de 36 ans avait 4 enfants, de 19 ans, 18 ans, 3 ans ½ et 8 semaines. Elle avait accouché à terme pour ses 4 enfants et en avait allaité 3. Elle a expérimenté un RED pendant l’allaitement de ses 2 derniers enfants. Les symptômes avaient débuté 4 à 5 jours après la naissance : creux dans l’estomac et tristesse, le tout durant environ 2 minutes. Elle a d’abord pensé que cela était en rapport avec une dépression du post-partum, puis elle a remarqué que ces épisodes survenaient exclusivement pendant les tétées, et que de plus ils diminuaient dès qu’elle sentait le lait couler.
Si les manifestations étaient similaires, elle a constaté que le RED était plus intense avec son quatrième enfant, et elle cotait leur sévérité à 4 pendant la journée, et 5-6 pendant la nuit. Cela lui faisait appréhender les mises au sein, et elle était anxieuse pendant les tétées. Elle se sentait isolée des autres mères allaitantes. Par ailleurs, sa production lactée est devenue insuffisante avec son quatrième enfant. Elle a commencé à tirer son lait après les tétées et a essayé de prendre du métoclopramide pour augmenter sa production lactée. Elle a constaté que ce produit augmentait l’intensité du RED. En dépit de ses efforts, elle n’a pas réussi à augmenter sa production lactée. À environ 7 semaines, elle a décidé de sevrer en raison de la conjonction du RED, de la production lactée insuffisante et d’une dépression du post-partum. Le RED a disparu environ 5 jours après le sevrage.
3ème cas
Cette femme de 28 ans avait 2 enfants de 3 ans et 1 an. Ses grossesses ont été normales et elle a accouché après la date prévue du terme pour les deux enfants. Elle a présenté une hémorragie du post-partum après son premier accouchement, et aucune complication après le second. Elle a expérimenté un RED pendant ses deux allaitements. Pendant sa première grossesse, cette femme et son mari étaient tous les deux des soldats en service actif dans deux bases différentes. Le mari était présent pour l’accouchement, mais il a dû repartir 3 jours après la naissance. La mère était souvent triste, et ce sentiment de tristesse s’accentuait à chaque mise au sein, pendant 30 secondes à 1 minute. Elle a constaté une même aggravation de la tristesse (cotée à 3 sur l’échelle de 1 à 10) lorsqu’elle tirait son lait. Le même phénomène s’est répété pendant son second allaitement.
Pendant le RED, cette femme avait envie de pleurer, mais elle n’avait pas l’énergie de le faire, elle avait l’impression d’être complètement "vidée", qu’elle allait subir une catastrophe imminente mais ne pouvait rien faire pour y échapper. Elle ressentait également des manifestations physiques pendant le RED : brutale perte d’appétit pendant le réflexe d’éjection, élancements intenses dans les mamelons. Elle a remarqué que le RED était plus intense lorsque l’intervalle entre les tétées et/ou les séances d’expression du lait était plus long. L’intensité du RED a progressivement baissé ; à 9 mois post-partum, il était beaucoup plus facile à gérer et il avait presque disparu à 11 mois. Pour son second enfant, le RED était toujours présent à 12 mois de façon intermittente. Elle estimait que si le RED avait duré plus d’une minute, elle aurait probablement sevré ses enfants plus rapidement. Elle regrettait de n’avoir jamais pu expérimenter le sentiment de bonheur et de gratification ressenti pendant les tétées par de nombreuses mères.
Qu’est-ce que le RED ?
Cette symptomatologie spécifique a été décrite comme un RED pour la première fois en 2007 par Alia Macrina Heise, qui a créé un site sur le sujet en 2008. Le premier rapport de cas a été publié en 2010. Si les mères concernées peuvent maintenant trouver des informations sur Internet, peu de professionnels de santé connaissent ce problème. Il se présente comme une réponse émotionnelle intense qui débute juste avant le réflexe d’éjection, et qui ne dure pas plus de quelques minutes. Cette réponse peut survenir lors de chaque réflexe d’éjection, ou uniquement pendant le premier de chaque tétée. Le RED ne doit pas être confondu avec des réactions purement physiologiques telles que les nausées, ou avec un problème douloureux.
Les sentiments ressentis sont toujours désagréables, mais leur intensité est variable. Les sentiments d’abattement sont les plus courants, l’agitation étant le sentiment le plus rare. Plus le RED est intense, plus il risque de persister longtemps pendant la lactation. Un score de 1 à 3 sur une échelle de 10 indique un RED modeste, et les femmes qui en souffrent ne recherchent habituellement pas d’aide. Le RED disparaît le plus souvent avant 3 mois post-partum, et le fait d’être informée à son sujet suffit habituellement pour bien le tolérer. Un score de 4 à 7 indique un RED d’intensité moyenne, qui durera habituellement jusqu’à 6 à 12 mois. Le fait d’être informée sur ce qui lui arrive suffit le plus souvent pour la mère de gérer le problème. Un score de 7 à 10 amène souvent la mère à arrêter d’allaiter ou à rechercher une aide médicamenteuse : l’intensité des sentiments négatifs peut aller jusqu’au désir de suicide, et le RED ne disparaîtra souvent qu’après le sevrage.
Il existe peu de données sur les causes du RED. Dans la mesure où il est lié au réflexe d’éjection, une implication de la sécrétion de dopamine semble probable. Pendant la lactation, la sécrétion de prolactine est fonction du niveau d’inhibition de celle de dopamine. Une autre possibilité est une baisse anormale du taux de dopamine. Dans de nombreux cas, le fait d’être bien informée sur son problème et de bénéficier de l’aide d’un groupe de soutien aidera la mère à gérer la souffrance émotionnelle ressentie. Certaines stragégies se sont avérées efficaces pour limiter et parfois même supprimer le RED chez certaines mères. Actuellement, il n’existe aucun traitement médical pour le RED. Le bupropion est un antidépresseur prescrit hors indication. C’est un inhibiteur de la recapture de la noradrénaline et de la dopamine. Il est considéré comme utilisable pendant l’allaitement (risque faible), essentiellement parce qu’il n’existe pas de données sur son excrétion lactée. Aucun effet secondaire n’a été documenté, toutefois, deux cas de problèmes chez un bébé allaité par une mère prenant du bupropion ont été rapportés (convulsions, impact possible mais non démontré du bupropion), ainsi que quelques cas de baisse de la production lactée. D’autres produits ont été trouvés utiles par certaines mères : orpin rose, gélules de placenta, complexe de vitamines du groupe B, acupuncture… L’orpin rose est un inhibiteur de la monoamine oxydase, qui augmente la biodisponibilité de la dopamine. Il n’existe aucune étude sur l’utilisation de cette plante pendant l’allaitement, et des études seraient donc nécessaires. Diverses interventions environnementales se sont également avérées utiles : distractions pendant la tétée (lire ou regarder la télévision – mais la mère aura du mal à se focaliser sur autre chose en cas de RED important), augmenter les apports hydriques, augmenter le temps de sommeil, l’exercice physique, réduire la caféine, réduire le stress.
Les cas présentés confirment l’existence du RED. Des études sont nécessaires pour comprendre sa physiopathologie, évaluer sa prévalence et rechercher les traitements possibles. Toutefois, pour de nombreuses femmes, le simple fait de voir leur problème reconnu et nommé par les professionnels de santé et d’être informées sur le sujet pourra être suffisant pour leur permettre de poursuivre l’allaitement.
Je souffre de ça depuis que je suis toute petite, quand moi ou quelqu'un d'autre touche mes tentons, quand je ne mets pas de soutien gorge et très souvent aussi sans aucune stimulation, je ressens d'être littéralement traversée (comme si j'avais in trou dans le coeur) par le froid, un désespoir glaçant et une tristesse sans limite.
je suis enceinte et j'aimerais vraiment allaiter mais j'ai très peur que ça m'empêche de le faire.
J'ai souffert du RED pendant mon tire allaitement, le désir impérieux de donner à n'importe quel prix le meilleur pour ma fille m'a fait poursuivre l'allaitement jusqu'à ses 11 mois (plus de lait, ma fille trouble de l oralité ne voulait pas plus rien manger et surtout plus le biberon)
J'ai énormément souffert j'avais des idées noires, extrêmement sombre, une envie de mourir,un vide extrême un trou noir béant c'était terrible et je me suis sentie isolée je me disais que j'étais anormale. Tout le monde parlait de l allaitement comme un moment de bonheur et d apaisement donc je n'ai rien dit pour pas être jugée même pas à mon mari. Ce n'est que des mois après sur une publication Facebook d'une connaissance que j'ai appris que j'avais un RED, tout s'est éclairé pour moi. Je précise aussi que je déteste qu'on touche à mes mamelons même pendant les rapports sexuels, c'est extrêmement désagréable pour moi. Je souffre aussi du syndrome des ovaires polykystiques'
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