Publiées dans le n° 125 des Dossiers de l'allaitement, août 2017
Amélioration du déroulement de l’allaitement après freinotomie
D'après : Breastfeeding improvement following tongue-tie and lip-tie release : a prospective cohort study. Ghaheri BA et al. Laryngoscope 2017 ; 127(5) : 1217-23.
Le but des auteurs était de déterminer l’impact de la section d’un frein lingual ou labial sur le déroulement de l’allaitement. Cette étude prospective a été menée entre juin 2014 et avril 2015 auprès d’enfants vus en consultation d’ORL. Ils étaient allaités, avaient 0 à 12 semaines, étaient nés à ≥ 37 semaines de gestation, et une chirurgie au laser avait été effectuée pour corriger un frein lingual ou labial supérieur. Un suivi était prévu 1 semaine et 1 mois après la chirurgie. On a exclu les enfants pour lesquels ce suivi n’a pas pu être effectué, ceux qui souffraient d’autres pathologies sévères, ceux dont le frein avait déjà été traité par un autre professionnel, les enfants nés après une grossesse multiple, ou dont la mère avait subi une chirurgie mammaire ou présentait une anomalie mammaire. Les enfants ont été examinés par une consultante en lactation, puis par l’un des auteurs sur le plan de l’anatomie de la langue et de sa mobilité, une évaluation de la succion sur un doigt a été effectuée. Dans un sous-groupe de 60 enfants, le volume de lait absorbé par l’enfant à l’occasion d’une tétée a été évalué par une consultante en lactation IBCLC, par observation d’une tétée dans la semaine précédant l’intervention et à nouveau 1 semaine après celle-ci. Le niveau maternel de douleur a été noté avant la freinectomie, puis 1 semaine et 1 mois plus tard. La mère a également répondu à ces trois moments à la Breastfeeding Self-efficacy Scale Short Form (BSES-SF), à une échelle d’évaluation de la douleur, ainsi qu’à un questionnaire sur les manifestations de reflux chez son bébé.
L’étude a inclus au total 237 dyades mère-enfant. Les principaux problèmes cités par les mères étaient des problèmes de prise du sein (81 %), le fait que le bébé s’endormait lorsque la mère essayait de le mettre au sein (73 %), qu’il mâchouillait le mamelon en tétant (67 %), et que le mamelon était blanc ou déformé après la tétée (68 %). 59 % des enfants avaient 0 à 4 semaines, et 25 % avaient 5 à 8 semaines. 84 % étaient nés par voie basse. 178 enfants ont été traités à la fois pour un frein labial supérieur et un frein lingual, 1 enfant a été traité uniquement pour un frein labial supérieur, et 58 enfants ont été traités uniquement pour un frein lingual. Le frein lingual était postérieur dans 78 % des cas. 8 enfants ont eu une seconde freinectomie dans le cadre de l’étude en raison de l’absence d’amélioration après la première freinotomie. Après la freinectomie, une amélioration significative était constatée pour tous les paramètres. Le score pour la douleur chez la mère passait de 4,6 avant la freinectomie à 2,2 après une semaine et à 1,5 après un mois. Le score à la BSES-SF passait de respectivement 43,9 à 52,3 puis 56,5, tandis que le score pour les manifestations de reflux passait de 16,5 à 13,2 puis 11,6. Dans le sous-groupe des 60 enfants chez qui le volume de lait pris pendant une tétée avait été évalué, celui-ci passait d’en moyenne 3 ± 2,9 ml/min à 4,9 ± 4,5 ml/min, soit une augmentation de 155 %.
Cette étude présente des limitations. Elle n’a pas inclus un groupe témoin, dans la mesure où il n’était pas éthique de ne pas proposer un traitement lorsqu’il était possible, et que quasiment tous les parents à qui la freinectomie a été proposée l’ont acceptée. On pourrait supposer que les problèmes rapportés par les mères auraient disparu avec le temps, mais le principal auteur a effectué des freinectomies chez de nombreux enfants âgés de > 12 semaines en raison de la persistance des problèmes. Les auteurs soulignent que l’existence d’un frein n’est que l’un des facteurs qui peuvent induire des problèmes d’allaitement, et qu’il est nécessaire d’évaluer la statique de la tête et du cou. La principale constatation de cette étude est que le frein lingual était un frein postérieur dans les ¾ des cas (classe III ou IV de la classification de Coryllos). Or, la prévalence de l’ankyloglossie dans la plupart des études était établie à partir de la constatation de freins antérieurs. Il semble que de nombreux enfants présentent un frein lingual postérieur qui n’est pas diagnostiqué, alors qu’il pourrait être traité. La freinectomie laser d’un frein lingual et/ou labial chez ces enfants a induit une amélioration significative du déroulement de l’allaitement, déjà visible une semaine après l’intervention, qui se confirmait au bout d’un mois. Cette amélioration était constatée quel que soit le type de frein.
Étude de Ghaheri sur la freinotomie : des conclusions non justifiées ?
D'après : Conclusions of Ghaheri’s study that laser surgery for posterior tongue and lip ties improves breastfeeding are not substantiated. Douglas P. Breastfeed Med 2017 ; 12(3) : 180-1.
Ghaheri et al publient une étude (voir ci-dessus) dans laquelle ils rapportent une amélioration significative du déroulement de l’allaitement après freinotomie au laser chez des enfants présentant un frein lingual (essentiellement un frein postérieur) ou labial. Au total, 179 enfants ont été traités à la fois pour un frein labial supérieur (dont un seul enfant traité uniquement pour cela) et un frein lingual, et 58 enfants ont été traités uniquement pour un frein lingual. 8 enfants ont eu une seconde freinotomie dans le cadre de l’étude suite à l’absence d’amélioration après la première freinotomie. Malheureusement, cette étude présentait des biais significatifs.
Les auteurs n’ont pas pris en compte de nombreuses variables confondantes, et confondent corrélation et relation de cause à effet, ce qui constitue un biais fondamental. Des études ont montré que le score à la BSES-SF (Breasfeeding Self Efficacy Short Form) augmente avec le temps sans aucune intervention : cette échelle évalue le niveau maternel de confiance en soi, qui est influencé par de nombreux facteurs. Les problèmes de mamelons douloureux s’améliorent souvent dans les 7 à 10 premiers jours sans intervention. Les auteurs ne décrivent pas les éventuelles interventions menées pour améliorer les pratiques d’allaitement avant qu’ils aient vu les enfants (vus par une consultante en lactation) pour la chirurgie laser, ni du soutien éventuellement reçu par les mères après l’intervention. Rien ne permet de penser que la présence d’air dans l’estomac augmente la prévalence du reflux chez les nourrissons, et aucune des études menées sur le sujet n’a constaté que les bébés chez qui une ankyloglossie avait été constatée, ou qui avaient des problèmes de succion, avaient davantage d’air dans l’estomac que la moyenne. Par ailleurs, le questionnaire utilisé pour évaluer le reflux est peu fiable chez les enfants de moins de 12 mois en raison de la fréquence des comportements suggérant un reflux chez ces enfants en l’absence d’œsophagite. Les auteurs constataient une augmentation de la prise de lait au sein dans un sous-groupe sur lequel aucune donnée n’était fournie, pas même l’âge du bébé ou le délai entre les deux observations, mais la consommation de lait augmente avec le temps pendant les premières semaines.
L’étude de Ghaheri et al est fondée sur diverses affirmations infondées concernant la validité du diagnostic de frein lingual ou labial et sur les raisons des problèmes qu’ils induisent. Il serait urgent de mener une étude randomisée évaluant un traitement chirurgical versus un traitement visant à améliorer la prise du sein chez ces enfants. Les auteurs n’ont pas inclus de groupe témoin dans leur étude, car ils estimaient qu’il n’était pas éthique de laisser des enfants non traités. Cependant, d’après une méta-analyse sur le sujet, il n’a pas encore été réellement démontré que le diagnostic de frein lingual ou labial était fiable ou utile et que la freinotomie présentait un bénéfice. De même, il n’a pas été démontré que la freinectomie au laser présentait aussi peu de risques que ce qu’affirment ses partisans, et il en est de même pour les exercices d’étirement de la cicatrice préconisés par certains. Enfin, le coût de la chirurgie pour les parents et pour le système de santé est significatif.
Les mères et leurs bébés ont besoin des meilleurs soins en matière d’allaitement, correspondant à des données scientifiques fiables, et non de technologies "miracle" coûteuses et d’un intérêt non démontré.
Réponse à Douglas
D'après : Response to Douglas. Breastfeed Med 2017 ; 12(3) : 182-3.
BA Ghaheri et M Cole ont répondu au commentaire de P Douglas. Ces auteurs estiment que Douglas a choisi de souligner uniquement les faiblesses de leur méthodologie en laissant de côté les points forts. S’ils reconnaissent que le score à la BSES-SF s’améliore avec le temps sans aucune intervention, ils estiment que l’amélioration 1 semaine après la freinotomie n’est pas liée à cette amélioration spontanée. Ils soulignent que tous les bébés inclus dans leur étude ont été vus par une consultante en lactation IBCLC avant l’intervention. Ils affirment que des études ont démontré une amélioration clinique après chirurgie pour un frein lingual postérieur. Certes, une étude randomisée serait l’idéal, mais il est peu probable qu’elle serait acceptée sur le plan éthique en raison des risques pour les bébés et leurs mères induits par le retard dans l’intervention chirurgicale. Ce que Douglas affirme concernant le questionnaire d’évaluation du reflux est déplacé. Ce questionnaire est parfaitement fiable pour évaluer des signes spécifiquement associés au reflux, qui permet d’éviter des procédures invasives. Le fait qu’il n’existe pas de données sur l’aérophagie chez ces enfants n’invalide en rien la constatation d’une amélioration clinique en la matière après l’intervention, et une autre étude a décrit le même phénomène. Concernant l’augmentation du volume de lait consommé, là encore ce volume augmente naturellement avec le temps, mais l’amélioration constatée en une semaine est très probablement en rapport avec l’intervention. Enfin, une excellente méta-analyse a constaté que la freinotomie n’induisait aucune complication sérieuse.
Les auteurs reconnaissent que la plupart des études cliniques sur l’allaitement peuvent présenter des biais, et que l’effet placebo est une réalité. Toutefois, ils pensent que le suivi des enfants permet aux cliniciens d’évaluer dans quelle mesure le résultat est bien en rapport avec l’intervention effectuée. Douglas semble estimer que l’incision d’un frein postérieur est profonde, alors qu’en fait la muqueuse est incisée sur seulement environ 1 mm de profondeur. Cette méconnaissance du protocole chirurgical est probablement à l’origine de certains des préjugés de Douglas. Enfin, les auteurs pensent que la dichotomie entre frein antérieur et frein postérieur est arbitraire, et que tous les freins linguaux doivent être totalement incisés, ce qui inclut les fibres postérieures, afin d’obtenir un résultat optimal.
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