Publié dans le n° 171 des Dossiers de l'allaitement, juin 2021.
D'après : Breast pathology that contributes to dysfunction of human lactation : a spotlight on nipple blebs. Mitchell KB, Johnson HM. J Mammary Gland Biol Neoplasia 2020 ; 25(2) : 79-83.
Les mères allaitantes peuvent rencontrer une grande variété de problèmes, en particulier au démarrage de l’allaitement. Les ampoules de lait sont des lésions inflammatoires qui touchent les mamelons des mères allaitantes. Elles sont généralement douloureuses pendant la tétée et peuvent induire une obstruction d’un canal lactifère. Il existe très peu de données sur ce problème. Toutefois, un article portant sur une série de cas a été publié, dans lequel des biopsies ont été effectuées chez les femmes touchées. Ces biopsies montraient la présence d’histiocytes dont le cytoplasme présentait des vacuoles et des dépôts de fibrine, mais ne retrouvaient pas de contamination bactérienne ou fongique. Les ampoules sont remplies d’un liquide séreux ou lacté, et elles peuvent se rompre avec création d’une lésion sur le mamelon. Si certaines femmes présentent une seule ampoule sur un mamelon, d’autres en présenteront plusieurs, au niveau de l’orifice de plusieurs canaux lactifères des deux mamelons. Les auteurs présentent des cas de femmes vues pour des ampoules sur les mamelons dans le cadre de leur consultation de lactation située à Greenville (États-Unis).
Il n’existe aucune donnée sur la prévalence de ce problème, qui a représenté 17 % des femmes vues en consultation par les auteurs entre novembre 2016 et juin 2019. Les 34 mères concernées avaient de 21 à 44 ans, 18 étaient d’origine hispanique et 12 étaient d’origine caucasienne. 16 avaient accouché depuis < 3 mois au moment de leur première consultation, et l’âge de l’enfant allait de 3 semaines à 3 ans. 17 femmes étaient primipares et, parmi les multipares, presque toutes avaient allaité au moins un enfant précédent (sans présenter d’ampoules sur les mamelons). 15 femmes tiraient régulièrement leur lait, et 2 d’entre elles tire-allaitaient exclusivement. 11 avaient une production lactée plus abondante que nécessaire pour les besoins de leur bébé, tandis que 2 avaient une production lactée insuffisante et prenaient des galactogènes. 6 mères avaient des antécédents de mastite. 23 mères avaient pris des antibiotiques pendant les semaines précédentes, dont 8 mères qui avaient accouché par césarienne. Le bébé de 5 mères a dû être transféré en néonatalogie.
Toutes ces femmes ont été informées sur les pratiques optimales d’allaitement. On leur a conseillé d’arrêter de tirer leur lait, sauf si elles étaient régulièrement séparées de leur bébé ou si elles tire-allaitaient exclusivement. Les mères qui avaient une production lactée surabondante ont été conseillées sur les stratégies permettant d’abaisser la production lactée. Une crème à la triamcinolone (un corticoïde) a été prescrite à 33 mères afin de limiter l’inflammation locale et de rendre les tétées moins douloureuses ; la crème était à appliquer en petite quantité plusieurs fois par jour après une tétée. On a recommandé à toutes ces mères sauf 2 de prendre des suppléments de lécithine ; concernant les 2 mères à qui cela n’a pas été recommandé, une avait déjà sevré au moment de la consultation et l’autre présentait des ampoules depuis des semaines de façon chronique avec d’importantes cicatrices locales. Des antibiotiques ont également été prescrits à 15 femmes en raison d’une mastite aiguë ou subaiguë. Un traitement par ultrasons a été pratiqué chez 5 femmes souffrant d’un canal lactifère bouché non résolu par d’autres stratégies. Une ampoule induisant une obstruction importante des canaux lactifères a été percée chez 2 femmes à l’aide d’une aiguille stérile. Dans la majorité des cas, une seule consultation a été suffisante pour résoudre le problème.
Une femme, vue pour la première fois à 5 mois, n’a pas pris de lécithine ni appliqué de pommade à la triamcinolone. Pendant des mois, elle a crevé elle-même l’ampoule. Elle est revenue en consultation 12 mois plus tard avec une ampoule très volumineuse, douloureuse et inflammatoire. On a alors injecté 0,25 cc de triamcinolone à 40 mg/cc dans l’ampoule, ce qui a induit une amélioration significative. Une seconde injection a été effectuée 3 semaines plus tard, mais elle a aggravé la douleur et ce traitement a donc été arrêté. Elle s’est représentée encore 5 mois plus tard et a demandé une excision de l’ampoule qui devenait de plus en plus hypertrophique. Cela a été effectué pendant la consultation, et on lui a fourni une pommade à appliquer sur la lésion pendant 1 semaine. À ce moment, la lésion était quasiment cicatrisée, même si une minuscule ampoule était encore visible. L’examen anatomopathologique a constaté une hyperplasie squameuse.
Une autre femme souffrant d’hyperproduction lactée présentait également régulièrement des épisodes de mastite pour lesquelles elle était traitée par antibiotiques. Elle souffrait aussi de problèmes de canaux lactifères bouchés. La prise de probiotiques a limité efficacement les épisodes de mastite, et celle de lécithine et l’application de triamcinolone ont amélioré significativement les ampoules. L’hyperlactation a été gérée par "block feeding" (don à l’enfant d’un seul sein pendant une période donnée – quelques heures habituellement – l’autre sein étant ensuite proposé pendant la même durée), tisanes de sauge et pseudoéphédrine. À 6 mois post-partum, elle a commencé à prendre une pilule contraceptive œstroprogestative pour abaisser sa production lactée, ce qui a fait disparaître l’hyperproduction et les ampoules de lait dans les 15 jours suivants. À 16 mois, elle n’avait présenté aucune récidive.
Une femme qui tire-allaitait exclusivement souffrait de mastite sévère et de plusieurs ampoules sur les 2 mamelons. Une analyse bactériologique a été effectuée sur un échantillon de lait, qui a retrouvé la présence d’un Staphylocoque doré multirésistant. Une antibiothérapie adaptée lui a été prescrite, ce qui a résolu les problèmes.
16 femmes ont pu être suivies jusqu’à résolution totale du problème. Le délai entre la consultation et cette résolution était de 6,6 ± 5,2 semaines. Il était résolu dans le mois suivant la première consultation chez 8 femmes, et entre 1 et 2 mois chez 5 autres femmes. Le délai nécessaire pour obtenir la guérison était plus large chez les femmes qui souffraient également de mastite lors de la première consultation (2 à 20 semaines contre 2 à 7 semaines chez celles qui ne souffraient pas de mastite). Après analyse multivariable, l’existence d’une mastite était significativement corrélée à un délai pour la guérison > 1 mois.
Les ampoules sur les mamelons constituent un problème qui est loin d’être exceptionnel chez les mères allaitantes. Leur gestion nécessite de prendre en compte des facteurs souvent retrouvés chez ces mères, à savoir la production lactée surabondante, les canaux lactifères bouchés et les dysbioses. Diverses hypothèses ont été émises. Ces ampoules pourraient être une manifestation de l’obstruction profonde de certains canaux, d’un profil spécifique des lipides lactés ayant un impact sur la viscosité du lait maternel (que la prise de lécithine semble aider à résoudre), d’un déséquilibre entre la production lactée et les besoins du bébé (hyperproduction lactée en particulier, y compris au niveau d’une zone spécifique de la glande mammaire). Certains spécialistes estiment que l’apparition des ampoules est favorisée par des lésions superficielles induites par une succion incorrecte de l’enfant, mais les auteurs ont constaté la présence d’ampoules chez des femmes n’ayant jamais présenté de lésions mammaires. La survenue de multiples ampoules chez certaines femmes ne serait pas un facteur favorisant des lésions cutanées. Globalement, la majorité des femmes ont bien répondu à un traitement combinant la prise de lécithine, l’application locale de triamcinolone, et la prise d’antibiotiques en cas de mastite ou de dysbiose. À noter que nombre des femmes incluses dans cette présentation présentaient des facteurs de risque de colonisation par un germe multirésistant (déficit immunitaire, antibiothérapie, travail en milieu médical ou dans une crèche…). Toutefois, les cas présentés ici représentent uniquement l’expérience des auteurs, et d’autres études incluant davantage de femmes seraient nécessaires. Il serait également important de mener des études afin de mieux comprendre l’étiologie de ce problème : analyse de la composition lipidique et de la viscosité du lait chez les femmes présentant ou non des ampoules sur les mamelons, fonctionnement glandulaire favorisant l’hyperlactation, présence de certaines caractéristiques anatomiques favorisant l’obstruction des canaux lactifères. Cela pourrait amener à découvrir de nouvelles stratégies de gestion des ampoules sur les mamelons.
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