Publié dans le n° 180 des Dossiers de l'allaitement, mars 2022
La constipation est un problème courant, en particulier en post-partum si des antalgiques opiacés sont prescrits à la mère. De nombreux produits peuvent être utilisés pour prévenir ou traiter la constipation, allant des plantes traditionnelles aux médicaments de synthèse. Presque tous ces produits sont en vente libre. Certains sont inoffensifs, d’autres peuvent induire d’importants effets secondaires.
Les hydrocolloïdes
Ces substances (mucilages, gommes de guar, psyllium, son…) augmentent le volume des selles et n’ont aucun passage systémique. Ils représentent le premier choix pendant l’allaitement. À noter que l’exposition aérienne au psyllium peut induire une sensibilisation allergique et que des chocs anaphylactiques ont été rapportés chez des personnes exposées au psyllium dans le cadre de leur travail lorsqu’elles en absorbaient. Le calcium polycarbo-phile est un stabilisant des selles. C’est un polymère synthétique d’acide polyacrylique. Lui non plus n’est pas absorbé par voie orale. Le gel d’aloe vera (gel présent dans le centre des feuilles fraîches) contient des monosaccharides et des polysaccharides qui agissent comme des hydrocolloïdes, ainsi que de l’allantoïne, des enzymes et de l’acide salicylique. Ce gel est un laxatif moyennement efficace qui ne doit pas être confondu avec le suc d’aloe vera, extrait de la paroi intérieure des feuilles, qui est une anthraquinone dont l’effet laxatif est puissant.
L’huile de paraffine (Lansoÿl®, Laxamalt®, Lubentyl®, Restrical®)
Utilisée comme lubrifiant, elle n’est pas absorbée non plus ; à noter qu’elle peut induire une diminution de l’absorption des vitamines liposolubles (A, D, E, K) et induire des carences en cas d’utilisation au long cours, le taux lacté de ces vitamines étant souvent fonction de l’absorption maternelle. Une étude a recherché son excrétion lactée chez des femmes (nombre exact non précisé) qui en ont pris 15 ml le 1er jour post-partum, et en ont éventuel-lement repris les jours suivants si nécessaire. Aucun enfant n’a présenté de selles anormales, mais aucun d’entre eux n’était exclusivement allaité (Baldwin). L’huile de paraffine ne doit pas être associée au docusate (voir plus bas).
Les laxatifs osmotiques
L’hydroxyde de magnésium (Chlorumagène®) est moyennement résorbé par voie orale. Le magnésium est utilisé à doses massives par voie parentérale en cas d’éclampsie, et même à ces doses on n’observe pas d’augmentation franche du taux lacté de magnésium. Chez 10 femmes qui ont reçu une dose de charge de 4 g de sulfate de magnésium en IV, puis 1 g par heure jusqu’à 24 heures post-partum, le taux colostral de magnésium était de 64 mg/l en fin de traitement, contre 48 mg/l chez les femmes du groupe témoin, et ce taux était similaire chez toutes les femmes 72 heures plus tard (Cruikshank). Il peut donc être utilisé pendant l’allaitement.
Les sucres et polyols (lactitol : Importal® ; lactulose : Duphalac®, Lactulose®, Transu-lose®… ; pentaérythritol : Auxitrans® ; sorbitol : Hépacholine®, Hépargitol®, Nivabetol®…), les polymères et autres laxatifs osmotiques sont peu ou non résorbés, mais ils peuvent induire une fermentation dans le tractus digestif, et induire des coliques chez le bébé lorsque la mère en prend régulièrement (Iacovou). Ils peuvent être utilisés chez la femme allaitante, qui sera prévenue qu’en cas de prise importante de ces produits, son bébé allaité pourrait éventuellement présenter une diarrhée. Il n’existe aucune donnée sur l’excrétion lactée du polyéthylène glycol (Forlax®), mais l’absorption orale de ce produit n’est que de 0,2 %. Son passage dans le lait est donc hautement improbable.
Les anthraquinones (Agiolax®, Dragées Fuca®, Modane®, Sénokot®…)
Ces substances présentes dans certaines plantes (suc d’aloe vera, cascara, rhubarbe, séné) sont fortement laxatives et peuvent être irritantes. Elles sont faiblement absorbées par voie orale, mais les études effectuées donnent des résultats contradictoires.
Une diarrhée a été rapportée chez 6 des 10 enfants allaités par une mère qui avait pris 3,6 ml d’un extrait de séné à J5 (Tyson). Dans une étude observationnelle, aucun cas de diarrhée n’a été constaté chez les enfants allaités par 148 mères qui ont reçu environ 700 mg d’un extrait de séné à J3 (Duncan). Les enfants de 50 mères traitées par Sénokot® (450 mg) n’ont présenté aucun effet secondaire (Baldwin). Une étude randomisée a suivi 35 mères traitées par 14 mg d’extrait de séné 1 fois par jour pendant 2 semaines dès J1 (Greenhalf). 6 de leurs 37 enfants ont présenté une diarrhée. Dans une autre étude, 25 mères allaitant un enfant de 2,5 à 15 mois ont pris 100 mg de Sénokot® ; aucun passage détec-table dans leur lait n’a été constaté (Werthmann). 15 mères ont présenté une diarrhée, ainsi que 3 enfants (dont un enfant dont la mère n’avait pas présenté de diarrhée). Les mères dont l’enfant avait présenté une diarrhée ont reçu une dose double de Sénokot® ; le séné n’était toujours pas détectable dans leur lait, et aucun enfant n’a présenté de diarrhée. Les auteurs ont donc conclu qu’un autre facteur pouvait avoir induit la diarrhée. 16 femmes ont reçu 80 mg de poudre de séné et aucun de leurs enfants allaités n’a présenté d’anomalie des selles (Dubecq). Une étude randomisée en double aveugle a comparé la prise de 2 tablettes d’un extrait de séné 2 fois par jour pendant 4 jours à partir de J1 (126 mères) versus un placebo (155 mères). La prévalence des selles molles était similaire dans les 2 groupes (Shelton). Le métabolite actif du séné, la rhéine, est excrété dans le lait en quantités infimes (Faber). Des mères allaitantes ont pris 5 g de séné/jour pendant 3 jours ; elles ont excrété en moyenne 0,007 % des substances actives dans leur lait, et aucune modification des selles n’a été constatée chez leurs bébés. Le séné est considéré comme utilisable pendant l’allaitement.
Une étude (Tyson) fait état de selles plus molles chez 10 des 22 enfants dont la mère avait pris 1,2 ml d’extrait de cascara à J5. Mais une autre étude (Duncan) comparant l’impact du séné et du cascara en post-partum précoce n’a constaté aucun cas de diarrhée chez les nourrissons de 142 mères qui ont reçu 400 mg d’un extrait de cascara à J3, pas plus que chez les enfants des 148 mères de cette étude qui ont pris du séné. Le taux lacté d’anthraquinones était indétectable après la prise de 9,3 ml de sirop de rhubarbe par 9 mères allaitantes, dans les échantillons collectés sur une période de 20 heures (Tyson).
Autres laxatifs
L’huile de ricin reste encore utilisée. C’est un laxatif puissant et irritant. Son processus de fabrication élimine normalement la ricine, très toxique. Il n’existe aucune donnée sur son utilisation chez la mère allaitante. Même si une excrétion lactée significative est improbable, elle est déconseillée pendant l’allaitement.
Le bisacodyl (Contalax®, Dulcolax®) est faiblement résorbé, et un passage lacté significatif semble improbable. Il peut être utilisé pendant l’allaitement sans risque, mais la possibilité de coliques chez le nourrisson n’est pas totalement à exclure.
Le picosulfate (Fructines au picosulfate de sodium®, Picoprep®) est faiblement résorbé, et un passage lacté significatif semble improbable. Il peut être utilisé pendant l’allaitement sans risque, mais la possibilité de coliques chez le nourrisson n’est pas totalement à exclure.
Le docusate de sodium (Jamylène®, Norgalax®) est très peu absorbé par voie orale et son passage dans le lait maternel est hautement improbable. Il a été étudié chez 35 mères allaitantes traitées par 120 mg/jour (les mères prenant également une anthraquinone) à l’occasion d’une étude randomisée en aveugle. Une mère a fait état de diarrhée chez son bébé, mais la responsabilité d’un autre produit pris par la mère était beaucoup plus probable (Greenhalf). Ce produit a une action détergente et il ne doit pas être utilisé avec une huile minérale car il peut en augmenter l’absorption.
Les produits de préparation de colonoscopie
On utilise 2 types de produits : les préparations à base de PEG (polyéthylèneglycol ou macrogol – Moviprev®, Ximepeg®) et les préparations à base de laxatifs osmotiques ou stimulants. Le PEG est également utilisé comme laxatif à plus faibles doses (voir plus haut), et une excrétion lactée est hautement improbable. Les sels de magnésium, de phosphate ou de sulfate sont également utilisés (Citrafleet®, Colokit®, Izinova®). Le magnésium, le sulfate et le phosphate sont des minéraux normalement présents dans le lait maternel. L’administration par voie orale de 30 g de phosphate de sodium double le taux sérique de phosphate, qui revient à la normale dans les 24 heures. Même si cela double également le taux lacté de phosphate (taux normal : environ 140 mg/l) pendant 24 heures, l’enfant ne recevra pas une dose importante de phosphate. Et d’autres études ont fait état d’une augmentation plus faible du taux sérique de phosphate (25 à 35 %). Même des doses massives de magnésium n’augmentent guère son taux lacté. Globalement, la prise par la mère de laxatifs destinés à la préparation d’une colonoscopie ne nécessite pas de suspension de l’allaitement.
En conclusion
La grande majorité des laxatifs peuvent être utilisés pendant l’allaitement, en privilégiant en première intention les produits non absorbés par voie orale (hydrocolloïdes, docusate, laxa-tifs de lest, picosulfate …). L’huile de paraffine, le bisacodyl et les laxatifs osmotiques peu-vent également être utilisés. Les anthraquinones peuvent être irritantes et sont donc à ré-server aux constipations plus sévères, avec prudence.
Références
• Anderson PO. Laxative and cathartic use during breastfeeding. Breastfeed Med 2021 ; 16(9) : 675-7.
Ainsi que :
• Baldwin WF. Clinical study of senna administration to nursing mothers : Assessment of effects on infant bowel habits. Can Med Assoc J 1963 ; 89 : 566-8.
• Cruikshank DP et al. Breast milk magnesium and calcium concentrations following magnesium sulfate treatment. Am J Obstet Gynecol 1982 ; 143 : 685-8.
• Dubecq JP, Palmade J. Etude clinique de l'administration de Tamarine chez la mere qui allaite. Gaz Med Fr 1974 ; 81 : 5173-5.
• Duncan AS. Standardized senna as a laxative in the puerperium . A clinical assessment. Br Med J 1957 ; 1 : 439-41.
• Faber P, Strenge-Hesse A. Relevance of rhein excretion into breast milk. Pharmacology 1988 ; 36 (Suppl 1) : 212-20.
• Greenhalf JO, Leonard HS. Laxatives in the treatment of constipa¬tion in pregnant and breast-feeding mothers. Practitioner 1973 ; 210 : 259–63.
• Iacovou M et al. Randomised clinical trial : Reducing the intake of dietary FODMAPs of breastfeeding mothers is associated with a greater improvement of the symptoms of infantile colic than for a typical diet. Aliment Pharmacol Ther 2018 ; 48 : 1061-73.
• Iacovou M et al. Reducing the maternal dietary intake of indigestible and slowly absorbed short-chain carbohydrates is associated with improved infantile colic : A proof-of-concept study. J Hum Nutr Diet 2018 ; 31 : 256-65.
• Shelton MG. Standardized senna in the management of constipation in the puerperium . A clinical trial. S Afr Med J 1980 ; 57 : 78-80.
• Tyson RM, Shrader EA, Perlman HH. Drugs transmitted througt breast milk. Part I: laxatives. J Pediatr. 1937 ; 11 : 824-32.
• Werthmann MW Jr, Krees SV. Quantitative excretion of Senokot in human breast milk. Med Ann Dist Col 1973 ; 42 : 4-5.
• Messinis IE et al. Histamine H1 receptor participation in the control of prolactin secretion in postpartum. J Endocrinol Investig 1985 ; 8 : 143-6.
Pour poser une question, n'utilisez pas l'espace "Commentaires" ci-dessous, envoyez un mail à la boîte contact. Merci