Publié dans le n° 195 des Dossiers de l'allaitement, juin 2023.
D'après : Breastfeeding in phenylketonuria : changing modalities, changing perspectives. Zuvadelli J et al. Nutrients 2022 ; 14 : 4138.
La phénylcétonurie est une maladie métabolique génétique qui conduit à une accumulation de phénylalanine (Phe) dans les tissus à un niveau toxique suite à l’absence de l’enzyme nécessaire à sa métabolisation, avec entre autres une dégradation progressive et irréversible du système nerveux central. Elle est dépistée en routine chez tous les nouveau-nés. Elle est traitée par un régime alimentaire pauvre en phénylalanine débuté le plus tôt possible et poursuivi tout au long de la vie. Pendant longtemps, on a demandé aux mères d’enfants souffrant de phénylcétonurie de sevrer leur bébé pour le nourrir exclusivement avec un lait industriel spécial. On a toutefois constaté, à la fin des années 1970, que le taux de Phe dans le lait humain était significativement plus bas que dans les préparations pour nourrissons, et qu’il était donc utilisable chez ces enfants, parallèlement au don d’un lait industriel spécial, dans un pourcentage fonction des dosages sériques de Phe. Divers protocoles sont utilisés pour nourrir ces enfants en incluant du lait maternel, comme le don lors de chaque repas d’un volume déterminé de lait maternel exprimé et d’un volume déterminé de lait spécial, ou le don d’un volume déterminé de lait spécial, l’enfant pouvant ensuite être mis au sein et téter à volonté. Le but de cette étude était d’évaluer et de comparer les diverses pratiques d’allaitement de nourrissons souffrant de phénylcétonurie, ainsi que leur impact sur l’allaitement et sur la croissance et le contrôle métabolique de l’enfant.
Les auteurs ont repris tous les dossiers des enfants suivis par leur service spécialisé d’un CHU de Milan (Italie) entre 2012 et 2021, chez qui une phénylcétonurie avait été confirmée. Ils ont été répartis en 2 groupes selon qu’ils recevaient du lait maternel (GLM) ou qu’ils avaient reçu uniquement un lait spécial, au moins au départ (GLS). Le groupe GLM a été divisé en 4 sous-groupes suivant les modalités de l’allaitement : don au biberon d’un volume déterminé de lait maternel exprimé et de lait spécial, don d’un volume déterminé de lait spécial, l’enfant étant ensuite mis au sein aussi longtemps qu’il le souhaite, don d’un volume déterminé de lait spécial, l’enfant étant ensuite mis au sein pendant une durée déterminée, ou alternance des mises au sein et du don de biberons de lait spécial d’un repas à l’autre. La stratégie d’alimentation a été déterminée conjointement par le diététicien du service et les parents, en prenant en compte le suivi métabolique de l’enfant jusqu’à 12 mois. On a exclu de cette étude les enfants nés à < 37 semaines de gestation ou avec un poids < 2 500 g et les enfants souffrant d’autres pathologies.
Les données concernaient 42 enfants (dont 24 garçons). 33 enfants étaient nés par voie basse. 27 mères étaient d’origine italienne et 15 étaient primipares. Aucune mère ne présentait de phénylcétonurie. L’alimentation de régime a été débutée à 12,7 ± 3,4 jours post-partum. 18 enfants présentaient une phénylcétonurie classique, 15 une phénylcétonurie modérée et 9 une hyperalaninémie sans phénylcétonurie Au moment de leur sortie de maternité, 37 enfants étaient allaités, mais seulement 28 l’étaient encore au moment du démarrage de leur suivi par le service spécialisé. Le traitement a été mis au point avec pour objectif le maintien d’un taux sérique de Phe entre 120-360 µmol/l. Les enfants devaient recevoir 45,7 ± 13 mg/kg/jour de Phe pendant le 1er mois, cet apport étant progressivement abaissé jusqu’à 39,1 ± 12,6 mg/kg/jour à 12 mois. La majorité des enfants étaient donc allaités au moment du démarrage du régime. L’allaitement s’est poursuivi selon 3 modalités : don de volumes déterminés de lait maternel exprimé et de lait spécial au biberon (11 enfants), don de lait spécial puis mise au sein de l’enfant jusqu’à satiété (9 enfants) et alternance sein et biberons de lait spécial suivant les repas (8 enfants), ces modes d’alimentation étant poursuivis jusqu’à 12 mois. Toutefois, le taux d’allaitement a progressivement baissé, avec une durée moyenne d’allaitement de 7,2 mois (0,8 à 18,8 mois). La durée de l’allaitement a été de loin la plus longue chez les enfants recevant un volume déterminé de lait spécial avant d’être mis au sein, et ce pour tous les repas, et elle était la plus courte chez les enfants recevant le lait maternel au biberon. Concernant le suivi métabolique, le taux sérique de Phe était satisfaisant dans les divers groupes pendant toute la durée du suivi. L’inclusion du lait maternel dans l’alimentation de l’enfant n’avait aucun impact sur la stabilité métabolique de l’enfant, quelle que soit la méthode de poursuite de l’allaitement mise en œuvre. Concernant la croissance staturo-pondérale des enfants, elle se situait dans des percentiles plus bas que la moyenne dans tous les groupes pendant les premiers mois, et le percentile pour la taille et le poids augmentait par la suite, sans qu’il y ait de différences statistiquement significatives entre les divers groupes, mis à part une augmentation plus importante du poids chez les enfants exclusivement nourris avec un lait spécial qui avaient un poids plus bas au démarrage du suivi.
La principale limitation de cette étude est qu’aucune donnée n’a été collectée sur le niveau de satisfaction et d’anxiété des mères en fonction du mode précis d’alimentation de leur enfant. Elle portait sur relativement peu d’enfants, et il serait utile de faire d’autres études incluant les enfants suivis par d’autres consultations spécialisées. Elle confirme qu’il est tout à fait possible de poursuivre l’allaitement d’enfants présentant une phénylcétonurie selon des modalités variables à discuter avec les parents, et en obtenant un bon contrôle du taux sérique de Phe et une croissance correcte. Cependant, la chute du taux d’allaitement de 50 à 33 % dans la période suivant l’annonce du diagnostic et avant la prise en charge démontre que les familles et les mères plus particulièrement ont besoin d’accompagnement non seulement après le diagnostic mais plus particulièrement pendant la courte période avant la prise en charge. Cette période représente une fenêtre de temps d’action cri-tique de soutien des mères allaitant des nourrissons souffrant de phénylcétonurie et pourrait permettre d’améliorer le taux d’allaitement des bébés souffrant de cette maladie.
Dans l’ensemble, ces résultats sont encourageants et permettent de soutenir l’idée que l’allaitement maternel peut être maintenu chez des nourrissons diagnostiqués pour la phénylcétonurie. Ainsi, ces enfants pourraient profiter des nombreux bénéfices associés à l’allaitement et déjà décrits dans la population générale. Enfin, cette étude en comparant différentes modalités d’allaitement permet de préconiser le don d’une quantité déterminée de formule sans Phe avant la mise au sein à volonté comme méthode de choix pour nourrir les nourrissons. En plus de permettre une répartition uniforme des pro-téines sur 24 h, cette pratique a l’avantage d’initier et de maintenir un lien proximal entre la maman et son bébé.
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