Léo-Paul est né à cinq mois et demi de grossesse et pesait 1 030 g.
Cette naissance prématurée fut un choc terrible : nous n'imaginions pas qu’à ce terme, un bébé puisse vivre. Aussi nous avions demandé le respect et surtout pas de réanimation déplacée. Fabrice est allé voir notre tout petit juste après la naissance. Léo-Paul l’a regardé avec amour, lui a souri et a serré son doigt avec sa toute petite main. Il lui a dit son désir de vivre. Fabrice était fou d’espoir. Quant à moi, j’étais sous le choc. Je ne pensais même pas à l'allaitement. C'est Fabrice qui m'a apporté un tire-lait, et ce n'est qu'en fin de journée, en voyant les photos d’enfants nés très prématurément et les témoignages de leurs parents exposés en néonatalité, que j’ai découvert que c’était vraiment possible : “Ça a marché pour eux, alors peut être pour nous."
Une force énorme a alors surgi en moi. J’ai compris que mon rôle de mère était d’accompagner avec amour Léo-Paul dans sa vie, quelle qu’en soit la durée. J’ai commencé à tirer mon lait quelques heures après la naissance. Les premiers jours, seules quelques gouttes perlaient. Puis quelques millilitres, centilitres, décilitres. Au bout de quelques semaines, j’arrivais à tirer 500 ml par jours, parfois bien plus. Je notais consciencieusement les quantités. ça me rassurait et me permettait de réagir en cas de baisse, lorsque j’étais fatiguée, bouleversée par ce que je vivais, ou encore si j’avais tiré moins la veille. Au début, quand c’était possible, c'était toutes les deux heures et demi. Sauf la nuit, où je tirais quand je me réveillais spontanément. Ensuite, j’ai remarqué qu’il me fallait un minimum de 6 fois par jour pendant une demi-heure à chaque fois, pour maintenir ma production lactée.
Je disposais d’un tire-lait électrique simple téterelle, mais j’ai aussi utilisé mon tire-lait manuel. J’ai aussi remarqué que le réflexe d’éjection se produisait plus vite lorsque je stimulais le mamelon de l’autre sein. Je pratiquais la super-alternance : quand le lait ne coulait plus d'un sein, je changeais. Certains jours, le lait ne coulait pas beaucoup et mon moral était bas. Il m’est alors arrivé de brancher le tire-lait , de mettre des bouchons d’oreille et de faire ma sieste quotidienne (et obligatoire !). Au réveil, il n’y avait pas forcément de lait, mais le lendemain ça allait mieux.
Un soir, après des moments difficiles, le lait ne coulait plus. Mon mari s’est assis avec moi, nous avons parlé, parlé encore, tout en laissant le tire-lait en marche et en changeant de temps en temps de sein, sans y prêter attention. Au bout d’un moment, d’un long moment puisque nous parlions depuis presque deux heures, j’avais rempli le réservoir sans m’en rendre !
J’ai pu porter Léo-Paul en "peau à peau" au bout de huit jours, quand il a été extubé. L’émotion était grande, et j’étais impressionnée par son corps. J’ai appris à le manipuler, nous nous sommes apprivoisés et j’ai alors pu me détendre et le tenir contre ma peau, avec tout l’amour et la compassion d’une mère. Léo-Paul m’a bien aidé : il me parlait avec les yeux, et puis il enfouissait sa tête, comme s’il cherchait le mamelon. Un jour, je l’ai signalé à la puéricultrice, qui a proposé qu’on lui présente le sein. J’étais heureuse d’avoir été entendue dans mon désir d’allaiter. Léo-Paul m’a fait alors un énorme cadeau, qui m’a donné la force de tirer mon lait pendant si longtemps : il a attrapé le mamelon avec sa toute petite bouche et s’est mis à m’aspirer le sein et à téter trois ou quatre fois, avec une force qui m’a surprise.
Son état de santé s’est ensuite aggravé, il a dû être réintubé. Je ne pouvais plus le prendre. Il est descendu à 800 g. Ces retours en arrière étaient terribles à vivre. Quand les difficultés respiratoires se sont arrangées et qu’il a étéplus mature, on a recommencé le peau à peau et à lui présenter le sein. Il a pu recevoir mon lait par sonde. D’abord 1 ml le premier jour, puis 2 le second, puis 3, 4, 5, puis plus rien ! Il ballonnait. Retour en arrière, toujours très difficile à vivre, mais il faut s’accrocher, continuer, espérer.
Les semaines ont passé, son état s’améliorait. Il arrivait à extraire du lait au sein ; alors la pesée permettait de savoir si c’était suffisant ou s’il fallait compléter par sonde. Parfois il tétait bien, et le lendemain, plus rien. Un jour, on m’a expliqué que les quantités de lait augmentant assez vite, il perdait la sensation de faim jusqu’à ce que son corps s’adapte. J’ai alors mieux accepté ces "tétées" où il refusait de boire, dormait et était nourri par sonde. Quand il était disposé à téter, je l’aidais en provoquant le réflexe d’éjection avec un tire-lait manuel. Quand il était réveillé au moment du repas et que je n’étais pas là, il était nourri à la tasse. Il n’a jamais eu de biberon ni de tétine.
Au bout de trois mois, il a pu rentrer à la maison. Il pesait alors à peine 2 kg. Je l’allaitais à la demande comme on me l’avait conseillé, mais il était encore un peu faible : parfois cinq heures sans réclamer ! Au bout de trois trois semaines, il n’avait pris que 200 g, et lors de la visite médicale, je me suis sentie remise en cause dans mon rôle de mère nourricière. À la limite de craquer et de donner des compléments, j’ai contacté LLL. Sophie, que je remercie énormément, m’a rassurée, confortée et aidée. J’ai proposé le sein à Léo-Paul toutes les heures et demie. Il a pris le rythme pendant deux jours, le temps d’augmenter la production, puis a espacé les tétées. La courbe de poids a fait un bond, le mois suivant, il a pris 1 kg 600 ! Les petits pyjamas se sont remplis, Léo-Paul est devenu un beau bébé tout potelé, avec de gracieux bourrelets. Il pleurait peu et nous répondions à ses demandes. Parfois, le soir, son besoin était intense pendant trois heures, alors je le portais pendant trois heures. Là, dans le porte-câLLLin, il pouvait téter tant qu’il voulait.
La nuit, son petit matelas à côté du nôtre par terre, je le nourrissais dès qu’il commençait à s’agiter, incapable de dire le lendemain combien de fois il avait tété, puisque je m’étais à peine réveillée. Et puis j’étais rassurée d’entendre sa respiration. Dans le calme de la nuit, blottis l’un contre l’autre, nous cicatrisions les plaies de la séparation.
Léo-Paul a réclamé des solides à 6 mois ½ d’âge corrigé. Il goûtait à tout et complétait en tétant. À 14 mois d’âge corrigé, il a marché tout seul.
Il y a presque deux ans qu’il est né et c’est un petit bonhomme agile, malicieux, charmeur, indépendant, toujours prêt à croquer la vie. Il n’a pratiquement jamais été malade. Il tète encore avec un grand plaisir partagé et dort tout seul. L’allaitement nous a sauvés tous les deux : moi dans ma capacité de mère, lui dans son corps, nous dans cette relation abîmée.
Pour aider ce petit corps à lutter et à grandir, je pouvais tirer mon lait et ça me permettait de surmonter la culpabilité de n’avoir pas pu mener cette grossesse à son terme. Je redevenais indispensable pour mon bébé, et c’était mon lait qui le faisait grandir. L’allaitement m’a aussi aidée à aimer mon bébé sans condition, même s'il m’avais mise en position d’échec, même si son petit corps souffrant ne ressemblait en rien au nourrisson dormant dans son pyjama velours devant lequel tout le monde s’exclame en vous félicitant d’avoir fait un si beau petit.
Et puis le lait d’une maman ayant accouché prématurément est adapté aux besoins de son petit. Les éléments présents sont en qualité et en quantité adaptées, et c’est inimitable. La maman protège son bébé des germes qu’elle transporte par les anticorps spécifiques.
La vie mobilise parfois en nous des forces incroyables pour faire face. Je remercie mon mari, mon aîné Baptiste qui avait 11 mois lors de la naissance et dont l’allaitement heureux m’a donné du courage pour persévérer quand c’était difficile. Merci au personnel hospitalier et à toutes les mamans LLL.
Allaiter un grand prématuré, c'est possible.
Témoignage paru dans le n° 52 d'Allaiter aujourd'hui, juillet 2002.
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