Extraits d'un article publié dans les Dossiers de l'allaitement n° 92 (juillet - août - septembre 2012).
Un nombre significatif de femmes en âge de procréer souffrent de TCA (troubles du comportement alimentaire). La grossesse et les modifications du corps qu’elle induit seront souvent mal vécues par ces femmes, qui auront besoin d’un soutien prenant en compte leurs troubles alimentaires et leurs conséquences sur la santé.
Avant et pendant la grossesse
Les troubles alimentaires peuvent donc avoir un retentissement plus ou moins important sur la santé de la femme avant toute grossesse (Bansil ; Hudson), mais le fait d’être aménorrhéique ne signifie pas pour autant que la femme est obligatoirement infertile (Bulik ; Mitchell). Une grossesse non désirée n’est pas exceptionnelle chez ces femmes. Toutefois, les femmes anorexiques sont généralement sévèrement carencées, et cela peut avoir un impact majeur sur le développement du fœtus (Buck). Les carences doivent donc être corrigées le plus rapidement possible autant que faire se peut, au moins par une supplémentation vitaminique et minérale. Le cycle menstruel est également déréglé chez les femmes boulimiques. Chez celles qui ont l’habitude de se faire vomir, les vomissements dans les heures qui suivent la prise d’une pilule contraceptive peut empêcher une absorption correcte des hormones de synthèse.
Une étude norvégienne publiée en 2007 constatait que les troubles alimentaires s’amélioraient pendant la grossesse, pour s’aggraver après la naissance (Bulik). Ces femmes feront souvent des efforts pendant la grossesse, afin de limiter les risques pour l’enfant qu’elles portent (Little). Toutefois, les patientes anorexiques ont un taux de mortalité périnatale plus de 6 fois plus élevé que les femmes ne souffrant pas de troubles alimentaires (Deering). Elles ont également un taux plus élevé d’accouchement prématuré, de complications obstétricales, et de césarienne (Martos-Ordonez). Les femmes boulimiques ont un risque plus élevé d’hyperémèse, de fausse-couche, d’accouchement prématuré, et de diabète gestationnel (Morgan). En cas d’obésité, est augmenté le risque d’hypertension gestationnelle, de diabète gestationnel, de pré-éclampsie, et d’enfant de poids élevé (Mathieu).
Après l'accouchement
Après leur accouchement, ces femmes sont généralement très préoccupées de reprendre leurs habitudes antérieures et de perdre du poids. Même chez les femmes en bonne santé, le post-partum est une période difficile, et il faut du temps à la mère pour s’habituer à son nouveau rôle. Cette adaptation sera encore plus difficile chez les femmes qui souffrent de TCA. Si la prévalence de la dépression du post-partum est d’environ 10 % dans la population générale, elle est d’environ 50 % chez ces femmes (Astrachan-Fletcher).
Une mère qui consacre son temps et son énergie à tout ce qui peut lui faire perdre du poids (régime, exercice physique…) et qui doit par ailleurs consacrer du temps à son bébé, sera peu intéressée par l’allaitement (Patel). Toutefois, lorsque l’environnement est favorable à l’allaitement et que la mère bénéficie d’un soutien adapté, les modalités de l’allaitement seront proches de celles d’une mère ne souffrant pas de troubles alimentaires.
Une étude norvégienne a comparé la prévalence de l’allaitement chez des femmes présentant divers troubles alimentaires (Torgersen). 98 % d’entre elles ont commencé à allaiter après la naissance, un taux similaire à celui de la population générale. Ces mères avaient toutefois un taux plus élevé de sevrage avant 6 mois, mais cette corrélation était significative uniquement chez les mères souffrant d’anorexie mentale (RR : 2,35), celles souffrant de troubles alimentaires non spécifiés et les mères se faisant vomir ou prenant des laxatifs (RR : 1,95). Une étude (Micali) a analysé l’impact des troubles alimentaires maternels chez des femmes suivies dans le cadre d’une grande étude longitudinale (Avon Longitudinal Study of Parents and Children), englobant 12 050 femmes ainsi que leurs enfants. Dans cette cohorte, 247 mères souffraient d’anorexie, 194 souffraient de boulimie, 82 étaient à la fois anorexiques et boulimiques. Par rapport aux femmes qui n’en présentaient pas, les femmes souffrant de troubles alimentaires étaient plus nombreuses à commencer à allaiter (83 % contre 76 %). Elles étaient également plus nombreuses à allaiter jusqu’à 1 an (en particulier les femmes boulimiques).
Si une femme souffrant de troubles alimentaires souhaite allaiter, l’allaitement pourra la motiver pour entamer le suivi psychique nécessaire, et retrouver une relation plus apaisée avec l’alimentation. L’allaitement nécessite des calories, et des restrictions alimentaires excessives auront un impact négatif sur la lactation. Le fait que son corps s’avère capable de nourrir son bébé pourra être thérapeutique pour une femme qui a une mauvaise image de son corps et une piètre confiance en elle.
Des études ont constaté que l’allaitement facilitait la perte de poids en post-partum. Une étude (Lederman) a évalué les relations entre les apports caloriques pendant la lactation, et les réponses du corps à ces apports, dans le contexte de l’augmentation des besoins énergétiques en rapport avec la lactation. Les femmes qui réagissent à cette augmentation de leurs besoins énergétiques en diminuant leurs dépenses perdent moins de poids que celles qui réagissent en augmentant leurs apports. Les femmes qui décident d’augmenter leur activité physique brûleront de la graisse en maintenant leur masse maigre pour peu qu’elles aient des apports suffisants. On pourra donc informer les mères souffrant de TCA que l’allaitement exclusif pendant les 6 premiers mois, puis la poursuite de l’allaitement parallèlement à l’introduction des solides, favorisent le retour à un poids normal (Baker). Par ailleurs, on a constaté que des mères obèses perdaient davantage de poids avec une alimentation riche en lipides qu’avec une alimentation riche en glucides (Mohammad). On peut donc recommander à ces mères une alimentation dans laquelle 55 % des calories sont fournies par les lipides, 30 % par les glucides, et 15 % par les protides. On recommande la prise de 300 mg/jour d’acide docosahexaénoïque (prise d’un supplément) ; 7 à 10 % des graisses alimentaires devraient être des graisses saturées, et 10 % devraient être des graisses mono-insaturées.
Cependant, les TCA ayant pour origine un trouble psychique (conflit relationnel avec leurs propres parents, non résolu dans le passé, traumatisme infantile enfoui dans l’inconscient…), une thérapie (psychanalyse, thérapie comportementale et cognitive…) aidant à mettre à jour et évacuer la souffrance mentale est indispensable, en même temps qu’un accompagnement diététique souple qui travaillera sur les croyances et les ressentis alimentaires.
Des études ont constaté que les mères allaitantes avaient une intensité plus basse de réponse au stress (Boutet ; Groër ; Mezzacappa). L’ocytocine sécrétée pendant les tétées a un impact calmant, et elle favorise le lien mère-enfant. Cela pourra être particulièrement utile chez les mères souffrant de troubles alimentaires. La cholécystokinine sécrétée chez la mère et l’enfant pendant les tétées a également un effet calmant (Toonisi ; Uvnäs-Moberg). Le lait humain contient des bêta-endorphines en post-partum précoce, qui aident le nourrisson à surmonter le stress de la naissance et de l’adaptation à la vie extra-utérine (Zanardo).
Soutenir ces mères
Les professionnels de santé qui suivent des femmes souffrant de troubles alimentaires sont particulièrement bien placés pour les encourager à entamer un traitement de leur TCA pendant la grossesse et l’allaitement. Le questionnaire SCOFF est un bon moyen de dépistage des troubles alimentaires, que le professionnel de santé pourra utiliser s’il suspecte un tel trouble chez une patiente (Hautala ; Morgan). En pareil cas, le professionnel de santé pourra aller plus loin. Il est indispensable d’arriver à mettre en place un lien de confiance avec elle, et de l'encourager à parler des questions qu’elle se pose sur la santé de son enfant. Ces femmes ont habituellement honte de leur problème alimentaire, et elles en discuteront rarement d’elles-mêmes avec un professionnel de santé. Il sera donc nécessaire de faire preuve de diplomatie, d’écoute et d’empathie, et d’orienter la mère vers des professionnels, psychiatres et nutritionnistes, spécialisés dans le suivi des TCA, ainsi que vers des associations de malades qui offrent des groupes de parole thérapeutiques.
En ce qui concerne l’allaitement, ces mères ont bien entendu besoin de recevoir les mêmes informations dont toutes les mères ont besoin sur les pratiques optimales d’allaitement, et de savoir à qui elles peuvent s’adresser pour recevoir un soutien et poser des questions sur l’allaitement, d’autant que ces femmes ont un risque plus élevé de problèmes de démarrage de l’allaitement, en particulier si le bébé est prématuré, hypotrophique, hypertrophique, si l’accouchement a été difficile, ou si la mère a présenté des pathologies pendant la grossesse. Leur problème alimentaire peut également avoir un impact négatif sur la production lactée, et la croissance du bébé sera donc suivie régulièrement. Un soutien adéquat pourra aider ces mères à vivre l’allaitement comme une expérience gratifiante, qui pourra les aider à surmonter ou améliorer leur trouble alimentaire et construire un projet solide de vie avec leur enfant.
Danielle DURET – Nutritionniste – Sociologue de l’alimentation – Animatrice LLL France
Bibliographie - Références
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Bonjour
Mon bébé a déjà presque 5 mois
Je l allaite mais j ai de gros troubles alimentaires, crise de boulimie avec vomissement min 1fois par jour..
Mon enfant souffre d un important reflux et colliques aussi.
On m a dit que mes vomissements n avaient pas de retentissement sur mon lait mais j ai de gros doutes.
Je stress sans cesse sur le mal que je peux lui faire et parodaxalement je me dis que mon lait est meilleur pour lui.
Car depuis le début c est ce qu' On me dit...
Il a une bonne courbe de poises et se porte bien. 7, 400 kg semaine dernière pour 4 mois et demi
S9n reflux est d3 plus en plus important malgré lé trait
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