D’après : Lactation after perinatal, neonatal, or infant loss. Cole M. Clin Lact 2012 ; 3(3) : 94-100.
La perte d’un enfant est dévastatrice, et pour de nombreuses mères la lactation est une des composantes de leur souffrance. Les professionnels de santé qui suivent une mère en deuil savent rarement comment la soutenir, et pourront lui donner des conseils inadaptés. Le but de cet article était de faire le point sur la suppression de la lactation après le décès de l’enfant, d’explorer les aspects émotionnels et physiques liés à la lactation après ce décès, et de proposer des stratégies de soutien aux mères qui doivent surmonter la perte de leur enfant.
La perte de l’enfant est une tragédie pour la famille, quelle que soit le moment où elle survient. La mère peut faire une fausse couche (entre 0 et 22 semaines), le décès peut être périnatal (entre 22 semaines et le terme), néonatal (entre la naissance et 28 jours), ou plus tardive. En cas de décès périnatal, cela peut être un choc majeur pour la mère de constater que ses seins commencent à sécréter du lait alors qu’elle n’a pas de bébé à nourrir. Certaines mères souhaitent immédiatement un traitement suppresseur de la lactation, celle-ci leur rappelant la mort de leur enfant. D’autres mères souhaitent prolonger la lactation pour diverses raisons : aide au deuil de leur enfant, reconnaissance de son existence, don le lait à d’autres mères pour donner un sens à ce décès, ou se sentir proche de leur bébé décédé… Quel que soit le choix de la mère, elle devra recevoir des informations adaptées et un soutien approprié afin d’éviter les complications telles que l’engorgement ou la mastite.
Le deuil implique un cheminement comportant des manifestations physiques et émotionnelles. La mère ressentira de la stupeur, du déni, de la colère, de la culpabilité, un sentiment d’échec (Kay). Il est important de comprendre que la mère pleure son enfant, mais également toute la relation d’amour qu’elle s’attendait à vivre avec cet enfant qu’elle ne verra jamais grandir. Dans certains cas, le deuil peut être ambivalent, lorsque la relation entre l’enfant et la mère était incertaine : enfant adopté, perte d’un multiple, fausse couche ; cette ambivalence complique le travail de deuil. Les modifications du corps après la perte de l’enfant seront difficiles à vivre pour la mère. C’est aussi le cas du séjour en maternité et du retour à la maison sans un bébé dans les bras, la mère ne se sentant pas reconnue en tant que mère (Kay ; Leoni). Certains appellent le lait d’une mère en deuil « les larmes blanches » (Schwiebert). Le deuil est un cheminement individuel, et les protocoles appliqués en routine ne prennent pas ce fait en compte. Les parents se voient proposer diverses options : autopsie, funérailles, photos et autres souvenirs, mais on pense rarement à demander à une mère ce qu’elle souhaite pour ses seins qui produisent du lait ; il est important que cela soit fait. Il est également important de conseiller aux parents de rechercher un soutien émotionnel (par un professionnel, des amis, des groupes de soutien…) ; cela pourra faciliter le processus du deuil (Forrest).
La plupart du temps, la seule option envisagée par les professionnels de santé est la suppression de la lactation, par bandage des seins et administration de médicaments. Pendant des décennies, on a couramment utilisé les œstrogènes, la testostérone, la bromocriptine et la cabergoline pour supprimer la lactation (Aljazaf ; Oladapo ; Rayburn ; Stehlin). Toutefois, ces produits ne sont pas dénués de risques, et les études sur le sujet montrent que l’efficacité de ces produits par rapport à des méthodes non pharmacologiques est médiocre (Rev Prescrire). On s’intéresse donc de plus en plus aux méthodes non pharmacologiques : applications glacées, cataplasmes de feuilles de chou (Arora ; Nikodem), massages, ultrasons (McLachlan), drainage lymphatique (Chikly), plantes (persil, menthe… - Chikly ; Humphrey ; Mills ; Shrivastav), doses massives de vitamine B6 (MacDonald ; Marcus). On préconise également l’homéopathie (Berrebi ; Castro ; Hatherly ; Moskowitz) et les anti-inflammatoires (Snowden). L’engorgement est un facteur naturel d’inhibition de la production lactée : le simple fait que les seins restent pleins de lait suffit à induire une involution de la glande mammaire (Cregan ; Wilde). Toutefois, l’engorgement peut induire des complications, comme une mastite (Humenick) ; même si la mère ne souhaite pas entretenir sa lactation, elle pourra avoir besoin de tirer son lait pour éviter un engorgement sévère. Les traitements de l’engorgement (applications glacées, cataplasmes de chou, ultrasons) peuvent aider. L’ocytocine ne semble pas efficace. L’homéopathie a apporté un soulagement significatif constaté par une étude (Berrebi), ainsi que l’acupuncture (Mangesi). D’autres recherches sont nécessaires sur la gestion de l’engorgement.
Le bandage des seins a été pratiqué dans de nombreuses cultures au fil du temps, en dépit de l’absence de preuves de son efficacité. Une étude (McGee) constatait que cette pratique était corrélée à un un niveau plus élevé de douleurs pour la mère, et à des écoulements de lait plus importants, et les auteurs recommandaient de l’abandonner. Une étude suédoise (Radestad) affirmait que le bandage aidait les femmes à faire leur deuil. Le bandage augmente le risque de complications (Fetherston ; Riordan). Si une mère souhaite que ses seins soient bandés pour diverses raisons, il est capital de lui assurer un suivi étroit.
Certaines mères souhaiteront entretenir leur lactation pour donner leur lait, à un lactarium, ou à d’autres mères de façon informelle, pendant un temps plus ou moins long. Les hormones de l’allaitement peuvent limiter le risque de dépression chez la mère, et l’expression du lait peut avoir un impact cathartique (Groër ; Kendall-Tackett).
Après le décès de l’enfant, le minimum est que la mère bénéficie d’informations sur la lactation avant son retour au domicile. Une rencontre avec la mère permettra de lui offrir des informations et un soutien en fonction de ses souhaits. Il est nécessaire de prendre la famille en compte, et d’assurer un suivi. La première étape est de voir avec les parents ce qu’ils souhaitent, et de prendre le temps d’en discuter avec eux, en sachant que les parents pourront avoir besoin de temps pour intégrer les informations qui leur seront données, et prendre une décision (Leoni). Si la mère sort de maternité avant la montée de lait, il est vital qu’elle ait reçu des informations sur ce à quoi elle doit s’attendre. Les mères qui ont perdu un bébé ont droit aux mêmes informations et au même soutien que les autres mères. Des études sur la lactation après le décès de l’enfant seraient nécessaires, effectuées selon un protocole respectant la vulnérabilité des mères. Les professionnels de santé susceptibles de suivre ces mères doivent être informés sur le soutien à l’allaitement après le décès de l’enfant, et être capables d’aider ces mères sur le plan physique et émotionnel, en respectant les convictions culturelles et les choix des parents. Une telle attitude sera précieuse pour les aider dans leur travail de deuil.
Références
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